Wanda Poltawska, la « petite sœur » de Jean-Paul II (II)

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Le récit d’une indicible amitié

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ROME, Dimanche 12 juillet 2009 (ZENIT.org) – Depuis quelques semaines, son nom circule dans les journaux, un peu partout dans le monde. Elle s’appelle Wanda Poltawska, elle est polonaise, âgée de 88 ans et médecin psychiatre.

La raison de ce brusque intérêt de la presse est que Wanda Poltawska a rendu publiques un grand nombre de lettres reçues de Jean-Paul II. Et, cela était prévisible, certains médias ont cherché à créer un scandale autour des lettres d’un pape à une femme, commente le journaliste italien Renzo Allegri, dans cet article écrit pour ZENIT dont nous publions ci-dessous la deuxième partie (pour la première partie cf. Zenit du vendredi 10 juillet).

Lorsqu’éclata la seconde guerre mondiale en 1939, Wanda Poltawska était une jeune étudiante universitaire. Elle avait dix-huit ans. Elle fréquentait les milieux étudiants catholiques. Et lorsque les nazis envahirent la Pologne, comme de nombreux autres jeunes de son âge, elle entra dans la résistance partisane, pour défendre sa patrie. Mais elle fut découverte, arrêtée, déportée en Allemagne, où elle passa cinq années dans un camp de concentration.

De retour chez elle, elle reprit ses études, obtint un diplôme en médecine, se spécialisa en psychiatrie. De caractère réservé, elle ne parlait jamais de ce qu’elle avait enduré. Mais elle voulut transcrire dans un cahier tous ses souvenirs, pour qu’ils ne soient pas oubliés. Ce n’est qu’au début des années quatre-vingt qu’elle se laissa convaincre par une amie de publier ses mémoires dans un petit livre, intitulé « J’ai peur de mes rêves… Une femme dans le camp de concentration de Ravensbrück ».

Le professeur Adolfo Turano, microbiologiste, qui le traduisait alors pour le publier également en Italie me le présenta en 1996. Je conserve encore le manuscrit qu’il me remit. Le professeur mourut prématurément, mais je sais que le livre a été publié également en Italie, l’année dernière, aux éditions dell’Orso.

C’est un document poignant. Il révèle des détails abominables, certains inédits, sur la cruauté des bourreaux nazis. Wanda Poltawska raconte sa propre histoire de jeune prisonnière qui vit un drame effroyable, mais elle la raconte avec une bouleversante et merveilleuse participation à la souffrance des autres.

Dans ces pages, Wanda Poltawska ne se borne pas à relater ses propres tourments, ses angoisses, ses souffrances. Elle se regarde elle-même, et toutes ses compagnes, avec un égal intérêt. Une donnée à garder bien présente à l’esprit, car elle montre que les souffrances inhumaines subies n’ont jamais étouffé dans son cœur la bonté, la dignité humaine, la solidarité. Dans les camps de concentration allemands, ce fut l’enfer, tandis que sévissait le « Mal personnifié ». Mais, parmi les victimes innocentes, il y eut de lumineux, d’incroyables exemples de bien, d’altruisme héroïque.

« Un soir », écrit Wanda Poltawska au début de son « journal » (je cite la traduction du professeur Turano), « j’étudiais chez moi quand, à la porte d’entrée, retentit une voix d’homme, en polonais, étrange et agressive: ‘Laquelle d’entre vous est Wanda?’. C’est ainsi que tout commença. Je me levai, sortis… et je ne suis de retour qu’à présent, après quasiment cinq années de camp de concentration ».

La jeune fille, d’abord conduite au quartier général de la Gestapo, à Cracovie, fut soumise à un interrogatoire, qui dura plusieurs jours. Elle fut battue, violemment, à coups de poing sur le visage, dans l’estomac, menacée d’un revolver.

Puis on l’enferma dans une cellule bondée. « Dans la prison : poux, puces, immondices, manque d’eau, et le typhus qui avait fait son apparition. La nuit, parfois, à l’improviste, ils allumaient les lumières, forçant notre attention, et commençaient à appeler certaines d’entre nous. Ensuite, dans la cellule, on ne dormait plus, on priait pour celles qui étaient parties. Et un peu plus tard, sous nos fenêtres, nous entendions les coups de feu de l’exécution ».

Au bout de presque sept mois, les prisonnières furent chargées sur un train de marchandises et déportées en Allemagne, dans le camp tristement célèbre de Ravensbrück, où les médecins allemands faisaient des expérimentations sur des cobayes humains. « Nous étions condamnées à mourir. Nos surveillantes nous frappaient jusqu’au sang. On nous déshabilla complètement, ils nous donnèrent des vêtements à rayures, nous rasèrent la tête, ils cherchaient à détruire notre personnalité »..

Commencèrent les travaux, pénibles, très pénibles. « Ils nous chargeaient les épaules d’un poids démesuré… Je me souviens avoir porté sur mes épaules 80 kilos de ciment en grimpant sur une échelle étroite jusqu’au toit d’une maison à deux étages : je me sentais mourir, mais je ne pouvais pas faire tomber cette charge car, derrière moi, il y avait une autre prisonnière, et je l’aurais tuée… Nous devions déblayer du sable. Les surveillantes se tenaient à nos côtés, avec des chiens féroces qui grondaient, menaçants, dès que l’une d’entre nous se reposait un peu. Nos mains étaient en sang. Le matin, le sable était humide et lourd, la journée il séchait avec le vent, se soulevait dans l’air, pénétrait dans les yeux, la bouche, les oreilles ».

Le froid constituait un terrible tourment. « Là où nous dormions, des morceaux de glace pendaient du plafond. Sur nos couvertures il y avait du givre, et la surveillante nous ordonnait systématiquement d’ouvrir les fenêtres des deux côtés du dortoir, pour nous mettre en proie aux courants d’air ».

« Dans les baraques où  nous allions travailler, il faisait, en revanche, très chaud. La baraque était surpeuplée, et nous étions en sueur. Nous étions vêtues de robes légères, à manches courtes. Mon tour finissait à cinq heures du matin. On nous flanquaient à la porte, toutes en sueur, et avec les mêmes vêtements légers, nous restions des heures et des heures dans un froid glacial ».

« Nous revenions du travail les mains enflées, les os rompus. Nous nous jetions sur les lits de camp et, au bout d’une heure, résonnait la sirène, et nous devions nous lever pour les appels. Nous retournions dans le dortoir et, au bout d’une autre heure, à nouveau l’appel. Impossible de fermer l’œil. La fatigue était immense. Parfois, durant les appels, on dormait debout, les yeux ouverts, et l’une ou l’autre tombait évanouie par terre. Elle était alors rouée de coups de bâton. La faim était plus forte que l’envie de dormir. Nous étions squelettiques. La vue des femmes nues, atrocement maigres, faisant la queue pour aller aux toilettes, n’inspirait même plus de dégoût ».

« Nous regardions avec indifférence notre maigreur et celle des autres, tout comme la perte des seins et la mort. La faim faisait de nous des voleuses, nous volions un morceau de pain, nous nous battions pour quelques miettes ».

Et puis, à un moment donné, l’appel d’un groupe que l’on emmène dans le pavillon de l’infirmerie : parmi elles, Wanda. Elles sont lavées, une infirmière leur épile les jambes, leur font des piqûres pour les endormir, et quand les jeunes filles reviennent à elles, elles se retrouvent avec les jambes plâtrées. Que s’est-il passé? Elles ne savent pas. On les ramène au dortoir en fauteuil roulant. Elles sont mises au lit et, dans le courant de la nuit, quand se dissipe l’effet du puissant somnifère, commencent des douleurs lancinantes.

C’est le début de leur martyre. Ces jeunes filles deviennent des cobayes humains pour d’atroces expérimentations médicales. Les interventions chirurgicales sur les jambes se succèdent à des périodes fixes. Les blessures pratiquées sont traitées avec des médicaments spéciaux, qui produisent des infections, la gangrène. Dans cet état, les victimes sont abandonnées, seules, dans le dortoir, sans aucu
ne assistance.

Wanda, incapable de se tenir debout, se laisse tomber du lit et, en s’agrippant aux lits de camp de ses compagnes, parvient auprès des plus souffrantes pour leur apporter un peu de réconfort, humecte leurs visages brûlés par la fièvre avec des chiffons humides, réconforte celles qui agonisent.

Le jour arrivent les médecins, qui observent les blessures et ordonnent d’autres expérimentations. Les malheureuses jeunes cobayes sont ramenées dans le pavillon de l’infirmerie et soumises à d’autres mutilations, prélèvements de morceaux d’os, injections de bactéries dans les blessures. Un calvaire épouvantable et interminable. De temps à autre, une des jeunes filles meurt. Beaucoup s’en vont de cette façon. Wanda conserve leur souvenir, en écrivant leurs noms, comme sur une pierre tombale, car ce sont des victimes innocentes, tuées par une haine absurde, froide, cynique, humainement inconcevable.

L’exaspération des rescapées, vivantes, est indicible. Wanda, elle aussi dans cette terrible situation, parvient toutefois à maintenir son équilibre chrétien. « Je n’éprouvais pas de haine et, pas même à présent, je n’en éprouve. Ce que je voyais dans ces Allemands ? Je les regardais et cherchais en chacun la personne ».

Voici, très brièvement résumée, l’incroyable, l’horrible expérience que Wanda Poltawska a vécue, de 18 à 23 ans, dans le camp de concentration de Ravensbrück. Une expérience capable de détruire n’importe quel équilibre psychique. Wanda a survécu physiquement et psychiquement à ces horreurs, grâce à sa foi. Et c’est un jeune prêtre, Karol Wojtyla, dont elle a fait la connaissance à son retour chez elle, qui l’a aidée à surmonter et vaincre les séquelles dévastatrices que les atrocités subies auraient certainement laissées dans sa personnalité.

A ce prêtre, elle confia ses drames effrayants, et ce prêtre a pu « comprendre » parce que lui aussi, dans les années de guerre, avait été tourmenté par de grandes douleurs personnelles, qui l’avaient conduit à sa vocation sacerdotale. Ainsi est née une amitié, qui s’est poursuivie tout au long de la vie, caractérisée par une activité intense et des actions menées pour promouvoir les valeurs qui avaient germé de ces lointaines souffrances.

Renzo Allegri

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ZENIT Staff

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