Quinze tentations, diagnostic et remèdes

« La curie romaine et le Corps du Christ » (texte intégral)

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Le discours du pape François à la curie romaine aura certainement un effet revigorant pour la foi des baptisés: on ne saurait en effet y lire un examen de conscience à l’usage exclusif de ses plus proches collaborateurs. Son exigence traduit certes l’importance du service de la curie pour le ministère de Pierre et pour l’Eglise universelle. Mais pas seulement. Le pape offre ici comme un Compendium du discernement quotidien proposé dans ses homélies du matin à Sainte-Marthe. 

Le pape a reçu les membres de la curie romaine ce lundi matin, 22 décembre, à 10h30 en la salle Clémentine du Vatican à l’occasion de l’échange traditionnel des voeux de Noël. Après l’hommage lu, au nom des cardinaux, par le doyen du Collège cardinalice, le cardinal Angelo Sodano, le pape François a prononcé un discours où il a diagnostiqué ces quinze tentations – « maladies » – à surmonter par une forte spiritualité. 

L’examen de conscience part de l’affirmation du don de Dieu célébré à Noël qui est « la manifestation de l’amour de Dieu qui ne se limite pas à nous donner quelque chose ou à nous envoyer un message ou des messagers, mais nous fait le don de lui-même. Le mystère de Dieu qui prend sur lui notre condition humaine et nos péchés pour nous révéler Sa Vie divine, Sa grâce immense et Son pardon gratuit. »

Chemin faisant, le pape brosse le portrait robot de l’apôtre appelé à être une personne « courtoise, sereine, enthousiaste et joyeuse, qui communique la joie où qu’il se trouve ».

Ce discours annuel à la curie est toujours très attendu, comme celui au Corps diplomatique en janvier: on en attend notamment un état des lieux de l’Eglise universelle et pas seulement de la curie. Un des plus fameux est celui du pape Benoît XVI sur l’interprétation du concile Vatican II, le 22 décembre 2005.

Le discours de cette année montre que la réforme introduite par le pape François dans les structures curiales pour les rendre plus efficaces au service du Peuple de Dieu, est aussi avant tout une réforme spirituelle, centrée sur le Christ dans l’Esprit Saint, à la gloire du Père.

A.B.

Discours du  pape François

La curie romaine et le Corps du Christ

“Tu es au-dessus des chérubins, toi qui a changé la misérable condition du monde quand tu t’es fait comme nous” (saint Athanase). 

Chers frères,

Au terme de l’Avent, nous nous rencontrons pour les salutations traditionnelles. Dans quelques jours, nous aurons la joie de célébrer la Nativité du Seigneur, l’événement de Dieu qui se fait homme pour sauver les hommes: la manifestation de l’amour de Dieu qui ne se limite pas à nous donner quelque chose ou à nous envoyer un message ou des messagers, mais qui nous fait le don de lui-même. Le mystère de Dieu qui prend sur lui notre condition humaine et nos péchés pour nous révéler Sa vie divine, Sa grâce immense et Son pardon gratuit. 

C’est le rendez-vous avec Dieu qui naît de la pauvreté de le grotte de Bethléem, pour nous enseigner la puissance de l’humilité. En effet, la Nativité est aussi une fête de la lumière qui n’est pas accueillie par les « gens élus » mais par « les gens pauvres et simples » qui attendaient le salut du Seigneur. 

Avant tout, je voudrais vous souhaiter à tous – collaborateurs, frères et soeurs, représentants pontificaux dispersés dans le monde -, et à tous ceux qui vous sont chers un Saint Noël et une heureuse Année nouvelle.Je désire surtout vous remercier de votre engagement quotidien au service du Saint-Siège, de l’Eglise catholique, des Eglises particulières et du Successeur de Pierre. 

Etant donné que nous sommes des « personnes » et pas des « numéros », ou seulement des « dénominations », je mentionne de façon particulière ceux qui ont terminé leur service cette année, pour limite d’âge ou parce qu’ils assument d’autres rôles ou parce qu’ils ont été rappelés à la Maison du Père.  Ma pensée et ma gratitude s’adressent aussi à eux tous et à leurs familles.

Je désire, avec vous, exprimer mes vifs et sincères remerciements au Seigneur pour l’année qui s’en va, pour les événements vécus et pour tout le bien qu’Il a voulu accomplir, généreusement, par le service du Saint-Siège, en Lui demandant humblement pardon pour les manquements commis « en pensée, en parole, par action et par omission ».

C’est en partant justement de cette demande de pardon que je voudrais que cette rencontre et les réflexions que je partagerai avec vous deviennent pour nous tous un soutien et un stimulant pour un vrai examen de conscience pour préparer votre coeur à Noël.

En pensant à notre rencontre, il m’est venu à l’esprit l’image de l’Eglise comme « le Corps mystique de Jésus-Christ ». C’est une expression qui, comme le pape Pie XII l’a expliqué, « jaillit et quasi germe de ce qui vient souvent exposé dans l’Ecriture Sainte et chez les Saints Pères » 1. A ce propos, saint Paul a écrit: « Le Corps, tout en étant un, a beaucoup de membres et tous le membres sont un seul corps, et il en est ainsi aussi dans le Christ » (1 Co 12, 12)2.

Dans ce sens, le Concile Vatican II rappelle que « dans l’édification du Corps du Christ règne également une diversité de membres et de fonctions. Unique est l’Esprit qui distribue des dons variés pour le bien de l’Église à la mesure de ses richesses et des exigences des services (cf. 1 Co 12, 11) »3. C’est pourquoi « le Christ et l’Eglise forment donc le « Christ total » [«Christus totus»]. L’Eglise fait un avec le Christ” 4.

C’est beau de penser à la curie romaine comme à un petit modèle de l’Eglise, c’est-à-dire comme un « corps » qui cherche sérieusement et quotidiennement à être plus vivant, plus sain, plus harmonieux et plus uni en lui-même et avec le Christ.

En réalité, la curie romaine est un corps complexe, composé de tant de dicastères, conseils, bureaux, tribunaux, commissions et de nombreux éléments qui n’ont pas tous la même tâche mais sont coordonnés pour un fonctionnement efficace, édifiant, discipliné et exemplaire, en dépit des différences culturelles, linguistiques et nationales de ses membres5.

Mais la curie étant un corps dynamique, elle ne peut pas vivre sans nourriture et sans soins. De fait, la curie – comme l’Eglise – ne peut pas vivre sans avoir un rapport vital, personnel authentique et solide, avec le Christ6. 

Un membre de la curie qui ne se nourrit pas de cette nourriture deviendra un bureaucrate (formaliste, fonctionnaire, employé): un sarment qui se dessèche, meurt peu à peu et est rejeté. La prière quotidienne, la participation assidue aux sacrements, en particulier l’eucharistie et la réconciliation, le contact quotidien avec la Parole de Dieu, et la spiritualité traduite en charité vécue, sont la nourriture vitale pour chacun de nous. Il faut que ce soit clair pour nous tous: sans Lui, nous ne pouvons rien faire (Cf. Jn 15, 8).

Par conséquent, le rapport vivant avec Dieu nourrit et fortifie aussi la communion avec les autres, c’est-à-dire que plus nous sommes intiment unis à Dieu, plus nous sommes unis entre nous, parce que l’Esprit de Dieu unit et l’esprit du malin divise.

La curie est appelée à s’améliorer, à toujours s’améliorer et à grandir en communion, sainteté et sagesse pour réaliser pleinement sa mission7. 

Pourtant, comme tout corps humain, elle est exposée aussi aux maladies, aux dysfonctionnements, aux infirmités. Et ici, je voudrais mentionner certaines de ces maladies éventuelles, maladies curiales. Ce sont des maladies plus habituelles dans notre vie de curie. Ce sont des maladies et des tentations qui affaiblissent notre service du Seigneur.

Je crois que ce catalogue des « maladi
es » dont nous parlons aujourd’hui nous aidera – sur le chemin des pères du désert, qui faisaient ces catalogues – : il nous aidera à nous préparer au Sacrement de la réconciliation, qui sera un beau pas en avant pour nous tous, pour nous préparer à Noël. 

1. La maladie de se sentir « immortel », « avec l’immunité » ou même « indispensable »,en négligeant les contrôles habituels nécessaires. Une curie qui n’est pas autocritique qui ne se met pas à jour, qui ne cherche pas à s’améliorer est un corps malade. Une visite ordinaire aux cimetières pourrait nous aider à voir les noms de tant de personnes dont certains pensaient peut-être être immortels, ayant une immunité, et indispensables! C’est la maladie du riche stupide de l’Evangile qui pensait vivre éternellement (cf. Lc 12, 13-21) et aussi de ceux qui se transforment en maîtres et qui se sentent supérieur à tous, et non au service de tous. Elle découle souvent de la pathologie du pouvoir, du « complexe des élus », du narcissisme qui regarde passionnément sa propre image et ne voit pas l’image de Dieu imprimée sur le visage des autres, spécialement des plus faibles et des nécessiteux8. L’antidote à cette épidémie est la grâce de se sentir pécheurs et de dire de tout son coeur: « Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10).

2. Il y en a une autre: la maladie de du « marthalisme » (de sainte Marthe) de l’excès d’activité, c’est-à-dire de ceux qui se plongent sans le travail, en négligeant inévitablement, la « meilleure part » : s’asseoir aux pieds de Jésus (cf. Lc 10, 38-42). C’est pour cela que Jésus a appelé ses disciples à « se reposer un peu » (cf. Mc 6, 31), parce que négliger le repos nécessaire conduit au stress et à l’agitation. Le temps du repos est nécessaire à qui a accompli sa mission: c’est un devoir qui doit être vécu sérieusement, en passant un peu de temps avec sa famille, et en respectant les vacances comme des moments de recharge spirituelle et physique. Il faut apprendre ce que Qohélet enseigne: « Il y a un temps pour toute chose » (3, 1-15).

3. Il y a aussi la maladie de la « pétrification » mentale et spirituelle, de ceux qui ont un coeur de pierre ou une « nuque raide »(Ac 7, 51-60); de ceux qui, en chemin, perdent leur sérénité intérieure, leur vivacité, et leur audace et se cachent derrière les papiers, devenant des « machines à formulaires », et non des « hommes de Dieu » (cf. He 3, 12). C’est dangereux de perdre la sensibilité humaine nécessaire pour pouvoir pleurer avec ceux qui pleurent et nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie! C’est la maladie de ceux qui perdent « les sentiments de Jésus » (cf. Ph 2, 5-11) parce que leur coeur, au fil du temps, se durcit, et devient incapable d’aimer de façon inconditionnelle leur Père et leur prochain (cf. Mt 22, 34-40). Etre chrétiens signifie en effet « avoir les sentiments mêmes du Christ Jésus, sentiments d’humilité et de don de soi, de détachement, et de générosité« .

4. La maladie de l’excès de planification et de fonctionnarisme : quand l’apôtre planifie trop minutieusement et croit que grâce à une planification parfaite les choses avancent effectivement, devenant ainsi un comptable. C’est nécessaire de bien tout préparer mais sans jamais tomber dans la tentation de vouloir s’enfermer et piloter la liberté de l’Esprit Saint qui reste toujours plus grande, plus généreuse, que toute planification humaine (cf. Jn 3,8). On tombe dans cette maladie parce « qu’il est plus facile et plus commode de se reposer sur nos positions statiques et immuables. En réalité, l’Eglise se montre fidèle à l’Esprit Saint quand elle ne prétend pas le régler ou l’apprivoiser… Apprivoiser l’Esprit Saint… Il est fraîcheur, fantaisie, nouveauté »9.

5. La maladie de la mauvaise coordination :lorsque les membres perdent la communion entre eux et que le corps perd son fonctionnement harmonieux et sa tempérance en devenant un orchestre qui produit seulement du bruit parce que ses membres ne collaborent pas et ne vivent pas l’esprit de communion et d’équipe. Lorsque le pied dit au bras: « je n’ai pas besoin de toi » ou la main à la tête: « c’est moi qui commande », provoquant ainsi malaise et scandale.

6. Il y a aussi la maladie de l’Alzheimer spirituel,c’est-à-dire l’oubli de « l’histoire du salut », de l’histoire personnelle avec le Seigneur, du « premier amour » (Ap 2, 4). Il s’agit d’un déclin progressif des facultés spirituelles qui, dans un laps de temps plus ou moins long, causent un grave handicap à la personne en la faisant devenir incapable d’une activité autonome, du fait d’un état de dépendance absolue de ses vues souvent imaginaires. Nous le voyons dans ceux qui ont perdu la mémoire de leur rencontre avec le Seigneur, dans ceux qui ne font pas le sens « deutéronomique » de la vie; dans ceux qui sont totalement dépendants de leur « présent », de leurs passions, caprices et manies; dans ceux qui construisent autour d’eux des murs et des habitudes et deviennent toujours plus esclaves des idoles qu’ils ont sculptées de leurs propres mains.

7. La maladie de la rivalité et de la vaine gloire11: quand l’apparence, les couleurs des vêtements, les signes honorifiques, deviennent le premier objectif de la vie, et que l’on oublie les paroles de saint Paul: « ne faites rien par rivalité ou vaine gloire, mais que chacun de vous, en toute humilité, considère les autres supérieurs à soi. Ne cherchez pas votre propre intérêt mais celui des autres » (Ph 2, 1-4). C’est la maladie qui nous pousse à être des hommes et des femmes faux et à vivre un « faux mysticisme », un faux « quiétisme ». Paul lui-même les définit comme des « ennemis de la croix du Christ » parce qu’ils « se vantent de ce dont ils devraient avoir honte et ne pensent qu’aux choses de la terre » (Ph 3, 19).

8. La maladie de la schizophrénie existentielle: c’est la maladie de ceux qui vivent une vie double, fruit de l’hypocrisie typique du médiocre et du vide spirituel progressif que des titres académiques ne peuvent combler. Une maladie qui frappe souvent ceux qui, abandonnant le service pastoral, se limitent à des affaires bureaucratiques et perdent ainsi le contact avec la réalité, avec les personnes concrètes. Ils créent ainsi un monde parallèle, à eux, où ils laissent de côté ce qu’ils enseignent sévèrement aux autres et ils commencent à vivre une vie cachée et souvent dissolue. La conversion est très urgente et indispensable pour cette maladie très grave (cf. Lc 15,11-32).

9. La maladie des bavardages, des murmures, et des commérages:j’ai déjà parlé de cette maladie grave qui commence simplement, peut-être seulement pour échanger quelques mots, et elle s’empare de la personne en la faisant devenir « semeur de zizanie » (comme satan), et dans beaucoup de cas « homicide de sang froid » de la réputation de ses collègues et de ses confrères. C’est la maladie des personnes lâches qui n’ont pas le courage de parler directement et parlent dans le dos. Saint Paul avertit: « faites tout sans murmurer et sans hésiter, pour être purs et sans reproche » (Ph 2, 14-18). Frères, gardons-nous du terrorisme des bavardages!

10. La maladie de diviniser les chefs :c’est la maladie de ceux qui font la cour à leurs supérieurs, en espérant obtenir leur bienveillance. Ils sont victimes du carriérisme et de l’opportunisme, ils honorent les personnes et non Dieu (cf. Mt 23, 8-12). Ce sont des personnes qui vivent le service en pensant uniquement à ce qu’ils doivent obtenir, et non à ce qu’ils doivent donner. Des personnes mesquines, malheureuses, et inspirées seulement par leur égoïsme fatal (cf. Ga 5,16-25). Cette maladie pourrait frapper aussi les supérieurs quand ils font la cour à
certains de leurs collaborateurs pour obtenir leur soumission, leur loyauté, leur dépendance psychologique, mais le résultat final est vraiment qu’ils sont complices.

11. La maladie de l’indifférence envers les autres:quand chacun ne pense qu’à soi et perd la sincérité et la chaleur des relations humaines. Quand le plus expert ne met pas sa connaissance au service des collègues moins experts. Quand on vient à apprendre quelque chose et qu’on la garde pour soi au lieu de la partager positivement avec les autres. Quand, par jalousie ou par malice, on éprouve de la joie à voir l’autre tomber au lieu de le relever et de l’encourager.

12. La maladie du visage funèbre : celle des personnes revêches et sombres, qui estiment que pour être sérieux il faut revêtir son visage de tristesse, de sévérité, et traiter les autres – surtout ceux que l’on considère comme inférieurs – avec rigidité, dureté et arrogance. En réalité la sévérité théâtrale et le pessimisme stérile12 sont souvent des symptômes de peur et de manque de confiance en soi. L’apôtre doit s’efforcer d’être une personne courtoise, sereine, enthousiaste et joyeuse qui communique la joie où qu’il se trouve. Un coeur heureux qui rayonne et contamine par sa joie tous ceux qui l’entourent, on le voit tout de suite! Ne perdons donc pas cet esprit joyeux, plein de sens de l’humour, et même d’auto-dérision, qui font de nous des personnes aimables même dans des situations difficiles13. Comme une bonne dose d’humour sain nous fera du bien! Dire souvent la prière de saint Thomas More14 nous fera du bien: je la prie tous les jours, cela me fait du bien.

13. La maladie d’accumuler:quand l’apôtre cherche à combler un vide existentiel de son coeur en accumulant les biens matériels, non par nécessité, mais pour se sentir en sécurité. En réalité, nous ne pourrons emporter avec nous rien de matériel parce que « le linceul n’a pas de poches » et tous nos trésors terrestres – même si ce sont des cadeaux – ne pourront jamais combler ce vide, au contraire, ils le rendront encore plus exigeant, et plus profond. A ces personnes, le Seigneur redit: « Tu dis: je suis riche, je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien. Mais tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu… Aie donc du zèle, et repens-toi » (Ap 3, 17-19). L’accumulation ne fait qu’alourdir et ralentir inexorablement la route. Je pense à une anecdote. Autrefois, les jésuites espagnols décrivaient la Compagnie de Jésus comme la « cavalerie légère de l’Eglise« . Je me souviens du déménagement d’un jeune jésuite: il était en train de charger dans un camion tout ce qu’il avait – bagages, livres, objets, cadeaux -, quand il a entendu un vieux jésuite qui l’observait lui dire : « ce serait cela la « cavalerie légère de l’Eglise » ? » Nos déménagements sont un signe de cette maladie.

14. La maladie des cercles fermés :quand l’appartenance à un petit groupe devient plus forte que celle du Corps et, dans certaines situations, que du Christ même. Cette maladie aussi commence par des bonnes intentions, mais au fil du temps, elle rend ses membres esclaves, devient un « cancer » qui menace l’harmonie du Corps et cause tellement de mal – des scandales – spécialement aux plus petits de nos frères. L’autodestruction ou le « feu ami » des camarades est le danger le plus sournois15. C’est un mal qui frappe de l’intérieur 16 et, comme le dit le Christ, “tout royaume divisé contre lui-même va à la ruine” (Lc 11,17).

15. Et la dernière, la maladie du profit mondain, des « exhibitionnistes »17: quand l’apôtre transforme son service en pouvoir, et son pouvoir en marchandise, pour obtenir des profits mondains, ou plus de pouvoir. C’est la maladie des personnes qui cherchent insatiablement à multiplier les pouvoirs et dans ce but, ils sont capables de calomnier, de diffamer, de discréditer les autres, jusque sur les journaux ou les magazines. Naturellement, pour s’exhiber et montrer qu’ils sont plus capables que les autres.  Cette maladie-là aussi fait beaucoup de mal au corps parce qu’il conduit les personnes à justifier leur usage de tous les moyens pour atteindre ce but, souvent au nom de la justice et de la transparence! Il me vient à l’esprit le souvenir d’un prêtre qui appelait les journalistes pour leur raconter (et inventer) des choses privées personnelles et réservées sur ses confrères et ses paroissiens. Pour lui, la seule chose qui comptait, c’était de se voir à la une des journaux, parce qu’ainsi il se sentait « puissant et irrésistible« . Il faisait tellement de mal aux autres et à l’Eglise. Le pauvre.

Frères, ces maladies et ces tentations sont naturellement un danger pour tout chrétien et pour toute curie, communauté, congrégation, paroisse, mouvement ecclésial, etc… Et elles peuvent frapper au niveau individuel ou communautaire.

Il faut être clair: seul l’Esprit Saint – l’âme du Corps mystique du Christ, comme l’affirme le Credo de Nicée-Constantinople: « Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie » – guérit toute maladie. C’est l’Esprit Saint qui soutient tout effort sincère de purification et de bonne volonté de se convertir. C’est lui qui nous fait comprendre que tout membre participe à la sanctification du Corps et à son affaiblissement. C’est lui le promoteur de l’harmonie18: “ipse harmonia est”, dit saint Basile. Saint Augustin nous dit: « Tant qu’une partie adhère au Corps, sa guérison n’est pas désespérée. En revanche, ce qui a été taillé ne peut être ni soigné ni guéri »19. La guérison est aussi le fruit de la conscience de la maladie et de la décision personnelle et communautaire de se soigner en supportant le traitement avec patience et persévérance 20.

Nous sommes donc appelés – en ce temps de Noël et pour tout le temps de notre service et de notre existence – à vivre « dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Et par lui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce aux articulations qui le maintiennent, selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans l’amour » (Ep 4, 15-16).

Chers frères!

J’ai lu un jour que « les prêtres sont comme les avions: ils sont dans les journaux quand ils tombent, mais ils y en a tant qui volent; beaucoup critiquent et peu prient pour eux« . C’est une phrase très sympathique mais aussi très vraie, parce qu’elle souligne l’importance et la délicatesse de notre service sacerdotal et combien de mal peut causer à tout le corps de l’Eglise un seul prêtre qui « tombe ».

Donc, pour ne pas tomber, en ces jours où nous nous préparons à la Confession, demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, de guérir les blessures du péché que chacun de nous porte dans son coeur, et de soutenir l’Eglise et la curie pour qu’elles soient guéries et guérisseuses; saintes et sanctificatrices; à la gloire de son Fils et pour notre salut et celui du monde entier. Demandons-lui de nous faire aimer l’Eglise comme le Christ, son Fils et notre Seigneur, l’a aimée, et d’avoir le courage de nous reconnaître pécheurs et ayant besoin de sa Miséricorde et de ne pas avoir peur d’abandonner notre main à ses mains maternelles.

Tous mes voeux d’un saint Noël à vous tous, à vos familles, et à vos collaborateurs, et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci de tout coeur.

© Traduction de Zenit, Anita Bourdin

***

NOTES

1 Il affirme que l’Eglise, étant le Corps mystique du Christ, “exige encore une multiplicité de membres, qui soient reliés entre eux de manière à se venir mutuellement en aide. Que si, dans notre organisme mortel, lorsqu’un membre souffre, tous les autres s
ouffrent avec lui, les membres sains prêtant leur secours aux malades, de même dans l’Eglise, chaque membre ne vit pas uniquement pour lui, mais il assiste aussi les autres, et tous s’aident réciproquement, pour leur mutuelle consolation aussi bien que pour un meilleur développement de tout le corps. De plus, le corps dans la nature n’est pas formé d’un assemblage quelconque de membres, mais il doit être muni d’organes, c’est-à-dire de membres qui n’aient pas la même activité et qui soient disposés dans un ordre convenable. L’Eglise, de même, doit son titre de corps surtout à cette raison qu’elle est formée de parties bien organisées, normalement unies entre elles, et pourvue de membres différents et accordés entre eux. » Cf. «Mystici Corporis Christi, quod est Ecclesia»: AAS 35 (1943) 193-248.

2 Cf. Lettre aux Romains 12, 5: “de même, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres ».
3 Lumen Gentium, 7.
4 Il faut rappeler que “la comparaison de l’Église avec le corps jette une lumière sur le lien intime entre l’Église et le Christ. Elle n’est pas seulement rassemblée autour de lui; elle est unifiée en lui, dans son Corps. Trois aspects de l’Église–Corps du Christ sont plus spécifiquement à relever: l’unité de tous les membres entre eux par leur union au Christ; le Christ Tête du Corps; l’Église, Épouse du Christ”. Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. 789 et 795.

5 Cf. Evangelii Gaudium, 130-131.
6 Plusieurs fois, Jésus a parlé de l’unité que les fidèles doivent avoir avec Lui: “De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments” (Jn 15, 4-5).
7 Cf. Pastor Bounus Art. 1 et CIC can. 360.
8 Cf. Evangelii Gaudium, 197-201.
9 Benoît XVI, Audience générale, 1er juin 2005.
10 Pape François, Homélie de la messe en Turquie,  30 novembre 2014.
11 Cf. Evangelii Gaudium, 95-96.
12 Ibid, 84-86.
13 Ibid, 2.
14 Seigneur, donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer. Donne-moi la santé du corps avec le sens de la garder au mieux, Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation. Donne-moi une âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir. Ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle «moi». Seigneur, donne-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et que j’en fasse profiter les autres. Amen.
15 Evangelii Gaudium, 88.
16 Le bienheureux Paul VI affirmait, à propos de la situation de l’Eglise, qu’il avait la sensation que « par quelque fissure était entrée la fumée de satan dans le temple de Dieu« , Homélie, Solennité des apôtres Pierre et Paul, jeudi 29 juin 1972. Cf. Evangelii Gaudium, 98-101.
17 Cf. Evangelii Gaudium: Non à la mondanité spirituelle, nn. 93-97.
18 “L’Esprit Saint est l’âme de l’Église. Il donne la vie, il suscite les différents charismes qui enrichissent le peuple de Dieu et surtout, il crée l’unité entre les croyants : de beaucoup il fait un seul corps, le corps du Christ. (…) L’Esprit Saint fait l’unité de l’Église : unité dans la foi, unité dans la charité, unité dans la cohésion intérieure”, Pape François, Homélie de la messe en Turquie, 30 novembre 2014.
19 August. Serm., CXXXVII, 1; Migne, P. L., XXXVIII, 754.
20 Cf. Evangelii Gaudium, Pastorale en conversion, nn. 25-33.

© Traduction de Zenit, Anita Bourdin


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