Brunor, Les Indices pensables

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Question de jeune, hasard et alphabets de la vie…, par Brunor

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Chronique 88 des Indices pensables

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Résumé : Que répondre à un jeune de terminale S qui vous déclare : « Vous dites que le hasard seul n’est pas capable de faire apparaître de la vie sur notre planète, vous ignorez donc que si on met un clavier de machine à écrire entre les pattes de chimpanzés, en tapant sur les touches au hasard, l’un d’eux pourrait un jour rédiger Les Misérables. La probabilité est mathématiquement possible »?
Que répondre ? Non  seulement semble certain d’avoir raison, mais de plus, on sent bien qu’il joue là ses dernières cartouches pour protéger sa « non croyance » mise en danger par vos indices précédents.
Cette histoire est une véritable escroquerie intellectuelle. Pour plusieurs raisons.
Pour qu’un singe réussisse à taper « au hasard » c’est-à-dire sans aucune intelligence, une petite phrase aussi simpliste que « Bonjour Madame, il fait beau ce matin, n’est-ce pas ? » il faudrait déjà disposer de plus de 200  milliards d’années de tentatives, pour que cela arrive une fois. Ce à quoi votre interlocuteur (pas le chimpanzé mais l’élève de terminale) vous répondra : « vous voyez que j’ai raison ! Il y a bien une probabilité non nulle ! Ce qui prouve que la vie peut aussi naître du hasard ! »
Réponse : d’accord, ce pourrait être vrai de façon virtuelle (de façon statistique), mais dans la réalité c’est faux, car notre planète Terre n’a pas 200 milliards d’années devant elle ! Nous savons qu’elle a commencé il y a environ 4,5 milliards d’années et que d’ici 5 milliards d’années elle aura été détruite par l’explosion du Soleil ! La durée totale de sa présence dans l’Univers ne dépassera pas 10 ou 12 milliards d’années en tout. Il est loin le temps des philosophes grecs qui pensaient pouvoir disposer d’une « durée infinie » où tous les jeux statistiques étaient envisageables.
Donc, cet argument du singe se faisant passer pour Victor Hugo s’effondre. Et d’autant plus qu’entre notre petite phrase « Bonjour Madame… » et un pavé comme Les Misérables, il va falloir ajouter pas mal de centaines de milliards d’années de tentatives pour réussir, et sans faute d’orthographe ! On commence à comprendre qu’il ne faut pas confondre probabilités/statistiques et réalité. On commence à entrevoir l’imposture statistique.
Ce qui semble possible mathématiquement dans un monde virtuel n’arrive jamais dans le monde réel, car en général, le temps est toujours beaucoup trop court : pour que cela puisse marcher, il faudrait que le temps soit éternel. Il ne l’est définitivement pas.
Néanmoins, notre jeune qui a lu beaucoup de revues scientifiques n’est pas à court d’arguments et il va sans doute vous répondre : « ok, il faut beaucoup de temps pour que nos probabilités se réalisent, mais justement, le hasard ou la « chance » veut que cette fois unique sur des centaines de milliards d’années, pourrait statistiquement avoir lieu… aujourd’hui !!
Donc vous voyez : nos chimpanzés analphabètes peuvent être « par hasard » aussi doués que Victor Hugo !  Par conséquent, la vie peut apparaître « par hasard », sans avoir besoin d’aucune instruction intelligente ! »
Ok. Jouons le jeu de la chance. Mais alors il faut poser le problème correctement : or dans votre exemple, jeune homme, vous avez « triché ». -J’ai triché moi ? Je n’ai pas soufflé l’orthographe aux singes !  Surtout qu’ils sont analphabètes ! Comment aurais-je pu tricher ?
– Réponse : en leur donnant une machine à écrire !
En effet, pour que la comparaison avec l’apparition de la vie soit juste, il faut qu’avant de rédiger Les Misérables (sans faute d’orthographe et avec la ponctuation exacte) vos chimpanzés se débrouillent pour fabriquer eux-mêmes, par « hasard », une bonne machine à écrire !
– Aïe ! Statistiquement, cela complique les choses… Mais pourquoi pas ?
– Mais même si vos singes arrivaient « par hasard » à fabriquer la machine à écrire de leurs rêves qui va leur servir à rédiger Les Misérables, il faudrait encore qu’ils inventent 26 lettres, sans quoi la comparaison avec l’apparition de la vie ne serait pas complète !
– Pourquoi 26 lettres ? Demandent les autres élèves.
– Mais parce que Les Misérables ont été rédigés en utilisant les 26 lettres de l’alphabet français, placées dans un certain ordre.
En effet : pour que la comparaison avec les mécanismes nécessaires à l’apparition de la vie soit juste, ce n’est pas seulement une machine à écrire qu’il faut inventer et fabriquer mais aussi tout un système linguistique : un alphabet, un vocabulaire, une grammaire et un système de ponctuation (pour commencer) !
Notre lycéen reste un peu sonné. Il se reprend vite et déclare : « Mais pas besoin d’inventer des lettres d’alphabet ! La vie est née de la rencontre de choses au fond des océans, des « matières » prébiotiques…* Un jour où l’autre, ces matières se rencontrent : aucun besoin d’intelligence organisatrice, le « hasard » suffit.
C’est ici que l’on peut remercier le philosophe des sciences Claude Tresmontant** d’avoir dit et répété sur tous les tons que la vie, ce n’est pas la rencontre de matières,  mais la rencontre de deux langages. Ce qui n’est pas du tout la même chose. De la matière se trouve facilement, mais si vous trouvez des langages ( c’est-à-dire des systèmes codés) à l’état naturel, merci de les saluer de ma part, ils comprendront. En réalité n’existent nulle part à l’état naturel !
Il s’agit du langage de l’ADN d’une part et du langage des acides aminés d’autre part. Comment voulez-vous que des langages existent ? En principe quand on trouve quelque part des traces de langage, c’est-à-dire un alphabet de 4 lettres d’une part et un alphabet de 22 lettres d’autre part… avec de chaque côté un vocabulaire, une grammaire, un système de ponctuation… quand on trouve la preuve de l’existence de ces deux systèmes linguistiques, on ne se dit pas : tiens… ça s’est fait tout seul, « par hasard », en quelques années.
Il faut une somme considérable d’intelligence pour inventer comme ça deux systèmes linguistiques, sans oublier d’inventer aussi le traducteur (le dictionnaire) entre ces deux langages qui ne se comprennent pas sans lui.
Il y a 150 ans environ, Pasteur, qui était chrétien, disait : « Si les matérialistes athées ( les partisans de Démocrite et Epicure) arrivaient à démontrer que la matière s’organise toute seule, sans aucune instruction intelligente, pour réaliser des organismes vivants, alors ils auraient gagné la partie. » Bilan 150 ans plus tard : ont-ils réussi à prouver cela ? Non. Mais ils ont réussi à nous en convaincre, en exploitant notre ignorance !
Les athées bien entendu, mais aussi de nombreux chrétiens sont convaincus que les atomes sont capables, en s’organisant tout seuls, par « hasard » de constituer un pommier, un koala, un être humain. Mais ceux qui affirment cela sont dans une option philosophique détachée du réel, ils sont très loin des sciences qui nous apprennent exactement le contraire, les atomes sont absolument incapables de constituer des organismes tout seuls, ils ont besoin de recevoir les instructions intelligentes inscrites sur l’ADN (comme sur un livre ou un plan d’architecte) et qui transmettent les indications pour me construire. Sans ces instructions intelligentes de l’ADN, les atomes ne savent faire que des cailloux, de l’eau, des nuages, du sable… ce qu’on appelle de la matière inerte.
Avec toutes ces informations vérifiables, si votre élève vous reproche d’avoir abusé de cette métaphore littéraire des deux langages, deux alphabets, deux grammaires, deux systèmes de ponctuation pour l’entrainer vers l’idée d’un Grand Auteur dont il refuse le principe a priori, que faire ? Vous pouvez facilement lui prouver que ce n’est pas vous qui avez « inventé » cette métaphore littéraire. Il suffit de consulter sur le web : « Prix Nobel de Chimie 2009 », en allant chercher les photos des journaux de l’époque (et non pas les articles qui arrivent en premier qui sont des réécritures !) et vous verrez la photo des trois chimistes lauréats du Nobel ; ainsi que le sujet de leur recherche qui leur a valu cette distinction mondiale : « Comment fonctionne le traducteur entre les deux langages ? Celui de l’ADN et celui des protéines.»
On notera que ni Darwin, ni Pasteur ne pouvaient imaginer qu’on découvrirait 100 ans plus tard le message génétique, qui utilise les deux langages et le système de traduction, faisant ainsi la preuve d’un génie inimaginable qui nous fait sortir de la naïveté, et du « tout au hasard ».
Bien sûr qu’il y a du « hasard » dans ce monde, sans quoi nous serions soumis au déterminisme le plus mécanique, mais le « hasard » est-il capable d’inventer un tel système ? Si on trouve un lave-vaisselle sur Mars, qui oserait affirmer qu’il s’est fabriqué tout seul, « par hasard »? Et si on trouvait un organisme vivant ? Là, on est souvent prêt à  croire n’importe quoi, car on ignore que c’est beaucoup plus difficile à faire qu’un lave-vaisselle.
A suivre…
***
NOTES
*Selon Démocrite et Epicure, les atomes se rencontrent tout à fait « par hasard » et constituent la tulipe, le hamster, l’Homme…
** Le professeur Claude Tresmontant a quitté ce monde il y a juste 20 ans et quelques jours le 16 avril 1997. Un hommage lui sera rendu les 13 et 14 mai prochains par un colloque à l’Ecole Normale Supérieur de Paris, 45 rue d’Ulm. Renseignements : Bérengère Gaullier 06 60 26 13 50. journeesclaudetresmontant@gmail.com
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Voir d’autres chroniques : http://brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/02-Chronique.html
Illustration extraite de l’album : Le hasard n’écrit pas de messages. Brunor éditions.

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