Migrations en Europe : Analyse de Mgr Veglio

Sauvegarder les droits humains et les valeurs fondamentales

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ROME, Mercredi 28 avril 2010 (ZENIT.org) – L’Eglise catholique « entend, sur la base de la foi chrétienne, contribuer à la construction d’une Europe au visage humain, où soient sauvegardés les droits humains et les valeurs fondamentales de la paix, de la justice, de la liberté, de la tolérance, de la participation et de la solidarité », déclare Mgr Veglio à propos de la façon de gérer en Europe les flux migratoires. Il déplore que le continent se « barricade » et plaide pour les droits « inaliénables » et la dignité des migrants.

Le pape a en effet adressé un message dans ce sens à Mgr Antonio Maria Veglio, président du conseil pontifical pour la pastorale des Migrants à l’occasion du 8e congrès européen de la CCEE qui se tient en Espagne, à Malaga (27 avril-1er mai 2010) sur le thème : « Dépasse les peurs. Tracer des perspectives ». Il réunit une centaine de responsables de l’Eglise de la société, de la politique.

 » Analyse et interprétation de l’Église sur les changements provoqués en Europe

par la migration et la mobilité. Une perspective théologique »

par S.E. Mgr Antonio Maria Vegliò

Président du Conseil pontifical de la Pastorale

pour les Migrants et les Personnes en Déplacement

Je sais gré au Président du Conseil des Conférences Episcopales d’Europe, Son Eminence le Cardinal Peter Erdö, et au Président de la Commission pour les Migrations, S.E. Mgr José Sánchez González, qui ont promu ce Congrès européen. Je remercie aussi cordialement le P. Duarte da Cunha, Secrétaire général, pour l’invitation qu’il m’a adressée – et que j’ai acceptée bien volontiers – de vous parler sur le thème :  » Analyse et interprétation de l’Église sur les changements provoqués en Europe par la migration et la mobilité. Une perspective théologique ».

Je salue cordialement les Cardinaux, les Evêques et toutes les personnes présentes. Cette importante rencontre a pour thème :  » L’Europe des personnes en déplacement. Surmonter les peurs. Tracer des perspectives ». En effet, l’histoire de l’humanité a toujours été accompagnée par le phénomène des migrations qui, toutefois, dans les dernières décennies, a assumé des dimensions quasiment universelles, et des significations toujours plus complexes1. Tous les continents et tous les Gouvernements sont appelés à se confronter à ce phénomène et aux nouveaux aspects qui les accompagnent à notre époque. Les motivations et les causes ont fait l’objet de nombreuses études et congrès, qui parviennent souvent à constater et à documenter surtout le caractère dramatique des façons dont nombre de migrations se développent, sans toutefois pouvoir diminuer leur coût humain et social.

1. L’Europe et les flux migratoires contemporains

Dans les 27 Pays de l’Union, on compte actuellement 24 millions d’immigrés, venant en majorité des Pays de l’Union. Les deux tiers des étrangers se retrouvent en Allemagne, France et au Royaume-Uni, les Pays méditerranéens enregistrant également une augmentation croissante.

Toutefois, il est difficile de disposer de chiffres précis à propos des immigrés irréguliers, mais des évaluations récentes indiqueraient qu’ils sont de 4 millions et demi à 8 millions, avec une augmentation allant de 350 à 400.000 par an2.

Il apparaît avec toujours plus d’évidence qu’en Europe les flux de la mobilité humaine sont perçus négativement par la population. Ce qui est témoigné par différents sondages qui relèvent l’impression toujours plus répandue que les étrangers sont trop nombreux, qu’ils constituent une menace pour la culture et l’identité, pour l’ordre et la sécurité, sans oublier l’augmentation préoccupante des attitudes négatives à l’égard des immigrés, motivées par l’opinion qu’en partie du moins, les préjudices en termes de marché du travail sont dus à la présence des étrangers.

En fait, se sentant une « forteresse » assiégée, l’Europe se met sur la défensive pour affronter le phénomène de la mobilité. La « governance » des migrations et la lutte contre l’immigration clandestine sont présentées comme la principale solution pouvant apporter la sécurité aux sociétés européennes, grâce à l’insertion du contrôle de l’immigration, dans l’optique de la lutte contre le terrorisme, plus spécialement de matrice islamique. C’est ainsi qu’est proposée et réaffirmée la trilogie inacceptable « immigration – criminalité et terrorisme – insécurité ». Ce qui fait que la politique migratoire de l’Europe affirme la clôture des frontières aux personnes, mais admet la liberté de circulation des informations, des biens et des capitaux. En effet, bien que sous des formes différentes, tous les Pays européens connaissent le paradoxe de frontières toujours plus fermées ou sélectives, en même temps que de flux migratoires irréguliers. On peut, en réalité, dire de même à propos des autres continents : on voit se propager une attitude politique de refus des immigrés, tandis que les économies continuent de demander leur engagement. Tout le monde peut voir que nous nous trouvons face à la tendance qu’ont de nombreux Pays à se retrancher, à se fermer, à assurer le niveau du bien-être atteint uniquement à l’intérieur de leurs frontières, sans prêter une attention suffisante aux besoins de ceux qui se trouvent à l’extérieur de leurs murs, en omettant ainsi gravement le principe de solidarité.

C’est ainsi que l’objectif de la politique européenne semble être celui de limiter le nombre des immigrés – en rendant difficile, et presque impossible, l’arrivée de ceux qui sont réguliers – et d’éliminer ceux qui sont clandestins. On se propose de sélectionner les flux migratoires pour qu’ils ne soient pas dangereux, et d’obliger les immigrés à ne pas s’insérer dans nos sociétés, afin de ne pas provoquer de contaminations culturelles susceptibles de polluer l’identité de l’Europe ou celle des Pays de l’Union pris séparément. On se trouve face à une sorte de « dérive ethnique » institutionnalisée qui, certes, ne favorise ni une approche sereine des autochtones à l’égard des immigrés, ni le processus d’intégration des immigrés dans le tissu social d’arrivée.

A une époque récente, on a vu augmenter les dites « communautés blindées » et on est peut-être sur le point d’assister à la naissance de « continents blindés », l’Europe et l’Amérique du Nord occupant le premier rang. Il est probable que, bientôt, de nouveaux rideaux de fer seront fermés, avec des patrouilles fréquentes aux frontières et de nouvelles mesures de défenses côtières. Certains se hasardent à affirmer que le renforcement des frontières ne sert pas seulement, ou principalement, à arrêter les mouvements migratoires – qui, en fait, se poursuivent -, mais aussi à définir comme clandestins les migrants qui les traversent, en leur attribuant une identité qui les met dans une situation d’infériorité et d’absence de droits : une armée de personnes invisibles pouvant faire l’objet de chantage et susceptibles d’être exploitées3.

2. Dialectique des migrations

Le sentiment d’insécurité qu’expérimentent aujourd’hui les citoyens européens est dû, d’une part, aux changements générationnels inévitables et, de l’autre, à une mondialisation économique sans règles. Aussi, décharger la cause de l’instabilité sur les migrants, plutôt qu’affronter avec réalisme les problématiques qui ont des racines ailleurs, semble avoir pour but de créer dans l’opinion publique l’image d’un Etat vigilant et soucieux de la sécurité de ses citoyens, en alimentant les peurs de « l’autre », en particulier celle des migrants. Dans l’actuelle situation de crise de l’institution de l’Etat-Nation, en même temps que se renforce l’entité po
litique et culturelle de l’Union Européenne, on prétend offrir une sécurité en compactant à nouveau le sentiment de l’identité nationale, sans toutefois évaluer suffisamment le fait que les sociétés européennes sont, dans la réalité, devenues multiculturelles, multiéthniques et plurireligieuses, et qu’il faut, avec courage et clairvoyance, affronter des politiques d’intégration sociale et culturelle et une politique particulière de la composante « migrations » structurellement présente dans nos sociétés.

En effet, nous devons, une fois encore, affirmer que la diversité apportée par les migrations est désormais une donnée acquise : il existe des choses, des personnes et des cultures différentes. Souvent, tout au long de l’histoire, ces différences ont été utilisées pour dominer ou pour discriminer. Elles ont rarement été mises en valeur. Alors, au contraire, que concevoir le diversité comme une valeur signifie développer une vision pluraliste de la réalité, où il est possible et souhaitable de reconnaître, respecter et promouvoir la diversité.

3. La gestion des migrations

Les migrations d’aujourd’hui sont caractérisées par une grande complexité de facteurs ; il ne faut pas oublier que les migrants eux-mêmes ne jouent pas un rôle passif, et même qu’ils sont les acteurs immédiats aussi bien au plan de la sauvegarde des droits humains fondamentaux qu’à celui de l’observance de leurs devoirs. Ce sont de graves nécessités qui les ont poussés à quitter ou, dans certains cas, à fuir, leurs pays ; mais eux aussi font des choix, s’attachent à réaliser des projets individuels ou familiaux pour améliorer leurs conditions de vie et ce, souvent avec courage et détermination. Des choix que nous ferions tous si nous étions dans les mêmes conditions.

Un phénomène de dimensions historiques comme celui des migrations demande une politique sachant prendre en considération les mécanismes multiples qui le caractérisent. Les mesures punitives ne suffisent pas et, souvent, elles ne découragent même pas les nouveaux départs, et les rendent seulement plus dangereux et plus coûteux. Il est encore plus nuisible de poursuivre une instrumentalisation politique des migrations sans prendre réellement les mesures nécessaires, et même en déchaînant des ressentiments xénophobes au sein de la population locale avec, pour conséquence, des réactions violentes susceptibles même de trouver leur justification dans les déclarations de tel ou tel homme politique, du genre « il faut être agressifs envers les clandestins ». Il serait préférable de se demander comment faire se rencontrer la demande et l’offre de main-d’œuvre, sans que les travailleurs étrangers doivent toujours passer par la porte de la clandestinité.

En outre, combien investit-on dans l’intégration pour construire une société – déjà multiethnique dans les faits – où soient présents la cohésion, le respect réciproque et le dialogue ? Que fait-on pour les écoles, qui se trouvent à devoir affronter toujours plus l’insertion d’enfants d’origine étrangère ? Pour les quartiers les plus pauvres, où vivent côte à côte les autochtones et les immigrés, connaissant de nombreuses difficultés sociales ? La collaboration avec les Pays de départ et de transit des migrants peut-elle se poursuivre seulement en finançant des centres de détention (ou « camps de concentration ») sur leur territoire ?

« Dans la presque totalité des cas, l’émigration n’est pas un plaisir, mais une nécessité… En y faisant obstacle, on viole un droit humain sacré, et en la laissant à elle-même, on la rend inefficace : elle est l’expression sincère d’un état de choses permanent »4. C’est ce qu’écrivait déjà Jean-Baptiste Scalabrini en 1887. Les migrations sont donc une réalité structurelle de notre époque : c’est à tous que revient le devoir de la gouverner pour le bien commun, en soulignant aussi le respect des normes, des traditions et des coutumes des Pays d’accueil.

4. L’encyclique Caritas in veritate

C’est dans ce vaste contexte que nous tenons à dire toute notre gratitude au Saint-Père pour nous avoir donné l’encyclique Caritas in veritate, qui consacre aux migrations le numéro 62 du chapitre V, intitulé « La collaboration de la famille humaine ». En effet, le thème des migrations naît de la réflexion de l’encyclique sur le développement humain intégral, auquel le Saint-Père renvoie de façon explicite. C’est ainsi, dit le Pape, que l’actuel phénomène des migrations « impressionne en raison du nombre de personnes qu’il concerne, des problématiques sociale, économique, politique, culturelle et religieuse qu’il soulève, et à cause des défis dramatiques qu’il lance aux communautés nationales et à la communauté internationale »5.

Du reste, la mobilité humaine a toujours été au centre de l’attention et du souci de l’Eglise, même si c’est seulement à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle que celle-ci a commencé à intervenir de façon systématique. Au début, c’est aux Congrégations religieuses missionnaires qu’a été confiée la tâche d’assister les migrants : sans pouvoir épuiser la question, il faut se souvenir des premières interventions des Salésiens de don Bosco en Argentine, l’activité de sainte Françoise Cabrini aux Etats-Unis, la fondation d’une Congrégation missionnaire par le bienheureux Jean-Baptiste Scalabrini pour les migrants italiens dans les Amériques et la correspondante Œuvre Bonomelli en Europe.

Puis, il y eut d’importantes déclarations du Saint-Siège, jusqu’à la publication de l’Instruction Erga migrantes caritas Christi de notre Conseil Pontifical, dans laquelle les signes des temps et les changements des modalités migratoires trouvent l’attention qui leur est due, avec le rappel à l’unité et à la communion entre les peuples en tant qu’occasion providentielle, dans le respect réciproque et la défense de la dignité et de la vie humaine sous toutes ses formes.

5. L’apport spécifique de Caritas in veritate aux migrations

Ainsi, l’Eglise a continué d’offrir une contribution précieuse au phénomène vaste et complexe de la mobilité humaine, se faisant le porte-parole des personnes les plus vulnérables et marginalisées, avec aussi toutefois l’intention de valoriser les migrants – au sein de la communauté ecclésiale et de la société – en tant que coefficient important pour l’enrichissement réciproque et pour la construction de l’unique famille des peuples, dans un échange interculturel fécond.

C’est pourquoi l’encyclique Caritas in veritate confirme que les flux migratoires, avec toutes ses composantes de mouvements en entrée, en transit et en sortie, ne sont plus des expériences limitées à quelques zones de la planète seulement, mais qu’ils constituent un phénomène mondial et permanent, tenant compte de ce que, parallèlement aux migrations internationales, il existe aussi des déplacements massifs à l’intérieur d’une même région, et que l’urbanisation est un fait désormais caractéristique des sociétés modernes, en tant aussi que conséquences des déséquilibres économiques productifs internes et internationaux. Benoît XVI écrit à ce propos : « nous nous trouvons face à un phénomène social caractéristique de notre époque, qui requiert une politique de coopération internationale forte et perspicace sur le long terme afin d’être pris en compte de manière adéquate » (n° 62).

Ces prémisses étant posées, le Saint-Père articule sa réflexion dense suivant un itinéraire qui résume les arguments plus importants de la Doctrine sociale de l’Eglise. En effet, il met surtout l’accent sur l’exigence d’une « collaboration étroite » entre les Pays de départ et les Pays d’accueil des migrants, auxquels nous devrions ajouter également l’implication responsable et active des Pays de transit. Par analogie, à ce processus participent également les communautés chrétiennes et to
us les organismes, nationaux et internationaux, qui se consacrent aux mouvements migratoires. Aussi, est-ce dans le cadre des principes de solidarité et de subsidiarité que se rendent nécessaires des « normes internationales adéquates » (n° 62) auxquelles doivent s’harmoniser celles nationales6.

De toutes façons, il ne faut jamais perdre de vue la centralité de la personne humaine, « dans son intégrité, (qui) est le premier capital à sauvegarder et à valoriser » (n° 25), en étant attentif à la sauvegarde des droits des migrants individuellement et de ceux de leurs familles, ainsi que des sociétés qui les accueillent.

S’agissant ici de questions de grande envergure, le rappel du Saint-Père à considérer que « aucun pays ne peut penser être en mesure de faire face seul aux problèmes migratoires de notre temps » est particulièrement opportun, et c’est pourquoi la recommandation qu’il adresse à tous d’être attentifs « au poids de souffrances, de malaise et d’aspirations qui accompagne les flux migratoires » du fait aussi que « la gestion de ce phénomène est complexe » (n° 62) y trouve sa juste place.

Néanmoins, si les aspects problématiques sont projetés au premier rang de façon relativement facile, il ne faut pas sous-évaluer les éléments positifs, même seulement au point de vue de l’économie liée au développement. En effet, « les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail, une contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille, mais aussi à leur pays d’origine par leurs envois d’argent » (ibid.). De toutes façons, c’est justement dans le domaine du système du marché que la voix du Saint-Père retentit, avec des accents d’avertissement et de dénonciation, surtout afin que soient mis en garde ceux qui exploitent la condition de faiblesse et de vulnérabilité des migrants, du fait que « ces travailleurs ne doivent pas être considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils ne doivent donc pas être traités comme n’importe quel autre facteur de production » (ibid.).

La conclusion du n° 62 propose à nouveau des principes que l’Eglise n’entend pas négocier justement en raison du fait que, dans le mystère de l’incarnation et de la rédemption, elle contemple la dignité et le respect de toute créature, voulue « à l’image et à la ressemblance » du Créateur. De sorte que « tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance » (ibid.).

6. Une vision dans le signe de la positivité, mais sans renoncer à dénoncer

L’encyclique Caritas in veritate, en outre, fait une référence explicite à la mobilité humaine dans deux autres passages. Le premier se trouve dans le chapitre II qui a pour thème « Le développement humain aujourd’hui », et est inséré dans la liste des facteurs que le Saint-Père définit comme ayant « un impact décisif sur le bien présent et futur de l’humanité » (n° 21).

Ainsi, « les énormes flux migratoires, souvent provoqués et ensuite gérés de façon inappropriée » (ibid.) incitent la communauté internationale, mais aussi toutes les hommes et les femmes de bonne volonté, à considéré avec la juste attention toutes les situations actuelles qui doivent faire l’objet d’une nouvelle orientation et de prises de position courageuses pour le bien commun des Etats et pour le bien universel.

Dans ce cadre, les migrations accompagnent « les forces techniques employées, les échanges planétaires, les effets délétères sur l’économie réelle d’une activité financière mal utilisée et, et, qui plus est, spéculative, [..]et l’exploitation anarchique des ressources de la terre » (ibid.). En outre, les migrations ont une double connotation de valeur : tout d’abord, elles ont atteint aujourd’hui des dimensions considérables et, même seulement en raison de ce poids quantitatif, elles ne peuvent être négligées ; deuxièmement, le visage blessé des migrants apparaît toujours plus clairement dans le tourbillon de mouvements qui ne sont nullement l’expression d’un libre choix, mais qui sont « souvent provoqués », c’est-à-dire provoqués par des politiques erronées, en particulier dans le contraste avec l’immigration clandestine. En effet, plus les mesures sont restrictives, plus le nombre des migrants clandestins et des trafiquants de main d’œuvre étrangère augmente7. De sorte que même les frontières nationales les plus protégées sont traversées chaque jour par des personnes qui fuient des conditions de vie inacceptables et ne s’arrêtent pas face aux dangers et aux obstacles en tout genre.

Enfin, la gestion est inappropriée lorsque l’intégration est entravée par des conditions inapplicables et que la participation de tous à la gestion du bien commun ne reste qu’une déclaration ne trouvant pas les moyens de se concrétiser.

Alors, on se trouve devant deux extrémités à éviter : celle de l’absorption, de l’assimilation totale dans la société dominante, au dam de l’identité du migrant, et celle de l’exclusion, qui comporte le danger de la marginalisation8.

7. Une lecture de foi

Dans le cadre du phénomène migratoire aussi, se propose une lecture de foi et d’espérance, du fait qu’au-delà des conséquences dramatiques qui accompagnent souvent l’histoire des migrants, leurs visages et leurs vicissitudes portent le sceau de l’histoire du salut et de la théologie des « signes des temps ».

De sorte que les migrants sont aussi une ressource providentielle à découvrir et à mettre en valeur dans la construction d’une humanité nouvelle et dans l’annonce de l’Evangile. Dans Caritas in veritate, Benoît XVI confie à tous les hommes – y compris les Pays émergents et les élites des Pays pauvres – la responsabilité de promouvoir et de garantir un développement durable. Dans le respect des principes de solidarité et de subsidiarité, la revendication légitime des diversités fait son chemin. Certes, c’est avec difficulté que s’ouvre la voie de la découverte que l’autre face de la différence est la ressemblance, et que la ressemblance ne coïncide pas avec l’uniformité, mais il s’agit là du critère le plus raisonnable pour construire l’unique famille des peuples, enraciné dans la révélation biblique et dans l’histoire féconde du christianisme.

8. Quelques fondements théologiques et pastoraux

Et ce sont justement ces observations qui permettent d’identifier certaines colonnes sur lesquelles s’érige la sollicitude pastorale ecclésiale, d’un point de vue biblique et théologique. Au premier rang, l’affirmation de l’égale dignité des personnes humaines : « Chaque homme est aimé de Dieu. Personne n’est exclu de son amour. C’est là le principe du salut universel » a affirmé Jean-Paul II dans le Message pour la Journée mondiale des Migrants de 19879.

Ce point de départ sollicite et promeut le principe de la solidarité entre les peuples et celui de la subsidiarité, comme nous pouvons le lire dans Sollicitudo rei socialis, aux numéros 23 et 3810.

D’où la responsabilité commune envers les migrants, qui s’est développée suite au phénomène de la mondialisation.

Le fait est que, pour nous croyants, les fondements du respect et de l’accueil des migrants résident dans la Parole de Dieu. En effet, c’est de Dieu lui-même que vient l’invitation à aimer l’étranger : « Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. Je suis Yahvé votre Dieu » (Lv 19,33 et suiv.). En outre, c’est avec insistance que le Nouveau Testament recommande l’hospitalité, l’accueil et le re
spect de l’égale dignité de toutes les personnes. Par exemple, la lettre de Paul aux Ephésiens proclame que « nous ne sommes plus des étrangers ni des hôtes ; nous sommes des concitoyens des saints, nous sommes de la maison de Dieu » (cf. Ep 2,19).

Hélas, les messages bibliques en faveur de l’étranger ne trouvent pas toujours une application adéquate dans la catéchèse et dans la pratique. Et même, l’attention insuffisante donnée au texte biblique est une des raisons pour lesquelles l’Europe a été, et est, aussi docile aux nationalismes et aux fermetures xénophobes. La présence des migrants parmi nous nous rappelle, au point de vue biblique, que la liberté et le bien-être sont des dons et que, comme tels, ils ne peuvent être conservés que s’ils sont partagés avec ceux qui en sont dépourvus. Aussi, du fait que nous valorisons la personne et la dignité de tout homme parce qu’image de Dieu, devient-il important de s’engager pour que se concrétise l’égalité de toutes les personnes humaines.

9. La priorité du dialogue

C’est dans cette vision que le 3 décembre 2008, dans son Message à l’occasion de la journée d’étude organisée par le Conseil pontifical pour le Dialogue Interreligieux et par le Conseil pontifical de la Culture, le Saint-Père Benoît XVI a affirmé que le thème du dialogue entre les cultures et les religions est aujourd’hui « une priorité » pour l’Europe. Il a aussi expliqué que « l’Europe contemporaine, qui s’engage dans le troisième millénaire est le fruit de deux millénaires de civilisation. Elle plonge ses racines à la fois dans l’immense et antique patrimoine d’Athènes et de Rome et, surtout, dans le terrain fécond du christianisme, qui s’est révélé capable de créer de nouveaux patrimoines culturels tout en accueillant la contribution originale de chaque civilisation »11.

Et il a ajouté : « le thème du dialogue interculturel et interreligieux apparaît comme une priorité pour l’Union européenne et concerne de manière transversale les domaines de la culture et de la communication, de l’éducation et de la science, des migrations et des minorités, jusqu’à toucher les domaines de la jeunesse et du travail »12. Enfin, le Saint-Père a conclu en invitant les croyants « à contribuer non seulement à protéger jalousement l’héritage culturel et spirituel qui les caractérise et qui fait partie intégrante de leur histoire, mais à être encore davantage engagés à rechercher des voies nouvelles pour affronter de manière adéquate les grands défis qui caractérisent l’époque post-moderne. Au nombre de ceux-ci, je me limite à citer la défense de la vie de l’homme à chacune de ses étapes, la protection des droits de la personne et de la famille, la construction d’un monde juste et solidaire, le respect de la création, le dialogue interculturel et interreligieux ».

10. La « culture de l’accueil »

Outre ces arguments de réflexion théologique et pastorale, nous ne pouvons pas oublier le thème de l’accueil et, plus particulièrement, l’élaboration dune « culture » et d’une « éthique de l’accueil » dans les conditions de vie actuelles. A l’occasion de la Journée mondiale des Réfugiés de juin 2008, le Cardinal Renato Raffaele Martino, mon Prédécesseur à la guide du Conseil pontifical de la Pastorale pour les Migrants et les Personnes en Déplacement, a affirmé que « l’accueil de l’étranger est le cœur de l’identité européenne ».

En effet, les migrations des populations posent aujourd’hui de sérieuses interrogations : comment accueillir les nouveaux immigrants ? Jusqu’où peut-on aller dans l’acceptation des traditions de vie des personnes venant d’autres cultures ? Quelles possibilités avons-nous réellement d’expérimenter une rencontre des civilisations, qui ne soit pas plutôt un heurt ou un conflit ? De telles questions n’admettent pas des réponses simplistes qui attirent d’autant plus si elles sont démagogiques et velléitaires. Dans le contexte pluriculturel nouveau et irréversible, quelle vie en commun peut-on construire, qui soit juste et solidaire ? Comment doit être la société pour se placer au service des personnes et des différents groupes humains qui la composent ?

Dans l’essai de trouver une réponse, on peut hasarder l’hypothèse d’un triple modèle : une société qui refuse les différences ; une société qui tolère les différences ; une société qui englobe les différences.

L’Eglise entend affirmer la culture du respect, de l’égalité et de la mise en valeur des diversités, parce que capable de voir les migrants comme des porteurs de valeurs et de ressources. C’est pour ces raisons qu’elle invite à revoir les politiques et les normes qui compromettent la sauvegarde des droits fondamentaux, comme celui de la réunion de la famille, de l’accès à la citoyenneté, de la stabilité du projet migratoire de chacun. Elle exprime en outre une forte dissension à l’égard de la pratique toujours plus restrictive quant à la concession du status de réfugié et au recours toujours plus fréquent à la détention et à l’expulsion des migrants.

L’Eglise continuera de s’engager pour que soient intensifiés les rencontres et le dialogues interreligieux, et elle fera toujours plus son possible pour que les législations sur la liberté religieuse s’inspirent d’un esprit de justice et de respect réciproque. Elle continuera aussi d’accueillir fraternellement les migrants provenant d’Eglises sœurs, de partager avec eux la richesse de la diversité et d’annoncer avec elles l’Evangile à travers la parole et l’action.

Oui, la lumière du message biblique induit les chrétiens à assumer – avec un engagement renouvelé – les responsabilités qui sont les leurs, dans le cadre des communautés nationales et des institutions européennes et, en même temps, à promouvoir la justice sociale à l’intérieur des peuples et, en particulier, à dépasser l’abîme qui sépare le riche du pauvre.

Conclusion

Face au phénomène de la mobilité humaine, l’Eglise pose des questions pressantes, de nature historique, culturelle, économique, sociale et politique, en se rapportant à l’Evangile, lequel sollicite les chrétiens de l’Union Européenne, les Eglises sœurs et les sociétés civiles, à contribuer ensemble, afin que soit accordé un accueil humain et digne aux hommes et aux femmes migrants, aux réfugiés, aux personnes déplacées et à tous ceux qui, sous une forme ou sous une autre, sont impliqués dans la mobilité. En outre, consciente des tragédies passées, l’Eglise sait que la pleine intégration de toute minorité est essentielle pour le maintien de la concorde civile et de la démocratie. Elle entend, sur la base de la foi chrétienne, contribuer à la construction d’une Europe au visage humain, où soient sauvegardés les droits humains et les valeurs fondamentales de la paix, de la justice, de la liberté, de la tolérance, de la participation et de la solidarité.

Je vous remercie.

1 On peut consulter des données récentes dans le Rapport de l’International Organization for Migration, World Migration 2008: Managing Labour Mobility in the Evolving Global Economy, 2008. L’International Migration Outlook 2008 – rapport annuel en matière de migrations, de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCSE) – souligne qu’en 2006 (dernière année de référence statistique), les immigrés réguliers permanents dans les Pays membres de l’OCSE ont augmenté de 5 %, une croissance réduite par rapport aux 12 % de 2005, et aux 18 % de 2004. Globalement, 4 millions environ de personnes ont émigré vers les Etats membres de l’OCSE : 44 % pour des raisons de réunion familiale, et 14 % pour des raisons de travail, parmi les immigrés permanents. Alors qu’en termes absolus les augmentations plus significatives des flux d’immigration ont été enregistrées aux Etats-Unis (qui ont reçu 1/3 environ
du flux permanent, avec 1.300 millions en 2006), dans le Royaume-Uni (340.000), en Espagne, au Canada et en Allemagne, par rapport à la population totale les flux les plus significatifs ont été enregistrés en Irlande, Nouvelle-Zélande et Suisse, et le Portugal, la Suède et le Danemark ont également enregistré des augmentations supérieures à 20 % ; les diminutions les plus consistantes ont concerné l’Autriche (- 18 %) et l’Allemagne (- 11 %). L’Irlande, par exemple, a connu une augmentation de l’immigration atteignant 66 % au cours des six dernières années, et la Finlande 40 %. Dans certains pays, comme le Japon, l’Allemagne et la Hongrie, la contribution de l’immigration n’a pas permis de rendre positif le solde démographique en 2006, alors que dans les Pays où la population augmente, l’immigration contribue déjà à la croissance dans la mesure de 40 %, avec des pics de 80 % dans les Pays de l’Europe méridionale.

2 Selon l’agence européenne Frontex, les secteurs frontaliers où est intercepté ou essaie d’entrer le plus grand nombre de migrants réguliers sont les frontières entre la Slovaquie et l’Ukraine, entre la Slovénie et la Croatie, entre la Grèce et l’Albanie, et entre la Grèce et la Turquie. En outre, sont considérées comme étant des zones extrêmement chaudes la frontière extérieure de l’Autriche dans le cadre de Schengen, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les Iles Canaries et la Sicile, en particulier Lampedusa. Parmi les nationalités des migrants clandestins venant du sud de l’Europe, on enregistre in primis des Marocains (70 % environ), puis des habitants de l’Afrique sub-saharienne, Erythréens et Egyptiens.

3 W.T. Cavanaugh, « Migrant, tourist, pilgrim, monk: mobility and identity in a global age », in Theological Studies 2 (2008), 344.

4 Cf. G.B. Scalabrini, L’emigrazione italiana in America. Osservazioni, Amico del Popolo, Piacenza 1887, 8.

5 Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, Libreria Editrice Vaticana, Cité du Vatican 2004, du Conseil Pontifical « Justice et Paix » affirme au n° 297 que « L’immigration peut être une ressource, plutôt qu’un obstacle au développement » de sorte que « La réglementation des flux migratoires selon des critères d’équité et d’équilibre est une des conditions indispensables pour obtenir que les insertions adviennent avec les garanties requises par la dignité de la personne humaine » (n° 298). En outre, « Les immigrés doivent être accueillis en tant que personnes et aidés, avec leurs familles, à s’intégrer dans la vie sociale. Dans cette perspective, le droit au regroupement familial doit être respecté et favorisé. En même temps, autant que possible, toutes les conditions permettant des possibilités accrues de travail dans les zones d’origine doivent être encouragées » (Ibid.).

6 Benoît XVI a également dit une nouvelle fois qu’ « il est important de sauvegarder les migrants et leurs familles par l’intermédiaire d’instruments législatifs, juridiques et administratifs spécifiques, ainsi qu’à travers un réseau de services, de centres d’écoute et de structures d’assistance sociale et pastorale », (Angelus du 14 janvier 2007 : People on the Move XXXIX [104,2007]) 31. Ceci, en accord avec la précision que « à travers ses différentes Institutions et Associations, l’Eglise offre cette advocacy qui se rend toujours plus nécessaire » (Message pour la Journée Mondiale des Migrants et des Réfugiés 2007 : People on the Move XXXVIII [102, 2006] 42).

7 Déjà en 1888, dans une lettre ouverte à Paolo Carcano, Sous-Secrétaire aux Finances, Jean-Baptiste Scalabrini dénonçait l’œuvre négative des agents de l’émigration qu’il définissait des « renifleurs de cadavres… des marchands de chair humaine » : Disegno di legge sulla emigrazione italiana. Osservazioni e proposte, Tipografia dell’Amico del Popolo, Piacenza 1888.

8 Dans ce vaste domaine, les évêques ont souvent fait entendre leur voix dans des déclarations. En voici quelques-unes parmi d’autres : « We are aliens and transients before the Lord our God », 2006 (Conférence épiscopale canadienne) ; « La pastoral de las migraciones en España. Reflexión pastoral y orientaciones prácticas para una pastoral de Migraciones en España a la luz de la Instrucción pontificia Erga migrantes caritas Christi’« , 2007 (Conférence épiscopale espagnole) ; « Graced by Migration », publiée en 2008 (Conférence épiscopale australienne). De 2000 à 2003, les évêques des Etats-Unis ont publié trois lettres pastorales importantes : « Welcoming the Stranger among us: Unity in Diversity » ; « Asian and Pacific Presence: Harmony in Faith » et « Strangers no longer. Together on the Journey of Hope », écrite en collaboration avec les évêques mexicains. En 2007, le Service national de la Pastorale des Migrants et des Personnes itinérantes de France a, à son tour, publié un document intitulé : « Artisans de communion. Aumôneries et aumôniers des Communautés des catholiques de la migration ».

9 Dans ce même Message, le Pape poursuit en affirmant que « L’engagement pour réaliser une véritable égalité et la volonté de protéger les secteurs sociaux les plus faibles vers lesquels confluent souvent discrimination et racisme, conduisent à la construction d’une société plus juste et donc plus humaine ».

10 « Un pays qui cèderait, plus ou moins consciemment, à la tentation de se refermer sur soi, se dérobant aux responsabilités découlant d’une supériorité qu’il aurait dans le concert des nations, manquerait gravement à un devoir éthique précis (n. 23).

11 Et il continue : « Le nouvel humanisme, né de la diffusion du message évangélique, exalte tous les éléments dignes de la personne humaine et de sa vocation transcendante, en les purifiant des scories qui obscurcissent le visage authentique de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ainsi, l’Europe nous apparaît-elle aujourd’hui comme un précieux tissu, dont la trame est formée par les principes et les valeurs nés de l’Evangile, tandis que les cultures nationales ont su broder une immense variété de perspectives qui manifestent les capacités religieuses, intellectuelles, techniques, scientifiques et artistiques de l’Homo europeus. En ce sens, nous pouvons affirmer que l’Europe a eu et possède encore à présent une influence culturelle sur l’ensemble du genre humain, et elle ne peut manquer de se sentir particulièrement responsable non seulement de son avenir, mais aussi de celui de l’humanité tout entière ».

12 Le Saint-Père poursuit en expliquant que : « Une fois envisagée la diversité comme une donnée positive, il faut faire en sorte que les personnes acceptent non seulement l’existence de la culture de l’autre, mais souhaitent également en faire une source d’enrichissement. Mon prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI, en s’adressant aux catholiques, énonçait en ces termes sa conviction profonde:  « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation » (Enc. Ecclesiam suam, n° 67). Nous vivons dans ce que l’on appelle généralement un monde pluraliste, caractérisé par la rapidité des communications, par la mobilité des peuples et par
leur interdépendance économique, politique et culturelle. Précisément en ce moment, parfois dramatique, même si malheureusement beaucoup d’Européens semblent ignorer les racines chrétiennes de l’Europe, celles-ci sont vivantes, et devraient tracer le chemin et nourrir l’espérance de millions de citoyens qui partagent les mêmes valeurs
« .

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ZENIT Staff

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