« N’ayez pas peur » déclare le père Federico Lombardi s.j. dans L’Osservatore Romano en italien du 10 mai 2020. Voici notre traduction complète de cette réflexion qui rappelle l’appel de Jean-Paul II le 22 octobre 1978, place Saint-Pierre, pour l’inauguration de son pontificat. Il cite aussi les paroles de sainte Thérèse d’Avila « Nada te turbe! ».
N’ayez pas peur
« Ne crains pas ! Car je serai avec toi ! ». Ce sont des paroles qui reviennent très souvent à travers toutes les Écritures. Ce sont les paroles adressées par Dieu lui-même en son nom à celui qu’il appelle à une mission difficile et inattendue, par des voies encore inconnues, comme Moïse devant le buisson ardent ou Marie devant l’ange. « N’ayez pas peur ! ». Ce sont des mots adressés par les prophètes au peuple opprimé par l’angoisse, comme lorsqu’il est coincé sans issue entre la Mer rouge et les chars de guerre des Égyptiens. Jésus aussi les reprend un certain nombre de fois en s’adressant à ses disciples, au « petit troupeau » qui le suit, ou à ceux qui subiront des persécutions à cause de son nom. Pour ces derniers, Jésus insiste en leur disant qu’ils ne devront craindre aucune force humaine, parce que celle-ci peut ôter la vie du corps mais pas celle de l’âme et parce que Dieu ne les abandonnera pas au temps de l’épreuve.
Comme nous nous en souvenons bien, cette grande parole, « N’ayez pas peur ! », a été reprise avec insistance en des temps plus proches de nous par saint Jean-Paul II, dès le début de son pontificat, et adressée au monde entier : « N’ayez pas peur ! Ouvrez les portes au Christ ! ». Au fond, la foi dans le Christ sauveur est précisément – pour tous – la grande et définitive libération de la peur.
La pandémie, même si elle est surmontée de façon permanente grâce à un vaccin efficace, nous laissera en tous cas en héritage une insécurité, disons même une peur cachée, prête à refaire surface. Nous savons maintenant qu’en dépit de tous les efforts et de tous les engagements appropriés pour réduire les risques, d’autres virus ou d’autres forces capables de nous prendre par surprise et de bouleverser notre tranquillité et nos sécurités pourront apparaître et échapper à tout contrôle. Parce que, sur cette terre, la sécurité absolue n’existe pas, n’est pas possible. Et elle n’existera jamais non plus à l’avenir.
Certes, nous devons attendre de la science et de l’organisation sociale et politique, et en général de la sagesse humaine, une aide essentielle pour retrouver la tranquillité nécessaire à une vie personne et sociale sereine et « normale ». Mais il reste un besoin de quelque chose de plus profond et à quoi ces réponses ne suffisent pas.
Pouvons-nous vivre à l’abri des peurs les plus radicales pour nous-mêmes et nos proches, pour notre avenir ? Où est la clé pour vivre en paix et, par conséquent, pour une vie vraiment bonne même sur cette terre, malgré toutes les difficultés qui surgissent inévitablement tous les jours ? Nous savons bien que chacun de nous a sa personnalité, son caractère et son histoire, qui influencent profondément ses comportements. Certains sont plus anxieux et fragiles, et ce n’est pas de leur faute ; d’autres sont plus naturellement paisibles et optimistes, et c’est un don. Mais la parole du Seigneur s’adresse à tous et elle est une invitation faite à tous à faire confiance à un amour qui nous précède, nous regarde et nous accompagne.
Aujourd’hui, nous hésitons à parler de « providence » de Dieu. Il nous semble que ce mot remet en question notre nécessaire engagement chrétien dans le monde, qu’il nous rend passifs et moins responsables. Mais c’est un piège. Oublier la providence de dieu signifie perdre le sentiment que l’amour de Dieu nous enveloppe et nous accompagne, même si nos yeux sot encore souvent incapables de le reconnaître. Dans son discours sur la Montagne, Jésus nous invite à ouvrir les yeux – « Regardez les oiseaux du ciel, regardez les lys des champs… » – et à ne pas nous laisser complètement happer par des préoccupations immédiates pour notre bien-être temporel. Au-delà les oiseaux et les fleurs, l’oeil qui s’ouvre peut aussi voir chaque jour beaucoup d’autres signes d’amour et d’espérance semés le long de notre chemin, dans les circonstances et les personnes que nous rencontrons, à travers leurs paroles et leurs actions. Chacun de nous considère comme une grâce de rencontrer des personnes qui savent les voir et nous aider à les voir avec un oeil pénétrant et un regard serein. Le monde est plein non seulement de mauvaises nouvelles, mais également de bonnes nouvelles. C’est un devoir de les reconnaître et de les faire connaître, parce ce sont celles qui guident plus loin et qui dirigent notre regard vers le haut, la source de l’amour, le but de l’espérance.
Jésus conclut ensuite ses paroles sur la providence par un conseil très sage : « À chaque jour suffit sa peine ». Nous ne devons pas laisser les préoccupations d’aujourd’hui et de demain, et de tout l’avenir qui nous attend s’accumuler tout ensemble sur nous : elles nous écraseraient. Nous devons penser que chaque jour a sa ration de peine, mais aussi de grâce. Nous devons croire que chaque jour nous sera donnée la grâce nécessaire pour supporter la peine. La grâce nécessaire pour chercher le royaume de Dieu et sa justice dans cette vie et dans la vie éternelle. Sainte Thérèse d’Avila nous lance une parole qui élargit notre coeur et notre horizon au-delà de tous les obstacles : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie. Tout passe. Dieu seul ne change pas. La patience obtient tout. Qui a Dieu ne manque de rien. Dieu seul suffit ». Notre foi saura-t-elle nous inspirer sur le long chemin qui nous attend, pour qu’il soit un chemin d’intelligence et de sagesse, vraiment à l’abri des mauvais conseils des peurs profondes, à l’abri de la peur de la mort, dans l’espérance. »
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat