Le pape déjeune avec des réfugiés syriens © L'Osservatore Romano

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Le dialogue des peuples et les populismes, interview du pape François (1)

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Dans « El Pais »‘, le pape renvoie aux leçons de l’histoire, à Hitler notamment

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On ne peut jamais confisquer le «dialogue» d’un peuple avec ses voisins, estime le pape François qui renvoie aux leçons de l’histoire dans un entretien accordé au quotidien espagnol « El Pais » dans lequel il évoque ces moments de « crise » où les peuples cherchent un « sauveur » qui restitue une « identité » et défendre « par des murs ». Il évoque la crise des réfugiés, la situation des femmes, et la violence contre elles, mais aussi sa préoccupation quand l’Eglise se retrouve « anesthésiée par la mondanité » au point de se tenir loin des problèmes des gens. Pour les Etats-Unis il invite à attendre de voir ce que fera Donald Trump. El Pais lui demande aussi ce qu’il y avait dans les documents que Benoît VI lui a remis à Castelgandolfo le 22 mars 2013.
Les populismes, Hitler, l’identité et les frontières
A une question sur les « populismes » et aux « antisystèmes », le pape répond : «  C’est ce que l’on appelle les populisme. C’est un mot équivoque parce qu’en Amérique latine le populisme a une autre signification : là-bas, cela signifie le rôle principal des peuples, par exemple, les mouvements populaires. Ils s’organisent entre eux. C’est autre chose. Quand j’entendais « populisme » ici, je ne comprenais pas bien, je me perdais, jusqu’à ce que je m’aperçoive que les significations étaient différentes selon les lieux. Il est clair que les crises provoquent des peurs, des alarmes. Pour moi le cas le plus typique des populismes au sens européen du terme, c’est le 1933 allemand. Après [Paul von] Hindenburg, la crise de 29, l’Allemagne anéantie, cherche à se relever, cherche son identité, cherche un leader, quelqu’un qui lui rende son identité et il y a un gars qui s’appelle Adolf Hitler et qui dit : « Moi, je peux, moi, je peux ». Et toute l’Allemagne vote pour Hitler. Hitler n’a pas volé el pouvoir, il a été élu par son peuple, et ensuite, il a détruit son peuple. Voilà le danger. Dans les moments de crise, le discernement ne fonctionne pas, et pour moi c’est une référence continuelle. Nous cherchons un sauveur qui nous restitue une identité, et nous nous défendons par des murs, des câbles, n’importe quoi, contre les autres peuples qui pourraient nous enlever notre identité. Et c’est très grave. C’est pour cela que je dis toujours : dialoguez entre vous, dialoguez ! Mais le cas de l’Allemagne de 1933 est typique, un peuple qui se trouvait dans cette crise, qui a cherché son identité, et ce leader charismatique est apparu qui a promis de lui donner une identité, et il leur a donné une identité déformée, et nous savons ce qui s’est passé. Est-ce que les frontières peuvent être contrôlées ? Oui, tout pays a le droit de contrôler ses frontières, qui entre et qui sort, et les pays qui sont en danger – du fait du terrorisme ou des choses de ce style – ont plus de droit à les contrôler davantage, mais aucun pays n’a le droit de priver ses citoyens du dialogue avec ses voisins. »
Mais ce qui préoccupe le plus le pape, c’est aussi les « disproportions économiques » dans le monde : « Qu’un petit groupe de l’humanité détienne plus de 80% de la fortune mondiale, avec ce que cela signifie pour l’économie liquide, où, au centre du système économique il y a le dieu argent et pas l’homme te la femme, l’humain ! On crée ainsi la culture du rebut ».
Le concret et l’idéologie
Pour ce qui est de l’élection de Donald Trump comme 45e président des Etats-Unis, le pape attend le concret de son action pour se prononcer : « On va voir ce qui se passera. Mais m’effrayer ou me réjouir de ce qui pourrait arriver : je crois que nous pouvons ainsi tomber dans une grande imprudence. Le fait d’être des prophètes de catastrophes ou de bien-être, qui ne vont pas venir, ni l’un ni l’autre. On verra. Nous verrons ce qu’il fait et de là on évalue. Toujours du concret. Le christianisme o il est concret ou ce n’est pas le christianisme. C’est curieux : la première hérésie dans l’Eglise commença dès que le Christ est mort. L’hérésie des gnostiques, qui l’apôtre Jean condamne. C’était une religiosité en spray, pas du concret. Oui, moi, oui, la spiritualité, la loi… mais du spray. Non, non, des choses concrètes. Et du concret on tire les conséquences. Nous perdons beaucoup le sens du concret. Un penseur me disait l’autre jour que ce monde est si désordonné qu’il lui manque un point fixe. Et c’est précisément le concret qui te donne les points fixes. Ce que tu as fait, ce que tu as décidé, comment tu te comportes. Par conséquent, face à cela, j’espère et je vois. »
El Pais insiste : « Vous n’êtes pas préoccupé parce que vous avez entendu jusqu’ici ? » « J’attends. Moi, Dieu m’a attendu si longtemps, avec tous mes péchés… »
Et puis, plus loin, le pape revient sur l’importance du concret: « On est toujours plus à l’aise dans un système idéologique qu’on a mis ne place parce que c’est abstrait ». Il explique qu’il en a « toujours » été ainsi : « Je ne dirais pas que cela s’exacerbe. Parce qu’on a été très déçu de cela aussi. Je crois qu’il y en avait davantage avant la Seconde guerre mondiale. Je n’y ai pas beaucoup réfléchi. Je raccourcis un peu…
Au restaurant de la vie, on te propose toujours des plats d’idéologie. Toujours. On peut se réfugier là-dedans. Ce sont des refuges, qui t’empêchent de toucher la réalité. »
Réfugiés, le modèle suédois
A propos de la façon dont les gouvernements gèrent la crise des réfugiés, le pape répond : « Chacun fait ce qu’il peut et ce qu’il veut. C’est très difficile de donner un jugement. Mais évidemment, la méditerranée est devenue un cimetière doit nous faire réfléchir. »
Et, en Espagne, à propos de Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles sur la côte méditerranéenne du Maroc où personne ne peut passer, le pape ajoute : « Oui, oui, je sais. Ils veulent aller dans le nord. Le problème est donc : les recevoir, oui, quelques mois, plus ou moins, les accueillir. Mais il faut commencer un processus d’intégration. Accueillir et intégrer. Et le modèle mondial qui vient à l’esprit est la Suède : la Suède a 9 millions d’habitants, parmi eux, 890.000 habitants sont des nouveaux Suédois, fils d’immigrés, ou migrants avec la citoyenneté suédoise. La ministre des Affaires étrangères – je crois que c’est elle qui est venue me raccompagner – est une personne jeune : elle est fille d’une mère suédoise et d’un père du Gabon. Des migrants. Intégrés. Le problème c’est d’intégrer. En revanche, lorsqu’il n’y a pas d’intégration, on crée des ghettos, et je ne rejette la faute sur personne, mais de fait il y a des ghettos. Peut-être ne s’en est-on pas aperçu. Mais les jeunes qui ont opéré le désastre à Zaventem étaient des Belges, nés en Belgique. Mais ils vivaient dans un quartier de migrants fermé. C’est-à-dire que le second chapitre est une clef : l’intégration. Au point que : quel est le grand problème de la Suède actuellement ? Ce n’est pas d’empêcher les migrants de venir, non ! On n’a pas assez d’offre pour les programmes d’intégration ! Ils se demandent quoi faire de plus pour que les gens viennent ! C’est impressionnant. Pour moi c’est un modèle pour le monde. Et c’est quelque chose de nouveau. Je l’ai dit d’emblée après Lampedusa… Je connaissais pas le problème de la Suède par des Argentins, des Uruguayens, des Chiliens qui, à l’époque de la dictature militaire, ont été accueillis là-bas, parce que j’ai des mais là-bas, et réfugiés. C’est clair qu’après ton arrivée en Suède ils te traient avec toute l’organisation médicale et tout, les documents, et ils te donnent un permis pour vivre… Et tu as déjà une maison, et pendant la semaine tu as l’école pour apprendre la langue, et un petit boulot, et en avant.
Ici, en Italie, Sant’Egigio est un modèle. Ceux qui sont revenus avec moi dans l’avion de Lesbos, et les neuf autres qui sont arrivés ensuite : ce sont 22 personnes prises en charge par le Vatican, on les prend en charge et peu à peu ils prennent leur indépendance. Le deuxième jour, les enfants allaient au collège. Le deuxième jour ! Et les parents, placés lentement dans un département, un travail là… Des professeurs pour la langue… Sant’Egidio a la même approche. Le problème est donc : sauvetage immédiat oui, là, tous. Deuxièmement : recevoir, accueillir le mieux possible. Ensuite intégrer, intégrer. »
Trois discours sur l’Europe
Et quand on l’interroge sur l’Europe, le pape répond qu’il n’est « pas un technicien » et il renvoie à ses trois discours : deux à Strasbourg et un pour le Prix Charlemagne. Il souligne qu’il a accepté ce Prix parce qu’ils ont « beaucoup insisté » vu le moment que « l’Europe était en train de vivre » : « Je l’ai accepté comme un service. Ces trois discours disent e que je pense de l’Europe. »
(à suivre)

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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