« Le « vrai rester » dans le Christ garantit l’efficacité de la prière », explique Mgr Francesco Follo dans son commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain (Vème dimanche de Pâques – Année B), 29 avril 2018.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris propose aussi comme lecture patristique un Commentaire sur l’évangile de Jean, de saint Augustin.
La vraie Vigne de l’amour
1) La vraie vigne[1]
La semaine dernière, la Liturgie de l’Eglise qui nous a présenté le Christ comme bon et vrai pasteur, nous le présente aujourd’hui comme la vraie Vigne.
Dans l’Ancien Testament, la vigne qui fut plantée par Noé, rescapé du déluge, marqua le début d’une époque. Avec le Cantique des Cantiques elle devint le symbole de l’épouse. Cette comparaison est utilisée par Osée, par Jérémie, par Isaïe et dans les Psaumes pour indiquer Israël comme épouse du Seigneur – Israël qui souvent se montra infidèle.
Dans le Nouveau Testament, l’apôtre Saint-Jean introduit un changement de perspective. La vigne n’est plus le peuple mais Jésus même. Ceux qui appartiennent au nouveau peuple de Dieu sont donc en intime et étroite relation avec le Fils de Dieu qui leur donne la sève de la vie.
En effet, dans l’évangile écrit par le disciple bien-aimé du Christ, Israël n’est plus la vigne de Dieu, mais c’est le Fils. Non seulement il dit que la vigne est constituée d’une seule vigne mais il dit aussi que cette vigne est Jésus même. Lui est la vraie vigne du Père, Lui est le Nouvel Israël.
La vraie vigne est la seule qui peut produire les fruits tant attendus que l’Agriculteur cherchait en Israël.
La « vraie » vigne est celle qui produit le fruit. Cette vigne s’oppose à la « fausse » vigne stérile, qui ne porte pas de fruit[2]. Le Christ est la vigne qui produit le fruit de l’amour du Père et des frères. Son Fils devient Fils de l’homme et le Christ est la « vraie » vigne. C’est le Fils qui produit le fruit désiré par Dieu et qui produit le vrai raisin : le fruit doux qui est l’amour.
Le Père-Agriculteur ne se contente pas d’un fruit modeste, il cherche beaucoup de fruits. Le Christ, vraie vigne, porte ses fruits à travers nous. Si nous restons sur le tronc en devenant capables d’un don d’amour capable de porter de nombreux fruits.
C’est pourquoi le Père prend soin de la vigne en coupant les branches inutiles et en élaguant les autres. Si c’est la vigne qui donne la vie au sarment, c’est l’agriculteur qui favorise la vitalité du sarment et sa capacité de don. Il faut se laisser élaguer, c’est à dire se purifier par les mains sages et amoureuses du Père. Notre ascèse ne consiste pas tant à nous efforcer à suivre un parcours stimulant de l’âme mais à nous abandonner dans les mains du Père qui rend féconde notre capacité d’aimer.
Si nous prions chaque jour Dieu, en l’aimant, et nous aimerons le prochain, en partageant avec nos frères le vrai pain et en vivant d’ un amour réciproque et de miséricorde, notre « rester » dans le Christ sera réellement fécond de fruits de vraie vie sur la terre et au ciel.
2) Rester avec le Christ.
Comme les sarments de la vigne, il est indispensable de rester avec le Christ, de demeurer en lui, de se laisser aimer, de se serrer à Lui, à ses bras crucifiés par amour. Voilà le programme de la vie chrétienne.
Rester en Lui ne signifie pas s’inventer «je ne sais quoi ». C’est simplement être crucifiés avec Lui, en acceptant notre croix quotidienne.
Rester en Lui, c’est rester là où Lui nous conduit, dans l’histoire concrète de notre vie de tous les jours que nous sommes appelés à vivre, conscients que, sans lui, nous ne pouvons rien faire (Jn 15,5). A un homme qui lui demandait : « Comment est-il possible de tenir ensemble la liberté de l’homme et le pouvoir de rien faire sans Dieu? », le Père du désert Saint Jean qui vécut dans le désert de Gaza au 5e siècle, répondit : « Si l’homme penche son cœur vers le bien et demande de l’aide à Dieu, il en reçoit la force nécessaire pour accomplir sa propre œuvre. C’est pourquoi la liberté de l’homme et la puissance de Dieu procèdent ensemble. Ceci est possible parce que le bien vient du Seigneur, mais il est fait grâce à ses fidèles (cfr. Ep 763, SC 468, Paris, 2002,206).
Le « vrai rester » dans le Christ garantit l’efficacité de la prière, comme l’écrit le bienheureux Guerric d’Igny : « Oh Seigneur Jésus…. sans toi nous ne pouvons rien faire. En fait Tu es le vrai jardinier, créateur, cultivateur et gardien de ton jardin, que tu plantes par ta parole, que tu irrigues par ton esprit, que tu fais croître par ta puissance » (Sermo ad excitandam devotionem in psalmodia, SC 202, Paris 1973, 522)
Rester en Lui est un don qu’il faut demander pour ne jamais se détacher du Christ qui est l’amour qui devient notre maison. Si nous ne demandons pas, si nous ne sommes pas des mendiants de l’amour, nous ne pouvons pas le recevoir comme un don.
Rester en lui, en grandissant dans la conscience que pour vivre dans cette maison il faut cultiver le sentiment de gratitude, parce que un cœur reconnaissant est un cœur fidèle, heureux d’être aimé par Dieu et d’aimer les frères, heureux d’être ami du Christ qui ne veut pas des serviteurs mais des amis. Et être des amis de Jésus signifie accepter Sa personne, signifie accepter son amour pour nous, signifie l’aimer et aimer notre prochain.
Un exemple spécial de cette acceptation du Christ, de cette adhésion à Lui, c’est celui des vierges consacrées. Ces femmes sont appelées à être dans le monde des témoins de la fidélité de Dieu qui est le gardien de la leur.
Fidèles à la Parole que Dieu leur adresse depuis le jour de leur baptême et qui dans le temps a pris la forme d’un appel à vivre la vocation chrétienne elles vivent leur consécration virginale dans le constant écoute de cette Parole
Fidèles comme des épouses à leur époux, elles vivent leur consécration dans l’Ordo Virginum en gardant avec vigilance la promesse de Jésus-Epoux : « Oui, je viens bientôt » (Ap 22,20). Elles sont aussi la voix fidèle qui, dans la gratuité, dans la responsabilité et dans la liberté pure des relations, disent à l’Eglise et au monde : « Voici l’époux! Allez à sa rencontre! (Mt 25,6). »
Fidèles au Christ, les femmes de l’Ordre Virginum sont porteuses de la Parole de l’Aimé. Et toujours fidèles de Dieu, c’est dans l’amour qu’elles trouvent la force pour persévérer la virginité pour le Règne des Cieux (Mt 19,12). Elles s’engagent à vivre chaque jour cet Amour avec un concret authentique l’amour que manifeste le visage de Dieu.
Et comme le Christ reste dans l’amour de Dieu le Père, ces disciples, restent en Jésus comme des semences fécondes qui produisent une récolte abondante. En effet, le fait de se dédier à la méditation de la Sainte Ecriture à la prière n’est pas vécu par elles comme un repli sur elles-mêmes mais comme un élargissement du cœur pour embrasser l’humanité entière, et, particulièrement celle qui souffre (cfr Pape François, Vultum Dei quarere, n. 16)
En restant solidement unies au Christ comme des semences de la vigne, ces femmes consacrées sont associées à son mystère de salut, comme la Vierge Marie, qui, resta au pied de la croix unie à son Fils dans un don total d’Amour.
Lecture patristique
S. Augustin d’Hippone (354 – 430)
Commentaire sur l’évangile de Jean, 80, 1, 81, 1.3-4 (CCL 36, 527-531)
Dans le passage de l’évangile où notre Seigneur dit qu’il est la vigne, et ses disciples les sarments, il parle ainsi en tant que chef de l’Église, et nous ses membres. Car le Christ est le médiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2,5). En effet, la vigne et les sarments ont la même nature, et voilà pourquoi, parce qu’il était Dieu, d’une autre nature que nous, il s’est fait homme, afin que la nature humaine fût en lui comme une vigne dont nous pourrions être les sarments.
Il disait aux disciples: Demeurez en moi, comme moi en vous. Ils n’étaient pas en lui de la même manière dont lui était en eux. Cette union réciproque ne lui procure aucun profit: c’est eux qu’elle avantage. Les sarments sont dans la vigne non pas pour enrichir celle-ci, mais pour recevoir d’elle le principe de leur vie. La vigne est dans les sarments pour leur communiquer sa sève vivifiante, non pour la recevoir d’eux. Ainsi cette permanence du Christ dans les disciples, et la permanence de ceux-ci dans le Christ, leur est doublement avantageuse, mais nullement au Christ. Car si vous retranchez un sarment, un autre peut surgir de la racine qui reste vivante, tandis que le sarment coupé ne peut vivre séparé de la racine.
Considérez encore plus attentivement ce que la Vérité ajoute: Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5). Pour que personne ne s’imagine que le sarment pourrait de lui-même porter quelque peu de fruit, alors que Jésus avait dit: Celui-là donne beaucoup de fruit, il ne dit pas: parce que, en dehors de moi, vous pouvez faire peu de chose, mais: vous ne pouvez rien faire. Que ce soit peu ou beaucoup, on ne peut le faire en dehors de lui puisque, en dehors de lui, on ne peut rien faire. Si le sarment porte peu de fruit, le vigneron l’émonde pour qu’il en porte davantage. Cependant si le sarment ne demeure pas uni à la vigne et ne vit pas de sa racine, il ne peut, par lui-même, porter le moindre fruit.
Si le Christ n’avait pas été un homme, il n’aurait pas pu être la vigne. Cependant il ne fournirait pas cette grâce aux sarments, s’il n’était pas également Dieu. Mais, parce que, sans cette grâce, on ne peut pas vivre, et parce que la mort est au pouvoir de notre libre arbitre, notre Seigneur ajoute: Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu’on a jeté dehors et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent (Jn 15,6). C’est pourquoi, si le bois de la vigne est d’autant plus méprisable lorsqu’il ne demeure pas uni à la vigne, il est d’autant plus glorieux quand il le demeure. Le Seigneur le dit par le prophète Ézékiel: lorsque ces bois de la vigne sont coupés, ils ne rendent aucun service au cultivateur et ne servent à aucun ouvrage ar tisanal (cf. Ez 15,4-5). Le bois de la vigne n’a que deux destinations: la vigne ou le feu. S’il ne reste pas sur la vigne, il sera brûlé. Pour ne pas aller au feu, il doit rester sur la vigne.
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez (Jn 15,7). Lorsqu’on demeure dans le Christ, que peut-on demander, sinon ce qui convient au Christ? Que peut-on vouloir, quand on demeure dans le Seigneur, sinon ce qui n’est pas étranger au salut? Nous demandons une chose parce que nous sommes dans le Christ, mais nous voulons autre chose parce que nous sommes encore en ce monde. Du fait que nous y demeurons, nous sommes parfois tentés de demander ce dont nous ignorons que cela nous est nuisible. Mais chassons l’idée que nous obtiendrons cela si nous demeurons dans le Christ, car il ne fait ce que nous lui demandons que si cela est bon pour nous.
Mais si nous demeurons en lui parce que ses paroles demeurent en nous, nous demanderons tout ce que nous voudrons, et nous l’obtiendrons.
NOTES
[1] Sept (sept n’est pas un nombre aléatoire parce qu’il indique la plénitude) sont les images que Jésus unit à l’expression: « Je suis », en révélant une particulière dimension de soi-même : je suis le pain de la vie (Jn 6,35), je suis la lumière du monde (Jn 8,12, je suis la porte des brebis (Jn 10, 7), je suis le bon pasteur (Jn 10, 11), je suis la résurrection et la vie (Jn11,15, je suis le chemin la vérité et la vie (Jn 14, 6), je suis le vigne vraie (Jn 15, 1).
[2] Pour sept fois le chapitre 15 de l’Evangile de Jean répète l’expression porte fruit: trois fois en 15,2 et après, 4.5.8.16.
Mgr Francesco Follo, 4 déc. 2017 @Vatican Media
La vraie Vigne de l’amour, par Mgr Francesco Follo
« L’efficacité de la prière »