Recueil de témoignages d'enfants d'une école juive en dialogue avec Isabelle Denis Soeur de ND de Sion

Recueil de témoignages d'enfants d'une école juive en dialogue avec Isabelle Denis Soeur de ND de Sion

Journée du judaïsme : en dialogue avec les enfants d'une école juive, par sr Isabelle Denis, NDS

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« Surprise d’une rencontre »

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Une amitié avec des enfants juifs, c’est ce dont témoigne Isabelle Denis, Sœur de Notre-Dame de Sion, à l’occasion de la Journée du judaïsme célébrée le 17 janvier par l’Eglise catholique dans différents pays, à la veille de la grande Semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier).
Isabelle Denis est membre d’une congrégation dont le charisme a été relu et confirmé à la lumière des orientations du concile Vatican II, particulièrement en référence à la Déclaration Nostra aetate  concernant les relations entre Juifs et Chrétiens. Selon leurs Constitutions, les religieuses de Notre-Dame de Sion sont consacrées en Eglise à la suite du Christ pour « témoigner par notre vie de la fidélité de Dieu à son amour pour le peuple juif et aux promesses qu’Il a révélées aux patriarches et aux prophètes d’Israël pour toute l’humanité ».
Dans cet entretien à Zenit, elle évoque son dialogue avec les enfants d’une école juive, depuis une décennie. Elle explique aussi le sens de la Journée du judaïsme.
Zenit – Vous avez voulu vous laisser « enseigner » par les enfants d’une école juive. Après avoir mis en contact des élèves (de 9-11 ans) d’une école catholique et des élèves de l’école juive Ganenou par courriers mensuels échangés et rencontres annuelles pendant vingt ans, vous avez eu pendant plus de dix ans des rencontres deux fois par mois avec les élèves de l’école Ganenou, en allant dans leur classe…
Soeur Isabelle Denis – Née juste après la Shoah, et questionnée très jeune par cette tragédie inoubliable, j’ai toujours rêvé qu’un jour des enfants juifs soient fiers et heureux de me dire qui ils sont, et que je puisse leur exprimer ma joie de leur vie juive. J’ai rêvé d’une reconnaissance entre nous dans nos différences au sein d’une source commune : la révélation biblique des Ecritures du Premier Testament. Jésus, enfant juif, en a été nourri ; sans elles, on ne peut pas comprendre sa Bonne Nouvelle du Nouveau Testament.
Ma profession d’enseignante dans une école catholique me donnait une entrée dans cette école juive : « Ce dialogue avec des élèves… témoigne combien ils peuvent être nos maîtres dans leurs questionnements, et nous donnent de grandir avec eux dans le respect et la joie du dialogue ».
Zenit – Vous avez rassemblé quelques perles, parmi toutes les questions qu’ils vous ont posées, dans un recueil de témoignages : « Si différents, si semblables, surprise d’une rencontre ». Pouvez-vous nous en parler ?
Isabelle Denis – Ce recueil, témoignage des questions des élèves et des dessins qu’ils m’ont spontanément offerts, se trouve sur la page d’accueil du site de cette école juive : www.ganenou.fr.
Leur enseignant de judaïsme me laissait un temps à la fin de son cours. Les élèves pouvaient me poser n’importe quelle question sur les chrétiens, c’est-à-dire les questions qui les habitaient réellement. C’était un échange. Les questions mises par écrit et conservées, je proposais des pistes de réflexion, en les laissant ouvertes.
En dix années, il y a eu 1 250 questions environ … Il y aurait eu le triple si on n’avait pas donné comme consigne qu’on ne prenait que 5 à 7 questions à chaque séance ! Elles portaient sur tous les sujets : pourquoi, comme chrétienne, j’étais venue dans une école juive ; « comment la religion chrétienne a été créée puisque Jésus est juif » ; des questions sur Jésus comme fils de Dieu et Dieu ; sur les fêtes chrétiennes enracinées dans les fêtes juives : Pâques, Pentecôte !
Question plus délicate, sur Marie « enceinte de qui ? » … J’avais rappelé que Dieu ayant créé tout à partir de sa Parole, ce n’était pas un problème pour lui qu’un enfant naisse d’une maman juive et d’une manière qui est son secret à elle avec Lui, Dieu. Que chacun de nous pouvait avoir des secrets avec Dieu. Question difficile : « pourquoi les chrétiens ne nous aiment pas » ? Je répondais que l’on ne peut jamais généraliser, et la preuve : j’étais amie de leur école et de leur communauté. J’esquissais quelques jalons historiques de ce qui était arrivé mais qui est contraire à ce à quoi Dieu nous appelle les uns et les autres pour le bien de l’humanité.
L’intérêt de ces élèves était impressionnant. En témoignent les bilans individuels, ou collectifs écrits en fin d’année. « Ce qui m’a plu, c’est que dans mes autres écoles je ne pouvais pas poser de questions à quelqu’un qui n’avait pas la même religion que moi ». « J’ai beaucoup aimé partager ces moments ». « J’ai adoré tes vérités et la façon dont tu nous répondais ».
Ce dialogue avec des élèves de 9-11 ans, avant la crise de l’adolescence, témoigne combien ils peuvent être nos maîtres dans leurs questionnements, et nous donnent de grandir avec eux dans le respect et la joie du dialogue. Se connaître nous donne aussi d’approfondir les uns et les autres nos identités respectives. Je continue encore à aller dans cette école, toujours accueillie de semaine et en semaine, en amie chrétienne.
Pourquoi le dialogue entre juifs et chrétiens est-il si important et a-t-il une place si particulière pour l’Eglise ?
Le Concile Vatican II, dans la Déclaration Nostra Aetate – sur l’attitude de l’Eglise à l’égard des religions non-chrétiennes – au paragraphe 4, rappelle que c’est « En scrutant le mystère de l’Eglise, [que] le Concile se souvient du lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la descendance d’Abraham. En effet l’Eglise du Christ reconnaît que les origines de sa foi et de son élection se trouvent, selon le dessein du salut de Dieu, chez les Patriarches, Moïse et les Prophètes … L’Eglise a toujours également devant les yeux les paroles de l’Apôtre Paul sur les siens « à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les patriarches, et de qui est né, selon la chair, le Christ (Rm 9,4-5), fils de la Vierge Marie (…) ».
Comme l’ont rappelé ensuite en 1985 les « Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique… : « Jésus était juif et l’est toujours resté ».
Vouloir être disciple de Jésus, demande donc de comprendre sa Bonne Nouvelle, pour en vivre. Elle s’enrichit à la lumière de la tradition juive commentant les Écritures dont Jésus a été nourri.
En décembre 1974, les « Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate n. 4 précisent : « Il importe que les chrétiens cherchent à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse du judaïsme et qu’ils apprennent par quels traits essentiels les Juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue ».
On peut ajouter les paroles de Benoît XVI dans son Jésus de Nazareth : « Après des siècles d’opposition, nous nous reconnaissons le devoir de faire en sorte que ces deux manières de faire une nouvelle lecture des écrits bibliques, celle des chrétiens et celle des juifs, entre en dialogue entre elles, pour comprendre correctement la volonté et la parole de Dieu. » (T. 2, p. 50)
Du côté juif se concrétise aussi de plus en plus le souci de mieux connaître les chrétiens ; ce qu’a réaffirmé encore récemment le Rabbin Skorka, ami du Pape François (cf. Zenit, 31 décembre 2018) : « Les chrétiens comme les juifs sont engagés dans le défi de travailler personnellement pour la guérison des misères humaines. Nous devons nous employer à réaliser ce temps de bonté auquel les gens aspirent. »
Que conseilleriez-vous à tout baptisé de faire pour cette Journée du judaïsme ?
Dans les questions posées par les élèves de l’école Ganenou, je me souviens de celle-ci : « Vous, chrétiens, vous vous sentez supérieurs, inférieurs ou égaux aux juifs ? » Il me semble que comme chrétiens, nous avons à réfléchir en toute honnêteté pour apprendre à nous situer avec le peuple juif dans une relation de fraternité, à la fois « différents et semblables ». Réjouissons-nous dans la surprise de rencontres provoquées pour travailler ensemble à un monde de plus de justice et de partage, pour la paix de tous. C’est possible aussi dans nos quartiers. Dans une attitude de respect de chacun qui est ouvert à l’autre, y compris et surtout lorsque l’on ne se comprend pas du premier abord.
Propos recueillis par Anne Kurian

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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