Homélie du card. Poupard en l'anniversaire de la mort du fondateur de ATD Quart Monde

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ROME, lundi 16 février 2004 (ZENIT.org) – Samedi 14 février, le cardinal Paul Poupard, président du Conseil Pontifical de la Culture, a présidé la célébration eucharistique en l’anniversaire de la mort du P. Joseph Wresinski (1917-1988), le fondateur de ATD Quart-monde (Aide à Toute Détresse), en la chapelle du Baptistère de Saint-Jean de Latran, à Rome. Nous publions ci-dessous le texte de son homélie.

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Chers Amis du Mouvement ATD Quart Monde,
Frères et Sœurs en Jésus-Christ,

1. C’est une joie pour moi de faire mémoire avec vous du Père Joseph Wresinski, en cet émouvant baptistère de Saint-Jean de Latran, dans la célébration de la liturgie du 6e dimanche du temps ordinaire. Nous venons de l’entendre : l’Évangile de ce jour donne une lumière singulière à notre rencontre. Vous savez comme moi à quel point le Père Joseph s’est conformé à l’esprit des Béatitudes : il s’est laissé envahir par la faim de justice pour le refus de la misère, ses larmes n’ont cessé de couler pour les exclus d’une société de riches incapable de tendre la main aux plus pauvres, ceux qui pleurent de ne jamais croiser les regards de leurs frères, ceux qui ne connaissent pas la consolation d’un foyer où la paix et l’amour réchauffent le cœur, ceux qui vivent dans le deuil permanent de leur dignité d’hommes, les exclus de la société, nos frères en humanité.

2. Lui-même issu d’une famille très pauvre de mon Anjou natal, le jeune Joseph ressent l’appel de la Croix pour se conformer au Christ souffrant, dans un sacerdoce d’amour et de compassion. Dix ans après son ordination, l’évêque de Soissons lui propose de rejoindre un camp de sans-logis, à Noisy-le-Grand, dans la région parisienne. Et c’est ainsi que s’ouvre devant lui le véritable horizon de la misère. C’est un 14 juillet de l’année 56, tandis que la France s’auto-célèbre et fait défiler sur les Champs-Elysées sa puissante armée… « Ce jour-là, je suis entré dans le malheur », écrira-t-il plus tard : il se joint aux 252 familles rassemblées dans le camp des sans-logis, plongées dans la misère, un peuple affamé et nu, un peuple surtout en quête de dignité.

3. La conviction du Père Joseph est simple : « La misère est l’œuvre des hommes. Seuls les hommes peuvent la détruire ». Encore faut-il que les repus, ceux que l’on dit être puissants, ceux qui dirigent leur vie sans même penser à répondre au cri de Lazare pleurant sur le perron de leurs opulences, veulent bien combattre l’exclusion, agir contre la grande pauvreté, et pour cela comprendre la vie et l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui leur ressemblent. Le combat du Père Joseph est celui des Droits de l’homme, et il gravit les marches de l’Elysée comme de l’ONU pour parler au nom des sans voix. Il nous revient de continuer ce combat, de crier de par le monde : « Plus jamais la misère. Plus jamais la faim. Plus jamais l’injustice d’une dignité piétinée. Plus jamais d’exclusion dans nos sociétés repues et indifférentes. »
Vous aimez le rappeler, cher Père Leclerc, « les véritables experts des Droits de l’homme sont ceux qui en sont privés ». Le grand message du Père Joseph est que pour supprimer la grande pauvreté, non seulement tous les acteurs de la vie sociale doivent s’unir et agir, mais que cela ne peut se faire sans associer les plus pauvres eux-mêmes. Les vertus du dialogue sont à la clef des transformations de la culture. Pour que l’homme soit plus homme, pour que tous les hommes puissent vivre une vie d’homme, c’est la culture elle-même qui se doit de promouvoir dans tous les recoins de la société, l’humanité de l’homme. L’éducation est en ce sens incontournable comme l’un des moyens indispensables pour la promotion d’une culture des Droits de l’homme. Le pape Jean-Paul II le rappelait le 4 juillet 98, à l’occasion du 50ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l’homme : « Dans la pastorale des Droits humains, la dimension éducative prend aujourd’hui une importance particulière. L’éducation au respect des Droits de l’homme entraînera naturellement la création d’une vraie culture des droits humains, nécessaire pour que fonctionne l’État de droit et pour que la société internationale soit réellement fondée sur le respect du droit» . Éduquer aux droits de l’homme et de tous les hommes, c’est mettre en avant leur universalité et l’égale dignité de toute personne humaine. Aussi, Jean-Paul II le philosophe rappelle-t-il que « le respect total des droits humains pourra en effet être intégré dans chacune des cultures… Tout en reconnaissant la diversité culturelle qui existe dans le monde et les différents niveaux du développement économique, il convient de redire avec force que les droits humains concernent chaque personne. » L’homme blessé n’est-il pas justement au cœur des Béatitudes ? L’homme pécheur…

4. Jésus, après être descendu de la montagne avec les douze Apôtres, rencontre une foule de gens venus à sa rencontre. Il les regarde comme il regarde chacun des pauvres. Le regard de Jésus est toujours un appel à le suivre : « Viens et suis-moi ». Vivre de l’Évangile des Béatitudes, c’est vivre comme Jésus lui-même a vécu, dans l’amour des pauvres, des infirmes, des blessés de la vie, jusqu’à devenir lui-même un condamné à mort, ce qui est la pire des exclusions. Le combat contre la pauvreté et la misère est un combat spirituel. Les lois n’ont pas à elles seules le pouvoir de mettre un terme aux viols de la dignité humaine. C’est de l’homme pécheur qu’il s’agit, l’homme que le Christ est venu sauver à travers sa mort et sa résurrection. Saint Paul nous le rappelle : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien, vous n’êtes pas libérés de vos péchés ». L’horizon de notre foi s’étend bien au-delà des contingences de notre monde. « Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité ». Ce que le Père Joseph appelle « notre devoir sacré » de faire respecter les droits de l’homme, naît de la certitude que cela est possible puisque le Christ est vivant, qu’il a vaincu la mort, qu’il est notre espérance.

5. La liturgie de notre célébration est providentiellement la liturgie des Béatitudes, la liturgie du bonheur et de l’espérance. Heureux, bienheureux, ainsi nous voit Jésus. Chers amis d’ATD Quart-Monde, chers amis des pauvres et des exclus, que cette charte des béatitudes soit votre charte de chrétiens. Rayonnez tout autant que le Père Joseph Wresinski ce message évangélique : Dieu est bon qui nous a créés, II nous aime et nous appelle à aimer, comme II nous a aimés. S’il est facile d’aimer les siens, ceux qui nous ressemblent, ne détournons pas nos regards de la misère. Et s’il nous semble que le pauvre ne nous ressemble plus, c’est parce que nous-même l’avons défiguré par nos vanités et nos égoïsmes. Si le visage du pauvre nous est insupportable, c’est parce qu’il nous renvoie l’image de la concupiscence qui nous défigure. Plutôt que de voir la laideur de l’autre, apprenons à reconnaître les nôtres, à les transfigurer de l’intérieur et les consumer par un amour brûlant de charité.
La Vierge Marie, si chère au Père Joseph, nous montre le chemin de Cana à la Croix des douleurs où, debout, elle recueille la chair lacérée de son enfant et de son Dieu. En contemplant Marie, en suivant son exemple, le bonheur de servir les pauvres nous saisit et la joie du Don nous envahit, venue du cœur même de Dieu. À un million de jeunes péruviens qui l’accueillaient à Lima, le pape Jean-Paul II partageait sa foi : « Chers amis, le programme évangélique des Béatitudes est d’une importance capitale pour la vie du chrétien et l’itinéraire de tous les hommes. Pour les jeunes, garçons et filles, il est un programme particulièrement fascinant. C’est uniquement dans l’Evangile des Béatitudes que vous trouverez le sens de la vie et la pleine lumière sur la dignité et le mystère de l’homme » .

Amen.

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ZENIT Staff

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