Toute l’ « exhortation apostolique » du pape François publiée ce 9 avril 2018, sous le signe de la miséricorde (8 avril), de Marie (9 avril, Annonciation) et de Joseph (datée du 19 mars), et intitulée, sous le signe de la joie, « Gaudete et exsultate », est parcourue d’un bout à l’autre d’un vigoureux tutoiement : le lecteur ne peut échapper à son interlocuteur qui l’interpelle directement et lui dit que c’est son devoir de le faire. En somme c’est une vraie « exhortation » qui étrille le lecteur avec compassion et au nom de la force de sa mission « apostolique ».
Il ne s’agit rien moins que de « refléter Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui ». Et l’enjeu, c’est la vie, le bonheur maintenant et dans la vie à venir.
Le Seigneur t’appelle
Voici quelques exemples, le lecteur en trouvera bien d’autres qui lui parleront davantage. Le pape parle en père spirituel, à chacun : « Cette sainteté à laquelle le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes » (n. 16.).
« Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission », écrit encore le pape (n. 23) qui ajoute en passant au concret: « Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière et en reconnaissant les signes qu’il te donne. »
Et il insiste, en guide expérimenté, sur la façon d’y arriver : « Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui. »
Puis vient cet appel à se laisser « transformer » par le Christ, pour le monde: « Puisses-tu reconnaître quelle est cette parole, ce message de Jésus que Dieu veut délivrer au monde par ta vie ! » (n. 24).
C’est l’œuvre de l’Esprit Saint : « Laisse-toi transformer, laisse-toi renouveler par l’Esprit pour que cela soit possible, et qu’ainsi ta belle mission ne soit pas compromise. »
Le « n’aie pas peur de la sainteté » que le pape dit plus loin se concrétise pour chacun en dépit des limites humaine: « Le Seigneur l’accomplira même au milieu de tes erreurs et de tes mauvaises passes, pourvu que tu n’abandonnes pas le chemin de l’amour et que tu sois toujours ouvert à son action surnaturelle qui purifie et illumine. »
Le pape vous appelle
Et voilà un premier passage où le pape emploie explicitement le mot « exhortation », en forme de prière de délivrance tout d’abord : « Que le Seigneur délivre l’Église des nouvelles formes de gnosticisme et de pélagianisme qui l’affublent et l’entravent sur le chemin de la sainteté ! Ces déviations s’expriment de diverses manières, selon le tempérament et des caractéristiques propres à chacun » (n. 62).
Voilà l’exhortation décapante: « C’est pourquoi j’exhorte chacun à se demander et à discerner devant Dieu de quelle manière elles peuvent être en train de se manifester dans sa vie. »
Ce discernement spirituel de la vocation spécifique de chacun, des obstacles à cette vocation à chaque instant de la vie est aussi un leitmotiv du document, qui comporte un grand dernier chapitre sur le combat spirituel.
Il est de mon devoir
Une autre exhortation solennelle arrive au n. 97, au terme de l’exposé de la grande « Charte » du chrétien formée par les Béatitudes et le jugement dernier de Matthieu 25, a recevoir « par fidélité au Maître ». Le pape est direct et solennel : « Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir, en tant que son Vicaire, de supplier les chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, “sine glossa”, autrement dit, sans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force. »
Car ce qui est en jeu, c’est l’essentiel, incontournable, dont dépend le salut », les œuvres de miséricorde à accomplir, pour refléter la miséricorde reçue de Dieu : « Le Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut pas être comprise ni être vécue en dehors de ces exigences, parce que la miséricorde est « le cœur battant de l’Évangile. »
Je recommande …
Une autre recommandation solennelle du pape c’est la lecture de l’Ecriture sainte comme lieu de sanctification, de mémoire, et de bonheur : « Je recommande de nouveau de relire fréquemment ces grands textes bibliques, de se les rappeler, de prier en s’en servant, d’essayer de les faire chair. Ils nous feront du bien, ils nous rendront vraiment heureux » (n. 109).
Mais il a aussi une seconde « recommandation » dans cette exhortation sous le signe de la joie, c’est de dire la prière de saint Thomas More (n. 126) : « Ordinairement, la joie chrétienne est accompagnée du sens de l’humour, si remarquable, par exemple, chez saint Thomas More, chez saint Vincent de Paul ou chez saint Philippe Néri. » La note 101 recommande cette prière que le pape a avoué, il y a quelques semaines, dire tous les jours : « Je recommande de dire la prière attribuée à saint Thomas More :
« Donne-moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer.
Donne-moi la santé du corps avec le sens de la garder au mieux.
Donne-moi une âme sainte, Seigneur, qui ait les yeux sur la beauté et la pureté, afin qu’elle ne s’épouvante pas en voyant le péché, mais sache redresser la situation.
Donne-moi une âme qui ignore l’ennui, le gémissement et le soupir.
Ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle ‘‘moi’’.
Seigneur, donne-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres.
Ainsi soit-il »
Enfin dans le cinquième chapitre, sur le combat spirituel du baptisé, le pape François recommande le discernement, et ce discernement passe par l’examen de conscience (n. 169).
Un discernement, comme la sainteté, dans le concret du quotidien, pour « mieux suivre le Seigneur » : « Le discernement, écrit le pape, n’est pas seulement nécessaire pour les moments extraordinaires, ou quand il faut résoudre de graves problèmes, ou quand il faut prendre une décision cruciale. C’est un instrument de lutte pour mieux suivre le Seigneur. »
Je demande à tous les chrétiens
Le pape vise à l’efficacité, à aider le chrétien à ne pas perdre les occasions, quotidiennes, d’accueillir les dons de Dieu : « Nous en avons toujours besoin pour être disposés à reconnaître les temps de Dieu et de sa grâce, pour ne pas gaspiller les inspirations du Seigneur, pour ne pas laisser passer son invitation à grandir. Souvent cela se joue dans les petites choses, dans ce qui paraît négligeable, parce que la grandeur se montre dans ce qui est simple et quotidien. »
Ici, dans la note 124, le pape cite l’épitaphe de son fondateur, saint Ignace de Loyola : « On trouve sur la tombe de saint Ignace de Loyola ce sage épitaphe : “Non coerceri a maximo, contineri tamen a minimo divinum est” (Il est divin de ne pas avoir peur des grandes choses et en même temps d’être attentif aux plus petites). »
Et le pape commente dans son texte : « Il s’agit de ne pas avoir de limites pour ce qui est grand, pour ce qu’il y a de mieux et de plus beau, mais en même temps d’être attentif à ce qui est petit, au don de soi d’aujourd’hui. »
Voilà l’exhortation solennelle à s’examiner, non pas en dialogue avec soi-même, ni pour se critiquer soi-même, mais en « dialogue » avec le Christ «qui nous aime » et à examiner les dons de Dieu: « Je demande donc à tous les chrétiens de faire chaque jour, en dialogue avec le Seigneur qui nous aime, un sincère “examen de conscience”. En même temps, le discernement nous conduit à reconnaître les moyens concrets que le Seigneur prédispose dans son mystérieux plan d’amour, pour que nous n’en restions pas seulement à de bonnes intentions. »
Voilà, après les encycliques Lumen fidei et Laudato si’, la troisième “exhortation apostolique” du pape François (après Evangelii gaudium, et Amoris laetitia), et une exhortation sur des points bien concrets de la vie chrétienne, issue de son autorité apostolique bien affirmée.
Messe avec les jeunes, cathédrale St Mary, Rangoon, Myanmar © L'Osservatore Romano
«Gaudete et exsultate»: oui, c’est à toi que François parle
Un vigoureux tutoiement tout au long du document