"Et il se mit à danser": conte biblique

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« Il viendra, fiston, il ne saurait plus tarder »

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En communion avec les Carmélites du monastère du Mont Carmel (Israël, Haïfa), en cette Année Thérèse d’Avila (1515-2015), nous publions ce conte aimablement offert par une des soeurs aux lecteurs de Zenit.

***

Et il se mit à danser 

Il y avait à Jérusalem un homme du nom de Siméon (Luc 2, 25)

          Ce jour-là, j’étais un peu désœuvré, et je suis parti traîner là, vers le Temple, du côté du Parvis des Gentils. Des fois, on y voit des choses amusantes ! Des soi-disant prophètes qui haranguent la foule, des gamins délurés qui se faufilent partout en demandant « la tsedaka », des soldats romains qui traînent négligemment au cas où il se passerait quelque chose…

            Mais là, il n’y avait pas grand monde. Les fêtes étaient loin, il faisait presque frisquet, bref, c’était un peu morne. J’ai failli partir, écœuré, quand je les ai vus sortir du Parvis des Femmes et se diriger vers la porte, celle-là même qui mène vers la ville basse. La jeune femme était jolie et le petiot devait avoir à peine un peu plus d’un mois. Le papa les tenait enveloppés de son grand manteau, et avait un sourire… Mais somme toute, c’étaient des gens comme il en vient beaucoup, un pauvre, bien pauvre couple apparemment, pas vraiment intéressant. Ce qui m’a arrêté, ce n’était pas tellement eux, c’était le vieux Siméon.

            Qui ne connaît pas Siméon, dans Jérusalem ? Siméon, c’est un monument ! Au moins autant que le Temple lui-même. Le jour où il ne sera plus là, et vu son âge, ça ne tardera plus beaucoup, les habitués, ceux qui viennent comme moi se distraire en observant le trafic du Temple, il leur manquera quelque chose.

            Pauvre vieux ! Il traîne douloureusement ses pattes de vieux, tout perclus qu’il doit être de rhumatismes, mais il est toujours là, comme s’il attendait quelque chose. Ou quelqu’un. Des fois, les gamins se moquent de lui en lui criant : « Alors, Siméon, ce Messie, il vient, oui ? » Et Siméon hoche la tête et répond avec un bon sourire : « Il viendra, fiston, il ne saurait plus tarder. » Puis il va s’asseoir dans un coin du Parvis des Gentils, toujours sur le même banc de pierre, et l’on voit bien que tous ses os lui font mal ! Alors, les garnements lui crient : « Va donc te reposer, Siméon, si le Messie vient, on ira te chercher ! » Et ils filent en s’esclaffant.

            Or ce matin, en voyant le jeune couple sortir du Parvis des Femmes, Siméon s’élança soudain comme s’il avait vingt ans. Comme s’il n’avait pas mal du tout. Comme s’il était un tout jeune homme qui s’élance à la rencontre de sa promise. Il s’arrêta devant la jeune femme, lui tendit les bras en disant quelque chose que, de loin, je n’ai pas pu entendre. Elle posa le petit dans les bras de ce vieux, et puis… puis un miracle se produisit, ou presque : Siméon se mit à danser. Là, sur ce Parvis des Gentils, un peu vide ce jour-là dans le matin frais, parmi les quelques changeurs de monnaie et vendeurs d’animaux pour les sacrifices, un vieillard dansait une danse sacrée.

            Il dansait comme dansent les vieux juifs au dernier jour de la Convocation d’automne ; une danse joyeuse et grave à la fois, danse d’amour et de reconnaissance pour le don de Dieu. Mais au lieu du Sefer-Torah, il tenait dans ses bras cet enfant de Galilée.

            Il dansait avec l’Enfant, sur ce parvis, et en le voyant, je sentais monter en moi la certitude que cet enfant était plus précieux encore que le Sefer-Torah, qu’il était, lui aussi, une Parole de Dieu, peut-être même LA Parole de Dieu, le don ultime, merveilleux dont la danse du vieillard rendait grâce.

            Le vieil homme dansait, dansait toujours, et en moi montaient doucement les paroles que je venais de prononcer dans la prière de ce matin : Shema, Israël, Adonaï Elohenou, Adonaï ehad… Et puis, curieusement, cette autre prière qui n’était pas vraiment « de saison »: Avinou, Malkénou  –  Notre Père, notre Roi…  Et là, je ne pouvais pas continuer, mon esprit s’arrêtait à ce seul mot : Malkénou… Malkénou… Malkénou… Roi…

            Et le vieillard dansait toujours.

            Et dans sa danse, je voyais se dérouler devant mes yeux toutes les fêtes d’automne : la fête austère de Roch-ha-Shana et des jours redoutables – et le vieillard dansait avec la Création qui gémit et pleure le péché de l’homme et aspire avec lui à la Rédemption ; puis la joie grave et profonde du soir du Kippour où le pardon est accordé et tout homme est renouvelé – mais dans sa danse sacrée il y avait plus que ce pardon, il y avait comme une rédemption infinie qu’aucune fête de Kippour ne pouvait donner ; et puis, il dansait pour la semaine des Tentes, le rappel du désert, la joie de la libération, et les palmes s’agitaient et le cri montait presque seul du cœur aux lèvres : Baruh haba beshem Adonaï…

            Et le vieillard dansait, dansait toujours, et sa danse devenait comme un rappel de l’antique promesse de Zacharie, celle que j’avais tant de fois entendue ici même au dernier jour des Tentes : Ces jours-là, l’eau vive jaillira dans Jérusalem… Et je savais que le vieillard dansait pour cette eau vive, et que l’enfant dans ses bras avait quelque chose à voir avec cette source, comme il avait eu quelque chose à voir avec l’acclamation royale – Hoshana, baruch haba -, et comme il avait eu à voir avec le Grand Pardon, et avec les jours de la supplication, et avec le cri de détresse de la création tout entière…

            Et le vieillard dansait, dansait toujours, et l’enfant dans ses bras ressemblait de plus en plus au Sefer-Torah, la Parole divine, le Don définitif. Tandis qu’en moi, cet unique mot revenait encore, le seul que je pouvais prononcer : Malkénou, notre Roi…

            Puis soudain le vieillard s’arrêta devant la jeune femme, lui rendit l’enfant. Il dit quelque chose. De nouveau, trop loin, je n’ai pu entendre. Mais cela devait être terrible, parce que j’ai vu la jeune femme chanceler, et son mari, lui poser avec un geste de tendresse et presque de vénération sa main sur l’épaule, l’enveloppant de son manteau.

            Puis ils sont partis…

            Tiens, c’est vrai, maintenant que j’y pense, je n’ai plus revu le vieux Siméon au Temple depuis ce jour-là !

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ZENIT Staff

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