Ile de San Giorgio, Venise (Italie) @wikimedia commons, Jakub Hałun

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«Confinement en temps de carême» par Ysabel de Andia (1/2)

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«L’espace limité et le temps désoccupé»

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Confinement en temps de carême (1/2)

 

L’ordre d’un confinement chez soi pour éviter la propagation du Corona-virus nous pose la question du sens d’un confinement en carême.

« Confiner » signifie : « toucher aux confins d’un pays, être à la limite de, tenir enfermé dans d’étroites limites ».  Ces limites, ce sont celles qui nous sont fixées, mais aussi nos propres limites, des limites extérieures, celles de l’espace et du temps, et intérieures : l’homme est un être fini qui reconnaît sa propre finitude. Il n’est pas un Surhomme.

Le « confinement » désigne l’« action de confiner ou d’être confiné ». Toute la différence est là : entre l’actif et le passif, entre ce que l’on veut et ce que l’on subit. Lorsqu’on parle de « se confiner », c’est-à-dire de « se tenir enfermé, s’isoler, se limiter à une occupation, ou se cantonner à », cet enfermement est alors volontaire.

On parle aussi d’« enceinte de confinement » : pour désigner un « bâtiment étanche entourant un réacteur nucléaire », le danger est mortel et la protection contre ce rayonnement mortel est une barrière entre le danger et l’homme.

Qu’en est-il de ce « confinement » en temps de carême ?

De quel temps et de quel espace parle-t-on dans le « confinement » ?

 

  1. L’espace limité et le temps désoccupé
  • L’espace limité
  1. Le désert

Dans ce temps de confinement comme dans ce temps de carême, il y a un « vide » de l’espace et du temps. L’« espace vide », c’est le désert. L’évangile du premier dimanche de carême est celui de la tentation du Christ au désert. Le désert est habité non par des hommes qui y mourraient de soif, mais par les esprits impurs qui le peuplent.

Dans ce vide du désert ou du confinement, les tentations remontent en nous comme des pensées mortifères et obsessionnelles : peurs réelles ou imaginaires, impuissance et découragement… Il ne faut pas dialoguer avec ses pensées, mais leur opposer non pas nos paroles, mais la Parole de Dieu.

  1. La cellule et le cloître

Vivre au désert est l’idéal des « ermites », les solitaires, dont les Apophtegmes des Pères du désert nous ont livré leurs sentences dans des paroles elles-mêmes « resserrées ». Tant d’hommes et de femmes vivent seuls dans les grandes villes, passant du bruit des foules au resserrement de leurs chambres, mais ils n’ont pas goûté à la sagesse de ceux qui aiment le désert et se sont laissés façonner par lui. A la différence du désert qui environne l’ermite à perte de vue (j’ai encore dans les yeux l’immensité du désert au pied de la montagne où se trouve la grotte d’Antoine), le cloître est un espace clos qui est séparé et protégé du « monde » par la « clôture ». Cette séparation marque une appartenance exclusive au Christ, mais les moines cénobites, à la différence des ermites, la vivent en communauté.

  1. L’île

L’île est aussi un espace clos, environné par la mer et le naufragé, qui scrute sans cesse la ligne bleue de l’horizon (la mer est un désert liquide) pour voir si une barque s’aventure, y vit une longue attente. Le naufrage est brutal et accidentel, comme l’irruption de la maladie, et l’île, comme la chambre entourée, une bouée de sauvetage.

Il y a d’autres formes d’espace clos qui ne sont pas une séparation, mais une privation de liberté ou de vie.

  1. La prison

La prison est un enfermement pénitentiel dans une « cellule » dont la porte est verrouillée ! Aujourd’hui, notre porte est ouverte, mais elle est gardée au-dehors par ceux qui nous empêchent de sortir… pour nous défendre contre cet ennemi invisible, le coronavirus !

  1. Le tombeau et les enfers

L’espace le plus resserré est celui du cercueil ou du tombeau. Il n’enferme qu’un corps privé de vie, un corps sans âme, qui est vu sans pouvoir voir. L’âme, selon les croyances religieuses, païennes ou juives, « descend aux enfers », comme Orphée à la recherche d’Euridice dans les Métamorphoses d’Ovide, ou descend au « shéol ». On compare le shéol à l’Hadès ou au Tartare de la mythologie grecque. Le shéol est « le séjour des morts », un monde souterrain, lieu du silence, ténèbres, lieu de l’oubli… dont on ne remonte jamais.

 

  • Le temps désoccupé et le temps libre

Et comme l’espace est limité, le temps est « désoccupé », il n’est pas « bien rempli » par des occupations de tout genre. Certes le travail peut se faire « à distance » par le Télétravail, mais pour beaucoup, qui ne peuvent se rendre à leur « lieu de travail », surtout dans les professions manuelles, il n’y a plus de travail et l’incertitude de l’avenir s’installe. On a parlé du « temps suspendu », mais le temps, au contraire, semble très « long » et cette « longueur du temps » qui « ne passe pas » indique la lenteur de l’esprit qui a perdu sa vivacité.

  1. N’avoir rien à faire. Interruption du negotium

Les latins distinguaient le negotium, le « négoce », et l’otium, le loisir.

Le negotium ne signifie pas seulement les « affaires », mais aussi les « choses à faire » qui forment notre quotidien : les courses, les visites, les rendez-vous. Et comme « le temps est désoccupé », comme on n’a « rien à faire », on cherche à s’occuper par les divertissements qu’offrent la TV ou les moyens de communication. Le monde virtuel de l’image remplace le monde réel des corps.

  1. L’otium. Le loisir

Le temps libre peut être vécu comme « oisiveté », traîner sans savoir « quoi faire », mais surtout – et c’est le sens que lui donnait les anciens – comme temps réservé aux « choses de l’esprit », l’étude et la contemplation.

L’otium est exprimé par des termes comme « repos », « vacance », ou « sabbat ».

Parce qu’il est un repos, l’otium favorise la contemplation et ce « temps de repos » est un « temps de sabbat ». Parce qu’elle anticipe le repos éternel, la vie monastique, la vie dans le « paradis claustral », est une vie de « loisir ». L’otium est la grande occupation du moine, c’est un loisir très occupé, comme n’ont cessé de répéter Grégoire le Grand dans ses Dialogues, Bernard de Clairvaux et tant d’autres.

(à suivre)

Docteur en philosophie (Sorbonne), agrégée de philosophie et docteur en théologie (Rome), vierge consacrée du diocèse de Paris, Ysabel de Andia est l’auteur de nombreux livres notamment en patristique.

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Ysabel de Andia

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