Désert du Taklamakan en Chine © Wikimedia commons /By 6-A04-W96-K38-S41-V38

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Lectures de dimanche : « Le désert comme lieu indispensable pour notre vie »

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Quand le tentateur instille en nous le désespoir

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« Comprendre et vivre le désert comme lieu ‘indispensable’ pour notre vie », c’est l’invitation de Mgr Francesco Follo qui médite sur les lectures de dimanche prochain, 22 février 2021, (Ier dimanche de Carême[2] -Année B).

Cette « sortie de nous-mêmes » au carême, écrit l’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris, « plus qu’un abandon du monde, est avant tout une ouverture au Christ qui est notre vie. C’est un dépassement de nous-mêmes qui est essentiellement aimer Jésus, même et surtout quand il y a des ténèbres ».

« Alors que le tentateur instille en nous le désespoir ou nous pousse à placer une illusoire espérance dans l’œuvre de nos mains, Dieu nous garde et nous soutient toujours et ne nous abandonne pas en tentation », affirme Mgr Follo.

Comme lecture patristique, Mgr Follo propos un homélie de Lansperge le Chartreux (+ 1539) sur le premier dimanche de carême.

 

Le désert comme temple[1],

où Dieu parle à notre cœur (cf. Os 2,16)

 

1- Jésus, le vrai Adam et le vrai Moïse.

Le Carême est la période de temps où nous sommes appelés d’une manière spéciale à faire pénitence pour non seulement tout quitter, mais pour suivre le Christ et respirer en lui la miséricorde.

Ce sont quarante jours de pèlerinage où Dieu lui-même nous accompagne à travers le désert de notre pauvreté, nous soutenant sur le chemin vers l’intense joie de Pâques. Cette sortie de nous-mêmes, plus qu’un abandon du monde, est avant tout une ouverture au Christ qui est notre vie. C’est un dépassement de nous-mêmes qui est essentiellement aimer Jésus, même et surtout quand il y a des ténèbres. Même dans la « vallée obscure » dont parle le psalmiste (Ps 23, 4), alors que le tentateur instille en nous le désespoir ou nous pousse à placer une illusoire espérance dans l’œuvre de nos mains, Dieu nous garde et nous soutient toujours et ne nous abandonne pas en tentation.

Comme nous le lisons dans les Pères de l’Église, les tentations font partie de la « descente » de Jésus dans notre condition humaine, dans l’abîme du péché et ses conséquences. Une « descente » que Jésus a parcourue jusqu’au bout, jusqu’à la mort sur la croix et aux enfers de l’extrême distance de Dieu. De cette manière, Il est, Lui, la main que Dieu a tendue à l’homme, à la brebis égarée, pour la ramener à la sécurité de son cœur.

Comme l’enseigne saint Augustin, Jésus a pris de nous des tentations, pour nous donner sa victoire (cf. Enarr. In Psalmos, 60,3: PL 36, 724). Nous n’avons donc pas peur d’affronter le combat contre l’esprit du mal: l’important est que nous le fassions avec lui, avec le Christ, surtout en cette période de Carême.

Ce Carême dure quarante jours en souvenir du jeûne de Jésus, notre Seigneur et notre frère, dans le désert où il fut tenté, comme nous le lisons dans l’Evangile d’aujourd’hui qui le résume brièvement[3]. En écrivant que Jésus est « poussé » au désert, nous pouvons interpréter que l’évangéliste Marc parle de Jésus comme d’un nouvel Adam et d’un nouveau Moïse. Le vieil Adam fut repoussé du jardin terrestre et entra dans le désert de la vie. A ce propos, Saint-Ambroise de Milan commente : » Rappelle-toi comment le premier Adam fut chassé du paradis au désert, et alors tu comprendras comment le deuxième Adam retourne du désert au paradis. Tu remarqueras que la première condamnation a été abrogée de la même façon qu’elle avait été prononcée, et que les bienfaits divins sont rétablis sur la trace des anciens. Adam vient d’une terre vierge, le Christ vient de la Vierge ; le premier a été fait à l’image de Dieu, le second est l’Image de Dieu. C’est par une femme qu’est venue la sottise, c’est par une vierge qu’est venue la sagesse ; la mort est venue d’un arbre, la vie est venue de la croix. Adam a été chassé dans le désert, le Christ vient du désert : en fait, il savait où trouver le condamné qui serait reconduit vers le paradis, libéré de sa faute… Sans guide, comment celui-ci aurait-il pu retrouver sa route dans le désert, lui qui, dans le paradis avait perdu sa route, faute de guide ? »[4]

Suivons donc le Christ qui est le nouvel Adam, mais aussi le nouveau Moïse, et nous pourrons retourner du désert au paradis.

Suivons le Christ qui, en allant au désert, s’insère dans l’histoire du salut de son peuple, du peuple élu et de l’humanité.

Après sa sortie d’Egypte, cette histoire se poursuit avec une migration de quarante ans dans le désert. Dans ces quarante ans d’exode, se trouvent les jours de la rencontre avec Dieu : les quarante jours que Moïse passa sur les hauteurs, dans le jeûne absolu, loin de son peuple, dans la solitude de la nuée, au sommet de la montagne (Ex 24,18). Nous retrouvons cette durée de quarante jours dans la vie d’Elie. Persécuté par le roi Akhab, il marche quarante jours dans le désert, retournant à l’origine de l’Alliance, à la voix de Dieu, pour une nouvelle étape de l’histoire du salut (1 R 19,8).

Pendant son séjour au désert, Jésus revécut les tentations de son peuple, les tentations de Moïse. Comme Moïse, il s’offrit en une oblation sainte et amoureuse qui consistait à accepter d’être effacé du livre de la vie pour sauver son peuple (cf Ex 32,32). Jésus, en fait, devint l’Agneau de Dieu, pour porter les péchés du monde. C’est Lui le vrai Moïse, celui qui est vraiment « dans le sein du Père (Jn 1,18) face à face avec lui, pour le révéler. Dans les déserts du monde, Il est vraiment la source d’eau vive (cf  Jn 7,38), celui qui ne se limite pas à parler, mais qui est, en personne, la Parole de la vraie vie (cf Jn 14,6). Du haut de la croix, il nous donna la nouvelle alliance. Lui, le nouveau et le vrai Moïse, est entré, par sa résurrection, dans la vraie Terre Promise où il n’a pas été donné à Moïse d’entrer, et, avec la clé de la croix, Il nous en ouvre la porte.

2– Le peuple nouveau mené au désert par le nouveau Moïse

Le Carême est le temps de pénitence qui précède Pâques et dure quarante jours en souvenir du jeûne de notre Seigneur dans le désert. Le désert nous fournit une image très éloquente de la condition humaine. Le Livre de l’Exode raconte l’expérience du peuple d’Israël qui, à sa sortie d’Egypte, erre dans le désert du Sinaï pendant quarante ans avant de rejoindre la Terre Promise. Pendant ce long voyage, les juifs firent l’expérience de toute la force et de l’insistance du tentateur, qui les poussait à perdre confiance dans le Seigneur et à rebrousser chemin ; mais en même temps, grâce à la médiation de Moïse, ils apprirent à écouter la voix de Dieu, qui les appelait à devenir son peuple saint. En suivant le Christ, le nouveau Moïse, nous pouvons comprendre que pour réaliser pleinement sa vie dans la liberté, il faut surmonter la preuve que comporte cette liberté, c’est-à-dire, la tentation. Ce n’est que libérée de l’esclavage, du mensonge et du péché, que la personne humaine, par l’obéissance de la foi qui l’ouvre à la vérité, trouve tout le sens de son existence et atteint la paix, l’amour et la joie. Le désert est donc le lieu de la purification, « le lieu austère, la terre aride sans eau » où Dieu conduit son peuple ou celui à qui Il veut se révéler, celui avec qui Il veut parler.

Pour aider à comprendre et vivre le désert comme lieu « indispensable » pour notre vie, voici une liste de quelques personnages bibliques pour qui le désert fut un lieu réellement indispensable.

Abraham. Pour ce patriarche, le désert fut de partir de la maison paternelle, du lieu de sa sécurité matérielle et physique, pour aller vers un monde inconnu, dans un lieu dont il ne connaissait même pas le nom : » quitte ton pays, ta patrie, la maison de ton père, et va vers le pays que je t’indiquerai » (Jn 12,1)

 Moïse. Sa vie fut marquée par le désert. En fait, le désert marqua le lieu de son appel et le moment déterminant de sa vie :  » Moïse qui faisait paître le troupeau de Jethro, son beau-père, prêtre de Madian, mena le troupeau au- delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, l’Horeb »(Ex 3,1).

Elie. Il partit pour se sauver, arriva à Beer-Sheba de Juda, et y laissa son serviteur. Lui-même s’en alla au désert à une journée de marche. (1R 19,3-4).

Pour le prophète Osée, un des prophètes les plus tourmentés, le désert représente le lieu de la rencontre avec Dieu qui lui dit des paroles d’amour : « Eh bien, c’est moi qui vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2,16).

Mais cette expérience du désert ne se limite pas aux hommes de l’Ancien Testament, elle est aussi l’expérience des grands personnages du Nouveau Testament et de Jésus lui-même.

Le Précurseur. « En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée ; il portait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage » (Mt3, 1-4).

Jésus lui-même. « Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert et il y resta quarante jours (Mc1, 12). Au matin, à la nuit noire, Jésus sortit et s’en alla dans un lieu désert, là il priait » (Mc 1,35)..

Les disciples du Christ. Le désert est le lieu où le Seigneur les invite à rester avec lui et à parler de leur travail :  » Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu. Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l’écart. (Mc 6,30-31).

Dans la Bible, le désert représente donc un moment privilégié de la rencontre avec Dieu. Faisons de ce carême un moment de désert pour que pour nous aussi, il soit un lieu de silence, c’est-à-dire de capacité à nous taire pour écouter Dieu parler à notre cœur.

Dans le désert de ce carême, pratiquons les exercices de piété (prières), la charité (aumône) afin que Dieu  » grâce à notre jeûne de carême, vainque nos passions, élève notre esprit, nous infuse la force et nous accorde le prix de  » la vie avec Lui pour toujours. (cf  IVe Préface de Carême)

N’oublions pas cependant que la pénitence est une simple formalité ou seulement un remords si elle n’est pas faite par amour, si nous jeûnons sans nous unir au Christ. En l’imitant, et en le priant de faire que notre jeûne soit le sien, qu’Il veuille l’associer au sien de sorte que nous puissions être en lui et lui en nous.

3- Les vierges consacrées et le désert

Ne considérons pas si difficile de vivre pendant quarante jours ce que les vierges consacrées dans le monde sont appelées à vivre toute leur vie. C’est en ce sens que l’Evêque élève la prière de consécration sur elles : « Sois leur fierté, leur joie et leur amour ; sois pour elles consolation dans la peine, lumière dans le doute, recours dans l’injustice ; dans l’épreuve, sois leur patience, dans la pauvreté, leur richesse, dans la privation, leur nourriture. » (RCV n38).

La virginité pousse à fuir toute forme d’attachement, dans un état d’ascèse et de pénitence. En même temps, la maternité spirituelle exige un engagement à partager avec générosité ce dont on dispose pour le bien des frères, en témoignant de façon particulière la charité du Christ. Les vierges consacrées vivent dans la solitude parce qu’elles ont renoncé à avoir une famille naturelle, mais avec le Christ, leur Epoux, elles ne s’isolent pas, elles ne se séparent pas du monde. Avec Lui, elles sont dans le monde sans être du monde. Pour être fidèles à cette vocation, elles répondent à l’invitation de l’Evêque : « nourrissez votre vie religieuse du corps du Christ, fortifiez-la par le jeûne et la pénitence, alimentez-la par la médiation de la parole, avec la prière assidue et les œuvres de miséricorde » (proposition d’homélie du RVC). Elles témoignent ainsi d’une vie vraiment humaine et pleine, parce qu’elle est renouvelée par l’Amour. Ces femmes consacrées à l’Amour de Dieu témoignent que le cœur de l’homme est « de Dieu » et donc « pour Dieu », et qu’il possède une grandeur qui lui vient directement de Celui qui l’a fait, Dieu, l’origine et la fin de tout amour. Elles témoignent de la solidité et de la tendresse de l’Amour de Dieu.

 

Lecture patristique

Homélie de Lansperge le Chartreux (+ 1539)

Sermon 2 sur le premier dimanche de carême,

Opera omnia, t 1, 180

Tout ce que le Seigneur Jésus a voulu faire aussi bien que souffrir, il l’a fait pour nous instruire, nous reprendre et nous être utile. Puisqu’il savait que nous en tirerions beaucoup de fruit pour notre instruction et notre réconfort, il n’a voulu rien omettre de ce qui pourrait nous profiter. C’est pourquoi il fut conduit au désert, et il n’y a pas de doute que ce fut par l’Esprit Saint. En effet, l’Esprit Saint a voulu le conduire là où le démon pourrait le trouver et oserait s’approcher de lui pour le tenter. Car le tentateur était provoqué à le mettre à l’épreuve par des circonstances favorables, c’est-à-dire la solitude, la prière, la mortification corporelle, le jeûne et la faim. Ainsi le démon aurait-il la possibilité d’apprendre de Jésus s’il était le Christ et le Fils de Dieu.

La première chose que nous apprenons ici, c’est que la vie de l’homme sur la terre est une vie de combat (Jb 7,1). Et aussi que le chrétien doit s’attendre à être d’emblée tenté par le démon. Qu’il se prépare donc à la tentation, selon l’Écriture: Si tu viens te mettre au service du Seigneur, prépare-toi à subir l’épreuve (Si 2,1). C’est pourquoi le Seigneur a voulu réconforter par ses exemples tout nouveau baptisé, tout nouveau converti, pour qu’il n’ait pas peur et ne devienne pas timoré, si après sa conversion ou son baptême, ayant été tenté par le démon plus fortement qu’auparavant, pu s’il souffre davantage de la persécution, il lit dans l’Évangile que le Christ lui-même a été tenté par le démon aussitôt après son baptême

La deuxième leçon que le Christ a voulu nous donner par son exemple, c’est que nous ne cherchions pas facilement à nous exposer à la tentation. Conscients de notre faiblesse, veillons plutôt à ne pas entrer en tentation, prions et évitons les occasions d’être tentés.

NOTES

[1] Nous pourrons peut-être  affirmer que le désert est le temple sans murs de notre Dieu  En effet, Celui qui habite dans le silence aime certainement les lieux à l’écart. C’est là qu’Il est souvent apparu à ses saints et c’est surtout dans la solitude qu’Il a daigné rencontrer les hommes (Saint Eucher).

[2] En fait, ce sont trois thèmes que nous propose la liturgie du Carême :

  1. Pâques. Le Carême étant la préparation aux célébrations pascales, les thèmes de la vie et de la mort y tiennent une place primordiale. A partir de la deuxième semaine (Transfiguration), il va s’explicitant au cours des deux dernières semaines.
  2. Le baptême. Dans sa structure de base, le Carême se forma autour du sacrement du Baptême donné aux adultes au cours de la veillée pascale. Les chrétiens prennent davantage conscience de leur propre baptême.
  3. La pénitence. C’est principalement au début du Carême (le mercredi des Cendres et l’évangile de la tentation de Jésus du 1er dimanche) que ce thème est développé. Pendant le Carême, l’Eglise, épouse du Christ qui souffre et qui meurt, vit plus intensément l’aspect pénitentiel.

[3] Evangile du 1er dimanche de Carême : « Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert. Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Evangile de Dieu et disait : »Les temps est accompli, et le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile. » (Mc 1,12-15)

[4] Saint Ambroise (env. 340-397), évêque de Milan et docteur de l’Eglise, Commentaire de l’évangile de Luc  IV, 7-12 ; PL 15,1614

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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