« Quelque chose a changé dans le discours ecclésial », fait observer le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, qui a présenté l’exhortation apostolique post-synodale du pape François sur la famille, Amoris laetitia, ce vendredi 8 avril au Vatican.
« Ce changement de langage, explique-t-il, était déjà perceptible lors du chemin synodal. (…) On peut reconnaître clairement combien le ton est devenu plus riche d’estime, ou combien on a accueilli simplement les différentes situations de vie, sans les juger ou les condamner immédiatement. »
Il ajoute immédiatement : « Evidemment, il ne s’agit pas que d’une option linguistique, mais d’un profond respect face à tout homme qui n’est jamais, en premier lieu, ‘un cas problématique’ dans une ‘catégorie’, mais une personne unique, avec son histoire et son parcours avec et vers Dieu. »
Voici la traduction de travail officielle de cette intervention donnée en italien.
A.B.
Intervention du cardinal Schönborn
Le soir du 13 mars 2013, le premier mot adressé par le Pape François, tout juste élu, aux personnes place Saint-Pierre et dans le monde entier, a été : « Bonsoir ». C’est avec le même langage et même style que le Pape François a écrit ce nouveau texte. L’Exhortation n’est pas aussi brève que ce simple salut mais elle est, comme lui, enracinée dans la réalité. Dans ces deux cents pages, le Pape François parle d’ « amour dans la famille » et il le fait de manière tellement concrète, tellement simple, avec des mots qui réchauffent le cœur, comme l’avait fait ce « bonsoir » du 13 mars 2013. C’est son style, et il souhaite que l’on parle des choses de la vie de la manière la plus concrète possible, surtout lorsqu’il s’agit de la famille, une des réalités les plus élémentaires de la vie.
Pour dire les choses clairement : les documents de l’Eglise, souvent, n’appartiennent pas à un genre littéraire des plus accessibles. Or cet écrit du Pape est lisible. Et ceux qui ne se laisseront pas impressionner par la longueur, éprouveront de la joie à lire ce texte concret et réaliste. Le Pape François parle de la famille avec une clarté que l’on trouve difficilement dans les documents magistériels de l’Eglise
Avant de parler du fond, je voudrais expliquer, à titre tout à fait personnel, la raison pour laquelle j’ai lu l’Exhortation avec joie, gratitude et toujours une forte émotion. Dans le discours ecclésial sur le mariage et la famille, il existe souvent la tendance, peut-être inconsciente, de tenir un discours sur deux voies quant à ces deux réalités de la vie… D’un côté, il y a les mariages et les familles qui sont en règle, où « tout va bien », tout est « en ordre », et puis il y a les situations « irrégulières » qui représentent un problème. Ne serait-ce que le terme d’« irrégulier » suggère que l’on puisse faire une telle distinction, avec tant de netteté.
Ceux qui se retrouvent donc dans le camp des « irréguliers » doivent vivre avec le fait que, dans l’autre camp, se trouvent les personnes « en règle ». Je sais personnellement, en raison de la situation de ma propre famille, combien c’est difficile pour ceux qui viennent d’une famille « patchwork ». Le discours de l’Eglise peut blesser, il peut donner l’impression d’être exclu.
Le Pape François a placé son Exhortation sous le signe d’une phrase conductrice : « Il s’agit d’intégrer tout le monde » (AL 297) parce qu’il s’agit d’une compassion fondamentale de l’Evangile : nous tous, nous avons besoin de miséricorde ! « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre » (Jean, 8,7). Nous tous, au-delà du mariage ou de la situation familiale dans laquelle nous nous trouvons, nous sommes en chemin. Même un mariage où « tout va bien » est en chemin. Il doit croître, apprendre, franchir de nouvelles étapes. Il connaît le péché, l’échec. Il a besoin de réconciliation et de nouveau départ, et ce jusqu’à un âge avancé (cf. AL 297).
Le Pape François a réussi à parler de toutes les situations sans cataloguer, sans faire de catégories, avec ce regard fondamental de bienveillance qui a quelque chose à voir avec le cœur de Dieu et les yeux de Jésus qui n’excluent personne (cf. AL 297), qui accueille chacun et concède à tous « la joie de l’Evangile ». C’est pour cette raison que la lecture d’Amoris Laetitia est aussi réconfortante. Personne ne doit se sentir condamné ou méprisé. Dans ce climat accueillant, le discours de la vision chrétienne du mariage et de la famille devient une invitation, un encouragement, la joie de l’amour auquel nous pouvons croire et qui n’exclut personne, vraiment et sincèrement personne.
Ainsi, pour moi Amoris Laetitia est avant tout un « événement linguistique », comme l’avait été Evangelii Gaudium. Quelque chose a changé dans le discours ecclésial. Ce changement de langage était déjà perceptible lors du chemin synodal. Entre les deux sessions synodales d’octobre 2014 et d’octobre 2015, on peut reconnaître clairement combien le ton est devenu plus riche d’estime, ou combien on a accueilli simplement les différentes situations de vie, sans les juger ou les condamner immédiatement. « Amoris Laetitia » offre une continuité à cette tonalité linguistique. Evidemment, il ne s’agit pas que d’une option linguistique, mais d’un profond respect face à tout homme qui n’est jamais, en premier lieu, « un cas problématique » dans une « catégorie », mais une personne unique, avec son histoire et son parcours avec et vers Dieu. Dans Evangelii Gaudium, le Pape François disait que nous devrions enlever nos chaussures devant le terrain sacré de l’autre (EG 36). Ce comportement fondamental traverse toute l’Exhortation. Et c’est aussi la raison d’être plus profonde de deux autres mots-clés : discerner et accompagner. Ces paroles ne sont pas valables seulement pour les « soi-disant situations irrégulières » (le Pape François souligne ce « soi-disant »), mais elles sont valables pour tous les hommes, pour tous les mariages et pour toutes les familles. En effet, tous sont en en chemin, et tous ont besoin de « discernement » et d’ « accompagnement ».
La grande joie que me procure ce document réside dans le fait qu’il dépasse de manière cohérente, la division artificieuse, extérieure et nette entre les « réguliers » et les « irréguliers », et il place tout le monde sous l’instance commune de l’Evangile, selon les paroles de Saint Paul : « Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Romains, 11, 32).
Ce principe continuel de l’« inclusion », bien sûr, préoccupe certains. Ne parle-t-on pas là en faveur du relativisme ? La tant évoquée miséricorde ne devient-elle pas trop permissive ? Il n’existe plus la clarté des limites à ne pas franchir, des situations qui objectivement doivent être définies comme irrégulières, immorales? Cette exhortation ne favorise-t-elle pas un certain laxisme, un «everything goes»? La miséricorde de Jésus n’est-elle pas au contraire, souvent, une miséricorde sévère et exigeante ?
Clarifions cela : Le Pape François ne laisse planer aucun doute sur ses intentions et sur notre devoir :
« En tant que chrétiens nous ne pouvons pas renoncer à proposer le mariage pour ne pas contredire la sensibilité actuelle, pour être à la mode, ou par complexe d’infériorité devant l’effondrement moral et humain. Nous priverions le monde des valeurs que nous pouvons et devons apporter. Certes, rester dans une dénonciation rhétorique des maux actuels, comme si nous pouvions ainsi changer quelque chose, n’a pas de sens. Mais il ne sert à rien non plus d’imposer des normes par la force de l’autorité. Nous devons faire un effort plus responsable et généreux, qui consiste à présenter les raisons et les motivations d’opter pour le mariage et la famille, de manière à ce que les personnes soient mieux disposées à répondre à la grâce que Dieu leur offre » (AL 35).
Le Pape François est convaincu que la vision chrétienne du mariage et de la famille a encore aujourd’hui une force d’attraction inchangée. Mais il exige « une salutaire réaction d’autocritique » : « Nous devons être humbles et réalistes, pour reconnaître que, parfois, notre manière de présenter les convictions chrétiennes, et la manière de traiter les personnes ont contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui» (AL 36) «Nous avons présenté un idéal théologique du mariage trop abstrait, presqu’artificiellement construit, loin de la situation concrète et des possibilités effectives des familles réelles. Cette idéalisation excessive, surtout quand nous n’avons pas éveillé la confiance en la grâce, n’a pas rendu le mariage plus désirable et attractif, bien au contraire » (AL 36).
Je me permets de raconter maintenant une expérience du Synode d’octobre dernier: à ma connaissance, deux des treize « cercles mineurs » ont commencé leur travail en faisant décrire à chacun leur propre situation familiale. Assez vite a émergé le fait que presque tous les évêques ou autres participants des « cercles mineurs » sont confrontés au sein de leurs familles à des thèmes, des préoccupations, des « irrégularités » dont nous avons parlé lors du Synode de manière un peu trop abstraite. Le Pape François nous invite à parler de nos familles « telles qu’elles sont ». Et maintenant, la chose magnifique du chemin synodal et de sa progression avec le Pape François : ce sobre réalisme sur les familles « telles qu’elles sont » ne nous éloigne pas du tout de l’idéal ! Au contraire. Le Pape François réussit, avec les travaux des deux Synodes, à porter sur les familles un regard positif, profondément riche d’espérance. Mais ce regard encourageant posé sur les familles requiert cette « conversion pastorale » dont Evangelii Gaudium parlait de manière tellement enthousiasmante. Amoris laetitia repropose les grandes lignes de cette « conversion pastorale » :
« Pendant longtemps, nous avons cru qu’en insistant seulement sur des questions doctrinales, bioéthiques et morales, sans encourager l’ouverture à la grâce, nous soutenions déjà suffisamment les familles, consolidions le lien des époux et donnions un sens à leur vie commune. Nous avons du mal à présenter le mariage davantage comme un chemin dynamique de développement et d’épanouissement, que comme un poids à supporter toute la vie. Il nous coûte aussi de laisser de la place à la conscience des fidèles qui souvent répondent de leur mieux à l’Évangile avec leurs limites et peuvent exercer leur propre discernement dans des situations où tous les schémas sont battus en brèche. Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles » (AL 37).
Le Pape François parle d’une profonde confiance dans les cœurs et dans la nostalgie des hommes. Ses prises de positions sur l’éducation l’expriment très bien. On y perçoit la grande tradition jésuite de l’éducation à la responsabilité personnelle. Il parle de deux dangers contraires : le laissez-faire et l’obsession de vouloir tout contrôler et tout dominer. D’un côté, il est vrai que « la famille ne peut renoncer à être un lieu de protection, d’accompagnement, d’orientation… Il faut toujours rester vigilant. L’abandon n’est jamais sain » (AL 260).
Mais la vigilance peut devenir exagérée :
« L’obsession n’éduque pas ; et on ne peut pas avoir sous contrôle toutes les situations qu’un enfant pourrait traverser. Ici, vaut le principe selon lequel “le temps est supérieur à l’espace” (…) Si un parent est obsédé de savoir où se trouve son enfant et de contrôler tous ses mouvements, il cherchera uniquement à dominer son espace. De cette manière, il ne l’éduquera pas, ne le fortifiera pas, ne le préparera pas à affronter les défis. Ce qui importe surtout, c’est de créer chez l’enfant, par beaucoup d’amour, des processus de maturation de sa liberté, de formation, de croissance intégrale, de culture d’une authentique autonomie » (AL 261). Je trouve qu’il est très éclairant de connecter cette pensée sur l’éducation avec ce qui touche à la praxis pastorale de l’Eglise. Et en effet, dans le même ordre d’idée, le Pape François évoque souvent la confiance dans la conscience des fidèles : « Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles » (AL 37). Evidemment, la grande question est de savoir comment se forme la conscience ? Comment parvenir à ce qui est le concept-clé de tout ce grand document, la clé pour comprendre correctement les intentions du Pape François : « le discernement personnel », surtout dans les situations difficiles, complexes ? Le « discernement » est un concept central des exercices ignaciens qui doivent aider à discerner la volonté de Dieu dans les situations concrètes de la vie. C’est le discernement qui porte les personnes à acquérir une personnalité mature et le chemin chrétien veut être une aide afin d’atteindre cette maturité personnelle : non pour former des automates conditionnés par l’extérieur, télécommandés, mais des personnes qui ont mûri grâce à leur amitié avec le Christ. C’est seulement là où ce discernement personnel a mûri, qu’il est possible de parvenir à un « discernement pastoral » qui est important, surtout « face à des situations qui ne répondent pas pleinement à ce que le Seigneur nous propose » (AL 6). Le huitième chapitre parle de ce « discernement pastoral » ; un chapitre qui sera probablement d’un grand intérêt pour l’opinion publique, ecclésiale, mais aussi pour les médias.
Je dois néanmoins rappeler que le Pape François a défini les chapitres 4 et 5 de « centraux » (« les deux chapitres centraux ») pas seulement par leur géographie, mais pour leurs contenus : « nous ne pourrions pas encourager un chemin de fidélité et de don réciproque si nous ne stimulions pas la croissance, la consolidation et l’approfondissement de l’amour conjugal et familial » (AL 89). Nombreux seront ceux qui sauteront ces deux chapitres centraux d’Amoris Laetitia pour arriver directement aux soi-disant « patates chaudes », aux points critiques. En fin pédagogue, le Pape François sait bien que rien n’attire ni ne motive aussi fortement que l’expérience positive de l’amour. « Parler de l’amour » (AL 89), cela procure clairement une grande joie au Pape François, et il en parle avec une grande vivacité, compréhension et empathie. Le quatrième chapitre est un ample commentaire de l’Hymne à la charité du treizième chapitre de la Première lettre aux Corinthiens.
Je recommande à tous de méditer sur ces pages. Elles encouragent à croire en l’amour (cf. Jean, 4,16), et à avoir confiance dans sa force. C’est ici que « croître », une autre parole-clé d’Amoris Laetitia, a son « siège principal ». Nulle part ailleurs, ne se manifeste aussi clairement le fait que l’amour est un processus dynamique qui peut grandir, mais aussi se refroidir. Je ne peux qu’inviter à lire et déguster ce délicieux chapitre. Je tiens à souligner qu’ici le Pape parle avec une rare clarté, du rôle qu’ont également les passions, les émotions, l’éros et la sexualité dans la vie matrimoniale et familiale. Ce n’est pas un hasard si le Pape François s’appuie sur Saint Thomas d’Aquin, lui qui attribue aux passions un rôle tellement important, tandis que la morale moderne, souvent puritaine, les a décréditées ou négligées.
C’est ici que le titre de l’Exhortation du Pape s’exprime pleinement : « Amoris Laetitia ! » Ici, on comprend comment il est possible de réussir « à découvrir la valeur et la richesse du mariage » (AL 205). Mais, c’est également là que l’on se rend compte, douloureusement, combien les blessures d’amour font mal, combien les échecs de nos expériences relationnelles nous lacèrent. Pour cette raison, il n’est pas étonnant que ce soit en particulier le chapitre huit qui attire l’attention et suscite l’intérêt. En effet, la manière dont l’Eglise traite ces blessures, ces échecs de l’amour, est devenu une question-test pour comprendre si l’Eglise est vraiment le lieu où il est possible d’expérimenter la Miséricorde de Dieu.
Ce chapitre doit beaucoup au travail intense des deux Synodes, aux vastes discussions qui se sont tenues dans l’opinion publique et ecclésiale. Ici, se manifeste le mode fécond de procéder du Pape François. Il désirait fortement une discussion ouverte sur l’accompagnement pastoral des situations complexes et il a pu s’appuyer amplement sur les deux textes présentés par les deux Synodes, afin de montrer comment l’on peut « accompagner, discerner et intégrer la fragilité » (AL 291)
Le Pape François fait siennes, de manière explicite, les déclarations que les deux Synodes lui ont présentées : « les Pères synodaux ont atteint un consensus général, que je soutiens » (AL 297). En ce qui concerne les divorcés remariés au civil, il déclare : « J’accueille les considérations de beaucoup de Pères synodaux, qui ont voulu signaler que (…) la logique de l’intégration est la clef de leur accompagnement pastoral (…) ils ne doivent pas se sentir excommuniés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membres vivants de l’Église, la sentant comme une mère qui les accueille toujours… » (AL 299).
Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Nombreux se posent cette question, à juste titre. Les réponses décisives se trouvent dans Amoris laetitia, au paragraphe 300. Elles offrent certainement du matériel pour d’ultérieures discussions. Mais elles fournissent également un éclaircissement important et une indication quant au chemin à suivre : « Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes (…) on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du Synode ou de cette Exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas ». Ils étaient nombreux à attendre une telle norme. Ils resteront déçus. Qu’est-ce qui est possible ? Le Pape le dit avec clarté : « Il faut seulement un nouvel encouragement au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers, qui devrait reconnaître que, étant donné que “le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas” ».
Comment peut et doit être ce discernement personnel et pastoral ? C’est le thème des paragraphes 300 à 312 d’Amoris Laetitia. Déjà lors du Synode de 2015, dans l’appendice du texte présenté par le Circulus germanicus, il a été proposé un Itinerarium du discernement, de l’examen de conscience que le Pape François a fait sien.
« Il s’agit d’un itinéraire d’accompagnement et de discernement qui « oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu ». Le Pape rappelle également que « ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église » (AL 300).
Le Pape François mentionne deux positionnements erronés. Le premier est celui du rigorisme : « un pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations “irrégulières”, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrières les enseignements de l’Eglise » (AL 305). D’autre part, l’Eglise ne doit « d’aucune manière renoncer à proposer l’idéal complet du mariage, le projet de Dieu dans toute sa grandeur » (AL 307).
On se demande naturellement ce que dit le Pape à propos de l’accès aux sacrements pour les personnes qui vivent en situations « irrégulières ». Le Pape Benoît XVI avait déjà dit qu’il n’existait pas de « simples recettes » (AL 298, note 333). Le Pape François rappelle, à nouveau, la nécessité de bien discerner les situations, dans la ligne de Familiaris Consortio (84) de St.Jean-Paul II (AL 298). « Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu » (AL 305). Et le Pape François nous rappelle une phrase importante qu’il avait écrite dans Evangelii Gaudium 44 : « Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés » (AL 304). Dans le sens de cette « via caritatis » (AL 306), le Pape affirme, de manière humble et simple, dans une note (351) que l’on peut aussi apporter l’aide des sacrements « dans certains cas ». Mais dans ce but, il n’offre pas de casuistique, de recettes, il se contente de rappeler simplement deux de ses célèbres phrases : « Aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais le lieu de la miséricorde du Seigneur » (EG 44) et l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (EG 47).
Le fait que le « discernement des situations » ne soit pas réglé de manière plus précise, n’est-ce pas un défi excessif pour les pasteurs, les guides spirituels, pour les communautés ? Le Pape François n’est pas sans connaître cette préoccupation : « Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion » (AL 308). Mais à cela, il objecte en disant : « nous posons tant de conditions à la miséricorde que nous la vidons de son sens concret et de signification réelle, et c’est la pire façon de liquéfier l’Evangile » (AL 311).
Le Pape s’en remet à la « joie de l’amour ». L’amour sait trouver le chemin. C’est la boussole qui indique la route. Ceci est l’objectif et le chemin même, parce que Dieu est l’amour et parce que l’amour demeure en Dieu. Rien n’est aussi exigeant que l’amour. Et on ne peut l’avoir à bon marché. Pour cela, personne ne doit redouter le fait que le Pape François nous invite, avec Amoris Laetitia, à un chemin trop facile. Le chemin n’est pas facile, mais il est plein de joie !
[Texte original: Italien – version de travail]
Cardinal Christoph Schönborn, capture
«Amoris laetitia»: «Quelque chose a changé dans le discours ecclésial», par le card. Schönborn
Le « bonheur comme chemin de l’homme » (texte complet)