« L’image de Dieu, placée en l’homme dans l’acte même de la création, y est toujours, même quand elle est défigurée », affirme Mgr Marcello Semeraro, secrétaire du Conseil des cardinaux (C9). Ainsi le discernement doit rester un processus « ouvert », qui « accepte aussi des stades intermédiaires, encore marqués par le désordre, comme étant des étapes de rapprochement vers la plénitude du dessein de Dieu ».
Dans L’Osservatore Romano en italien du 20 juillet 2017, l’évêque italien d’Albano médite sur le chemin du discernement proposé dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia, invitant à saisir « la présence de Dieu en tout… y compris en ses propres erreurs qui, à la lumière de la miséricorde illimitée, sont de précieuses occasions pour expérimenter l’amour de Jésus Christ et la puissance de son salut ».
Voici notre traduction intégrale de cette réflexion.
AK
Tribune de Mgr Semeraro
Le discernement est un « processus ». Mais pas seulement. C’est un processus « ouvert », comme un voyage dont le modèle n’est pas l’homérique Ulysse qui part d’Ithaca pour revenir à Ithaca, mais le biblique Abraham qui, obéissant à Dieu, partit « sans savoir où il allait » (Hébreux, 11, 8). C’est Dieu, en effet, dans le discernement, qui fait connaître la destination et aide à avancer progressivement jusqu’à l’atteindre ; par conséquent, guider dans le discernement c’est aider et accompagner à reconnaître le passage de Dieu dans la vie de quelqu’un.
Au n. 303 de l’exhortation Amoris laetitia il est écrit que le discernement est quelque chose de « dynamique » qui doit toujours rester « ouvert ». Il faut comprendre cela à la lumière du principe « le temps est supérieur à l’espace », développé dans Evangelii Gaudium, pour montrer l’importance de donner la priorité au temps : « Donner la priorité au temps c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent des dynamismes nouveaux dans la société et une « progression » qui, dans l’impossibilité de réaliser tout le bien indiqué par la règle, ouvre des chemins de rapprochement progressif. Quelqu’un pourrait trouver cela peu et, de toute évidence la gradualité suppose qu’on n’est pas encore arrivé à destination. On considèrera toutefois que le contraire de « pas encore » est « pas plus ». Même si la destination n’est pas encore atteinte, on s’est déjà mis en marche et un trajet plus ou moins long a été réalisé : dans cette perspective on doit également avoir conscience qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés » (n. 305). Il y a en effet ceux qui ne sont jamais tentés et ceux qui, au contraire, sont tentés toute leur vie.
Il faudra par ailleurs considérer que le discernement pastoral prévoit et accepte aussi des stades intermédiaires, encore marqués par le désordre, comme étant des étapes de rapprochement vers la plénitude du dessein de Dieu sur le mariage et la famille, « toujours possible avec la force de l’Esprit Saint » (n. 297). Le critère n’est absolument pas subversif, mais s’inscrit dans la grande tradition spirituelle chrétienne. Le magistère de Jean Paul II affirme que tout être humain « va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme » (Familiaris consortio, 9) étant donné que l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance » (n. 34).
En ligne avec cette tradition, Amoris laetitia précise que « ce n’est pas une gradualité de la loi », mais une gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi » (n. 295). Et c’est pourquoi, à la fin, il indiquera, avec une touche de profond réalisme et d’invitation à l’espérance chrétienne, de « relativiser le parcours historique que nous faisons en tant que familles, pour cesser d’exiger des relations interpersonnelles une perfection, une pureté d’intentions et une cohérence que nous ne pourrons trouver que dans le Royaume définitif » (n. 325).
Dans Amoris laetitia, le critère de discernement trouve un espace privilégié dans la considération des situations familiales fragiles et en crise. C’est pourquoi, à juste titre, celle-ci consacre un vaste espace à la question des parcours de préparation à la célébration du sacrement du mariage. Il s’agit de recommandations justes et opportunes. On reconnaîtra toutefois que la meilleure des préparations ne met pas à l’abri des crises. Crises auxquelles n’échappent d’ailleurs pas les prêtres et les personnes de vie consacrées malgré des années et des années de formation, de noviciat, etc. La crise doit être prise en compte de toute façon : celle-ci marque inévitablement les passages fondamentaux de la vie.
« Crises » et « fragilités » marquent les espaces qui ont besoin de soins, que l’on soigne à l’aide de bandages et en donnant le « médicament de la miséricorde » plutôt qu’« avec les armes de la rigueur »; toutefois, il ne manque pas d’espaces qui laissent entrer l’espérance. Au n. 76 l’exhortation fait allusion à l’ancienne doctrine des semina Verbi, une doctrine qui peut être appliqué aussi à la réalité conjugale et familiale. Il s’agit de graines qui attendent encore de mûrir”, qui coïncident avec « les propriétés naturelles du mariage, qui constituent le bien des époux (bonum coniugum) » qui incluent l’unité, l’ouverture à la vie, la fidélité et l’indissolubilité, ainsi que dans le mariage chrétien également l’aide mutuelle sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur » (Amoris laetitia, 77).
Il s’agit de considérer que l’image de Dieu, placée en l’homme dans l’acte même de la création, y est toujours, même quand elle est défigurée. C’est la racine du principe ignacien qui invite à saisir, d’un cœur purifié, la présence de Dieu en tout, des éléments minéraux à l’histoire personnelle, y compris ses propres erreurs qui, à la lumière de la miséricorde illimitée, sont de précieuses occasions pour expérimenter l’amour de Jésus Christ et la puissance de son salut, pleinement libérateur.
Il s’agit d’appliquer un principe général valable pour tout discernement spirituel au discernement personnel et pastoral des situations critiques dont nous parlons. Celles indiqués sont des attitudes non seulement intérieures mais également extérieures et publiques et donc, en quelque sorte vérifiables : tous se concluent dans l’amour à l’Eglise, est le critère décisif, au point d’ailleurs que dans ses règles pour le discernement, il l’énonce en premier : « Renoncer à tout jugement propre et se tenir prêt à obéir promptement à la véritable Epouse de Jésus-Christ, notre Seigneur, c’est-à-dire à la sainte Eglise hiérarchique, notre Mère ».
Traduction de Zenit, Océane Le Gall