CITE DU VATICAN, Vendredi 13 février 2004 (ZENIT.org) – Dans son adresse au pape, ce vendredi après-midi, au nom des évêques des deux provinces ecclésiastiques en visite ad limina, Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la conférence des Évêques de France cite quatre préoccupations pastorales principales : la nécessité pour la communauté chrétienne de « s’enraciner plus profondément dans le don de Dieu », de « relever le défi de l’évangélisation » (la pastorale des jeunes ; l’accueil des demandes pastorales ; la pastorale familiale, la pastorale de la culture et une présence des chrétiens dans tous ces lieux où, au cœur de notre société, les hommes vivent la précarité, l’exclusion, la maladie, le handicap, le grand âge ou la solitude), de « permettre un dynamisme apostolique renouvelé à nos communautés paroissiales », et « soutenir les prêtres et appeler avec conviction au ministère presbytéral ».
Très Saint Père,
Les évêques des provinces de Bordeaux et de Poitiers sont très heureux d’être reçus par vous aujourd’hui. Ils vous expriment leur filial attachement et vous disent leur reconnaissance pour tout ce que leurs diocèses ont reçu de vous comme appel à la foi, invitation à l’espérance et dynamisme missionnaire pendant vos vingt-cinq ans de pontificat. Au cours de cette visite «ad limina apostolorum», nous vous remercions de nous confirmer dans la foi et de nous soutenir dans notre responsabilité apostolique.
La création de nouvelles provinces ecclésiastiques dans notre pays est récente. Le travail à l’intérieur de chacune d’entre elles vient de commencer. Il nous paraît prometteur. Il devrait permettre non seulement une concertation, une plus grande attention à des réalités administratives, civiles et sociales communes mais aussi le développement d’une coopération et d’une entraide entre diocèses proches. Cette nouvelle façon de vivre la communion entre Églises locales ne nous fait pas oublier pour autant les liens anciens qui existent entre nos dix diocèses et nous souhaitons poursuivre une collaboration interprovinciale.
Notre grande région du Sud-Ouest de la France, qui compte 5.300.000 habitants, est marquée par des évolutions diverses. Des industries disparaissent et cela n’est pas sans nous inquiéter sur l’avenir de l’emploi. Par contre, le tourisme se développe, en particulier le long de la côte atlantique. Le centre des villes perd des habitants alors que la périphérie, au-delà de la banlieue, gagne en population, surtout en jeunes ménages. Des retraités, même étrangers, viennent s’installer chez nous. Mais la population dans le monde rural a tendance à baisser, surtout dans des bourgs qui ne sont pas sur de grands axes de communication. Le nombre des agriculteurs diminue et la viticulture rencontre aujourd’hui des difficultés, même dans le Bordelais ! Comme dans beaucoup de régions de France, la fracture sociale s’accentue et, à côté d’une aisance certaine, nous voyons se multiplier des situations de grande précarité. Chargés du peuple auquel nous sommes envoyés, nous portons tout cela dans nos préoccupations pastorales.
Sur le plan religieux, nos diocèses, mis à part quelques pays de veille imprégnation chrétienne, n’ont jamais été marqués par une pratique religieuse unanimiste. Les guerres de religion du 16e siècle et les luttes anticléricales du 19e et du début du 20e ont laissé des traces dans le paysage religieux et dans les comportements des populations. Aujourd’hui, le mouvement de sécularisation qui touche les sociétés occidentales se fait sentir fortement dans nos diocèses comme dans les autres diocèses de France. Il se traduit par des baisses numériques (baisse du nombre de prêtres, de séminaristes, de pratiquants, de catéchisés, de laïcs militants), mais aussi par la transformation des mentalités: éloignement par rapport à une appartenance ecclésiale, privatisation de la foi, relativisme religieux. Ce phénomène n’est pas nouveau. En 1879, Newman, dénonçant la progression du libéralisme en religion, écrivait : «Le libéralisme en religion est la doctrine qu’il n’y a pas de vérité positive en religion, mais qu’un credo en vaut un autre, et tel est l’enseignement qui gagne chaque jour substance et force. Il est incompatible avec une quelconque reconnaissance de n’importe quelle religion comme vraie. Il enseigne qu’il faut les tolérer toutes, mais que toutes sont affaire d’opinion. La religion révélée n’est pas une vérité mais un sentiment et un goût ; elle n’est un fait ni objectif, ni miraculeux : et c’est le droit de chaque personne de lui faire dire seulement ce qui frappe son imagination». Ces lignes n’ont pas pris une ride. Tout au plus peut-on dire que cette mentalité a quitté ce qui était vécu dans certains cercles pour devenir une opinion commune largement répandue.
Devant cette évolution, certains sont habités par la nostalgie du passé et ont peur de l’avenir. Comme évêques, nous avons à les aider à approfondir leur foi et à fonder à nouveau leur espérance dans le Christ. Lors d’une tempête sur la mer de Galilée, Jésus ne disait-il à ses disciples qui lui criaient : «Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus». «Pourquoi avoir peur, hommes de peu de foi ?» (Mt 8, 25-26) ? Pour entrer dans cette assurance que donne la foi, nous invitons les communautés chrétiennes à faire un discernement plus précis de la situation qui est la nôtre. À côté des ombres incontestables, il y a aussi des signes de lumière et d’espérance qui sont prometteurs pour l’avenir: des conversions et des baptêmes d’adultes en plus grand nombre, une soif spirituelle et une demande d’accompagnement spirituel, un désir de se nourrir de la Parole de Dieu, des jeunes disponibles et en attente, une parole publique de l’Église plus attendue qu’on ne croit, un engagement de beaucoup de laïcs à témoigner de leur foi dans le monde et à prendre en charge la vie ecclésiale, une plus grande fraternité entre prêtres, un investissement de beaucoup de chrétiens dans des actions de charité et de solidarité. L’Esprit saint est à l’œuvre et nous rendons grâce au Seigneur de savoir contempler son action chaque jour parmi nous.
En relation avec l’appel à ce discernement dans la foi, nous avons voulu promouvoir une action pastorale qui permette à nos Églises diocésaines de mieux répondre à leur vocation et à leur mission. C’est ce que nous faisons à travers les synodes, démarches de type synodal, projets diocésains, qui ont marqué et qui marquent à nouveau aujourd’hui la vie de chacune de nos Églises. Je voudrais souligner quatre grandes préoccupations qui me paraissent actuellement orienter la politique pastorale que nous mettons en place dans les diocèses de nos deux provinces.
S’enraciner plus profondément dans le don de Dieu
Nous ne pouvons pas relever le défi actuel de l’évangélisation si nous ne nous enracinons pas plus profondément dans le Christ. La Lettre des Évêques aux catholiques de France de 1996 nous rappelle qu’on ne peut aller au large qu’en avançant en eau profonde, qu’on ne peut jamais séparer la largeur de la mission dans le monde de la profondeur de la foi vécue. D’où l’importance de temps forts spirituels, de propositions de formation qui permette à tous «de rendre compte à tous ceux qui nous demandent de l’espérance qui est en nous» (1 P 3,15). Nous veillons à ce que la vie chrétienne personnelle et ecclésiale repose bien sur ce trépied fondamental que sont l’écoute de la Parole, la célébration des sacrements et le service des frères.
Relever le défi de l’évangélisation
Nous sommes convaincus qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, relever le défi d’une annonce explicite du Christ et d’une proposition de la vie ecclésiale
. Il s’agit là d’une dimension fondamentale de toute notre vie ecclésiale. Nous cherchons à être particulièrement attentifs à certains aspects:
* la pastorale des jeunes. Elle est d’une importance vitale. Le nombre des jeunes atteints par les paroisses, les aumôneries scolaires ou étudiantes, les mouvements, les groupes divers, est relativement faible. L’enseignement catholique lui-même est de plus en plus un lieu de première évangélisation. La transmission du patrimoine familial a traversé durant ces dernières décennies une crise grave et nous en constatons également les effets sur le plan religieux. La génération des 25-45 ans est relativement peu présente dans la vie de nos paroisses. Malgré cela, nous rencontrons des jeunes en recherche de sens, désireux de trouver une parole qui les éclaire et leur redonne confiance. Rassemblements, pèlerinages, temps forts diocésains trouvent auprès d’eux un écho. Comment ne pas souligner l’impact fort qu’ont eu sur des jeunes de nos diocèses les Journées Mondiales de la Jeunesse de Paris, de Rome et de Toronto ? Nous commençons à préparer activement celles de Cologne de 2005.
* l’accueil des demandes pastorales. Nous percevons un décalage grandissant entre la proposition ecclésiale et ce que demandent des parents qui viennent pour un baptême et des couples pour un mariage. Beaucoup sont très éloignés de toute vie ecclésiale et parfois de toute vie de foi. Les pasteurs ressentent douloureusement ce décalage. Une recherche se fait pour voir comment de tels temps de rencontre pourraient être un temps de véritable proposition de la foi et même de première annonce.
* la pastorale familiale, la pastorale de la culture et une présence des chrétiens dans tous ces lieux où, au cœur de notre société, les hommes vivent la précarité, l’exclusion, la maladie, le handicap, le grand âge ou la solitude.
Permettre un dynamisme apostolique renouvelé à nos communautés paroissiales
Le redéploiement paroissial auquel nous procédons dans tous nos diocèses a une autre ambition que celle d’offrir une simple réorganisation administrative de nos paroisses. Certes, son urgence a été accélérée par la baisse du nombre de prêtres, mais notre politique pastorale obéit aussi à d’autres objectifs :tenir compte de la baisse des populations, surtout en monde rural ; réagir contre l’émiettement et le découragement qui peuvent en résulter ; renforcer les liens de solidarité et de communion entre paroisses proches dans un même secteur pastoral ; permettre de proposer une liturgie festive et soignée ; offrir des activités pour les enfants, les jeunes et leurs familles qu’une seule paroisse ne saurait proposer ; mettre en place des relais paroissiaux qui permettent une vraie pastorale de proximité. Là aussi la communion se veut au service de la mission. La coresponsabilité mise en place à travers un conseil pastoral, un conseil pour les affaires économiques, une équipe d’animation paroissiale, loin de diminuer la responsabilité du curé comme pasteur propre de cet ensemble paroissial, vient au contraire la soutenir et la démultiplier. Au cours de nos visites pastorales, nous nous réjouissons du dynamisme apostolique renouvelé que nous constatons dans la vie paroissiale ainsi repensée.
Soutenir les prêtres et appeler avec conviction au ministère presbytéral
L’ordination au diaconat permanent est pour nous une grande joie et nous apprécions l’apport précieux des diacres à la dynamique d’évangélisation. Mais les diacres ne remplaceront jamais les prêtres. Or, ces derniers sont indispensables à la vie de l’Église. Il n’y a pas d’Église sans prêtre et sans un certain nombre de prêtres. Il ne saurait être question de donner l’impression de bâtir une Église qui, demain, pourrait se passer du ministère presbytéral. Nous sentons bien qu’avec un petit nombre de prêtres seulement, c’est toute la dynamique d’évangélisation qui risque de ne plus être suffisamment soutenue. Vous comprenez, Très Saint Père, que c’est là une de nos plus vives préoccupations.
Cela nous invite aujourd’hui à être particulièrement vigilants comme évêques à l’équilibre de la vie et du ministère des prêtres. Ils portent le poids du jour. Ils ne pourront accumuler davantage les responsabilités pastorales qui leur sont ou qui leur seront confiées. Nous sentons bien que se posent pour eux les questions du ressourcement spirituel, de la lutte contre l’isolement et de la nécessité du partage fraternel. Cette communion fraternelle et paternelle avec nos presbyterium respectifs est vraiment pour nous, Évêques, une de nos premières responsabilités.
Il nous faut aussi penser à la relève. Nous travaillons pour que l’appel au ministère presbytéral soit davantage porté et relancé par l’ensemble des prêtres et des communautés chrétiennes. Malgré les difficultés rencontrées, nous soutenons une pastorale des vocations particulières dans l’Église. Diverses initiatives sont prises dans nos diocèses. Nous sommes vigilants à la vie de nos séminaires. Mais nous sentons bien que cette préoccupation d’appeler au ministère presbytéral nous renvoie en amont aux propositions d’une pastorale des jeunes renouvelée et en aval aux formes que pourront prendre la vie et le ministère des prêtres diocésains dans les années qui viennent. Que le Seigneur fasse germer les semences qui sont en terre aujourd’hui !
Voici, Très Saint Père, quelques-unes de nos préoccupations apostoliques.
Pendant notre visite à Rome, nous avons prié sur les tombes de Pierre et de Paul et nous avons demandé au Seigneur, à l’intercession de ces apôtres, de donner à nos Églises la joie de la foi et la force du témoignage. Nous avons aussi prié pour vous. Que le Seigneur vous accorde la santé et la force intérieure pour accomplir pleinement votre ministère apostolique au service de toute l’Église. Nous vous assurons de notre affectueuse communion et nous vous demandons de nous donner, ainsi qu’à tous nos diocésains, votre paternelle bénédiction.
Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Évêque de Bazas
Président de la Conférence des Évêques de France