ROME, Lundi 12 novembre 2007 (ZENIT.org) – Y a-t-il un point de rencontre entre la logique du salut de l’homme et celle de la mondialisation ? La vision que les religions ont de la personne humaine est-elle conciliable avec celle des dirigeants économiques ?
C’est pour tenter de répondre à ces questions que le Journal Réforme et l’Institut de l’entreprise ont organisé vendredi 9 novembre au siège du Conseil économique et social, à Paris, un colloque sur le thème : « Les religions face à la mondialisation ».
Dans un contexte où l’économie de marché, ses avantages et ses limites, les enjeux économiques du temps, sont sources de tension entre les dirigeants économiques et les différentes traditions religieuses, juive, chrétienne et musulmane, les initiatives se multiplient pour permettre aux dirigeants économiques et théologiens de se rencontrer pour se parler, échanger entre eux sur les mécanismes de la mondialisation.
« Notre monde est un monde où chaque domaine est séparé du voisin et nous ressentons après ces temps de cloisonnement la nécessité de nous rencontrer et de vraiment instaurer un dialogue », a déclaré Mgr Jean Charles Descubes, évêque de Rouen et président du Conseil pour les questions familiales et sociales de la Conférence des évêques de France, à l’issue du colloque.
Interrogé par Zenit, Mgr Descubes, s’est déclaré satisfait de cette rencontre qui, estime-t-il, « s’inscrit dans un chemin de réconciliation ».
Pour lui, la multiplication de ces rencontres, est le signe « d’une volonté de dialogue entre deux mondes » qu’on disait s’ignorer : « L’argent et l’économie d’un côté, Dieu de l’autre », comme il est écrit sur le manifeste du colloque.
Illustrant à Zenit les objectifs d’une telle rencontre, Jean-Luc Mouton, directeur du journal Réforme, un des organisateurs du colloque, a lui-même reconnu : « comme croyants de différentes traditions nous avons ce privilège de pouvoir nous retrouver, de nous rencontrer sur d’autres bases que simplement ‘je suis du côté des marchands’, ‘je suis du côté des exploités’ ».
Les chefs d’entreprises ont un message à faire passer aux religions, a expliqué de son côté Jean-Damien Po, directeur des Etudes de l’Institut de l’Entreprise, co-organisateur du colloque. « La ‘vulgate’ qu’on trouve dans le discours de certaines Eglises ou de certains pans d’Eglise sur la mondialisation doit être dépassée » a-t-il souligné à Zenit, et « on veut montrer que des théologiens, des responsables religieux et des dirigeants d’entreprise sont capables de débattre ensemble, de façon apaisée, d’un certain nombre de sujets communs, d’élaborer une réflexion commune et même le cas échéant d’émettre des propositions communes ».
Face à l’impression des responsables économiques que les Eglises en général « hésitent un peu, que les communautés religieuses ont souvent pris le parti des plus petits, des plus faibles, sans forcément prendre en compte toute la complexité des phénomènes de la mondialisation et de l’économie mondiale » comme l’a souligné Jean-Luc Mouton juste avant la rencontre, Mgr Descubes relève qu’il y a effectivement « une tension entre l’expérience chrétienne, religieuse que nous faisons, l’Evangile qui donne un sens à notre vie, qui présente quand même un idéal radical, et le concret des situations ».
Mais pour lui « c’est justement là la responsabilité des responsables chrétiens, des chefs d’entreprise, éclairés par la pensée de leur Eglise, de voir comment ils peuvent véritablement prendre des décisions concrètes vis-à-vis des rythmes qu’ils imposent dans le travail, vis-à-vis de la participation de leurs salariés, de voir comment ils peuvent véritablement faire progresser le monde de l’entreprise, pour qu’ils soient plus fidèles à ce que l’Evangile leur semble devoir désirer, à savoir que l’entreprise doit être une communauté de personnes ».
Pour Mgr Descubes « Il ne s’agit pas pour l’un des domaines de dire à l’autre ce qu’il doit faire, mais dans le dialogue, de permettre à chacun de prendre la distance nécessaire pour que sa pratique soit une pratique humaine ». Et il apparaît clair aujourd’hui pour lui que « l’économie ne peut pas, elle seule, faire le bonheur de l’homme ». Il est important, a-t-il ajouté que « les entrepreneurs, les responsables économiques prennent de la distance par rapport à leur pratique ».
« L’argent doit être un serviteur et non pas un maître », a jouté Mgr Descubes qui s’est réjoui sur ce point d’« une indéniable convergence de vue » entre les religions. Même s’il reconnaît que tout le monde ne situe pas par exemple la propriété des biens, l’utilisation des richesses de la même manière, il constate que « le souci de voir l’homme mis au centre de l’organisation du monde et donc de l’économie, est le même ».
Sur la manière de faire progresser le monde sans perdre de vue la place de l’homme, des théologiens de différentes traditions religieuses, juive, chrétienne et musulmane, étaient invités à donner leur vision des choses. Parmi eux, l’économiste et théologien catholique Edouard Herr, s.j, professeur d’éthique sociale à l’institut d’Etudes théologiques de Bruxelles, également interrogé par Zenit dans le cadre de ce colloque.
« Je pense que le théologien devrait pouvoir montrer où sont et à travers quelles disciplines se trouve une intersection entre les deux logiques, celle du salut de l’homme, l’histoire du salut raconté dans la bible, et de l’autre côté la formidable logique de la mondialisation, a-t-il expliqué, « deux logiques d’universalité et d’unité qui sont un extraordinaire défi, unique, dans l’histoire de l’humanité où l’humanité s’unifie ».
A la question de savoir de quelle unité il s’agit, le père Herr estime que le véritable enjeu est là, que « la religion a son mot dire sur le sujet, y compris alors au niveau de l’économie, tout comme l’économie a quelque chose à dire à la religion ».
« L’économie est tout de même une réponse à une vie digne de l’homme et donc d’une certaine manière, elle a un apport important à donner au salut de l’homme », a-t-il expliqué en imaginant une sorte de « complémentarité » entre les deux.
Mais face au phénomène de la mondialisation et de l’économie mondiale, l’approche est différente selon les traditions religieuses, et le père Herr reconnaît que la question n’est pas facile. Dans le cas des religions monothéistes, aujourd’hui invitées à faire front commun face aux dirigeants économiques, il voit comme « une perspective d’unité » qui appelle l’humanité « à se relier à ce Dieu unique, et amènerait ces religions monothéistes à se trouver d’accord sur certaines exigences de justice et d’égalité ».
« On pourrait raccrocher cela à l’esprit d’Assise. A Assise, ce que l’on voulait, c’est que les religions puissent se trouver des terrains communs de prière, mais aussi d’engagement à l’égard de la paix. On pourrait dire qu’ici ce qu’on chercherait c’est effectivement de trouver des engagements communs à l’égard de la justice » a-t-il conclu.
Parmi les autres participants au colloque « les religions face à la mondialisation », à noter la présence entre autres du pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la conférence des Eglises européenne, celle de Dalil Boubakeur, recteur de l’institut musulman de la Grande Mosquée de Paris et de Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international.