ROME, Mercredi 1er juillet 2009 (ZENIT.org). – Nous publions ci-dessous l’homélie prononcée par le pape Benoît XVI, lundi 29 juin, dans la basilique Saint-Pierre, lors de la messe pour la solennité des saints Pierre et Paul, et au cours de laquelle il a imposé le pallium à 34 archevêques métropolitains.
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l’épiscopat
et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs!
Je vous adresse à tous mes salutations cordiales avec les paroles de l’apôtre auprès de la tombe duquel nous nous trouvons: «A vous, grâce et paix en abondance» (1P 1, 2). Je salue en particulier les membres de la délégation du patriarcat œcuménique de Constantinople et les nombreux archevêques métropolitains qui reçoivent aujourd’hui le pallium. Lors de la collecte de cette journée solennelle, nous demandons au Seigneur «que l’Eglise suive toujours l’enseignement des Apôtres dont elle a reçu la première annonce dans la foi». La demande que nous adressons à Dieu nous interpelle nous aussi dans le même temps: suivons-nous nous-mêmes l’enseignement des grands apôtres fondateurs? Les connaissons-nous vraiment? Au cours de l’Année paulinienne qui s’est conclue hier, avons-nous cherché à l’écouter vraiment de manière nouvelle, lui le «maître des nations», et à apprendre ainsi à nouveau l’alphabet de la foi. Avons-nous cherché à reconnaître le Christ avec Paul et à travers Paul et à trouver ainsi la voie pour une droite vie chrétienne. Dans le canon du Nouveau Testament, outre les Lettres de saint Paul, il y a également deux Lettres sous le nom de saint Pierre. La première d’entre elles se conclut explicitement avec un salut depuis Rome, qui apparaît toutefois sous le nom apocalyptique de couverture de Babylone: «Celle qui est à Babylone, élue comme vous, vous salue» (5, 13). En disant de l’Eglise de Rome «élue comme vous», il l’inscrit dans la grande communauté de toutes les Eglises locales – dans la communauté de tous ceux que Dieu a réunis, afin que dans la «Babylone» du temps de ce monde ils construisent son peuple et fassent entrer Dieu dans l’histoire. La Première Lettre de saint Pierre est un salut adressé de Rome à toute la chrétienté de tous les temps. Elle nous invite à écouter «l’enseignement des apôtres», qui nous indique le chemin vers la vie.
Cette Lettre est un texte très riche, qui vient du cœur et qui touche le cœur. Son centre est – comment pourrait-il en être autrement? – la figure du Christ, qui est présenté comme Celui qui souffre et qui aime, comme Crucifié et Ressuscité: «lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, souffrant ne menaçait pas… lui dont la meurtrissure vous a guéris» (1P 2, 23sq). En partant du centre qui est le Christ, la Lettre constitue ensuite également une introduction aux sacrements chrétiens fondamentaux du baptême et de l’Eucharistie et un discours adressé aux prêtres, dans lequel Pierre se qualifie de co-prêtre avec eux. Il parle aux pasteurs de toutes les générations comme celui qui a été personnellement chargé par le Seigneur de paître ses brebis et a ainsi reçu de manière particulière un mandat sacerdotal. Ainsi, que nous dit saint Pierre – en l’Année sacerdotale précisément – sur la tâche du prêtre? Tout d’abord il comprend le ministère sacerdotal totalement à partir du Christ. Il appelle le Christ «le pasteur et le gardien de vos âmes» (2, 25). Là où la traduction française parle de «gardien», le texte grec porte le mot epíscopos (évêque). Un peu plus loin, le Christ est qualifié de Pasteur suprême: archipoímen (5, 4). Il est surprenant que Pierre appelle le Christ lui-même évêque – évêque des âmes. Qu’entend-il dire par là? Dans le mot grec «episcopos» est contenu le verbe «voir»; c’est pourquoi il a été traduit par«gardien» c’est-à-dire «surveillant». Mais assurément, il ne s’agit pas d’une surveillance externe, comme celle par exemple d’un gardien de prison. Il s’agit plutôt d’une vision d’en haut – une vision depuis la hauteur de Dieu. Une vision dans la perspective de Dieu est une vision de l’amour qui veut servir l’autre, qui veut l’aider à devenir vraiment lui-même. Le Christ est l’«évêque des âmes», nous dit Pierre. Cela signifie qu’il nous voit dans la perspective de Dieu. En regardant à partir de Dieu, on a une vision d’ensemble, on voit les dangers tout comme les espoirs et les opportunités. Dans la perspective de Dieu, on voit l’essence, on voit l’homme intérieur. Si le Christ est l’évêque des âmes, l’objectif est d’éviter que l’âme dans l’homme s’appauvrisse, c’est de faire en sorte que l’homme ne perde pas son essence, sa capacité à la vérité et à l’amour. Faire en sorte qu’il vienne connaître Dieu; qu’il ne s’égare pas dans les impasses; qu’il ne se perde pas dans l’isolement, mais demeure ouvert pour l’ensemble. Jésus, l’«évêque des âmes», est le prototype de tout ministère épiscopal et sacerdotal. Etre évêque, être prêtre signifie dans cette perspective: assumer la position du Christ. Penser, voir et agir depuis sa position élevée. A partir de Lui, être à disposition des hommes, afin qu’ils trouvent la vie.
Ainsi le mot «évêque» se rapproche-t-il beaucoup du mot «pasteur», plus encore, les deux concepts deviennent interchangeables. Le devoir du pasteur est de paître et de garder le troupeau et de le conduire sur les justes pâturages. Paître le troupeau veut dire prendre soin que les brebis trouvent la juste nourriture, que leur faim soit rassasiée et leur soif étanchée. Au-delà des métaphores, cela signifie: la Parole de Dieu est la nourriture dont l’homme a besoin. Rendre toujours à nouveau présente la Parole de Dieu et apporter ainsi leur nourriture aux hommes est la tâche du pasteur juste. Et il doit également savoir résister aux ennemis, aux loups. Il doit précéder, indiquer le chemin, préserver l’unité du troupeau. Pierre, dans son discours aux prêtres, souligne encore une chose très importante. Il ne suffit pas de parler. Les pasteurs doivent devenir «les modèles du troupeau» (5,3). La Parole de Dieu est portée du passé dans le présent lorsqu’elle est vécue. Il est merveilleux de voir comment chez les saints la Parole de Dieu devient une parole adressée à notre temps. Chez des figures comme François et à nouveau comme Padre Pio et bien d’autres, le Christ est devenu véritablement contemporain de leur génération, il est sorti du passé et entré dans le présent. Cela signifie être pasteur – modèle du troupeau: vivre la Parole aujourd’hui, dans la grande communauté de la sainte Eglise.
Très brièvement, je voudrais encore rappeler l’attention sur deux autres affirmations de la Première Lettre de saint Pierre, qui nous concerne tout particulièrement, à notre époque. Il y a tout d’abord la phrase aujourd’hui nouvellement découverte, sur la base de laquelle les théologiens médiévaux comprirent leur tâche, leur tâche de théologiens: «Sanctifiez dans vos cœurs le Seigneur Jésus Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous» (3, 15). La foi chrétienne est espérance. Elle ouvre la voie vers l’avenir. Et elle est une espérance qui est raisonnable; une espérance dont nous pouvons et nous devons exposer la raison. La foi provient de la Raison éternelle qui est entrée dans notre monde et nous a montré le vrai Dieu. Elle va au-delà de la capacité propre de notre raison, tout comme l’amour voit davantage que la simple intelligence. Mais la foi parle à la raison et dans la confrontation dialectique, elle peut tenir tête à la raison. Elle ne la contredit pas mais elle va de pair avec elle et, dans le même temps, condu
it au-delà d’elle – elle introduit dans la Raison plus grande de Dieu. En tant que pasteurs de notre temps, nous avons le devoir de comprendre nous les premiers la raison de la foi. Le devoir de ne pas la laisser demeurer simplement une tradition, mais de la reconnaître comme une réponse à nos questions. La foi exige notre participation rationnelle, qui s’approfondit et se purifie dans un partage d’amour. Cela fait partie de nos devoirs en tant que pasteurs que de pénétrer la foi avec la pensée pour être en mesure de montrer la raison de notre espérance dans le débat de notre temps. Toutefois, la pensée – bien qu’elle soit nécessaire – ne suffit pas à elle seule. Tout comme la parole, à elle seule, ne suffit pas. Dans sa catéchèse baptismale et eucharistique, dans le second chapitre de sa Lettre, Pierre évoque le Psaume utilisé dans l’Eglise antique dans le contexte de la communion, au verset qui dit: «Goûtez et voyez comme le Seigneur est excellent» (Ps 34 [33], 9; 1P 2, 3). C’est goûter qui conduit à voir. Pensons aux disciples d’Emmaüs: c’est seulement dans la communion conviviale avec Jésus, c’est seulement dans la fraction du pain que s’ouvrent leurs yeux. C’est seulement en faisant véritablement l’expérience de la communion avec le Seigneur qu’ils deviennent voyants. Et cela vaut pour nous tous: au-delà de la pensée et de la parole, nous avons besoin de l’expérience de la foi; de la relation vivante avec Jésus Christ. La foi ne doit pas demeurer une théorie: elle doit être vie. Si dans le sacrement nous rencontrons le Seigneur; si dans la prière nous parlons avec Lui, si dans les décisions du quotidien nous adhérons au Christ – alors nous «voyons» toujours davantage combien Il est bon. Alors nous faisons l’expérience que c’est une chose bonne que d’être avec Lui. C’est d’une telle certitude vécue que découle ensuite la capacité de transmettre la foi aux autres de manière crédible. Le curé d’Ars n’était pas un grand penseur. Mais il «goûtait» le Seigneur. Il vivait avec Lui jusque dans les petites choses du quotidien en plus des grandes exigences du ministère pastoral. De cette manière, il devint «quelqu’un qui voit». Il avait goûté, et pour cette raison il savait que le Seigneur est bon. Prions le Seigneur, afin qu’il nous donne cette possibilité de goûter et que nous puissions ainsi devenir des témoins crédibles de l’espérance qui est en nous.
Pour finir, je voudrais faire noter encore une petite, mais importante parole de saint Pierre. Dès le début de la Lettre il nous dit que le but de notre foi est le salut des âmes (cf. 1, 6). Dans le monde du langage et de la pensée de la chrétienté actuelle, il s’agit d’une affirmation étrange, pour certains même scandaleuse. La parole «âme» a connu un discrédit. L’on dit que cela conduirait à une division de l’homme entre la dimension spirituelle et physique, entre l’âme et le corps, alors qu’en réalité il serait une unité indivisible. En outre, le «salut des âmes» comme but de la foi, semble indiquer un christianisme individualiste, un perte de responsabilité pour le monde dans son ensemble, dans son caractère corporel et dans son caractère matériel. Mais l’on ne trouve rien de tout cela dans la Lettre de saint Pierre. Le zèle du témoignage en faveur de l’espérance, la responsabilité pour les autres caractérisent le texte tout entier. Pour comprendre la Parole sur le salut des âmes comme but de la foi, nous devons partir d’un autre côté. Il est vrai que le manque d’attention pour les âmes, l’appauvrissement de l’homme intérieur ne détruit pas seulement l’individu, mais menace le destin de l’humanité dans son ensemble. Sans la guérison des âmes, sans la guérison de l’homme de l’intérieur, il ne peut y avoir de salut pour l’humanité dans son ensemble. La vraie maladie des âmes, saint Pierre, à notre surprise, l’appelle l’ignorance – c’est-à-dire la non-connaissance de Dieu. Celui qui ne connaît pas Dieu, celui qui au moins ne le cherche pas sincèrement, reste en dehors de la vraie vie (cf. 1P 1, 14). Une autre parole de la Lettre peut encore nous être utile pour mieux comprendre la formule «salut des âmes»: «Sanctifiez vos âmes par l’obéissance à la vérité» (cf. 1, 22). C’est l’obéissance à la vérité qui rend l’âme pure. Et c’est la coexistence avec le mensonge qui la pollue. L’obéissance à la vérité commence avec les petites vérités du quotidien, qui peuvent souvent être difficiles et douloureuses. Cette obéissance s’étend ensuite jusqu’à l’obéissance sans réserve face à la Vérité même qui est le Christ. Cette obéissance nous rend non seulement purs, mais surtout aussi libres pour le service au Christ et ainsi au salut du monde, qui part toujours de la purification obéissante de notre âme à travers la vérité. Nous ne pouvons indiquer la voie vers la vérité que si nous-mêmes – en obéissance et patience – nous laissons purifier par la vérité.
Et à présent je m’adresse à vous, chers confrères dans l’épiscopat, qui recevrez aujourd’hui de mes mains le pallium. Il a été tissé avec la laine d’agneaux que le Pape bénit en la fête de sainte Agnès. De cette manière, il rappelle les agneaux et les brebis du Christ que le Seigneur ressuscité a confié à Pierre avec le devoir de les paître (cf. Jn 21, 15-18). Il rappelle le troupeau de Jésus Christ, que vous, chers frères, devez paître en communion avec Pierre. Il nous rappelle le Christ lui-même qui, comme Bon Pasteur, a pris sur ses épaules la brebis égarée, l’humanité, pour la ramener à la maison. Il nous rappelle le fait que Lui, le Pasteur Suprême, a voulu se faire Lui-même Agneau, pour prendre en charge de l’intérieur notre destin à tous; pour nous ramener et nous soigner de l’intérieur. Nous voulons prier le Seigneur, afin qu’il nous donne d’être sur ses traces des pasteurs justes, «non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu.. avec l’élan du cœur… en devenant les modèles du troupeau» (1P 5, 2sq). Amen.