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Vénérables Métropolites et Évêques,
Chers Moines et Moniales de Bulgarie
et de toutes les saintes Églises orthodoxes !
1. La paix soit avec vous ! Je vous salue tous affectueusement dans le Seigneur. Je salue en particulier l’Higoumène de ce monastère, l’Évêque Joan, qui participa avec moi aux sessions du Concile œcuménique Vatican II, en qualité d’Observateur envoyé par Sa Sainteté le Patriarche Cyrille.
Au cours de ma visite en Bulgarie, j’ai souhaité venir en pèlerinage à Rila pour vénérer les reliques du saint moine Jean et pouvoir témoigner à vous tous reconnaissance et affection : «Nous rendons continuellement grâce à Dieu pour vous tous quand nous faisons mention de vous dans nos prières; sans cesse, nous gardons le souvenir de votre foi active, de votre amour qui se met en peine, et de votre persévérante espérance, qui vous viennent de notre Seigneur Jésus Christ, devant Dieu notre Père» (1 Th 1, 2-3).
Un grand moine et mystique d’Occident, Guillaume de Saint-Thierry, appelle votre expérience, qui a nourri et enrichi la vie monastique de l’Orient catholique, «la lumière qui vient de l’Orient» (cf. Epistula ad fratres de Monte Dei I, Sources chrétiennes 223, p. 145). Avec lui, beaucoup d’autres spirituels de l’Occident ont rendu hommage à la richesse de la spiritualité monastique de l’Orient. Je suis heureux d’unir aujourd’hui ma voix à ce chœur de louanges, reconnaissant la valeur du chemin de sanctification tracé par les écrits et par la vie de tant de vos moines, qui ont offert d’éloquents exemples de ce que veut dire suivre de manière radicale le Seigneur Jésus Christ.
3. En vertu de la tradition ininterrompue de sainteté sur laquelle elle repose, la vie monastique sauvegarde avec amour et fidélité certains éléments de la vie chrétienne importants également pour l’homme contemporain : le moine est mémoire évangélique pour les chrétiens et pour le monde.
Comme l’enseigne saint Basile le Grand (cf. Regulæ fusius tractatæ VIII, PG 31, 933-941), la vie chrétienne est avant tout apotaghé, c’est-à-dire «renoncement» au péché, au monde, aux idoles, pour adhérer à l’unique vrai Dieu et Seigneur, Jésus Christ (cf. 1 Th, 1, 9-10). Dans le monachisme, un tel renoncement devient radical : renoncement à sa maison, à une famille, à une profession (cf. Lc 18, 28-29); renoncement aussi aux biens terrestres dans la recherche incessante des biens éternels (cf. Col 3, 1-2); renoncement à la philautia, comme l’appelle saint Maxime le Confesseur (cf. Capita de charitate II, 8; III, 8; III, 57 et passim, PG 90, 960-1080), c’est-à-dire à l’amour égoïste, pour connaître l’amour infini de Dieu et devenir capable d’aimer ses frères. L’ascèse du moine est avant tout un chemin de renoncement pour pouvoir adhérer toujours plus au Seigneur Jésus et pour être transfiguré par les énergies du Saint-Esprit.
Le bienheureux Jean de Rila – que j’ai voulu faire représenter avec les autres saints orientaux et occidentaux sur la mosaïque de la Chapelle Redemptoris Mater, dans le Palais apostolique du Vatican, et dont ce monastère est le témoignage permanent –, après avoir entendu la parole de Jésus qui lui disait de renoncer à tous ses biens pour les donner aux pauvres (cf. Mc 10, 21), abandonna tout pour la perle précieuse de l’Évangile et se mît à l’école des saints ascètes pour apprendre l’art du combat spirituel.
4. Le «combat spirituel» est un autre élément de la vie monastique, qu’il est nécessaire aujourd’hui d’apprendre et de proposer de nouveau à tous les chrétiens. Il s’agit d’un art secret et intérieur, un combat invisible que le moine mène chaque jour contre les tentations, les incitations mauvaises que le démon cherche à insinuer dans son cœur ; c’est une lutte qui devient crucifiement dans l’arène de la solitude, pour parvenir à la pureté du cœur, qui permet de voir Dieu (cf. Mt 5, 8), et à la charité qui permet de participer à la vie de Dieu qui est amour (cf. 1 Jn 4, 16).
Dans l’existence des chrétiens, aujourd’hui plus que jamais, les idoles sont séduisantes, les tentations pressantes : l’art du combat spirituel, le discernement des esprits, la manifestation de ses pensées au maître spirituel, l’invocation du saint Nom de Jésus et de sa miséricorde, doivent redevenir partie intégrante de la vie intérieure du disciple du Seigneur. Ce combat est nécessaire pour être «sans distraction», aperispastoi, «sans préoccupation», amérimnoi (cf. 1 Co 7, 32.35), et pour vivre dans un recueillement constant avec le Seigneur (cf. S. Basile le Grand, Regulæ fusius tractatæ VIII, 3; XXXII, 1; XXXVIII).
5. Avec le combat spirituel, le bienheureux Jean de Rila vécut aussi la «soumission» dans l’obéissance et le service mutuel requis par la vie commune. Le monastère est le lieu de la réalisation quotidienne du «commandement nouveau», il est la maison et l’école de la communion, il est l’espace où l’on se fait serviteur de ses frères comme Jésus a voulu être serviteur au milieu des siens (cf. Lc 22, 27). Quel puissant témoignage chrétien peut offrir une communauté monastique quand elle vit dans la charité authentique ! Devant cela, même les non-chrétiens sont incités à reconnaître que le Seigneur est toujours vivant et agissant dans son peuple.
Le bienheureux Jean connut aussi la vie érémitique dans la «componction» et le repentir, mais surtout dans l’écoute ininterrompue de la Parole et dans la prière incessante, jusqu’à devenir – comme dit saint Nil – un «théologien» (cf. De oratione LX, PG 79, 1180B), c’est-à-dire un homme doué d’une sagesse qui n’est pas de ce monde, mais qui vient de l’Esprit Saint. Le testament, que Jean écrivit par amour pour ses disciples désireux de recueillir ses dernières paroles, est un enseignement extraordinaire sur la recherche et sur l’expérience de Dieu pour ceux qui désirent mener une authentique vie chrétienne et monastique.
6. Dans l’obéissance à l’appel du Seigneur, le moine entreprend l’itinéraire qui, partant du renoncement à soi-même, conduit jusqu’à la charité parfaite, en vertu de laquelle il éprouve les mêmes sentiments que le Christ (cf. Ph 2, 5) : il devient doux et humbles de cœur (cf. Mt 11, 29), il participe à l’amour de Dieu pour toutes les créatures et – comme dit Isaac le Syrien – il aime les ennemis de la vérité eux-mêmes (cf. Sermones ascetici, Collatio prima, LXXXI).
Rendu capable de voir le monde avec les yeux de Dieu et toujours davantage incorporé au Christ, le moine tend vers la fin ultime pour laquelle l’homme a été créé : la divinisation, la participation à la vie trinitaire. Cela n’est possible que par grâce pour celui qui, dans la prière, les larmes de componction et la charité, s’ouvre à l’accueil de l’Esprit Saint, comme le rappelle un autre grand moine de cette bien-aimée terre slave, Séraphim de Sarov (cf. Colloquio con Motovilov III, in P. Evdokimov, Serafim di Sarov uomo dello Spirito, Bose 1996, pp. 67-81).
7. Combien de témoins de la voie de la sainteté ont brillé dans ce monastère de Rila, au cours de sa vie multisécul
aire, et aussi dans tant d’autres monastères orthodoxes ! Comme il est grand le devoir de gratitude de l’Église universelle envers tous les ascètes qui ont su rappeler l’«unique nécessaire» (cf. Lc 10, 42), la destinée dernière de l’homme !
Nous admirons avec gratitude la précieuse tradition que les moines d’Orient vivent fidèlement et qu’ils continuent à transmettre de génération en génération comme signe authentique de l’eschaton, de cet avenir auquel Dieu continue d’appeler tout homme par la force intérieure de l’Esprit. À travers leur adoration de la sainte Trinité, à travers la communion vécue dans la charité, à travers l’espérance, ils sont signes que leur intercession rejoint chaque homme et chaque créature, jusqu’au seuil de l’enfer, comme le rappelle saint Silouane du Mont-Athos (cf. Ieromonach Sofronij, Starec Siluan, Stavropegic Monastery of St John the Baptist, Tolleshunt Knights by Mladon, 1952 [1990], pp. 91-93).
8. Chers Frères et Sœurs, toutes les Église orthodoxes savent combien les monastères sont un patrimoine inestimable de leur foi et de leur culture. Que serait la Bulgarie sans le monastère de Rila qui, dans des temps les plus sombres de l’histoire nationale, a maintenu allumé le flambeau de la foi ? Que serait la Grèce sans la sainte montagne de l’Athos ? Ou la Russie sans les myriades de demeures de l’Esprit Saint, qui lui ont permis de vaincre l’enfer des persécutions soviétiques ? Ainsi donc, l’Évêque de Rome est aujourd’hui ici pour vous dire que l’Église latine et les moines de l’Occident vous savent gré de votre existence et de votre témoignage !
Chers Moines et Moniales, que Dieu vous bénisse ! Qu’il vous confirme dans votre foi et votre vocation, et qu’il fasse de vous des instruments de communion dans sa sainte Église et des témoins de son amour dans le monde.
[Texte original : bulgare. Traduction distribuée par la Salle de Presse du Saint-Siège]