Solesmes : Homélie du cardinal Tauran, envoyé spécial de Benoît XVI

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Célébration du Millénaire de la Dédicace de l’église Saint-Pierre de Solesmes

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ROME, Mercredi 20 octobre (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie prononcée le 12 octobre dernier lors de la messe célébrée pour le Millénaire de l’église Saint-Pierre de Solesmes par le cardinal Jean-Louis Tauran, envoyé spécial de Benoît XVI.

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lère Lecture 1 Rois 8, 22-30

2ème Lecture Ap. 21, 25

Luc 19, 1-10

Permettez-moi de commencer en évoquant deux amis de cette Abbaye ! Il s’agit de Paul Claudel qui donna un jour ce conseil à Jacques Rivière : La liturgie et l’assiduité aux offices de l’Église en apprennent bien plus que les livres. Plongez- vous dans cet immense bain de gloire, de certitude et de poésie .

C’est à cela que nous invite la célébration de mille ans de vie monastique :

-proclamer la gloire de Dieu par Jésus, le Christ ;

-remercier pour le courage et la fidélité de tant d’hommes

-qui ont trouvé ici le bonheur en offrant leur vie en union avec le cœur transpercé du Christ ressuscité pour le salut du monde ;

-et cela dans la sérénité d’une liturgie porteuse de prière et de beauté, vivifiées par le chant grégorien.

Dans cette longue histoire, depuis le 12 octobre 1010, jour où Raoul de Sablé établit un monastère, jusqu’à aujourd’hui des hommes comme vous se sont engagés dans une aventure dont ils ignoraient la dénouement. Pourquoi ? A cause d’un regard ! L’évangile de Luc vient de nous présenter Zachée, qui cherchait à voir Jésus, et Jésus qui leva les yeux et lui déclara : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi.

Chercher à voir Jésus, dans le langage de l’Évangile, c’est beaucoup plus qu’une simple curiosité. C’est la recherche laborieuse d’un homme insatisfait de son existence et qui est en quête d’autre chose pour la remplir. Or justement, le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Ici dans cette Abbaye, des chrétiens, comme Zachée, ont cherché à voir Jésus et Jésus les a regardés et il est venu demeurer et demeure encore parmi eux. C’est l’histoire de chacun de nous ! Ce regard est notre trésor, il nous donne toutes les audaces : courons avec constance la course qui nous est proposée, les yeux fixés sur le modèle de notre foi : Jésus-Christ (He l2, l-2).

Je n’évoquerai que l’un d’entre vous qui domine l’histoire tourmentée de cette Abbaye : dom Prosper Guéranger, refondateur de Solesmes, artisan du retour de l’ordre de saint Benoît en France et des diocèses de France à la liturgie romaine. A lui, on doit la recherche des authentiques mélodies grégoriennes qui ont suscité chercheurs et interprètes qui font la gloire de Solesmes !

En m’envoyant vers vous, le pape Benoît XVI, m’invite à redire ce qu’il disait lors de sa visite au Collège des Bernardins, que  les moines ont comme objectif de chercher Dieu, quaerere Deum.

Alors, il me plaît de voir dans cette Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de Dieu votre monastère avec sa longue histoire, ses tribulations et son rayonnement. Depuis mille ans des hommes y vivent sous le regard de Dieu, fidèles à la prière, persévérants dans le travail et attentifs à tous ceux qui frappent à la porte.

Dans cette Jérusalem, la place centrale accueille le Temple où Dieu promet : c’est ici que sera mon nom. Ce qui fait dire à Salomon: Lorsque tes serviteurs te prieront, toi du ciel où tu habites écoute et pardonne.

L’Église abbatiale, cœur du monastère, retentit aujourd’hui comme hier des louanges adressées au Dieu trois fois Saint, mais qui est venu habiter parmi nous. Ici la liturgie du ciel et celle de la terre se rencontrent de manière particulière dans l’Eucharistie. En chantant l’office divin et célébrant la messe conventuelle, vous présentez à Dieu la vie de tant de chrétiens qui peinent sur les chemins de ce monde précaire. Vous les (re)présentez à Dieu, vous intercédez pour ceux qui doutent, qui tremblent, qui tombent. Soyez remerciés, chers frères, pour ce ministère de la louange et de l’intercession : si l’ambition du moine est de chercher Dieu, ce n’est évidemment pas pour sa propre satisfaction ; c’est pour Le donner aux autres. Voilà pourquoi il est essentiel qu’à coté des usines et des ordinateurs, ne manquent jamais les clochers des églises et l’enceinte des monastères, sinon notre vie serait une mésaventure. Nous serions condamnés à vivre dans un univers dont les dimensions et les ambitions seraient celles de l’homme, ni plus ni moins. Beaucoup de nos contemporains se posent la question de savoir si l’homme est la mesure de l’homme. Depuis les origines, il est tenté de le penser. Or tant que l’homme ne se trouvera qu’en face de lui- même, il n’échappera pas à la solitude et à la finitude dont il souffre. Il n’y a de vraie nouveauté, de vraie liberté que celles dans lesquelles nous introduit le Christ. C’est de cela dont vous êtes les témoins !

Voilà pourquoi cette Jérusalem n’est pas une citadelle inexpugnable où se réfugier. Tout homme peut y entrer et s’abreuver à ses sources. Le moine est solidaire du monde qui l’entoure, persuadé que toutes choses sont faites pour nous conduire à Dieu. La première page de la Bible nous révèle que Dieu nous confie ce monde. Le moine, par son travail manuel comme par l’étude, s’efforce de développer les dons que Dieu lui a donnés et dans sa Règle saint Benoît consacre tout un chapitre au travail. C’est cette culture du travail, qui avec l’étude, a constitué le monachisme et a contribué à la naissance de l’Europe : la croix, le livre et la charrue ! Par l’harmonie qu’elle recèle, la Règle de saint Benoît a offert à l’Europe une culture centrée sur le primat de Dieu, le culte de la raison et la maîtrise du créé. En voyant encore aujourd’hui moines et moniales subvenir à leurs besoins, nous apprenons comme l’a magnifiquement écrit Pascal: à faire les choses petites comme grandes à cause de la majesté de Jésus Christ qui les fait en nous et qui vit notre vie, et les grandes comme petites et aisées à cause de Jésus Christ et sa toute puissance.

Il y a quelques mois, le pape Benoît XVI présentait les monastères comme des oasis de vie contemplative dans lesquelles l’homme, pèlerin sur la terre, peut plus aisément puiser aux sources de l’Esprit et se désaltérer le long du chemin.</i> Ces lieux apparemment inutiles, sont en réalité indispensables comme les poumons verts d’une ville : ils font du bien à tous… Un monastère est surtout ceci : un lieu de force spirituelle.

En rendant grâce à Dieu pour ces mille ans de louange, de fidélité et de service, pensons à demain et prions pour que de nombreuses vocations permettent à la grande tradition bénédictine de continuer sa mission : maintenir vivante dans le monde l’attente du retour du Christ. Continuez à nous aider à apprécier la vie intérieure, le silence, l’écoute et l’accueil.

En regardant autour de nous, nous constatons souvent que ce qui rend nos contemporains si déçus et parfois si violents, c’est la conscience d’un monde et d’une vie insignifiants. Il y a une crise du sens. Une vie livrée à l’ennui ou à la consommation porte en elle les germes de la jalousie, de l’envie et de la révolte. Or qu’est-ce qui rend ce monde insignifiant ? C’est que nous le bâtissons en fonction de finalités qui ne sont pas dignes de l’homme.

En recherchant toujours plus d’argent et de confort nous nous privons de la joie du partage ;

en acceptant tous les compromis, pourvu que nos ambitions et notre soif de pouvoir soient satisfaites, nous empêchons les autres de grandir et introduisons un déséquilibre dans la société ;

en flattant les instincts les plus bas, on rend les hommes repliés sur eux-mêmes, incapables de connaître la joie du frère dont le bon
heur se nourrit du bonheur de ses frères. L’univers clos que nous construisons rend la respiration humaine difficile et nous nous y heurtons sans cesse aux barrières de nos limites.

Voilà pourquoi moines et moniales, encore plus qu’hier, le monde a besoin de vous. L’Église compte sur vous. Vous êtes ces poumons verts qui empêchent de suffoquer. En préférant Dieu à toute chose, vous indiquez au monde d’aujourd’hui le sens de toute construction humaine : il existe une raison ultime de vivre et cette raison s’appelle Dieu qui est amour. Il existe une joie, celle de savoir que nous sommes sauvés par l’événement libérateur de la mort et de la résurrection de Jésus.

Prions donc durant cette eucharistie pour que Solesmes, comme l’a écrit l’un de vous, soit avant tout une maison de doctrine, de prière et de sainteté. Que nombreux soient ceux et celles que vous accueillerez et qui, à travers la liturgie et ses sublimes contraintes (comme disait dom Guéranger) découvriront le Christ, resplendissement de la gloire du Père, lumière née de la Lumière ! Qu’auprès de vous, introduits à la vie intérieure et accompagnés par votre prière, ils aient le courage, dans un monde calculateur et possessif, de révéler le pouvoir du cœur ; dans un monde frivole, ils osent pleurer avec ceux qui pleurent et parler de justice ; dans un monde de haine et d’intérêt, qu’ils soient capables de faire ruisseler la miséricorde et le pardon ; dans un monde où trop de foyers de guerres maintiennent en otage des populations entières, ils aient toujours à cœur de promouvoir le respect de l’homme, de l’être fragile, de l’enfant au vieillard ; qu’ils soient les premiers à préférer la négociation à l’affrontement, le droit à la force.

En cette eucharistie, action de grâce par excellence, en cet anniversaire d’un millénaire qui nous redit l’amour de Dieu, nous est communiqué comme un feu ardent ! Qu’il brûle comme lumière et chaleur et qu’il soit pour le monde, la lumière et la chaleur de notre foi, de notre espérance et de notre charité.

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ZENIT Staff

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