Les « casques blancs » du pape à l’œuvre au Darfour (I)

Interview d’un membre de la communauté de Sant’Egidio

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ROME, Dimanche 31 octobre 2010 (ZENIT.org) – Tandis que se poursuit, année après année, le conflit dans la région soudanaise du Darfour, la crise humanitaire dans la zone ne fait que s’aggraver. Mais une organisation explore les voies de la paix, et elle a un avantage particulier  : aucun intérêt personnel, aucun programme secret.

Il s’agit de la communauté de Sant’Egidio, un mouvement catholique qui a le charisme du service des pauvres, et déjà à son actif une remarquable histoire de succès dans la recherche de la paix, même dans les conflits les plus complexes d’Afrique.

Dans cette interview accordée à l’émission « Là où Dieu pleure », dont nous publions ci-dessous la première partie, un membre de la communauté, Vittorio Scelzo, raconte son expérience de médiateur de la paix au Soudan et parle des perspectives de paix au Darfour.

Q : Que fait la communauté de Sant’Egidio au Darfour ?
 
Vittorio Scelzo : Le Darfour est une région de la partie occidentale du Soudan. Une région immense, grande comme la France, qui est en guerre depuis mars 2003. Nous avons été en contact avec les belligérants depuis le début de 2004 et nous sommes à la recherche d’une solution politique à la crise.

Quel est le véritable problème ?

Le problème est la rareté de la terre. Il n’y a pas assez d’espace pour vivre. Le désert empiète sur la terre fertile, là se trouve le vrai problème. Il existe tout un tas de clichés sur les problèmes du Darfour : que c’est un conflit entre chrétiens et musulmans, ce qui est faux ; que c’est une guerre sainte – faux aussi. Le problème est la terre et la marginalisation.

Quelques tribus comme les Fur, les Zaghawa et les Massalit ont été marginalisés pendant longtemps. Maintenant, ils revendiquent des terres et une autonomie politique, c’est pourquoi ils sont en discussion. Quand la politique s’en mêle, c’est alors que tout un tas de problèmes surgissent : des puissances extérieures veulent influencer et tirer profit des négociations et ainsi de suite. Mais à Sant’Egidio, nous avons la liberté d’exclure ces influences extérieures et de mener des négociations à huis clos.

Qui combat contre qui ?

C’est une drôle de guerre, parce que je dirais que c’est la première guerre de l’eau. Le désert du Sahara empiète sur les terres agricoles et d’élevage au Darfour. Les terres arables, en diminution, ne suffisent pas à la population croissante. Les cultivateurs et les bergers se battent pour cette terre agricole qui ne cesse de diminuer [en raison de la désertification].

Alors qui combat ? Les musulmans qui ont de l’eau contre les chrétiens qui n’en ont pas ?

Il nous faut clarifier une chose sur le Darfour. La guerre au Darfour n’est pas une guerre religieuse, et la religion n’est pas un problème. C’est une guerre entre musulmans ; il y a des musulmans qui combattent du côté du gouvernement et des musulmans qui combattent du côté des rebelles. La guerre n’a rien à voir avec la religion. Si la religion a joué un rôle, c’est peut-être dans le Sud-Soudan. Nous pensons souvent que la religion est la cause de la guerre, même si elle est un prétexte, mais la religion n’est jamais la cause de la guerre. Les personnes religieuses devraient y réfléchir à deux fois avant d’affirmer que la religion est la cause du conflit.

Vous avez été au Soudan. Quelle est votre expérience de travail avec ces personnes ?

Notre expérience nous a enseigné que nous devons écouter. La méthode de travail de Sant’Egidio avec ce genre de crise, c’est d’être à l’écoute des gens. Comprendre pourquoi ils se battent. Pourquoi ce conflit, quelles en sont les causes profondes, comprendre aussi les exigences que les personnes concernées mettent sur la table, et ensuite trouver une solution raisonnable. Tout cela semble souvent trop ingénieux, trop stupide, trop simple, mais le problème parfois est qu’il y a une multitude d’intérêts politiques en jeu et de pouvoirs régionaux avec leurs intentions secrètes ou pas. Vous devez discuter des causes profondes et être à l’écoute des préoccupations de la population locale, découvrir ce qu’ils veulent réellement.

Pouvez-vous nous donner un exemple de votre propre expérience ?

Nous avons eu une réunion ici à Rome en mai 2005, alors que la paix au Darfour était à l’ordre du jour des puissances et de la communauté internationales. Il y avait eu sept cycles de longues conférences sur la paix au Darfour et à Abuja, au Nigeria. Cette conférence a rencontré quelques problèmes, de sorte que nous avons invité à Rome les personnes impliquées et les rebelles. Ils [les rebelles] avaient refusé de revenir à la table des négociations. Ils ne voulaient pas poursuivre les discussions avec le gouvernement [soudanais] en raison de certaines craintes, tensions et exigences qui n’avaient pas été traitées de façon appropriée. Nous les avons donc conviés ici à Rome à notre quartier général, un ancien monastère, pour discuter avec nous.

Il était étonnant de voir Sant’Egidio, une communauté catholique, et tous ces musulmans réunis à notre quartier général, mais cela n’a posé aucun problème. Ils ont commencé à discuter – les négociations internationales, vous savez, sont souvent comme un cirque  : beaucoup de personnes autour de la même table. Je me souviens d’une fois où nous assistions à une négociation en qualité d’observateurs, il y avait 35 personnes, ce qui est beaucoup trop.

A Sant’Egidio, nous avions réuni seulement les personnes impliquées dans les pourparlers de paix. Pas de presse, pas d’influences extérieures, pas de pouvoirs régionaux. Il s’agissait d’une réunion à huis clos, et seulement pendant quelques jours. Il n’y a pas eu de fuite d’informations et la réunion s’est concentrée uniquement sur la discussion. C’était un temps pour discuter.

Avez-vous été capables de plaisanter avec ces gens derrière les portes closes ?

Nous avons été en mesure de mieux comprendre ces personnes, leur mode de pensée, leur style, leurs revendications et les motifs d’insatisfaction envers leurs homologues, les médiateurs et la communauté internationale.

Nous avons eu, parce que nous étions libres, l’occasion de leur expliquer quelque chose : nous n’avons rien à perdre, ni intentions cachées ou autres ; nous avions la liberté de leur dire : puisque vous êtes mon ami, je dois vous dire que vous ne vous comportez pas bien. Nous sommes, après tout, une partie extérieure, sans intérêts personnels ni intentions cachées et nous sommes capables de servir de médiateurs entre les parties concernées et de dire certaines « choses » aux deux du fait de notre liberté vis-à-vis d’autres influences.

Sont-ils capables de comprendre ces valeurs : amitié et amour mutuel ?

Ce sont des choses que l’on comprend petit à petit. A présent, c’est une période difficile. La paix formelle a été signée au Darfour, mais la paix est encore loin ; le peuple souffre encore, les combats continuent. Nous cherchons comment relancer un nouveau cycle de négociations. La paix est là, la paix doit être là, mais personne ne sait que la paix est là. Si on va dans les camps, les gens ne savent pas qu’il y a la paix. Alors maintenant, nous sommes à la recherche d’un moyen de relancer la négociation politique.

Comment entamer une négociation politique quand on veut parler de paix ?

[Fin de la première partie]

Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

Pour plus d’information : www.WhereGodWe
eps.org

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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