Le père Lagrange, lumière pour la nouvelle évangélisation (IV)

Une théologie de la communication

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Fr Manuel Rivero, op

ROME, jeudi 12 juillet 2012 (ZENIT.org) – « La vie et l’œuvre du serviteur de Dieu, le frère Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fondateur de l’École biblique de Jérusalem, peuvent devenir une lumière et une référence à l’heure où l’Église catholique s’évertue à renouveler son élan missionnaire, ses méthodes et son langage en célébrant le synode de la Nouvelle Évangélisation  et l’Année de la foi », estime le Fr. Manuel Rivero o.p., vice-postulateur de la cause de béatification du père Lagrange qu’il présente ici aux lecteurs de Zenit.

La théologie de la communication met en parallèle l’approche théologique et les sciences humaines d’où il ressort un nouveau regard sur la Trinité, la christologie, l’ecclésiologie et la Nouvelle Évangélisation. Les cardinaux Georges Cottier, théologien du bienheureux pape Jean-Paul II, et John Patrick Foley, en présentant la thèse doctorale de Christine A. Mugridge et Marie Gannon , ont mis en lumière de manière officielle l’harmonie entre la sagesse divine révélée dans la Bible et les sciences humaines de la communication.

La communication peut être définie comme « une mise en commun». Dans la Trinité, l’Esprit Saint est la mise en commun du Père et du Fils. Pour la foi chrétienne, la communication des trois Personnes divines dans la Trinité est la source, le modèle et la fin de la communication humaine. Dieu est relation sans domination. Le Père ne pense jamais à lui-même et toute sa vie passe dans le Fils. Le Fils reçoit tout du Père et dans l’action de grâce se donne entièrement à Lui en accomplissant sa volonté. L’Esprit Saint est la communication, le partage, le va-et-vient, la mise en commun, le don,  l’amour et la communion du Père et du Fils. Saint Bernard de Clairvaux l’appelle « le baiser du Père et du Fils ». C’est l’Esprit Saint qui réalise l’unité dans l’Amour. C’est pourquoi il est invoqué dans les prières liturgiques après le Père et le Fils. La préposition « dans » utilisée dans les prières montre son rôle d’union et de communion. L’ordre de la prière dévoile les différentes missions des Personnes divines. Le Père est cité en premier car tout trouve en lui son origine. Le Fils vient ensuite car Il est le médiateur tandis que le Saint-Esprit est l’amour qui fait culminer les relations trinitaires dans la plénitude.

La communication de Jésus de Nazareth manifeste cette communication sans domination qu’il est venu révéler et proposer à l’humanité.

Le mystère de l’Incarnation représente la volonté du Fils de Dieu de partager la condition humaine pour que l’humanité partage la gloire divine. L’Église est un mystère de communication et de communion exprimé par l’image de la vigne dans l’Évangile selon saint Jean au chapitre quinzième et par l’exemple du corps humain appliqué au Corps du Christ, dont les chrétiens sont les membres recevant la vie de leur tête, le Christ.

Le père Lagrange a partagé sa foi et ses connaissances toute sa vie au service de l’Évangile. À la suite de saint Thomas d’Aquin, il a transmis aux autres le fruit de sa divine contemplation. Religieux dominicain, il aimait la vie communautaire. Homme complet, comme aimait à en témoigner son disciple le frère Roland de Vaux, il établit l’École pratiques d’études bibliques au couvent dominicain Saint-Étienne de Jérusalem. Pour lui, l’exégète non seulement étudiait la Bible dans les bibliothèques et sur le terrain en Israël, mais il l’accueillait dans son cœur dans la prière et la lectio divina de manière à la communiquer dans la prédication. Il fallait surtout que cette Parole soit mise en pratique dans la charité fraternelle comme le dit l’apôtre saint Jacques : « Mettez la Parole en pratique . » La Traduction Œcuménique de la Bible (T.O.B.) traduit : « Soyez les réalisateurs de la Parole. » Ici le mot grec utilisé par saint Jacques peut nous surprendre : poiétai. Il s’agit de devenir « les poètes du Verbe ». Le verbe grec poiesis  se traduit en français par faire. Il est beau de relier l’action à la poésie. La poésie représente une création.

Les saints embellissent le monde en le transformant par l’énergie de l’amour. Dans son Journal spirituel, le père Lagrange revient souvent sur le cœur du christianisme : la charité. En choisissant et rassemblant des mots, le père Lagrange « poétisait » la vie. Le prophète Isaïe compare la fécondité de la prédication à la puissance vivifiante de la pluie par qui la terre porte du fruit. Le père Lagrange réalisait la Parole dans l’étude et l’enseignement, actes de charité, la charité de la vérité. La Vérité étant le don par excellence. Si de nombreux saints ont servi l’humanité par des aumônes et des soins médicaux, les prêcheurs accomplissent le service de la Vérité par l’annonce de la Parole de Dieu. Pour saint Thomas d’Aquin, le but de la vie religieuse n’est rien d‘autre que la charité. « Enseigner, c’est aimer », écrivait le philosophe espagnol Joaquim Xirau (1895-1946), pour qui la transmission du savoir passe par la bonté. Enseigner l’Évangile, c’est aimer l’autre en lui donnant Dieu. L’évangélisation engendre en ce sens une nouvelle création avec des mentalités et des relations nouvelles.

Homme de communication et de communion, le père Lagrange entretenait des relations de proximité avec les membres de sa famille malgré la distance géographique. L’étymologie latine de communion ne vient pas de cum-unio mais de cum-munis dont le sens est « le partage des charges ». Le père Lagrange a assumé la charge priorale à Jérusalem ainsi que la direction de l’École biblique et de la Revue biblique sans oublier l’enseignement. Les philosophes pythagoriciens transmettaient le proverbe : « Entre amis tout est commun ». Homme de grandes et fidèles amitiés, comme le montre sa correspondance, le père Lagrange manifestait son affection et son idéal chrétien dans ses relations amicales avec ses anciens camarades du séminaire et avec les professeurs de l’École biblique, ainsi qu’avec les laïcs et les religieux qui lui rendaient visite à Jérusalem. La messe quotidienne lui apportait la communion avec le Christ et avec l’Église du Ciel et de la Terre dans le mystère de la communion des saints. Cette passion pour l’unité éveillait en son cœur de grandes souffrances lors des incompréhensions, comme celles de l’année 1912, année terrible pour le père Lagrange. Victime du soupçon sans précision ni fondement, il dut quitter la Ville sainte. Son exil en France ne dura que quelques mois. En juin 1913, il fut invité à rejoindre son couvent et son École biblique. Parti sans explications concrètes en septembre 1912, il retrouva son poste sans arguments nouveaux en juillet 1913. Des dénonciations calomnieuses étaient à l’origine de cette méfiance . Grâce à Dieu, ce genre de méthodes est devenu rare dans l’Église.

Façonné par « Dieu est communication et communion », il s’est évertué à développer la communion  des hommes avec le Christ et entre eux. Le père Lagrange n’a pas enseigné la théologie de la communication de manière explicite, mais son souci de communiquer l’Évangile pour le salut des âmes correspond aux enjeux de la prédication aujourd’hui, tels que l’exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini   les a présentés en soulignant l’importance de la Terre sainte, « cinquième évangile », l’interprétation de la Bible et l’annonce de la Parole du Seigneur dans la société contemporaine. Les écrits du fondateur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem situent Jésus avec toute la richesse divine et humaine de sa personnalité dans le contexte culturel de son pays, tandi
s que ses commentaires bibliques sont porteurs du trésor des homélies et des traités théologiques des Pères de l’Église. Il est habituel chez le père Lagrange de clore l’étude serrée d’un texte b

iblique par une pensée spirituelle tirée de l’expérience mystique de l’Église. Chez lui l’approche historico-critique va de pair avec la lecture spirituelle et symbolique de la Tradition de l’Église.

La dimension sacramentelle de la Parole de Dieu

Dès le premier numéro de la Revue biblique en 1892, le père Lagrange met en relief la dimension sacrée de la Bible : « J’oserai dire que l’Écriture sainte est, comme les sacrements, une chose sainte  » ; « L’Écriture sainte, comme substance divine, comme manne de l’intelligence, dans son dogme et dans sa morale, dans ses conseils pratiques par les religieux, et par conséquent connus dans leur saveur intime, est vraiment pour l’Église catholique, après l’Eucharistie, le Verbe de Dieu qui nourrit ».

C’est dans la célébration liturgique, haut lieu de la pédagogie de l’Église, que le père Lagrange ressentait en lui-même la grâce de la Parole : « J’aime entendre l’Évangile chanté par le diacre à l’ambon, au milieu des nuages de l’encens : les paroles pénètrent alors mon âme plus profondément que lorsque je les retrouve dans une discussion de revue.»

Défendre la dimension surnaturelle de la Bible et son inspiration par le Saint-Esprit a été la fin du labeur et des sacrifices du père Lagrange : « La Bible est un livre inspiré. Quelque part qu’on fasse à la collaboration de l’homme, c’est un livre dont Dieu est l’auteur et dont l’interprétation authentique n’appartient qu’à l’Église. Dès les premiers siècles, on la considéra comme un dépôt sacré ; durant la persécution de Dioclétien, des chrétiens moururent pour ne pas la livrer aux infidèles : c’eût été selon leur forte expression empruntée au Livre saint lui-même, jeter les perles aux pourceaux. Peinte en or et en argent sur fond de pourpre, elle composait le plus riche trésor des bibliothèques monastiques. Saint Dominique, en la méditant, mouillait de ses larmes les pages divines ».

(à suivre)

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ZENIT Staff

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