« Rien n’est anodin en matière d’antisémitisme (…). L’antisémitisme est un poison, qui n’est pas simplement une agression contre les juifs, mais une agression qui concerne l’humanité entière », explique l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois.
Le cardinal Vingt-Trois a souhaité réagir à l’actualité et notamment à différentes provocations qui ont marqué la fin de l’année 2013 : le 20 décembre, une femen simulait un avortement devant l’autel de l’église de la Madeleine, le 28 décembre, le joueur de foot Anelka reprenait le geste de la « quenelle » de Dieudonné…
Extraits de l’entretien du cardinal André Vingt-Trois sur Radio Notre-Dame du 3 janvier 2014
« Mon souhait pour 2014 est que notre société s’apaise ! Que nos concitoyens soient moins soumis au stress de l’information instantanée, moins envahis par les messages des réseaux sociaux qui sont trop souvent incontrôlables et vecteurs de rumeurs. Les provocations et la dérision sont devenues comme une seconde culture. C’est très malsain car la culture de la dérision, c’est la porte ouverte à tous les excès.
Je n’ai pas voulu réagir prématurément car cette agitation a pour but de faire du buzz… C’est évidemment le but des femen. On a porté plainte, la Préfecture de Police fait son travail. On a eu quelques messages, celui du Maire de Paris, de Mme Kosciusko-Morizet, de Mme Hidalgo… Mais je suis étonné que les grands défenseurs de la laïcité ne se soient pas manifestés car c’était le moment de montrer que la laïcité est la protectrice des croyances et des religions ! Il y a des voix importantes qui sont restées muettes ! On apprécierait qu’il y ait, sinon de grandes démonstrations publiques, au moins des signes de désapprobation clairs. Je suis surpris qu’on ait si peu de signes.
Pour l’affaire Dieudonné, l’intervention de Manuel Valls a eu un effet salutaire dans la mesure où elle fait réfléchir, et il faut faire réfléchir. Car malheureusement l’histoire du XXe siècle a montré que la montée de l’antisémitisme n’est pas une révolution à grand spectacle, c’est une montée progressive, qui passe par des événements, des paroles, des articles, des spectacles… Rien n’est anodin en matière d’antisémitisme, comme pour la xénophobie ou la discrimination religieuse. Il est scandaleux que nous soyons insensibles à la dépréciation progressive des seuils à ne pas franchir. Une culture du respect de l’autre, des autres religions, doit se réimplanter d’une manière forte. Que l’on apprenne aux enfants qu’il y a des choses qui ne se font pas ! Je pense que c’est le projet de M. Vincent Peillon quand il veut instaurer une morale républicaine…
L’antisémitisme est un poison, qui n’est pas simplement une agression contre les juifs, mais une agression qui concerne l’humanité entière. Car quand on attaque le juif parce qu’il est juif, on touche à quelque chose qui est au cœur de la révélation judéo-chrétienne, de même que quand on attaque un chrétien parce qu’il est chrétien. Et on ne doit pas laisser se développer et se banaliser les caricatures, la dérision, la provocation. C’est un même combat qui doit être mené sur tous les terrains.
Ce poison détruit aussi bien ceux qui en sont complices que ceux qui en sont victimes, il faut donc lutter contre cela, notamment en éduquant les enfants dès leur plus jeune âge au respect de l’autre, c’est-à-dire accepter que ses copains de classe soient arabes, juifs, musulmans ou chrétiens, et en les respectant parce qu’ils sont des hommes, et non pas parce qu’ils appartiennent à telle confession ou de telle communauté.
Les provocations évoquées sont le symptôme d’une société dans laquelle on ne tient plus les seuils de protection, protection de l’identité propre de chacun.
Pour terminer, je vais vous lire une très belle réflexion du pasteur Martin Niemöller, qui a été interné en camp de concentration de 1937 à 1945 : « Quand ils ont arrêté les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont arrêté les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste. Quand ils ont arrêté les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Quand ils ont arrêté les catholiques, je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique. Et quand ils sont venus m’arrêter, il n’y avait plus personne pour protester ». »