Lectures : Is 55,10-11; Ps 64; Rm 8,18-23; Mt 13,1-23
1) Les paroles de la Parole à semer.
La parabole du semeur parle d’abord de Jésus, notre Rédempteur, qui veut nous présenter sa mission et le sens de sa présence parmi nous en utilisant la comparaison du semeur.
Dans un passage précédant celui qui est proposé aujourd’hui, l’évangéliste Saint Mathieu écrit : « Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant l’Évangile du Royaume » (9,35). Jésus se voit donc comme une personne qui est envoyé « proclamer l’Evangile du Royaume ». Quand Jésus commence son activité publique il attribue à lui-même un texte du prophète Isaïe qui dit: « L’Esprit du Seigneur est sur moi … Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres … et annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4,17-19). Jésus affirme que ces paroles prophétiques se réalisent en Lui: Il a été envoyé « pour porter la Bonne Nouvelle », pour « annoncer une année favorable ». Le sens profond de cette « parabole autobiographique » (Benoît XVI) est celle-ci: comme le semeur sorti répandre le grain, Jésus sort de la maison de Nazareth, pour semer en tous la Bonne Nouvelle, le joyeux message de Dieu qui sauve l’homme.
Quand le pape François parle d’une Eglise en sortie (Exort. Post-synodale Evangelii gaudium 24) il s’inspire du semeur qui, sans céder à la fatigue, parcourt tout le champ du monde jusqu’aux lieux de ses fragilités et de ses bassesses, de ses faiblesses et de ses contradictions, voire même jusqu’au lieu des blasphèmes contre Lui. Le Semeur n’arrête jamais de jeter le bon grain. Nous, on a l’impression qu’il jette son grain au hasard[1], mais je crois qu’aujourd’hui on peut interpréter cette manière de semer comme un enseignement de Jésus sur la manière d’être missionnaires. La mission n’est pas une question de stratégies ou d’une activité particulière à ajouter au tissu de notre existence quotidienne. Il s’agit surtout de porter une parole chargée d’une Présence et nourrie chaque jour par une expérience de fraternité, qui repropose, tous les jours, à chaque individu la question « qui suis-je ? », d’où je viens mais surtout « où je vais et pourquoi ? ».
De ces questions incontournables il ressort que le monde de la planification, du calcul exact et de l’expérimentation, en un mot le savoir de la science, bien qu’important pour la vie de l’homme, ne suffit pas à lui tout seul. Nous avons besoin du pain matériel, mais aussi d’amour, de sens et d’espérance, d’un fondement sûr, d’un terrain solide qui nous aide à donner un sens authentique à notre vie même en période de crise, dans les périodes noires, les difficultés et les problèmes quotidiens. Nous avons besoin de croire, de regarder la vie avec des yeux de foi,
La foi n’est pas un simple assentiment intellectuel de l’homme à des vérités particulières sur Dieu ; c’est un acte par lequel je me confie librement à un Dieu qui est Père et m’aime; c’est adhérer à un « Tu » qui me donne espérance et confiance, et un amour infini.
La foi c’est croire à cet amour de Dieu qui ne diminue pas face aux méchancetés de l’homme, face au mal et à la mort, mais qui est capable de transformer chaque forme d’esclavage, en donnant la possibilité du salut.
Avoir la foi c’est donc rencontrer ce « Tu », Dieu, qui nous soutient et nous accorde un amour indestructible qui, non seulement tend vers l’éternité, mais la donne ; s’est se remettre à Dieu avec l’attitude d’un enfant, lequel sait bien que toutes ses difficultés, tous ses problèmes sont en sécurité dans le « tu » de la mère. Et cette possibilité de salut à travers la foi est un don que Dieu offre à tous les hommes.
Je pense que nous devrions méditer plus souvent – dans notre vie quotidienne, caractérisée par des problèmes et situations parfois dramatiques – la Parole de Dieu semée en nous, pour comprendre que croire chrétiennement signifie s’abandonner avec confiance au sens profond qui nous soutient nous et le monde, ce sens que nous ne sommes pas en mesure de nous donner, mais uniquement de recevoir en don, et qui est le fondement sur lequel nous pouvons vivre sans peur. Nous devons être capables d’accueillir cette certitude libératrice et rassurante de la foi pour ensuite annoncer la Parole avec nos propres mots et la témoigner par notre vie de chrétiens.
La parabole de ce semeur, qui est le Seigneur, qui sème de manière abondante, nous aide à grandir dans la conscience et l’engagement d’accueillir la Parole de Dieu et de la faire fructifier. Il existe tant de risques et tant de situations où la Parole de Dieu ne porte pas de fruit, non par inaction de Dieu, qui ne pourrait être plus actif dans son action, mais à cause de nos distractions, de nos superficialités, de nos tentations. Donc le semeur Jésus répand son grain partout, on pourrait dire en le « gaspillant », il n’écarte aucun terrain, estimant que chaque sol est digne de confiance et d’attention. Ainsi l’Eglise, par le biais des évêques, des prêtres et de tous les fidèles, doit offrir la Parole à tous et elle doit le faire sans lésiner sur les efforts.
C’est la vocation de chaque chrétien. Nous sommes tous des semeurs de la Parole, à partir du pape jusqu’au dernier baptisé. Nous ne sommes pas tous au même niveau et avec les mêmes responsabilités, mais nous sommes tous des semeurs chargés d’apporter la Parole au monde, en sachant que la Parole est notre vie avant même notre voix.
Tous les matins chaque chrétien devrait sortir de chez lui pour aller gagner de quoi subvenir à ses besoins matériellement mais également spirituellement, « sortant pour semer le Christ, grain qui devient Pain », sans se décourager si une partie du grain devait tomber sur un terrain qui n’est pas bon.
2) Le grain et la terre.
La figure du semeur apparaît au début de la parabole d’aujourd’hui et puis disparaît: les protagonistes sont le grain et la terre, et la situation présentée par la parabole est celle où l’on a l’impression que tout est en train de disparaître, que l’échec du Royaume et de la Parole est total ou excessif. Alors que ce n’est pas ça, affirme Jésus avec cette parabole, au contraire. C’est vrai, il y a des échecs, et beaucoup, mais il est certain qu’il y a quelque part des succès. C’est donc une leçon de confiance.
Par ailleurs il faut tenir compte du fait que dans cette parabole le Christ centre son attention sur la « terre » des âmes des hommes et des consciences humaines et qu’il montre ce qu’il arrive à la Parole de Dieu selon les divers types de terre dont est fait le champ de l’humanité. Jésus parle d’un grain qui a été emporté et n’a pas grandi dans le cœur de l’homme, car celui-ci a cédé au Malin et n’a pas compris la Parole. Puis il parle du grain tombé sur la terre rocheuse, sur la terre dure qui n’était pas en mesure de mettre les racines, et donc n’a pas résisté à la première épreuve. Nous l’entendons parler aussi du grain tombé au milieu des chardons et des épines et qui a été étouffé par eux (ces chardons et épines sont les illusions du bien-être qui passe). Enfin, il nous parle du grain tombé sur de la bonne terre, fertile, fructueuse. Qui est cette terre fertile ? Celui qui écoute la parole et la comprend. Qui écoute et comprend. Il ne suffit pas d’écouter l’Evangile de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui est la parole de ce Verbe fait chair, il faut l’accueillir avec l’esprit et le cœur.
En deux mille ans, la terre a déjà été abondamment semée par cette parole. C’est surtout Le Christ lui-même comme Verbe qui a rendu fertile cette terre de l’histoire humaine en versant son sang sur la croix et nous sauvant. Et dans la Parole de la croix se poursuivent ses semailles, donnant le jour à « un nouveau ciel et une nouvelle terre » (cf. Ap 21, 1). Tous les semeurs de la parole du Christ puisent la force de leur service à cet indicible mystère, force devenue – une fois pour toujours – l’union du Dieu Verbe avec la nature humaine, et en un certain sens avec chaque homme (comme enseigne le Concile Vatican II dans Gaudium et spes, 22). Les paroles de l’Evangile tombent sur la terre des âmes des hommes, mais le Verbe Éternel lui-même, engendré sous l’action de l’Esprit Saint par une Vierge-Mère, est devenu source de vie pour l’humanité.
La Vierge Marie nous aide à être, à son exemple, une « bonne terre », où le grain de la Parole peut donner tant de fruits.
Les Vierges consacrées dans le monde font partie de ceux qui ont particulièrement suivi le modèle de Marie. A l’exemple de la Vierge, leur parole se fait prière, se fait reconnaissance, se fait don d’amour. Par ce don d’amour leur parole devient « annonce » de la Parole de vérité qui unit l’homme à la vie d’amour de Dieu. Dans le don virginal de soi elles reconnaissent que Jésus Christ, leur Epoux, est le Roi d’Amour, et que sa bonté pleine de miséricorde mérite une confiance totale. Par leur vie elles montrent la vérité de la phrase de Saint Ambroise « Ta parole est conservée, non pas dans les tombeaux des morts, mais dans le livre des vivants » (cf. lecture patristique qui suit). (Pour mémoire, le rituel de consécration des vierges est le suivant au n° 27 : En remettant le livre de la prière de l’Eglise à la nouvelle consacrée, l’Evêque dit : « Recevez le livre de la prière de l’Eglise. Ne cessez jamais de louer votre Dieu, ni d’intercéder pour le salut du monde »)
Lecture Patristique de saint Ambroise, évêque de Milan (340 – 397)
SUR LES MYSTÈRES
Catéchèse des rites qui précèdent le baptême
Nous avons donné chaque jour aux catéchumènes depuis le début du Carême des instructions sur la morale, tandis qu’on lisait soit la vie des patriarches, soit les préceptes des Proverbes. Nous voulions que par cette instruction et cette éducation vous preniez l’habitude d’entrer dans la voie des ancêtres, de suivre le même chemin et d’obéir aux ordres de Dieu : ainsi, une fois renouvelés par le baptême, vous garderiez ce genre de vie qui convient à ceux qui en ont été lavés.
À présent, le temps où nous sommes, après Pâques et le baptême, nous invite à parler des mystères et à vous dévoiler le sens même des sacrements. Si nous avions eu l’idée de le suggérer alors que vous n’étiez pas encore initiés, on aurait jugé que nous commettions une trahison plutôt que de dévoiler une tradition. En outre, la lumière des mystères elle-même envahit ceux qui ne s’y attendent pas, plus facilement que s’ils avaient été prévenus par une instruction quelconque.
Ouvrez donc vos oreilles et recueillez la bonne odeur de vie éternelle qu’exhale pour vous le don des sacrements. Nous vous l’avons notifié lorsque nous disions, en célébrant le « mystère de l’ouverture» : « Effata, c’est-à-dire ouvre-toi », afin que tous ceux qui vont accéder à la grâce comprennent les interrogations qu’on leur posera et se souviennent des réponses qu’ils auront à faire. Ce mystère, le Christ l’a célébré dans l’Évangile, comme nous le lisons, quand il a guéri le sourd-muet. ~
Après cela, on t’a ouvert le Saint des saints : tu es entré dans le sanctuaire de la nouvelle naissance. Rappelle-toi les interrogations qu’on t’a faites, souviens-toi de tes réponses. Tu as renoncé au diable et à ses œuvres, au monde, à son luxe et à ses plaisirs. Ta parole est conservée, non pas dans les tombeaux des morts, mais dans le livre des vivants.
Là tu as vu le diacre, tu as vu le prêtre, tu as vu l’évêque. Ne fais pas attention à leur aspect physique, mais à la grâce de leur ministère. Tu as parlé en présence des anges, ainsi qu’il est écrit : C’est aux lèvres du prêtre de garder le savoir, c’est de sa bouche qu’on réclame la loi, car il est l’ange du Seigneur tout-puissant. Il n’y a pas à s’y tromper, il n’y a pas à le nier, c’est l’ange qui annonce le règne du Christ, qui annonce la vie éternelle. Ne le juge pas d’après son apparence, mais d’après son rôle. Considère ce qu’il t’a transmis, apprécie sa fonction, reconnais sa dignité.
Tu es donc entré pour regarder ton adversaire, à qui tu as décidé de renoncer en lui faisant face, et tu te tournes vers l’orient ; car celui qui renonce au diable se tourne vers le Christ, il le regarde droit dans les yeux.
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NOTE
[1] Pour bien comprendre la parabole il faut avoir bien à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un semeur incapable qui jette son grain n’importe où. A l’époque du Christ, les champs n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, surtout ceux dans le monde développé. C’était des sols à peine dégrossis et non homogènes, donc avec des pierres, des ronces etc. Jésus se réfère à ce genre de champ, qui n’était pas labouré avant les semailles, mais après: la semence était répandue partout, sur tout le champ, voire même sur les sentiers qui le traversaient et dans les zones rocailleuses ou pleines de ronces. C’est pourquoi tant de semences étaient perdues (les ¾ selon la parabole, qui accentue volontairement la chose). Mais le résultat final, soit le profit du grain tombé sur la bonne terre, compensait toutes les pertes.