L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a décidé d’inscrire à son ordre du jour une proposition de Résolution (Doc. 13562) portant sur les « Droits de l’homme et les questions éthiques liées à la gestation pour autrui ».
La proposition de Résolution introduite par des députés de divers partis déclare sans ambiguïté que « la gestation pour autrui porte atteinte à la dignité humaine de la femme enceinte, dont le corps et la fonction de procréation sont utilisés comme une marchandise » et « aux droits et à la dignité humaine de l’enfant, parce qu’elle a pour effet de faire du bébé un produit. » Elle invite l’Assemblée à examiner les liens de cette pratique « avec la santé génésique des femmes, la traite des êtres humains et les droits des enfants, et [à] réfléchir à des outils pour traiter ce problème. »
L’enjeu pour l’Assemblée sera de choisir entre l’interdiction et l’encadrement de cette pratique. En l’état, la proposition de Résolution est orientée vers l’interdiction totale en Europe, car l’expérience des pays qui ont fait le choix de l’encadrement (Grèce, Belgique, Royaume-Uni) montre que c’est une protection illusoire.
Une interdiction progressive de la GPA en Europe est encore possible, il faut pour cela une convention. Le Conseil de l’Europe – institution basée à Strasbourg et regroupant 47 Etats de l’Islande à Vladivostok – est un cadre approprié pour la préparation d’un tel traité ; en témoigne l’adoption des conventions européennes en matière d’adoption d’une part, sur les droits de l’homme et les biotechnologies (Convention d’Oviedo) d’autre part, dont certaines dispositions s’opposent à la GPA. La GPA pourrait aussi faire l’objet d’un protocole additionnel annexé à l’une de ces conventions. Un tel protocole est une petite convention qui complète un traité sur un point particulier. Une telle entreprise est difficile : elle exige de poursuivre la prise de conscience sur la réalité de la GPA, et, à l’Est, de s’opposer à un puissant intérêt financier et d’obtenir un engagement plus actif de l’église orthodoxe. Cette entreprise n’est pas impossible, car pour être adoptée, une convention ne requiert pas l’unanimité des Etats membres du Conseil de l’Europe: un groupe significatif de pays est suffisant. Ils s’engagent entre eux et ont valeur d’exemple.
La future Résolution de l’Assemblée Parlementaire pourrait dans cette perspective recommander aux gouvernements européens d’élaborer une convention ou un protocole européen sur la GPA, et en rédiger des éléments.
Le Conseil de l’Europe, parce qu’il regroupe les principaux pays concernés en Europe, est l’enceinte appropriée à la rédaction d’une telle convention. Tolérée dans quelques pays d’Europe occidentale, la GPA a prospéré dans l’Est de l’Europe sur le terreau de la pauvreté, en particulier en Ukraine, Russie, Grèce et Roumanie. C’est un phénomène transfrontalier, par lequel des personnes riches et souvent âgées d’Europe de l’Ouest achètent des enfants auprès de femmes jeunes et pauvres d’Europe de l’Est, par l’intermédiaire d’agences peu scrupuleuses. Par une telle Convention, la lutte contre la GPA ne serait pas de la seule responsabilité des pays « producteurs » (à l’Est), mais aussi des pays « importateurs » (à l’Ouest), car, en la matière, c’est la demande d’enfants qui crée l’offre, et c’est l’importance et la facilité des bénéfices générés par ce marché qui conduisent à la légalisation de l’offre.
A ce jour, les institutions européennes ne sont pas parvenues à endiguer le phénomène. Au contraire, les récents arrêts Mennesson et Labassée de la Cour européenne des droits de l’homme ont aggravé la situation car ils ont libéralisé la GPA en la jugeant conforme aux droits de l’homme et en limitant la faculté des Etats de la sanctionner. Ces arrêts ont ainsi levé un obstacle majeur à « l’importation » de ces enfants.
Cependant, la position de la Cour n’est pas nécessairement définitive ; elle peut changer si elle y est instamment invitée par quelques gouvernements soutenus par l’opinion publique. Cela est déjà arrivé. Une nouvelle affaire pourrait lui en donner l’occasion. Elle a été introduite par un couple d’italiens qui a obtenu un enfant en Russie. Suspectant la fraude, le Gouvernement italien a ordonné une analyse génétique qui a établi que l’enfant n’a aucun lien générique avec les « parents d’intention ». Il a alors refusé de reconnaître la filiation, pourtant légalement établie en Russie, et a retiré l’enfant en vue de le confier à l’adoption. Le couple se plaint à présent à Strasbourg d’une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et au respect de leur vie privée et familiale (affaire Paradiso contre Italie n°25358/12). Trois autres affaires sont également pendantes, contre la France, s’agissant d’enfants obtenus en Ukraine et en Inde (affaires Laborie n° 44024/13, Foulon n° 9063/14 et Bouvet n° 10410/14). Dans toutes ces affaires soumises à la CEDH, les femmes commanditaires sont relativement âgées au moment des faits : 45 ans pour Mmes Mennesson et R, 49 ans pour Mme Labassée, et 55 ans pour Mme Paradisio.
Les prochains mois seront déterminants. En l’absence d’action concrète et déterminée, le temps qui passe renforce la position libérale établie par la Cour européenne car elle favorise la multiplication et la légalisation de situations de faits, et l’installation du marché de la GPA.
La GPA est un « fruit pourri » de la société libérale, mais elle n’est pas une évolution inéluctable à accepter avec résignation. Les gouvernements peuvent et doivent agir. Toute abstention ou retard est, de fait, une acceptation de la marchandisation des personnes.
L’ECLJ a contribué à l’effort de prise de conscience sur la GPA au sein du Conseil de l’Europe en y organisant une audition dès 2012, en publiant un rapport, en soutenant une déclaration écrite et enfin cette proposition de résolution.
Grégor Puppinck
Directeur du European Centre for Law and Justice