Carême : première prédication du P. Cantalamessa, ofmcap

« La joie de l’Evangile remplit le coeur et la vie » (traduction intégrale)

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« La joie de l’Évangile remplit le cœur et la vie » : c’était le thème de la première prédication de carême du P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, ce vendredi 27 février 2015, dans la chapelle Redemptoris Mater du Vatican.

Terminant aujourd’hui leur retraite à Ariccia, le pape et la Curie romaine n’étaient pas présents. Mais les autres prédications des vendredis de carême auront lieu en leur présence.

Le thème des méditations de cette année est « Deux poumons, une seule respiration. Orient et Occident unis dans la profession de la même foi » (cf. Zenit du 20 févier 2015).

Pour cette première prédication, le P. Cantalamessa s’est inspiré de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium du pape François : « Le but ultime de l’évangélisation ne repose pas sur la transmission d’une doctrine, mais sur la rencontre avec une personne, Jésus Christ. La possibilité d’une telle rencontre, de ce face à face, dépend du fait que Jésus, ressuscité, est vivant et qu’il souhaite marcher aux côtés de chaque croyant », a-t-il souligné.

« Se convertir ne signifie plus retourner en arrière mais plutôt faire un bond en avant et entrer, par la foi, dans le Royaume de Dieu qui est venu parmi les hommes. Se convertir c’est prendre la « décision de l’heure », face à la réalisation des promesses de Dieu », a-t-il ajouté.

La nouvelle évangélisation doit être « une évangélisation qui sorte des bases traditionnelles et tienne compte de la nouvelle situation », a aussi expliqué le prédicateur : « il s’agit concrètement de créer pour les hommes d’aujourd’hui des occasions qui leur permettent de prendre, dans ce nouveau contexte, cette décision personnelle libre et mûre que les chrétiens prenaient au début en recevant le baptême et qui faisaient d’eux de vrais chrétiens et non des chrétiens qui n’en avaient que le nom. »

A.K.

Première prédication de Carême 2015 du P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

« LA JOIE DE L’EVANGILE REMPLIT LE CŒUR ET LA VIE »

Réflexions sur l’exhortation « Evangelii gaudium » du pape François

Je voudrais profiter de l’absence du Saint-Père à cette première méditation de Carême, pour proposer une réflexion sur son exhortation apostolique Evangelii gaudiun, que je n’aurais pas osé faire en sa présence. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire un commentaire systématique mais de réfléchir ensemble et de faire nôtres quelques éléments les plus saillants de ce document.

1. La rencontre personnelle avec Jésus de Nazareth

L’exhortation, écrite à la fin du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation, présente trois pôles d’intérêt qui se recoupent entre eux : le sujet, l’objet et la méthode de l’évangélisation : qui doit évangéliser, que faut-il évangéliser, comment évangéliser. A propos du sujet évangélisant, le pape affirme qu’il est formé de tous les baptisés :

« En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. » (n. 120).

Cette affirmation n’est pas nouvelle. Le bienheureux Paul VI l’avait souligné dans Evangelii nuntiandi, saint Jean Paul II dans Christifideles laici; Benoît XVI avait insisté sur le rôle spécial de la famille à cet égard1. Mais avant tout cela il y avait eu l’appel universel à l’évangélisation, proclamé par décret (Apostolicam actuasitatem), lancé au cours du Concile Vatican II. Un jour j’ai entendu un laïc américain commencer sa catéchèse par cette phrase : «  Deux mille cinq cent évêques, réunis au Vatican, m’ont écrit de venir vous annoncer l’Évangile ». Tous, naturellement, étaient curieux de savoir qui était cet homme. Ce laïc, qui était aussi un homme plein d’humour, expliqua alors que les deux mille cinq cent évêques étaient ceux qui étaient réunis au Vatican pour le concile Vatican II et avaient écrit le document sur l’apostolat des laïcs. Il avait parfaitement raison : ce document s’adressait à tout baptisé et lui il le prenait justement comme s’adressant à lui personnellement.

Ce n’est donc pas sur ce point que nous devons chercher la nouveauté de l’exhortation EG du pape François. Le pape ne fait que réaffirmer ce que ses prédécesseurs avaient professé à maintes reprises. La nouveauté doit être recherchée ailleurs, dans l’appel qu’il lance aux lecteurs au début de sa lettre et qui constitue, je crois, le cœur du document :

« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, nr.3)

Autrement dit le but ultime de l’évangélisation ne repose pas sur la transmission d’une doctrine, mais sur la rencontre avec une personne, Jésus Christ. La possibilité d’une telle rencontre, de ce face à face, dépend du fait que Jésus, ressuscité, est vivant et qu’il souhaite marcher aux côtés de chaque croyant, comme il l’a réellement fait avec les deux disciples sur la route d’Emmaüs; plus encore, comme il était dans leur cœur à leur retour à Jérusalem, après l’avoir reçu dans le pain rompu.

Dans le langage catholique le concept de « rencontre personnelle avec Jésus » n’a jamais été très familier. Au lieu de rencontre « personnelle » on préférait l’idée de rencontre ecclésiale, c’est-à-dire une rencontre qui passe par les sacrements de l’Église. L’expression avait, à nos oreilles de catholiques, une résonance vaguement protestante. De toute évidence, le pape ne pense pas à une rencontre personnelle qui remplacerait la rencontre ecclésiale ; il veut seulement dire que la rencontre ecclésiale doit elle aussi être une rencontre libre, voulue, spontanée, pas seulement nominale, juridique ou habitudinaire.

Pour comprendre ce que veut dire réaliser une rencontre personnelle avec Jésus, il nous faut jeter un coup d’œil, même rapide, sur l’histoire de l’Église. Comment devenait-on chrétien lors des trois premiers siècles de l’Église ? Les différences entre un individu et l’autre, entre un lieu et un autre, étaient telles que cela se produisait au bout d’une longue initiation, le catéchuménat. C’était également le fruit d’une décision personnelle, qui s’avérait par ailleurs dangereuse tant le risque du martyre était présent.

Les choses ont changé quand le christianisme est devenu, d’abord une religion tolérée (par l’édit de Constantin en 313) et puis, très vite, une religion favorite, sinon tout simplement imposée. Au début du Vème siècle, l’empereur Théodose II créa une loi selon laquelle seuls les baptisés pouvaient accéder à des charges publiques. Puis il y eut la question des invasions barbares qui changea rapidement et complètement l’ordre politique et religieux de l’empire. Et l’Europe occidentale se transforma en un ensemble de royaumes barbares, habités par des populations, dans certains cas ariennes, pour la plupart païennes.

D
ans les régions du vieil empire (surtout en Orient et dans le centre-sud de l’Italie) la décision de devenir chrétien n’était plus du ressort de l’individu mais de la société, d’autant que le baptême était désormais presque toujours administré à des enfants. Quant aux royaumes barbares, la coutume voulait que la population suive toujours la décision du chef. Ainsi, lorsque Clovis, le roi des Francs, se fit baptiser à Reims par l’évêque saint Rémi, dans la nuit de Noël de l’année 498 ou 499, tout son peuple se mit à le suivre (valant ainsi à la France son titre de «  Fille aînée de l’Église »). On assiste alors au début de la pratique du baptême de masse. Bien avant la réforme protestante, était en vigueur la norme: « Cuius regio, eius et religio »: la religion du roi est aussi celle du royaume.

Dans cette situation, l’accent n’est plus mis sur la décision par laquelle l’on devient chrétien, mais sur les exigences morales de la foi, sur le changement de coutumes; autrement dit, sur la morale. Mais la situation était malgré tout moins grave que ce que nous pourrions croire aujourd’hui car, à cause de toutes les incohérences que nous savons, il y avait la famille, l’école, la culture et peu à peu la société, qui aidaient presque spontanément à absorber la foi. Sans compter aussi que dès le début de cette nouvelle situation, étaient nées de nouvelles formes de vie, comme le monachisme et plus tard les divers ordres religieux, où le baptême était vécu dans toute sa radicalité et la vie chrétienne le fruit d’une décision personnelle.

Cette situation dite « de chrétienté » a radicalement changé mais ce n’est pas le cas ici de s’attarder sur les temps et la modalité de ce changement. Il suffit de savoir que la situation n’est plus la même qu’aux siècles passés, quand se sont formées la plupart de nos traditions et notre pratique chrétienne. L’arrivée de la modernité, ouverte par l’humanisme, accélérée par la révolution française et par l’illuminisme, l’émancipation de l’État vis-à-vis de l’Église, l’exaltation de la liberté individuelle et de l’autodétermination, et pour finir la sécularisation radicale qui en a découlé, ont profondément changé la situation de la foi dans la société.

D’où l’urgence d’une nouvelle évangélisation, soit d’une évangélisation qui sorte des bases traditionnelles et tienne compte de la nouvelle situation. Il s’agit concrètement de créer pour les hommes d’aujourd’hui des occasions qui leur permettent de prendre, dans ce nouveau contexte, cette décision personnelle libre et mûre que les chrétiens prenaient au début en recevant le baptême et qui faisaient d’eux de vrais chrétiens et non des chrétiens qui n’en avaient que le nom.

2. Comment répondre aux nouvelles exigences ?

Nous ne sommes évidemment pas les premiers à nous poser le problème : pour ne pas remonter encore plus loin, rappelons l’institution en 1972, du Rituel de l’Initiation Chrétienne des Adultes » (RICA) qui propose une sorte de catéchuménat pour le baptême des adultes. Dans certains pays de religion mixte, où beaucoup de personnes demandent le baptême lorsqu’ils sont adultes, cet outil s’est révélé assez utile.

Mais que faire pour la masse de chrétiens déjà baptisés qui n’ont de chrétien que le nom et ne le sont pas dans les faits, complètement étrangers à l’Église et à la vie sacramentelle ? La réponse à ce problème est davantage venue de Dieu Lui-même que de l’initiative humaine. Et ce sont tous les mouvements d’Église, les agrégations laïques et les communautés paroissiale renouvelées, apparues après le concile. Malgré la très grande variété de styles et de consistance numérique, toutes ces réalités constituent un cadre de vie et un outil qui permet à tant de personnes adultes de faire un choix personnel pour le Christ, de prendre leur baptême au sérieux, de devenir des sujets actifs dans l’Église.

Saint Jean-Paul II voyait en ces mouvements et communautés paroissiales vivantes « les signes d’un nouveau printemps de l’Église ». Voici ce qu’il dit dans sa lettre apostolique Novo millennio ineunte :

« Dans cette même ligne, le devoir de promouvoir les divers types d’association revêt une grande importance pour la communion, que ce soient les formes plus traditionnelles ou celles plus nouvelles des mouvements ecclésiaux; ces formes continuent à donner à l’Église une vivacité qui est un don de Dieu et qui constitue un authentique « printemps de l’Esprit »2.

A différentes occasions, Benoît XVI est allé dans le même sens. Au cours de l’homélie prononcée à la messe chrismale du Jeudi saint 2012, il a dit :

« Celui qui regarde l’histoire de l’époque post-conciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouvellement, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit. »

3. Pourquoi l’Évangile remplit de joie le cœur et la vie du croyant.

Mais maintenant retournons à la lettre du pape François. Elle commence par les mots dont est tiré le titre du document : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus ». Il y a un lien entre la rencontre personnelle avec Jésus et l’expérience de joie de l’Évangile. La joie de l’Évangile ne s’expérimente qu’en établissant une relation intime, de personne à personne, avec Jésus de Nazareth.

A ce stade, si nous voulons que les paroles ne restent que des paroles, il faut nous poser la question: pourquoi l’Évangile serait-il source de joie ? L’expression n’est-elle qu’un slogan facile, ou correspond-t-elle à la vérité ? Mais avant cela, demandons-nous : pourquoi l’Évangile s’appelle-t-il comme ça: euangelion, qui veut dire bonne et heureuse nouvelle? Le meilleur moyen pour le découvrir c’est de partir du moment où ce mot fait sa première apparition dans le Nouveau Testament et précisément dans la bouche de Jésus. Marc, au début de son évangile, résume en quelques mots le message fondamental que Jésus prêchait dans les villes et villages, après son baptême dans le Jourdain:

« Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » (Mc 1, 14-15).

A première vue on ne dirait pas qu’il s’agit ici d’une nouvelle particulièrement bonne et joyeuse ; cela sonne plutôt comme une annonce austère, comme un appel drastique à changer. C’est dans cette optique qu’il est proposé au début du Carême, dans l’évangile du premier dimanche, et qu’il accompagne le rite des cendres sur le front: «  Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Et c’est pourquoi il est vital de comprendre le vrai sens de ce début de l’évangile.

La véritable signification du message de Jésus a été obscurcie par une traduction fautive du mot grec metanoeite. La Vulgate latine traduisait le terme avec paenitemini (Mc 1,15) ou avec paenitentiam agite (Ac 2, 38), c’est-à-dire repentez-vous, faite pénitence. Avec cette signification ascétique la parole est entrée dans le vocabulaire et dans la prédication de l’Église, tandis que sa signification réelle est celle d’un complet changement de pensée, la prise de conscience d’une situation totalement nouvelle.

Avant Jésus, se convertir signifiait toujours « revenir en arrière » (comme l’indique le terme shub, utilisé en hébreu pour indiquer cette action); cela signifiait revenir à l’alliance violée, en renouvelant l’observance de la loi. Le Seigneur, par la bouche du prophète Zacharie, déclare : « Reve
nez à moi […] Revenez donc de vos mauvais chemins » (Za 1, 3-4; cf. aussi Jr 8, 4-5). Par conséquent, se convertir a une signification principalement ascétique, morale et pénitentielle, et implique un changement dans la manière de vivre. La conversion est vue comme une condition pour gagner le salut ; le sens est : convertissez-vous et vous serez sauvés ; convertissez-vous et le salut viendra à vous.

Cette signification de conversion est celle qui prédomine jusque sur la bouche de Jean Baptiste (cf. Lc 3, 4-6). Mais dans la bouche de Jésus, celle-ci change ; non pas parce que Jésus s’amusait à changer le sens des mots, mais parce qu’avec lui la réalité a changé. La signification morale passe en second plan (du moins au début de sa prédication), par rapport à un nouveau sens, jusqu’alors inconnu. Se convertir ne signifie plus retourner en arrière mais plutôt faire un bond en avant et entrer, par la foi, dans le Royaume de Dieu qui est venu parmi les hommes. Se convertir c’est prendre la « décision de l’heure », face à la réalisation des promesses de Dieu.

« Convertissez-vous et croyez » n’indique donc pas deux choses différentes et successives, mais la même action: convertissez-vous, c’est-à-dire croyez; convertissez-vous en croyant ! Saint Thomas d’Aquin l’avait déjà dit : « Prima conversio fit per fidem », la première conversion consiste à croire3. Conversion et salut se sont échangés les places. Ce n’est plus: « Convertissez-vous et vous serez sauvés; convertissez-vous et le salut viendra à vous », mais plutôt: « Convertissez-vous parce que vous êtes sauvés ; parce que le salut est venu à vous ». Les hommes n’ont pas changé, ils ne sont ni meilleurs ni pires qu’avant, c’est Dieu qui a changé et, dans la plénitude des temps, il a envoyé son Fils pour que nous soyons adoptés comme ses enfants (cf. Ga 4, 4).

Beaucoup de paraboles évangéliques ne font que réaffirmer cette heureuse annonce initiale. Une de ces paraboles est celle du banquet. Un roi fit un banquet pour les noces de son fils; à l’heure dite il envoya ses serviteurs appeler les invités (cf. Mt 22, 1 ss.). Ceux-ci n’avaient pas payé à l’avance le prix, comme on le fait normalement dans les repas sociaux; non, le banquet est gratuit. Il s’agit uniquement d’accepter ou de refuser l’invitation. Une autre parabole est celle de la brebis égarée. Jésus termine en disant: « Ainsi je vous le dis : il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. » (Lc 15,10). Mais en quoi a consisté la conversion de la brebis? Serait-elle retournée à la bergerie de ses propres pattes? Non, c’est le berger qui est allé la reprendre et l’a ramenée à la bergerie sur ses épaules. La brebis, elle, n’a fait que se laisser prendre sur les épaules.

Saint Paul, dans la lettre aux Romains (3, 21 ss.), sera l’annonciateur indomptable de cette nouveauté évangélique, après en avoir fait l’expérience dramatique dans sa propre vie. Il décrit ainsi le fait qui changea le cours de sa vie :

« Tous ces avantages que j’avais [être circoncis, juif, irrépréhensible quant à l’observance de la loi] je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. » (Phil 3, 7-9). 

Voilà pourquoi l’Évangile s’appelle « évangile » et pourquoi il est source de joie. Il nous parle d’un Dieu qui, par pure grâce, est venu à notre rencontre en son Fils Jésus. Un Dieu qui « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 16). 

Beaucoup, à propos de l’Évangile, ne se souviennent que de la phrase de Jésus : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24), et ils se convainquent que l’Évangile est synonyme de souffrance et de reniement de soi, et non de joie. Mais allons jusqu’au bout: « qu’il me suive », où ? Au Calvaire, à la mort sur la croix ? Non, dans l’Évangile, ceci constitue l’avant-dernière étape, jamais la dernière. Qu’il me suive, à travers la croix, vers la résurrection, vers la vie, vers une joie sans fin !

4. La foi, les œuvres, et l’Esprit Saint

Mais comme ça ne réduisons-nous pas l’Évangile à une seule dimension, celle de la foi, en négligeant les œuvres ? Et comment concilier l’explication que nous venons de donner et les autres passages du Nouveau Testament où le mot conversion s’adresse à ceux qui ont déjà cru? Un jour, aux apôtres qui le suivaient depuis longtemps Jésus à dit: « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 18,3); Jean, dans l’Apocalypse, répète à chacune des sept Églises l’impératif « convertis-toi » (metanoeson), où le sens du mot est sans équivoque: revient à ta ferveur des débuts, sois vigilant, accomplit les œuvres, arrête de te bercer dans l’illusion d’être en règle avec Dieu, sors de ta tiédeur ! (cf. Ap 2-3).

L’apparente contradiction s’explique par une simple analogie avec ce qui arrive dans la vie physique. L’enfant ne peut rien faire pour être conçu dans le sein de la mère ; il a besoin de l’amour de deux parents qui lui donnent la vie; mais une fois venu au monde il doit faire fonctionner ses poumons, respirer, téter du lait, sinon la vie qu’il a reçue s’arrêtera. C’est dans ce sens que l’on doit comprendre la phrase de saint Jacques: « La foi sans les œuvres est morte » (Jc 2, 26), c’est-à-dire que sans les œuvres la foi «  meurt ».

C’est aussi le sens que la théologie catholique a toujours donné à la définition de Paul « la foi, qui agit par la charité » (Ga 5, 6). Nous ne serons pas justifiés par nos bonnes œuvres, mais nous ne seront pas sauvés sans nos bonnes œuvres; on peut résumer de la sorte ce que le concile de Trente dit sur ce point et que les chrétiens partagent de plus en plus dans le dialogue œcuménique.

L’exhortation apostolique du pape François reflète cette synthèse entre foi et œuvres. Après avoir commencé par parler de la joie de l’Évangile qui remplit le cœur, il rappelle dans le corps de la lettre tous les grands « non » que l’Évangile prononce contre l’égoïsme, l’injustice, l’idolâtrie de l’argent, et tous les grands « oui » qu’il nous encourage à dire au service d’autrui, à l’engagement social, aux pauvres. C’est la démonstration que la rencontre personnelle avec Jésus dont il nous parlait au début de la lettre, est loin d’être une expérience intimiste et individualiste ; elle devient, au contraire, le ressort principal pour l’évangélisation et la sanctification personnelle.

Mais l’engagement que l’Évangile exige n’affaiblit pas la promesse de joie par laquelle Jésus inaugure son ministère et par laquelle le pape commence son exhortation, bien au contraire, elle la renforce. Cette grâce que Dieu a offerte aux hommes en envoyant son Fils dans le monde, maintenant que Jésus est mort et ressuscité et qu’il a envoyé l’Esprit Saint, ne laisse pas le croyant seul aux prises avec les exigences de la loi et du devoir ; mais elle fait en lui et avec lui ce qu’il lui ordonne. L’aide divine le fait « déborder de joie au milieu de toutes ses détresses » (cf. 2 Co 7,4).

C’est sur cette certitude que le pape François achève son exhortation.
L’Esprit Saint, rappelle-t-il, « vient au secours de notre faiblesse » (Rm 8, 26).  Il est notre grande ressource. La joie promise par l’Évangile est le fruit de l’Esprit (Ga 5, 21), et il ne s’entretient que grâce à un contact continu avec lui.

Lors d’une rencontre récente avec les responsables des Fraternités charismatiques, le pape François a cité l’exemple de la respiration humaine4. Elle se produit en deux temps: d’abord l’inspiration qui permet de recevoir l’air, puis l’expiration qui permet de l’expulser. C’est, disait-il, un beau symbole de ce qui doit se passer dans l’organisme spirituel. Nous inspirons l’oxygène qui est l’Esprit Saint en priant, en méditant la parole de Dieu, par les sacrements, la mortification, le silence; nous répandons l’Esprit quand nous allons vers les autres, quand nous annonçant la foi et faisons œuvre de charité.

Ce temps de carême qui vient de s’ouvrir est, par excellence, un temps d’inspiration. Faisons, en cette période, de profondes respirations ; remplissons d’Esprit Saint les poumons de notre âme, et comme ça, sans nous en rendre compte, notre haleine sentira bon le parfum du Christ. Bon Carême à tous !

Traduction de Zenit

1 Benoît XVI, Discours à la Plénière du Conseil pontifical pour la famille , en 2011.

2 Novo millennio ineunte, 46.

3 S. Thomas d’Aquin, Summa theologiae, I-IIae, q.113,a,4.

4 Discours aux membres de la « Catholic Fraternity of Charismatic Covenant Communities and Fellowships », vendredi 31 ottobre 2014.

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Raniero Cantalamessa

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