Discours devant les autorités de Chypre © Vatican Media

Discours devant les autorités de Chypre © Vatican Media

Chypre: « Pas d’alternative à la paix » (texte complet)

Allocution du pape devant les forces vives de la société à Chypre

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Le chemin de la paix « n’est pas facile », fait observer le pape François, « mais il n’y a pas d’alternative pour parvenir à la réconciliation »: pour son premier discours aux autorités de Chypre, divisée depuis 1974, le pape François prie pour la paix et la « souhaite » de « toutes » ses « forces ».

C’est ce que le pape a dit en s’adressant aux autorités politiques et religieuses, les représentants de la société civile et les membres du corps diplomatique à Nicosie, la capitale de Chypre, ce jeudi 2 décembre 2021, premier jour de son 35e voyage apostolique (Chypre et Grèce, 2-6 décembre). Il venait de rencontrer les catholiques de différents rites dans la cathédrale maronite.

« Nourrissons l’espérance par la force des gestes, plutôt que d’espérer des gestes de force », a-t-il dit, « parce les gestes qui préparent la paix ont une force : non pas celle des gestes de pouvoir, des menaces de représailles ou des démonstrations de force, mais celle des gestes de détente, des pas concrets de dialogue ».

Chypre, souligne-t-il, « bénéficie » de sa « position » du « carrefour géographique, historique, culturel et religieux » « pour mettre en œuvre une action de paix ». « Qu’elle soit un chantier ouvert pour la paix en Méditerranée », souhaite le pape.

Le pape avait d’abord été accueilli par le président Nicos Anastasiades, pour un hommage au premier président, Makarios III, et un entretien en tête à tête – avec leurs interprètes – avant la présentation de la famille du président et l’échange de cadeaux.

Nappe d'autel brodée, cadeau du prés. Nicos Anastasiades © capture de Zenit / Vatican Media

Nappe d’autel brodée, cadeau du prés. Nicos Anastasiades © capture de Zenit / Vatican Media

Le président a offert au pape des ornements liturgiques brodés selon la tradition de Nicosie – nappe d’autel, voile de calice, marque-page pour l’Evangile -, ainsi qu’un flacon pour l’eau de rose traditionnellement offerte aux hôtes en signe de bienvenue.

Flacon d'eau de rose, et marque-page d'Evangile brodé, cadeaux du prés. Nicos Anastasiades © capture de Zenit / Vatican Media

Flacon d’eau de rose, et marque-page d’Evangile brodé, cadeaux du prés. Nicos Anastasiades © capture de Zenit / Vatican Media

Le pape a offert au président les principaux documents du pontificat, un médaillon représentant la médaille du voyage, ainsi qu’une médaille du voyage et un chapelet.

Médaillon du voyage à Chypre, cadeau du pape François © capture de Zenit / Vatican Media

Médaillon du voyage à Chypre, cadeau du pape François © capture de Zenit / Vatican Media

Au terme de la rencontre le président Anastasiades et son épouse, Andri Moustakoudi, ont raccompagné le pape François à sa voiture, un Fiat 500L noire – il avait déjà voyagé dans cette voiture aux Etats-Unis – immétriculé, selon la tradition SCV 1.

Voici le discours du pape François dans une traduction officielle en français.

Echange de cadeaux, chypre © Vatican Media

Echange de cadeaux, chypre © Vatican Media

Echange de cadeaux, chypre © Vatican Media

Echange de cadeaux, chypre © Vatican Media

Discours du pape

Monsieur le Président de la République,

Membres du Gouvernement et du Corps diplomatique,

Distinguées autorités religieuses et civiles,

Éminents représentants de la société et du monde de la culture,

Mesdames et messieurs !

Je vous salue cordialement, et vous exprime ma joie d’être ici. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour l’accueil que vous m’avez réservé au nom de toute la population. Je suis venu en pèlerin dans ce pays, petit par la géographie, mais grand par l’histoire ; une île qui, au fil des siècles, n’a pas isolé les peuples, mais les a reliés ; une terre qui a la mer pour frontière ; un lieu qui forme la porte orientale de l’Europe et la porte occidentale du Moyen-Orient. Vous êtes une porte ouverte, un port qui relie : Chypre, carrefour de civilisations, porte en elle une vocation innée à la rencontre, facilitée par le caractère accueillant des Chypriotes.

Nous venons de rendre hommage au premier Président de cette République, l’archevêque Makarios, et en faisant ce geste, j’ai voulu rendre hommage à tous les citoyens. Son nom, Makarios, évoque les paroles initiales du premier discours de Jésus : les Béatitudes (cf. Mt 5, 3-12). Qui est makarios, qui est vraiment bienheureux selon la foi chrétienne, à laquelle cette terre est inséparablement liée ? Tous peuvent être bienheureux, mais surtout les pauvres en esprit, les blessés de la vie, ceux qui vivent avec douceur et miséricorde, ceux qui, sans le montrer, pratiquent la justice et construisent la paix. Les Béatitudes, chers amis, sont la constitution pérenne du christianisme. Les vivre permet à l’Évangile d’être toujours jeune et de féconder d’espérance la société. Les Béatitudes sont la boussole qui guide, sous toutes les latitudes, les itinéraires que les chrétiens affrontent sur le chemin de la vie.

C’est ici même où l’Europe et l’Orient se rencontrent que la première grande inculturation de l’Évangile a commencé sur le continent, et il est émouvant pour moi de marcher à mon tour sur les pas des grands missionnaires des origines, en particulier les saints Paul, Barnabé et Marc. Me voici donc pèlerin parmi vous pour marcher avec vous, chers Chypriotes ; avec vous tous, dans le désir que, d’ici, la Bonne Nouvelle de l’Évangile puisse apporter à l’Europe son joyeux message sous le signe des Béatitudes. Ce que les premiers chrétiens ont donné au monde par la douce force de l’Esprit était un message de beauté sans précédent. Ce fut la nouveauté surprenante du bonheur à portée de tous, à gagner les cœurs et les libertés de tant de personnes. Ce pays a un héritage particulier à cet égard, en tant que messager de beauté entre continents. Le territoire de Chypre resplendit de beauté, une beauté qui doit être protégée et sauvegardée par des politiques environnementales appropriées et concertées avec ses voisins. La beauté transparaît également à travers l’architecture, l’art, notamment l’art sacré, l’artisanat religieux et les nombreux trésors archéologiques. En utilisant une image à partir de la mer qui nous entoure, je dirais que cette île est comme une perle de grande valeur au cœur de la Méditerranée.

Une perle, en effet, se forme au fil du temps : il faut des années pour que les différentes stratifications la rendent compacte et brillante. De la même façon, la beauté de cette terre provient des cultures qui se sont rencontrées et mélangées au fil des siècles. Aujourd’hui encore, la lumière de Chypre offre de multiples facettes : il y a tant de peuples et de personnes qui, avec des couleurs différentes, composent la gamme chromatique de cette population. Je pense aussi à la présence de nombreux immigrés, le plus grand pourcentage parmi les pays de l’Union européenne. Préserver la beauté multicolore et polyédrique de l’ensemble n’est pas chose aisée. Comme pour la formation d’une perle, cela exige du temps et de la patience, une vision large qui englobe la variété des cultures et envisage l’avenir avec clairvoyance. En ce sens, il est important de protéger et de promouvoir chaque composante de la société, en particulier celles qui sont statistiquement minoritaires. Je pense également aux différents organismes catholiques qui pourraient bénéficier d’une reconnaissance institutionnelle appropriée, afin que la contribution qu’ils apportent à la société par leurs activités, notamment éducatives et caritatives, soit définie clairement d’un point de vue juridique. Une perle fait ressortir sa beauté dans les circonstances difficiles. Elle naît dans l’obscurité, lorsque l’huître « souffre » après une visite inattendue qui menace son intégrité, comme par exemple un grain de sable qui l’irrite. Pour se protéger, elle réagit en assimilant ce qui l’a blessée : elle enveloppe ce qui lui est dangereux et étranger, et le transforme en beauté, en perle. La perle de Chypre a été obscurcie par la pandémie, qui a empêché de nombreux visiteurs d’y accéder et d’en voir la beauté, aggravant, comme en d’autres lieux, les conséquences de la crise économique et financière. En ce temps de reprise, ce ne sera pourtant pas la frénésie à rattraper le temps perdu qui garantira un développement solide et durable, mais plutôt l’engagement à promouvoir une société plus saine, notamment à travers une lutte déterminée contre la corruption et les fléaux qui portent atteinte à la dignité de la personne ; je pense en particulier aux trafics des êtres humains.

Mais la blessure dont souffre le plus cette terre est la terrible lacération subie au cours des dernières décennies. Je pense à la souffrance intérieure de tous ceux qui ne peuvent pas retourner dans leurs maisons ni dans leurs lieux de culte. Je prie pour votre paix, pour la paix de toute l’île, et je la souhaite de toutes mes forces. Le chemin de la paix, qui guérit les conflits et régénère la beauté de la fraternité, est balisé par un mot : dialogue. Nous devons nous aider à croire à la force patiente et douce du dialogue, en puisant cette force dans les Béatitudes. Nous savons que ce chemin n’est pas facile, qu’il est long et sinueux, mais il n’y a pas d’alternative pour parvenir à la réconciliation. Nourrissons l’espérance par la force des gestes, plutôt que d’espérer des gestes de force. Parce les gestes qui préparent la paix ont une force : non pas celle des gestes de pouvoir, des menaces de représailles ou des démonstrations de force, mais celle des gestes de détente, des pas concrets de dialogue. Je pense, par exemple, à l’engagement en faveur d’une discussion franche qui mette au premier plan les besoins de la population, ou encore à une implication toujours plus active de la Communauté internationale, à la sauvegarde du patrimoine religieux et culturel, et en ce sens à la restitution de ce qui est particulièrement cher à la population, comme les lieux ou au moins le mobilier sacré. À ce propos, je voudrais exprimer mon appréciation et mon encouragement pour le Religious Track of the Cyprus Peace Project, promu par l’ambassade de Suède, afin de cultiver le dialogue entre les chefs religieux.

Ce sont précisément les périodes en apparence peu propices et durant lesquelles le dialogue piétine, qui peuvent pourtant préparer la paix. C’est encore une fois la perle qui nous le rappelle, lorsqu’elle devient elle-même en tissant, dans une obscure patience, de nouvelles substances avec l’agent qui l’a blessée. Dans ces moments-là, ne laissons pas la haine l’emporter, ne renonçons pas à panser les plaies, n’oublions pas le sort des disparus. Et lorsque vient la tentation du découragement, pensons aux générations futures qui souhaitent hériter d’un monde pacifique, coopératif et uni, qui ne soit pas habité par d’éternelles rivalités et pollué par des querelles non résolues. C’est à cela que sert le dialogue, sans lequel la suspicion et le ressentiment grandissent. Que la Méditerranée soit notre point de référence, aujourd’hui malheureusement lieu de conflits et de tragédies humanitaires. Dans sa profonde beauté, elle est la Mare nostrum, la mer de tous les peuples qui l’entourent pour être reliés et non divisés. Chypre, carrefour géographique, historique, culturel et religieux, bénéficie de cette position pour mettre en œuvre une action de paix. Qu’elle soit un chantier ouvert pour la paix en Méditerranée.

Bien souvent, la paix ne vient pas des grands personnages, mais de la détermination quotidienne des plus petits. Le continent européen a besoin de réconciliation et d’unité, il a besoin de courage et d’élan pour aller de l’avant. Parce que les murs de la peur et les vetos dictés par des intérêts nationalistes ne contribueront pas à sa progression, pas plus que la reprise économique ne garantira à elle seule sa sécurité et sa stabilité. Regardons l’histoire de Chypre et voyons comment la rencontre et l’accueil ont porté des fruits bénéfiques à long terme. Non seulement au regard de l’histoire du christianisme, dont Chypre a été le « tremplin » vers le continent, mais aussi pour la construction d’une société qui a trouvé sa richesse dans l’intégration. Cet esprit d’ouverture, cette capacité à regarder au-delà de ses propres frontières rajeunit, et permet de retrouver le lustre perdu.

À propos de Chypre, les Actes des Apôtres rapportent que Paul et Barnabé ont « traversé toute l’île » pour atteindre Paphos (cf. Actes 13, 6). C’est une joie pour moi de parcourir l’histoire et l’âme de cette terre au cours de ces journées, avec le désir que son aspiration à l’unité et son message de beauté continuent à en guider le chemin. O Theós na evloghi tin Kipro ! [Que Dieu bénisse Chypre !]

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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