Il a déjà été dit que, dans la Prière eucharistique, il ne fallait pas seulement être attentif aux paroles. Les gestes, eux aussi, sont chargés de sens. Les gestes liturgiques d’aujourd’hui ne cherchent pas à mimer le scenario de la Dernière Cène. Le prêtre ne brise pas l’hostie en disant « il le rompit ». Les fidèles sont debout ou à genoux : en tout cas, ils ne sont pas couchés (voir chronique 24).
Origines et motifs
Chacun sait que la pratique de l’élévation après la consécration du pain et du vin n’est pas primitive. Comme toujours en liturgie, il est difficile de fixer rigoureusement une date et un lieu pour l’apparition d’une pratique : les textes sont habituellement postérieurs aux pratiques et beaucoup se sont perdus. Une attestation claire nous conduit à Paris, dans les premières années du 13ème siècle.
Le prêtre célébrant alors en tête de l’assemblée, les fidèles ne voyaient, ni l’hostie, ni le calice. Mais lorsque le style gothique permit à la lumière de pénétrer dans les églises, les fidèles, logiquement, demandèrent à voir. Certes, comme le chante l’hymne Adoro te, dans l’Eucharistie, nous ne voyons, ni la divinité, ni même l’humanité du Seigneur. Mais, du moins, nous tournons notre regard vers lui : la foi est-elle autre chose ? Quand les Hébreux, dans le désert, étaient mordus par des serpents, Moïse, sur l’ordre de Dieu, façonna le serpent d’airain : « Quiconque le regardera restera en vie », dit le Seigneur (Nombres 21, 8 ; Jean 3, 14-15).
Dieu est présent dans toute la Création et, cependant, des lieux, des images, des moments lui sont spécialement consacrés. Nous sommes des êtres spirituels et charnels, répète sans cesse Charles Péguy, un homme qui, justement, se trouvait en phase avec ses ancêtres du Moyen-Age.
Une autre raison peut avoir encouragé la pratique de l’élévation : la communion sacramentelle était devenue rare. Depuis longtemps. Si bien que le IVème concile du Latran (1215) prescrivit, au moins, la communion pascale. A défaut de communier, les fidèles pourraient, au moins, adorer. C’est aussi au 13ème siècle que commence à se développer le culte eucharistique en dehors de la messe : adoration, procession, confréries du Saint-Sacrement.
Une pratique qui a du sens
Aujourd’hui, la communion est devenue presque systématique (c’est un autre problème) et l’autel se trouve, le plus souvent, entre le prêtre et les fidèles : le problème de visibilité se pose moins, sauf si l’assemblée est nombreuse. Les motifs d’origine ont donc presque disparu. L’élévation s’est pourtant maintenue et elle a sa valeur. Il ne faut pas la confondre avec celle qui accompagne la doxologie finale, en signe d’offrande.
La liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique sont ponctuées par deux temps de méditation, après l’Evangile (et l’homélie) et après la communion. En dehors de ces deux moments, l’action liturgique est continue. Mais une lecture, pour être intelligente, a besoin de silences, si brefs soient-ils, entre les paragraphes. De même la musique, entre les mouvements. Et si l’œuvre est vraiment prenante, un léger intervalle sépare la dernière mesure et les applaudissements.
Le silence accompagne habituellement les deux élévations. Il est une forme de communion. Les fidèles regardent ensemble dans la même direction : leurs regards se rencontrent en Celui qui les unit. Jadis, les fidèles murmuraient dans leur cœur : « Mon Seigneur et mon Dieu », comme Thomas qui, comme eux peut-être, n’avait pas la foi automatique. On peut penser aussi à la prophétie de Zacharie, reprise par saint Jean en conclusion du récit de la Passion : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. »
Parfois, l’assemblée exprime sa foi par une double acclamation : « Corps du Christ livré pour nous », « Sang du Christ versé pour nous ». Ce faisant, ils se rapprochent des chrétiens orientaux. Bien que les Orthodoxes accordent la primauté à la venue de l’Esprit Saint sur les offrandes, un « amen » chanté par le chœur suit chacune des deux parties du récit de l’Institution.
« Et ils se prosternèrent devant lui »
Au cours des siècles et selon les lieux, l’attitude des fidèles pendant la Prière eucharistique et, notamment, lors de la consécration, a été et demeure fort variable. La Présentation générale du Missel romain ne donne aucune indication à cet égard.
La pratique la plus fréquente aujourd’hui est de s’incliner profondément au moment où le prêtre repose l’hostie ou le calice sur l’autel. Se prosterner est une attitude souvent attestée dans le Nouveau Testament. Les mages, Pierre après la tempête apaisée, les saintes Femmes et les disciples après la Résurrection et le jour de l’Ascension se sont prosternés devant le Christ. Mais aussi, ceux qui attendaient de lui de retrouver la vie : le lépreux, la Cananéenne, l’homme dont la fille était morte. Dans l’Apocalypse, les Vieillards se prosternent devant le Trône et devant l’Agneau. A l’inverse, se prosterner devant un homme, a fortiori devant la force, serait idolâtrique.
On a suffisamment reproché à la liturgie latine d’être trop statique pour que nous fassions fi de ces possibilités qui nous sont données d’exprimer physiquement notre foi. Dans l’Eucharistie, le Christ fait entendre son appel : « Suis-moi ! » Encore faut-il savoir qui nous suivons : celui que nous suivons, c’est le Bon pasteur, celui qui donne sa vie pour ses brebis.