Coupole de la basilique Saint-Pierre, Cité du Vatican © ZENIT - HSM

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Procès au Vatican: témoignages de la 5e audience

Un « pré-séminaire » en question

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La cinquième audience du procès de deux prêtres italiens inculpés par le tribunal du Vatican, l’un pour abus sexuels et l’autre pour complicité, s’est tenue ce 24 février 2021.

C’est le promoteur de justice (procureur, ndlr) du tribunal de la Cité du Vatican qui, en septembre 2019 a demandé leur inculpation pour des faits qui auraient eu lieu au pré-séminaire San Pio X entre 2007 et 2012 : le p. Gabriele Martinelli est accusé notamment de violence et d’abus d’autorité sur un autre jeune (« L.G. ») – mineur – dont il aurait abusé sexuellement, lui-même étant mineur à l’époque. Et le p. Enrico Radice, alors recteur est accusé de complicité.

Les quatre témoins appelés à la barre lors de cette nouvelle audience  – trois anciens élèves et un prêtre de la basilique Saint-Pierre -, ont fait état d’une ambiance « malsaine », faite de rivalités, de ragots, de moqueries et d’agressions sexuelles.

Le cardinal archiprêtre d’alors – qui vient de prendre sa retraite -, Angelo Comastri, aurait été mis au courant ainsi que la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Dans plusieurs lettres, le p. Enrico Radice, alors recteur du pré-séminaire, aurait couvert ces abus en contredisant la déposition de la victime en 2013, avant de nier, en 2018, avoir été au courant des faits reprochés.

Quatre témoins à la  barre

Cette cinquième audience a duré plus de trois heures et demi (10h10 – 13h45), avec l’écoute des témoins Andrea Spinato, 31 ans, ancien élève, pendant huit ans, Christian Gilles Donghi, 35 ans, élève pendant un mois, Flaminio Ottaviani, 34 ans, élève pendant un an, alors âgé de 23 ans, et le p. Pierre Paul, religieux d’origine canadienne, Oblat de la Vierge Marie (OMV), official de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, né en 1958.

Deux victimes présumées étaient absentes: Matteo Borghetti (sans justification) et Andrea Garzola (avec justification).

L’accusé, Gabriele Martinelli, est présenté comme un jeune auquel l’ancien recteur, le p. Enrico Radice avait en fait délégué des fonctions, en « contournant » en quelque sorte deux autres prêtres de l’équipe de formation, le p.  Marco Granoli, directeur spirituel, et le p. Ambrogio Marinoni, vice-recteur.

Les violences présumées ont été apprises par des tiers puis rapportées par eux, notamment par Kamil Jarzembowski, un jeune polonais qui a fait exploser l’affaire à la télévision italienne privée (groupe Mediaset) dans le programme satirique « Le Iene » (« les Hyènes »).

Huit ans au pré-séminaire

Andrea Spinato parle d’avoir vu des «attouchements» et des «avances» de Martinelli envers des élèves plus jeunes.

On faisait  «des blagues sur l’aspect féminin, sur l’aspect physique» mais aussi «sur l’origine régionale et sur le travail des parents», rapporte encore Spinato.

Spinato a également parlé d’un groupe WhatsApp, créé en 2015, dont les anciens sont membres principalement pour échanger des voeux. Dans ce groupe on a posté l’émission de « Le Iene » et certains articles concernant le scandale des abus dans le pré-séminaire mais le silence a été gardé et personne n’a jamais fait de commentaire.

Le climat décrit par un témoin

«Les ragots étaient très passionnés sur l’environnement curial et il y avait aussi une moquerie continue contre certains élèves du pré-séminaire», déplore pour sa part Gilles Donghi.

Christian Gilles Donghi s’est présenté spontanément au Promoteur de justice en septembre 2018 avec le désir de faire la lumière. Il était au courant de plusieurs détails de l’enquête menée par le diocèse de Côme qui lui ont été rapportés par le vicaire judiciaire de Côme, le p. Andrea Stabellini, qui lui a également indiqué à quel moment ils devaient venir à Rome avec l’évêque émérite, Mgr Diego Coletti, après avoir reçu une lettre dénonçant des «faits graves» à l’intérieur du « San Pio X ».

Certains avocats ont protesté: injustifiable pour un vicaire judiciaire d’informer des séminaristes d’une enquête en cours. Pourquoi l’a-t-il fait? « C’était un de mes amis et mon professeur de théologie à Lugano, il y avait une estime mutuelle », a déclaré Donghi.

Donghi dit avoir remarqué à l’époque une « harmonie particulière » entre Martinelli et la présumée victime L.G.: « Ils parlaient beaucoup entre eux, ils étaient très proches ».

En septembre 2016, Gilles Donghi a volontairement contacté Kamil Jarzembowski, le jeune Polonais entré au pré-séminaire en 2009, qui a ensuite été éloigné, et protagoniste de l’émission de « Le Iene« . Il l’a contacté sur Facebook et il l’a aidé à faire parvenir sa lettre de dénonciation aux dicastères de la curie.

Un témoin à charge

Flaminio Ottaviani, dit avoir vu, « lors d’une lutte dans une pièce », Martinelli avoir des gestes déplacés sur un autre élève. Son témoignage est accablant pour les autorités de l’époque.

« C’était un environnement mauvais et malsain, où il y avait de fortes pressions psychologiques », « il y avait des blagues à fond homosexuel constantes et on donnait des surnoms féminins », témoigne encore Flaminio Ottaviani.

Selon lui, le recteur «savait tout mais couvrait, faisait la sourde oreille», «parler au recteur signifiait marquer un but contre son camp car Gabriele [Martinelli] était son protégé». « Même le cardinal Comastri savait tout et n’a jamais rien fait », accuse Ottaviani.

Ce témoin indique ensuite que les autorités de Côme, Mgr Coletti et le p. Stabellini voulaient déplacer le p. Radice comme recteur, mais le cardinal Angelo Comastri aurait suggéré de ne pas le faire, estimant les rumeurs comme étant des « mensonges ». Le vicaire « a été déconcerté par l’attitude du cardinal Comastri ». Mais beaucoup étaient effectivement convaincus que les dénonciations n’étaient que « mensonges et calomnies ». C’est justement le but du procès de faire la lumière.

Pour Ottaviani, témoin à charge, Martinelli était « arrogant et mentalement dérangé ». Ottaviani dit avoir remarqué « une haine » entre Martinelli et L.G. qui ne se parlaient pas, et qui s’asseyaient à des tables séparées. Cependant L.G. recevait de Martinelli des « charges importantes ». Pour le témoin, la raison était que Martinelli craignait que L.G. puisse dire quelque chose qui le discrédite. Même attitude envers un autre garçon, Matteo Borghetti. « Il y avait comme une sorte de respect. C’était comme si Martinelli les contrôlait, comme s’il avait peur d’un ennemi qui puisse faire du mal ».

Ottaviani témoignage qu’Andrea Garzola, qui aurait « refusé les avances » de Martinelli « est tombé en disgrâce », a été « marginalisé » et « soumis à des pressions psychologiques » au point de devoir quitter le pré-séminaire.

Brimades et lettre anonyme

Il continue sa déposition à charge, se disant « très sûr » que les autorités avaient été « informées »: pour lui, « Radice savait mais n’a rien fait. Il était fuyant, on ne pouvait pas lui parler sauf par des blagues mais il faisait la sourde oreille ». Il assure avoir vu Kamil Jarzembowski sortir du bureau du cardinal Comastri où il était allé rapporter les faits dont il avait connaissance.

Lui-même était allé parler au p. Granoli de ce qu’il avait vu mais, «avec résignation», le père spirituel lui a fait comprendre, affirme-t-il, qu’il était « au courant de certains faits » mais qu’il ne pouvait pas agir.

Il raconte aussi avoir subi, bien que plus âgé, des épisodes de « brimades » de la part de jeunes garçons: il a retrouvé un de ses vêtements liturgiques boutons déchirés, au sol: « Je me suis retrouvé à pleurer plusieurs fois mais, par humilité, je n’ai jamais rien dit. »

En 2013, deux ans après sa sortie du pré-séminaire, Ottaviani a écrit une lettre anonyme, au Pape, pour dénoncer ce qui s’était passé au Palazzo San Carlo: «Je l’ai fait de ma propre initiative, il me semblait inapproprié que certaines choses se passent dans une église. J’avais peur de m’exposer ».

Les Actes du procès ont acquis les messages échangés sur WhatsApp entre Ottaviani et le p. Daniele Pinton, un ancien élève du pré-séminaire. Dans les messages, se trouvent plusieurs accusations contre le p. Angelo Magistrelli, responsable de l’Oeuvre Don Folci (oeuvre du diocèse de Côme, gérant la pré-séminaire, ndlr) et actuel recteur.

Signalement à la Commission pour la protection des mineurs

Le p. Pierre Paul était maître de la chapelle Giulia et prêtre de la basilique Saint-Pierre. Il avait reçu les confidences de L.G.: « Il ne m’a jamais dit explicitement ce qui n’allait pas mais il était clair que c’étaient des problèmes dans la sphère affective et sexuelle ».

Mgr Vittorio Lanzani, l’adjoint du cardinal Comastri à la Fabrique de Saint-Pierre, « connaissait Kamil [Jarzembowski] et L.G. ». Le père Paul avait impliqué L.G, après qu’il a quitté le pré-séminaire, dans la chorale de la Chapelle Giulia, « aussi parce que nous avons donnions un cachet (20 euros) et qu’il avait des problèmes économiques », mais Mgr Lanzani l’en aurait dissuadé.

En 2017, le p. Paul a fait un rapport à la Commission pour la Protection des Mineurs de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il voulait le faire beaucoup plus tôt mais L.G. il l’en a empêché parce qu’il voulait «mettre une pierre» sur toute cette histoire et Kamil Jarzembowski lui avait également dit qu’il avait lui-même envoyé une lettre à ce dicastère. Puis, dit-il «je l’ai fait aussi, car je pense qu’un prêtre qui sait quelque chose et ne parle pas devient complice».

« A plusieurs reprises », il s’est adressé à la Commission de protection des mineurs et il a été informé qu’il serait interrogé par Domenico Giani, le chef de la gendarmerie vaticane, qui n’est plus en poste depuis 2019. Le p. Pierre rapporte encore qu' »il était en colère » de voir Martinelli gérer encore les services liturgiques avec les enfants des années plus tard parce que « si quelqu’un a des problèmes de ce genre, on ne le met pas avec les jeunes ».

Un pré-séminaire remis en question

Entre quinze et vingt jeunes garçons, d’une moyenne d’âge allant de 11 à 18 ans, fréquentent chaque année ce pré-séminaire fondé au sein du Vatican. Surnommés les « servants de messe du pape », ils discernent leur vocation à l’ombre de la coupole de Saint-Pierre où ils sont chargés chaque jour de servir la messe des prélats.

L’institution a été voulue en 1956 par Pie XII et elle a été confiée au diocèse de Côme, dans le Nord de l’Italie, à quelque 700km de Rome. L’évêque émérite, Mgr Diego Attilio Coletti, a reçu la plainte de la victime, estimant en un premier temps qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments concrets pour entreprendre une action en justice.

Demain, 25 février 2021, pour la sixième audience, l’actuel évêque de Côme, Mgr Oscar Cantoni, sera entendu comme témoin, tandis que Mgr Diego Coletti, qui a présenté un certificat médical pour « des problèmes de troubles cognitifs et un diabète élevé », ne se présentera pas à la barre.

Avec Manuela Tulli et Salvatore Cernuzio

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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