Celui qui ne « voulait pas déranger », s’est éteint dans la nuit vers 2h30, dans un grand élan d’amour pour ceux qu’il quittait: Ennio Morricone a achevé sa mission ce 6 juillet 2020, à 91 ans, à Rome, sa ville natale, au « Campus biomedico » où il avait été hospitalisé après une chute, due à un malaise respiratoire, causant une fracture du fémur. Les complications respiratoires l’ont emporté.
Mission d’aimer
Mais il avait rédigé avant sa chute une forme de testament simple et extraordinaire, qui a été trouvé par sa famille, tout imprégné de l’amour des siens, en crescendo: « Moi, Ennio Morricone je suis mort. Je l’annonce ainsi à tous les amis qui m’ont été proches, et aussi à ceux un peu éloignés, que je salue avec une grande affection. Impossible de tous les nommer. » Mais il nomme « Peppuccio » – Giuseppe Tornatore -.
Il rappelle « avec amour » ses 3 soeurs, Adriana, Maria et Franca, et ceux qui leur sont chers, pour leur dire « combien je les aimés ». Il nomme avec « intensité et profondeur » ses 4 enfants, Marco, Alessandra, Andrea, et Giovanni, sa belle-fille Monica et ses 4 petits enfants Francesca, Valentina, Francesco et Luca.
Ce testament est aussi une ultime déclaration à elle, Maria, sa femme, comme un point d’orgue de cet amour: « Je lui renouvelle l’amour extraordinaire qui nous a tenus ensemble et que je suis désolé d’abandonner. A elle, l’adieu le plus douloureux. »
C’est à sa femme qu’est allée sa gratitude au moment de l’Oscar de Los Angeles en 2008: « Nous nous sommes connus à Rome au cours de l’Année sainte 1950. Elle est née en Sicile, mais elle venue dans la capitale à l’âge de trois ans. (…) C’était une amie de ma soeur Adriana. Et elle m’a tout de suite beaucoup plu. »
Mais c’est un accident de voiture qui a fait cristalliser l’amour: « Ils l’ont mise dans le plâtre de la taille jusqu’au cou, comme on le faisait à l’époque. Elle souffrait beaucoup. Je suis resté auprès d’elle. Et ainsi, jour après jour, goutte à goutte, elle est tombée amoureuse. Parce qu’en amour comme dans l’art, le tout, c’est la constance! »
Leur mariage a été célébré le 13 octobre 1956: « Le succès vient du talent, certes, mais plus encore du travail, de l’expérience et de la fidélité, à l’art comme à sa femme. »
Le concert pour les pauvres
Et entre deux élans d’amour, il confie la raison de ce testament imprimé, dans un pianisssimo murmuré: « Il y a une seule raison qui me pousse à vous saluer tous ainsi et à avoir des obsèques sous forme privée: je ne veux pas déranger. »
Le maestro passait parfois par l’église du Gesù, auprès de la tombe de saint Ignace de Loyola : il aimait la façon dont l’organiste, Laura Gogiashvili, fait chanter le clavier et communique son legato à l’assemblée.
En 2015, il a composé la Missa Papae Francisci («Messe pour le Pape François») à l’occasion du bicentenaire du rétablissement de la Compagnie de Jésus. Cette œuvre lui avait été commandée en 2012 et, après l’élection l’élection de 2013, il avait décidé de la dédier au pape jésuite.
En 2019, il a reçu la «Médaille du Pontificat» du pape François, qui lui a été remise par le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, qui a salué « son extraordinaire engagement artistique, qui a aussi eu des aspects de nature religieuse ».
Ennio Morricone a rencontré le pape François à l’occasion d’un concert pour les pauvres, et il a raconté avoir pleuré d’émotion avec sa femme, mais ne pas avoir réussi à convaincre le pape argentin de venir écouter la messe qu’il avait composée.
La remise de la médaille papale a eu lieu à l’occasion de l’interprétation, en l’église Sainte-Agnès de la Place Navone, de la « Passion selon saint Jean », de Jean-Sébastien Bach, composée pour la Semaine sainte de 1724.
Il avait accepté de diriger un concert en Salle Paul VI du Vatican en 2020: « Je ne pouvais pas dire non. »
Le compositeur a aussi écrit « des pages sacrées » : en 1966, un « Requiem », un « Chemin de Croix »; en 1995 un « Salut, Reine des Cieux » et en 2008, « Le vide de l’âme comblée » pour la cathédrale de Sarsina.
Ne pas déranger
« Toute ma musique a toujours eu quelque chose de sacré (…). Je trouve toujours quelque chose de sacré et de mystique, même s’il s’agit des bandes sonores que j’ai écrites pour les westerns de Sergio Leone », avouait même un jour le maestro aux plus de 500 musiques de film, qui est parti avec le »réconfort de la foi », comme a voulu le souligner Giorgio Assumma, avocat et ami de la famille qui a révélé ce testament devant la presse.
Il a « conservé jusqu’au bout une pleine lucidité et une grande dignité. Il a salué son épouse bien-aimée, Maria, qui l’a accompagné avec dévouement à chaque instant de sa vie humaine et professionnelle, et qui l’a accompagné jusqu’à son dernier souffle », a ajouté le porte-parole ami.
Il a confirmé que les obsèques seront célébrées en privé « dans le respect du sentiment d’humilité qui a toujours inspiré les actes de son existence ».
Même insistance sur sa modestie de la part du prof. Vincenzo Denaro, ami de la famille également, qui lui a parlé hier encore, dimanche 5 juillet. Il a indiqué à la presse qu’Ennio Morricone « a été lucide et présent jusqu’au bout. Il s’attendait à mourir et il a planifié ses obsèques dans les moindres détails: il ne voulait aucune publicité ».
Le cardinal Ravasi a confié au micro de Radio Vatican qu’Ennio Moricone est parvenu à « exprimer en même temps l’ineffable et l’invisible, qui sont l’âme de la religion ».
La maman d’Ennio Morricone, Libera Ridolfi, était elle-même très croyante: elle participait aux rencontres de la Légion de Marie de la paroisse Notre-Dame de La Salette de Rome, dans le quartier Monteverde Nuovo.
Mission accomplie
Romain, né en 1928, Morricone a reçu l’Oscar pour sa carrière en 2008, après avoir reçu cinq nominations.
Diplômé du Conservatoire Sainte-Cécile, il a composé des centaines d’œuvres musicales, il a n’a pas dédaigné de signer l’arrangement de chansons qui ont fait l’histoire de la musique de variété italienne.
Il a atteint une renommée mondiale avec les colonnes sonores de films cultes comme « Il était une fois dans l’Ouest », de Sergio Leone, « Les incorruptibles », de Brian De Palma, « Les huit salopards », de Quentin Tarantino, qui lui a valu le « Golden Globe » en 2016, et l’immense fresque dramatique des missionnaires jésuites en Amérique du Sud, « Mission », de Roland Joffé. Mission accomplie pour Ennio Morricone.