En dépit d’une « solide compréhension et protection du droit à la liberté religieuse dans le droit international », Mgr Auza dénonce les « actes nombreux, graves et courants d’intolérance, de discrimination, de persécution et même de génocide contre des croyants religieux en raison de leurs croyances » dans le monde, au cours de ces dernières années. Si toutes les religions sont menacées, précise-t-il, les chrétiens sont « la communauté religieuse la plus ciblée au monde ». C’est pourquoi « la protection du droit à la liberté religieuse doit être l’une des responsabilités les plus urgentes de la communauté internationale ». Il dénonce notamment la montée de l’antisémitisme.
Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège, a prononcé un discours lors de la manifestation parallèle intitulée « Liberté religieuse internationale : Une nouvelle ère pour le plaidoyer en réponse à une nouvelle ère de défis et de menaces », aux Nations Unies, à New York, le 1er mars 2019.
Reprenant la « Déclaration commune sur la fraternité humaine » signée à Abou Dhabi par le pape François et le grand imam El Tayeb, il souligne que « pour protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion, il est nécessaire de renforcer le concept de la primauté du droit et de l’égalité devant la loi fondé sur le principe de la citoyenneté, indépendamment de la religion, la race ou l’appartenance ethnique ». Le concept de citoyenneté, écrivaient les signataires du document, est « fondé sur l’égalité des droits et des devoirs, en vertu de laquelle tous jouissent de la justice ».
Le Saint-Siège défend « l’application universelle et impartiale » du « droit fondamental » à la liberté de religion: c’est aussi ce qu’à déclaré Mgr Ivan Jurkovic à la 40e Session du Conseil des droits de l’homme, le 5 mars 2019.
L’intention de prière du pape François pour le mois de mars, portée par son Réseau Mondial de Prière, est, rappelons-le, pour la reconnaissance des droits des communautés persécutées.
Voici notre traduction du discours prononcé par Mgr Auza.
HG
Discours de Mgr Bernardito Auza
Excellences, Honorables panélistes, Chers amis,
Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue à la manifestation de ce matin sur une nouvelle ère pour le plaidoyer en faveur de la liberté religieuse internationale en réponse à une nouvelle ère de défis et de menaces, que le Saint-Siège a l’honneur de parrainer avec le Comité des ONG pour la liberté de religion et de conviction.
rnière, la communauté internationale a célébré le soixante-dixième anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). L’article 18 de la DUDH affirme que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » et précise que « ce droit comprend la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».
Par la suite, ce droit est devenu partie intégrante du droit international dans l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui précise en outre que « nul ne peut être soumis à une contrainte susceptible de porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix », souligne que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre, la santé ou la moralité publiques ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui » et qui prescrit que les parents ont la liberté « d’assurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale conforme à leurs propres convictions ».
En dépit de cette solide compréhension et protection du droit à la liberté religieuse dans le droit international, nous avons été témoins dans le monde entier d’actes nombreux, graves et courants d’intolérance, de discrimination, de persécution et même de génocide contre des croyants religieux en raison de leurs croyances
Les actes d’antisémitisme violent ne cessent d’augmenter, comme les personnes qui ont été abattues dans un supermarché casher à Paris ou dans une synagogue à Pittsburgh.
Les musulmans ont dû endurer une intolérance, une discrimination et même des persécutions croissantes de la part de certains États en raison de l’islamophobie, ainsi que des attaques de la part d’autres musulmans qui ne croient pas qu’ils adhèrent à la forme correcte de l’Islam.
Les chrétiens, selon une étude annoncée en 2017 et publiée par le ‘Center for Ethics and Culture’ de Notre Dame, le ‘Religious Freedom Research Project’ de l’Université de Georgetown et le ‘Religious Freedom Institute’, sont « la communauté religieuse la plus ciblée au monde, souffrant de persécutions terribles dans le monde », même si dans de nombreux milieux cette persécution est ignorée.
Chaque année, il existe également de nombreux cas documentés de discrimination et de persécution ciblées à l’encontre d’hindous, de bouddhistes, de samaritains, de sikhs, de membres de Falun Gong, de témoins de Jéhovah, d’Ahmadis, de scientologues et autres. Les Yazidis, comme chacun le sait, ont subi une attaque génocidaire. Et en divers endroits, les athées, eux aussi, ont subi une discrimination et des persécutions systématiques en violation de leur droit de croire librement qu’il n’y a pas de Dieu et d’ordonner leur vie selon cette conviction.
Le Rapport 2018 du rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion et de conviction a noté que 24 États ayant une religion d’État officielle imposent des restrictions « très élevées » ou « élevées » aux pratiques religieuses alors que 11 autres États ayant des « religions favorisées » ont également des restrictions « très élevées » ou « élevées » similaires.
Le Rapport annuel 2018 de la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale (U.S. Commission on International Religious Freedom) a documenté le fait que 28 pays dans lesquels les gouvernements et les acteurs non étatiques ont ciblé les personnes n’appartenant pas à des communautés majoritaires et les personnes sans religion par de graves abus, y compris, dit-on, « le génocide et d’autres atrocités de masse, le meurtre, l’esclavage, le viol, l’emprisonnement, les déplacements forcés, la conversion forcée, l’intimidation, le harcèlement, la destruction des biens, la marginalisation des femmes et l’interdiction faite aux enfants de participer à des activités religieuses et éducatives ».
De plus, le Rapport 2018 sur la liberté religieuse dans le monde par L’Aide à l’Église en détresse, qui compte parmi ses membres des représentants de premier plan, explique en détail comment, de juin 2016 à juin 2018, la situation des groupes religieux minoritaires s’est détériorée dans 18 des 38 pays où des violations importantes de la liberté religieuse ont été observées. Il y a eu une augmentation des violations de la liberté religieuse de la part des acteurs étatiques. Il existe également des formes de plus en plus agressives de nationalisme hostile aux minorités religieuses qui ont conduit à une intimidation systématique accrue des groupes minoritaires religieux en tant qu’étrangers déloyaux dangereux pour l’État. Il y a également eu une recrudescence, dans le monde entier, de ce que le Rapport appelle le « terrorisme de voisinage », des attentats perpétrés par des acteurs non étatiques contre des personnes ayant des convictions religieuses particulières.
Il est clair que les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion vont bien au-delà des actes de terrorisme méthodiques et épouvantables, du vigilantisme, des meurtres, des déportations, du viol, de l’enlèvement et de l’esclavage des femmes et des enfants, de la confiscation et de la destruction des biens, des attaques contre les convertis et ceux qui sont supposés les avoir entrainés, et qu’elles ont encouragé ou cautionné la violence. Il s’agit également de la législation anti-apostasie et anti-blasphème, du harcèlement bureaucratique et des charges administratives liées à la construction de lieux de culte et d’écoles, des structures discriminatoires en matière de droit de la famille et d’éducation, et de la stigmatisation des personnes comme non-croyantes ou hérétiques.
Il convient également de noter que des violations de la liberté religieuse sont commises non seulement dans les États ayant des religions officielles ou favorisées, mais aussi dans les pays où un esprit laïque agressif traite les croyances religieuses comme indignes du dialogue public et de la place publique, cherchant à réduire la liberté de religion à la simple « liberté de culte » – en d’autres termes dans les maisons ou lieux de culte privés – en violation claire du droit à « manifester » sa religion, et à faire adopter aux enfants des principes qui constituent effectivement une religion séculariste contraire à leurs convictions religieuses.
Aujourd’hui, nous entendrons beaucoup plus parler de ces attaques et d’autres atteintes à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans le monde entier par nos panélistes.
En réponse à ces défis croissants, il est nécessaire d’entrer dans une nouvelle ère de défense et de protection de la liberté religieuse. Divers gouvernements, comme ceux de la Hongrie et des États-Unis, tous deux représentés dans notre panel, ainsi que des organisations de la société civile, comme le ‘Religious Freedom Institute’, dont le président est ici avec nous, et les diverses organisations membres de notre co-parrain, l’ONG ‘Committee on Freedom of Religion and Belief’, aident à diriger cet effort.
En effet, en raison des attaques dont le monde a été témoin ces dernières années contre divers groupes de croyants religieux, la protection du droit à la liberté religieuse doit être l’une des responsabilités les plus urgentes de la communauté internationale.
La protection accordée doit aller au-delà de la simple prévention de l’anéantissement intentionnel ou effectif des minorités religieuses. Elle doit comprendre l’examen des causes profondes de la discrimination et des persécutions à leur encontre et la lutte contre celles-ci, ainsi que l’encouragement d’une défense et d’une protection vigoureuses des droits consacrés par la DUDH et le PIDCP.
Le 4 février à Abou Dhabi, le pape François et le Grand Imam Ahmad El-Tayeb de l’Université Al-Azhar, l’une des figures de proue de l’islam sunnite, ont signé une déclaration commune historique sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune qui aborde de nombreux aspects de notre thème aujourd’hui. Ils tentent d’aborder la question de savoir d’où proviennent les atteintes à la liberté religieuse et ce qui doit être fait pour se défendre contre ces attaques. Elle éclaire, je pense, non seulement les croyants religieux de leurs deux traditions, mais aussi les croyants en général et la communauté internationale.
Ils ont tout d’abord abordé avec force les atteintes à la liberté religieuse qui découlent des « attitudes haineuses, de l’hostilité et de l’extrémisme » qui trouvent leur origine dans une « déviation par rapport aux enseignements religieux » et conduisent à « une manipulation politique des religions et… à des interprétations faites par des groupes religieux qui, au cours de l’histoire, ont profité du pouvoir du sentiment religieux dans le cœur des hommes et des femmes afin de les faire agir d’une manière qui n’a pas de lien avec la vérité religieuse. C’est fait dans le but d’atteindre des objectifs politiques, économiques, mondains et à courte vue », ont-ils dit. Ils ont donc lancé un appel passionné à « tous ceux qui sont concernés à cesser d’utiliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle, et à ne pas utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes de meurtre, d’exil, de terrorisme et d’oppression ». Dieu n’a pas, affirmaient-ils, « créé les hommes et les femmes pour qu’ils soient tués ou pour qu’ils se battent entre eux, ni pour qu’ils soient torturés ou humiliés dans leur vie » et ils ont souligné que Dieu « ne veut pas que son nom soit utilisé pour terroriser les gens ».
Ils ont également abordé les dangers qui menacent la liberté religieuse dans les sociétés laïques. Celles-ci dérivent « d’une conscience humaine désensibilisée, d’un éloignement des valeurs religieuses et d’un individualisme dominant accompagné de philosophies matérialistes qui déifient la personne humaine et introduisent des valeurs matérielles et mondaines à la place des principes suprêmes et transcendantaux ». Ce matérialisme anthropologique, suggèrent-ils, porte atteinte à la dignité humaine en ignorant la nature spirituelle de la personne humaine et conduit finalement à un athéisme pratique qui ne reconnaît pas, ne valorise pas et ne défend pas les droits spirituels de la personne, y compris le droit à la conscience et à ordonner sa vie selon ce que l’on croit révélé par Dieu.
Le pape François et le grand imam El-Tayeb ont ensuite abordé explicitement le droit à la liberté religieuse et ce qui doit être fait pour le défendre et le promouvoir.
« La liberté, écrivent-ils, est un droit de chaque personne : chaque individu jouit de la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action, et par conséquent, le fait que les gens soient forcés d’adhérer à une certaine religion ou culture doit être rejeté, tout comme l’imposition d’un mode de vie culturel que les autres n’acceptent pas ». Il y a, affirmaient-ils, une « liberté d’être différent » qui vient finalement de Dieu et qui sous-tend le droit à la liberté de pensée, de conscience et de croyance.
Ils ont parlé de la protection des lieux de culte comme conséquence directe de la défense de la liberté de pensée, de conscience et de religion. S’adressant aux deux gouvernements ainsi qu’aux croyants, ils ont souligné que « la protection des lieux de culte – synagogues, églises et mosquées – est un devoir garanti par les religions, les valeurs humaines, les lois et les accords internationaux. Toute tentative d’attaquer des lieux de culte ou de les menacer par des agressions violentes, des bombardements ou des destructions est une déviation des enseignements des religions ainsi qu’une violation manifeste du droit international ».
Et, ce qui est très important, ils ont tous deux affirmé que pour protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion, il est nécessaire de renforcer le concept de la primauté du droit et de l’égalité devant la loi fondé sur le principe de la citoyenneté, indépendamment de la religion, la race ou l’appartenance ethnique.
« Le concept de citoyenneté, écrivent-ils, est fondé sur l’égalité des droits et des devoirs, en vertu de laquelle tous jouissent de la justice. Il est donc crucial, poursuivent-ils, d’établir dans nos sociétés le concept de citoyenneté à part entière et de rejeter l’utilisation discriminatoire du terme ‘minorités’ qui engendre des sentiments d’isolement et d’infériorité. Son utilisation abusive ouvre la voie à l’hostilité et à la discorde ; elle annule tout succès et prive de leurs droits religieux et civils certains citoyens qui sont ainsi victimes de discrimination ».
La loi, soulignent-ils, doit garantir de manière égale et sans équivoque les droits de l’homme de chaque citoyen, dont le droit à la liberté de religion. Même là où une religion bénéficie d’un statut constitutionnel spécial, le droit de tous les citoyens et de toutes les communautés religieuses à la liberté de religion, à l’égalité devant la loi et à des moyens appropriés de recours en cas de violation de leurs droits doit être reconnu et défendu afin d’établir et de maintenir une coexistence harmonieuse et fructueuse entre les individus, les communautés et les nations.
J’exhorte toutes les personnes présentes à lire le document. Pour faciliter la tâche, j’ai apporté des exemplaires de la Déclaration du pape et du grand imam pour vous tous ici présents, car il s’agit d’une contribution substantielle au plaidoyer global qui doit être fait pour promouvoir et défendre la liberté religieuse internationale aujourd’hui, en réponse à une nouvelle ère de défis et de menaces.
Je vous remercie encore une fois d’être venus et j’attends avec impatience les interventions de nos témoins.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat