Retraite de l'Avent II

Prédication de l’Avent : L’universalité du salut

Troisième prédication du P. Roberto Pasolini adressée à la Curie romaine

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Comme tous les ans, les prédications de l’Avent sont proposées en présence du Saint-Père dans la salle Paul VI. Elles ont commencé ce vendredi 5 décembre et se poursuivront les 12 et 19 décembre. Le père Roberto Pasolini, prédicateur de la Maison pontificale, guide ces méditations en invitant la Curie romaine à vivre l’attente du Christ dans un esprit de fraternité et d’édification de l’Église. Traditionnellement offertes à l’Avent et au Carême, ces méditations constituent un temps privilégié de réflexion spirituelle fondé sur la Parole de Dieu et la tradition de l’Église, en préparation aux grandes solennités. Depuis 2021, elles se tiennent dans la salle Paul VI, après de nombreuses années dans la chapelle Redemptoris Mater.  Vous trouverez ci-dessous la prédication du 19 décembre dernier :

3. L’universalité du salut
Une espérance sans conditions

Dans les deux premières méditations de cet Avent nous avons contemplé la Parousie du Seigneur, son retour glorieux à la fin des temps, en apprenant à vivre sous un ciel patient qui ne se lasse pas de manifester sa confiance en l’humanité. Nous avons ensuite réfléchi sur la responsabilité de reconstruire ensemble la maison du Seigneur, en reconnaissant que tout authentique renouveau de l’Église passe par la capacité d’accueillir les différences sans céder à l’illusion de l’uniformité, portant ensemble le poids de la communion même lorsque les voix ne s’accordent pas immédiatement.

Maintenant, alors que nous approchons de Noël et de la fin du Jubilé, nous désirons tourner notre regard vers un troisième mouvement de la grâce : la manifestation universelle du salut. Il n’est pas sans signification que la Porte Sainte soit fermée précisément le 6 janvier, solennité de l’Épiphanie du Seigneur. Le jour où l’Église célèbre la manifestation du Christ à toutes les nations, s’accomplit aussi le chemin jubilaire avec la fermeture de la Porte Sainte. La coïncidence est significative : tandis qu’une porte visible se referme, on affirme avec force que le salut du Christ reste définitivement ouvert à tous.

Le Jubilé et la Nativité du Seigneur nous confrontent au même défi : reconnaître la venue du Christ dans notre humanité comme une lumière à accueillir, à élargir et à offrir au monde. Il y a en jeu la catholicité de l’Église, dans sa double et indivisible signification : d’une part, posséder la plénitude du Christ; de l’autre, être envoyé à la totalité du genre humain, sans exception ni exclusion. C’est l’espérance que nous voulons contempler : un salut vraiment universel.


1. La vraie lumière

Pour nous diriger vers la fête de l’Épiphanie, il est utile de retrouver la manière dont le quatrième évangile présente le mystère de l’Incarnation. Contrairement à Luc, qui raconte la naissance de Jésus par le concret des événements – la mangeoire, les bergers, le chant des anges – Jean lève les yeux et observe la venue du Verbe d’en haut, comme l’irruption dans le monde d’une vraie lumière. Non pas une lumière quelconque, mais celle qui «illumine tout homme» (Jean 1,9), capable de révéler non seulement le mystère de Dieu, mais aussi celui de l’être humain.

C’est une intuition d’une grande force : la lumière du Christ se manifeste comme vraie lumière parce qu’elle est capable d’éclairer, de clarifier et d’orienter toute la complexité de l’expérience humaine. Cela ne supprime pas les questions, les désirs et les recherches de l’homme, mais les met en relation, les purifie et les conduit vers un sens plus riche.

Cependant, comme le souligne Jean lui-même, cette lumière n’est pas spontanément accueillie. Au contraire, son apparition suscite en nous une résistance inattendue et douloureuse.

Le Verbe était la vraie lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu (Jean 1,9-11).

Comment est-ce possible? Le monde a été fait par le Verbe, et pourtant il ne le reconnaît pas. Le Verbe vient parmi les siens, mais les siens ne le reçoivent pas. Ce paradoxe traverse tout l’évangile de Jean : la lumière brille dans les ténèbres, mais les ténèbres résistent. Pourquoi cela se produit-il? Qu’est-ce qui rend l’homme si réfractaire à la lumière qui vient le sauver ?

La réponse se trouve dans le dialogue nocturne entre Jésus et Nicodème, lorsque le Maître explique avec lucidité les raisons profondes de ce refus.

La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière: il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres soient dénoncées; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses oeuvres ont été accomplies en union avec Dieu (Jn 3, 19-21)

 

Le problème n’est pas la lumière, qui par sa nature illumine et vivifie, mais notre disponibilité à l’accueillir. La lumière est nécessaire et belle, mais aussi exigeante : elle démasque les fictions, met à nu les contradictions, force à reconnaître ce que nous préférerions ne pas voir. C’est pourquoi nous l’évitons souvent, en nous réfugiant dans la sécurité des ténèbres qui nous protègent.

Il est important de noter que Jésus n’oppose pas celui qui fait le mal à celui qui fait le bien, mais celui qui fait le mal à celui qui fait la vérité. Pour accueillir la lumière de l’Incarnation il n’est pas nécessaire d’être déjà bon ou parfait, mais de commencer à faire la vérité dans sa vie : cesser de se cacher et accepter d’être vu pour ce qu’on est. L’Incarnation est libératrice précisément parce qu’elle brise tout moralisme et nous dit que Dieu s’intéresse plus à notre vérité qu’à une bonté de façade. Préparer le chemin du Seigneur signifie, au fond, ceci : marcher dans la vérité, avec sincérité et sans peur. Pendant les jours de Noël, il est naturel que se multiplient les invitations à la bonté : appels à la charité, à la générosité, à l’accueil. Ce sont des paroles justes et nécessaires, qui appartiennent au lexique de notre foi. Et pourtant, en ce Noël marqué par le Jubilé, on demande peut-être à l’Église quelque chose d’encore plus essentiel. Pas tant d’ajouter de nouvelles exhortations, mais d’accomplir un pas plus profond : commencer un chemin de plus grande vérité.
Faire la vérité, en effet, ne signifie pas exhiber une pureté morale ou revendiquer une cohérence irréprochable. Cela signifie plutôt accepter de se présenter avec sincérité, en reconnaissant aussi nos résistances, nos fragilités, même la méfiance qui habite parfois le cœur quand nous nous découvrons faibles. C’est un geste humble et en même temps courageux : se montrer au monde non pas avec une façade de solidité, mais avec l’honnêteté de celui qui est conscient d’avoir besoin d’être sauvé.

Une Église qui entreprend ce chemin ne devient pas plus fragile, mais plus crédible. Elle ne perd pas son identité, mais la laisse émerger dans sa forme la plus évangélique : celle de l’authenticité. Le monde n’attend pas de nous l’image d’une institution sans faille, ni un énième discours indiquant ce qui devrait être fait. Il a besoin de rencontrer une communauté qui, malgré ses imperfections et contradictions, vit vraiment à la lumière du Christ et n’a pas peur de se montrer pour ce qu’elle est. Ce serait le vrai geste fort, la vraie Epiphanie : manifester le Christ non malgré notre fragilité, mais précisément à travers elle, car c’est là que sa grâce resplendit avec plus de force.

2. Qui cherche trouve

Une manière singulière d’être vrai, en préparant – ou plutôt en parcourant – la voie du Seigneur, est celle des Mages, qui se mettent en chemin de loin en suivant la loi la plus exigeante de toutes : la loi du désir. De cette façon, les Mages nous montrent que pour accueillir la lumière de Noël il faut une certaine distance, parfois même une course. Une des formes les plus communes de cécité naît de l’habitude de regarder la réalité de trop près, prisonnier de jugements préétablis et d’interprétations trop consolidées. Partir de loin, parfois, permet de mieux voir les choses : avec un regard plus libre, plus profond, plus capable de surprise.

Cette dynamique ne concerne pas seulement ceux qui se trouvent en marge ou sont en recherche, mais elle implique aussi ceux qui vivent au centre de la vie ecclésiale et en portent les responsabilités. La familiarité quotidienne avec les rôles, les structures, les décisions et les urgences peut au fil du temps rétrécir le regard. On risque ainsi de reconnaître avec difficulté les signes nouveaux à travers lesquels Dieu se fait présent dans la vie du monde. Il n’est pas rare que ce qui vient « de loin » – une voix périphérique, une question inattendue, une blessure du monde – rende profondeur et vérité au regard.

Le jour de Noël, nous célébrons la lumière qui est entrée dans le monde ; à l’Épiphanie, nous rappelons que cette lumière ne s’impose pas, mais se laisse reconnaître. C’est une lumière vraie et puissante, mais elle se manifeste dans une histoire encore marquée par l’obscurité et la recherche. Épiphanie signifie en effet manifestation : non pas une lueur qui aveugle, mais une présence qui s’offre à celui qui est prêt à bouger. Tout le monde ne la voit pas de la même façon, tout le monde ne la reconnaît pas en même temps. La lumière du Christ se laisse rencontrer par celui qui accepte de sortir de lui-même, de se mettre en chemin, de chercher.
Cela vaut également pour le chemin de l’Église. Tout ce qui est vrai n’apparaît pas immédiatement clair, et tout ce qui est évangélique ne s’avère pas immédiatement efficace. Parfois, la vérité demande à être suivie avant d’être pleinement comprise. C’est ce qui arrive aux Mages, qui n’avancent pas soutenus par des certitudes consolidées, mais par une étoile fragile, suffisante cependant pour les mettre en route.
Arrivés à Jérusalem, les Mages n’ont pas peur d’exposer les questions qui restent dans leur cœur.

Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son étoile à l’orient et sommes venus nous prosterner devant lui (Mt 2,2).

Leur mouvement affirme une vérité décisive : pour rencontrer le visage du Dieu fait homme, il faut se mettre en route. Cela vaut pour chaque croyant, mais prend un poids particulier là où la foi est liée à la responsabilité de garder, de guider et de discerner. Sans un désir qui reste vivant, même les formes les plus élevées du service risquent de devenir répétitives, autoréférentielles, incapables de surprendre.

Dans la vie de l’Église, comme dans celle de toute personne, on ne reconnaît vraiment que ce qu’on continue à chercher. Le désir précède la compréhension et garde le chemin ouvert lorsque les réponses ne sont pas encore claires.

Les passages les plus féconds de l’histoire ecclésiale ne naissent pas de stratégies bien calibrées, mais de cœurs qui ne cessent de s’interroger et de mettre leurs questions en dialogue avec la vie réelle du monde. Quand ce désir reste vivant, la rencontre avec Dieu surprend et dépasse les attentes ; quand il s’éteint, même les signes les plus évidents risquent de ne plus être reconnus.

L’étoile qui guide les Mages devient ainsi le signe des rappels discrets par lesquels Dieu continue à se faire présent dans l’histoire. C’est un signe qui n’impose pas de réponses, mais suscite des questions; il n’offre pas de certitudes immédiates, mais ouvre une voie. Les Mages ne connaissent pas les Écritures d’Israël, mais ils savent lire le ciel : cela rappelle que Dieu parle aussi par des voies inattendues, des expériences périphériques, des interrogations qui naissent du contact avec la réalité et attendent d’être écoutées.

Les Mages rendent visible la promesse évangélique : « Qui cherche trouve » (Mt 7,8). Mais chercher n’est possible que si vous acceptez de rester dans la recherche, en reconnaissant votre besoin et en gardant un espace d’attente. C’est ainsi que l’on prépare la voie du Seigneur : en ne fermant pas les questions trop vite, mais en les laissant devenir le lieu où Dieu vient nous rencontrer.

3. Rester assis

Il existe une manière subtile, et justement pour cette raison dangereuse, de se soustraire à la recherche du Christ : ne pas s’opposer, mais rester immobile. Il ne s’agit pas de refuser ouvertement ni de nier, mais de ne pas se mettre en mouvement. C’est la tentation de s’installer dans une position qui semble rassurante, faite de certitudes et d’habitudes bien établies, mais qui risque avec le temps de devenir une forme d’immobilité intérieure. Un espace qui semble protéger, tandis qu’il isole lentement, souvent sans que nous le sachions. Le récit évangélique des Mages éclaire avec une grande clarté précisément cette possibilité.
A la nouvelle de la naissance d’un roi, Hérode est troublé, et avec lui tout Jérusalem. Les scribes et les chefs des prêtres accomplissent scrupuleusement leur tâche : ils consultent les textes, offrent des interprétations correctes, fournissent des réponses exactes. Hérode aussi est attentif : il interroge, calcule, planifie. Tout le monde semble impliqué, mais personne ne fait le pas décisif : se mettre en route vers Bethléem, accepter le risque et la surprise de ce qui pourrait arriver. Ils préfèrent déléguer aux Mages la tâche d’aller, se réservant le droit d’être informés des développements. C’est l’attitude de celui qui veut tout savoir sans s’exposer, en restant à l’abri des conséquences d’une implication réelle.

Cette dynamique nous concerne de près. Nous vivons immergés dans un flux continu d’informations : nous documentons, analysons, lisons beaucoup. Pourtant, à cette abondance de savoir correspond rarement une implication réelle. Nous savons beaucoup de choses, mais nous restons éloignés. Nous observons la réalité sans nous laisser toucher, protégés par une position qui nous met à l’abri de l’imprévu. L’information devient ainsi un raccourci trompeur : elle nous fait sentir participatifs, alors qu’en réalité elle nous permet de rester immobiles.
Pour l’Église, ce risque prend des contours particulièrement délicats. Il est possible de bien connaître la doctrine, de garder la tradition, de célébrer avec soin la liturgie et, néanmoins, de rester immobile. Comme les scribes de Jérusalem, nous aussi, nous pouvons savoir où le Seigneur continue à se faire présent – dans les périphéries, parmi les pauvres, dans les blessures de l’histoire – sans trouver la force ou le courage d’aller dans cette direction.

L’Épiphanie nous rappelle que seul celui qui se met en chemin rencontre la royauté du Christ. Seul celui qui accepte le risque de la recherche peut arriver à l’adoration du Verbe fait homme. Celui qui reste assis, protégé par ses propres certitudes, finit par perdre le rendez-vous avec la manifestation de Dieu, même quand elle est proche et clairement indiquée par les Ecritures. La vraie lumière ne peut être accueillie que dans la mesure où nous acceptons, petit à petit, de sortir de nos zones d’ombre, même quand elles ont l’aspect rassurant de la compétence, de l’institution ou d’une sécurité religieuse désormais acquise.

4. Se lever et briller

L’attitude des Mages est différente de celle d’Hérode et de sa cour : voyageurs intrépides qui, sans connaître les Écritures d’Israël, semblent en incarner l’esprit le plus authentique. Déjà les prophètes, au temps difficile du retour de l’exil, avaient exhorté le peuple à se remettre en marche, alors que les espoirs d’un avenir différent apparaissaient encore lointains et presque impossibles. Dans le livre dit de la consolation d’Isaïe, proclamé par la liturgie en la solennité de l’Épiphanie, résonne un impératif décisif qui ne laisse pas de place à l’hésitation:

Debout, Jérusalem, resplendis! Elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi (Is, 60,1-2).

C’est l’invitation à laquelle Hérode ne parvient pas à obéir et qui, au contraire, met en marche les Mages. Pour rencontrer le Seigneur qui s’est manifesté dans notre humanité, la première étape est toujours celle de se lever : sortir de ses abris intérieurs, de ses sécurités, de sa vision consolidée des choses. Se lever demande du courage. Cela signifie abandonner la sédentarité qui nous protège mais nous immobilise, accepter la fatigue du chemin, s’exposer à l’incertitude de ce qui n’est pas encore clair. Les Mages se lèvent, quittent leur terre, traversent des distances sans garanties, guidés seulement par un signe ténu et discret. Ils ne savent pas exactement ce qu’ils vont trouver, et pourtant ils font confiance à cette lumière qui les précède.

Après l’invitation à se lever, le prophète ajoute une indication surprenante : il demande de revêtir une lumière qui n’est pas encore pleinement visible, mais qui est déjà promise. On fait allusion à une disposition intérieure : vivre comme si la lumière arrivait, avant même d’en voir les signes. Cela signifie garder la confiance même quand les circonstances ne la justifient pas entièrement, continuer à espérer alors que la nuit n’est pas encore finie. Ce n’est qu’ainsi qu’il devient possible de se mettre en chemin vers quelque chose de nouveau, en acceptant l’incertitude et même le risque de la déception, pour ne pas rester figés là où nous sommes.

Après s’être levés et avoir accepté de revêtir une espérance qui les précédait, les Mages accomplissent un geste ultérieur, peut-être le plus décisif de tous. Le chemin, la recherche, l’attente ne les conduisent pas à une affirmation de soi, mais à un abaissement. Le désir qui les a mis en mouvement ne trouve pas son accomplissement dans la possession, mais dans l’adoration. Ce n’est qu’alors que leur voyage atteint réellement son but.

Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère; et tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent leurs présents: de l’or, de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11).

En s’agenouillant devant le signe humble et pauvre de l’enfant, les Mages découvrent que l’accès à l’autre – différent, fragile, inattendu – se fait toujours d’en bas, jamais d’en haut. C’est dans l’abaissement que la distance se comble et la diversité devient habitable. Il ne s’agit pas de renoncer à sa propre identité, mais de la livrer en l’ouvrant au mystère que l’autre porte avec lui.

Se lever, puis s’agenouiller : tel est le mouvement de la foi. On se lève pour sortir de soi-même, pas pour se mettre au centre. Et puis on s’abaisse, parce qu’on se rend compte que ce qu’on rencontre échappe à notre contrôle. Cela vaut dans la relation avec Dieu, mais aussi dans les relations de tous les jours. Tant que les choses vont comme nous l’imaginons, garder la stabilité est facile ; quand l’autre nous surprend, déçoit ou change, rester fidèle aux choix faits et à l’amour promis demande de cesser d’imposer notre point de vue et d’apprendre à écouter vraiment.

Pour l’Église, ce double mouvement – se lever et se prosterner – est essentiel. Elle est appelée à se mouvoir, à sortir, à aller à la rencontre des personnes et des situations qui lui sont éloignées. Mais aussi à savoir s’arrêter, baisser les yeux, reconnaître que tout ne lui appartient pas et ne peut être contrôlé. Ce n’est qu’ainsi que le don du salut peut devenir universel : dans la mesure où l’Église accepte de laisser ses propres sécurités et de regarder avec respect la vie des autres, en reconnaissant que là aussi, souvent de manière inattendue, quelque chose peut émerger de la lumière du Christ.

5. Se connaître soi-même

Quand les Mages entrent dans la maison et voient l’enfant avec Marie sa mère, ils se trouvent face à quelque chose qui dépasse leurs attentes. Ils s’agenouillent et ouvrent leurs coffrets, offrant de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Avec ces dons, ils confessent en cet enfant la présence de Dieu, sa royauté et son plein partage de notre humanité, marquée aussi par la souffrance et la mort. Mais, pendant qu’ils font ce geste, quelque chose d’inattendu se produit : ils ne découvrent pas seulement qui est cet enfant, ils commencent à deviner qui ils sont.

Dans le visage de Jésus, le Dieu fait homme, les Mages entrevoient que cette même dignité est aussi promise à leur vie. Si en cet enfant Dieu se révèle comme Roi, alors la vie humaine est elle aussi appelée à une grandeur qui ne passe pas par le pouvoir, mais par le soin et le service. Si Dieu a choisi d’habiter notre chair, alors toute vie humaine porte en elle une lumière, une vocation, une valeur qui ne peut être effacée. Les dons que les Mages offrent deviennent ainsi un miroir : ils parlent de Dieu, mais ils révèlent aussi ce que l’homme est appelé à devenir.
Avec la visite des Mages, le mystère de l’Incarnation montre toute sa force universelle. Nous ne sommes pas seulement venus au monde pour survivre ou traverser le temps de la meilleure façon possible. Nous sommes nés pour accéder à une vie plus grande : celle des enfants de Dieu. Les Mages sont partis à la recherche d’une étoile et ont trouvé le Christ; mais en cherchant le Christ, ils se sont aussi trouvés eux-mêmes. Ils ont découvert que, bien qu’ils soient venus de loin et sans connaître les Écritures, même dans leur humanité brillait une lumière qui n’attendait que d’être reconnue et portée à la lumière.

Peut-être l’Église est-elle aujourd’hui plus que jamais appelée à faire avant tout cela : apporter au monde la lumière du Christ. Non comme quelque chose à imposer ou à défendre, mais comme une présence à offrir, en laissant chacun s’approcher d’elle par un chemin semblable à celui des Mages. Ils sont partis du désir, ils se sont mis en route, ils ont traversé des questions et des incertitudes et, seulement à la fin, ils ont reconnu le Christ et, devant lui, ils se sont aussi découverts.

Dans cette perspective, la mission n’est pas de forcer la rencontre mais de la rendre possible. Donner la lumière signifie garder l’espace de la recherche, permettre au désir de se mettre en mouvement, accompagner sans anticiper les réponses. Ainsi la rencontre avec le Christ n’efface pas l’humanité de celui qui le cherche, mais la porte à la lumière et l’accomplit.
Si nous avons le courage d’offrir au monde un témoignage aussi simple et lumineux, il pourrait nous arriver de faire l’expérience de ce que le prophète annonce aux ruines de Jérusalem : une ville appelée à devenir un lieu d’attraction pour tous les peuples.

Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
Lève les yeux alentour et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi; tes fils reviennent de loin,et tes filles sont portées sur la hanche. 

Alors tu verras, tu seras radieuse; ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations (Is 60, 3-5).

Une Église qui offre à tous la présence du Christ ne s’approprie pas sa lumière, mais la reflète. Elle ne se place pas au centre pour dominer, mais pour attirer. Et c’est précisément pour cela qu’elle devient un espace de rencontre, où chacun peut reconnaître le Christ et retrouver devant lui le sens de sa vie.

Cette perspective nous oblige à revoir beaucoup de nos habitudes missionnaires. Nous imaginons souvent qu’évangéliser signifie apporter quelque chose qui manque, combler un vide, corriger une erreur. L’Épiphanie indique une autre voie : aider l’autre à reconnaître la lumière qui l’habite déjà, la dignité qu’il possède déjà, les dons qu’il garde déjà. Ce n’est pas nous qui « donnons » le Christ au monde, comme si nous en avions l’exclusivité. Nous sommes appelés à rendre visible sa présence avec une clarté et une vérité telles que chacun puisse reconnaître en lui le sens de sa propre existence.

Cela ne relativise pas la vérité du Christ ni ne réduit l’Évangile à une valorisation générique de l’humain. Au contraire, il prend au sérieux la catholicité de l’Église dans son sens le plus profond : garder le Christ pour l’offrir à tous, avec la confiance que la beauté, la bonté et la vérité sont déjà présentes en chaque personne, appelées à s’accomplir et à trouver en lui leur sens le plus complet. La vraie lumière de Noël «illumine chaque homme» précisément parce qu’elle est capable de révéler à chacun sa propre vérité, son appel, sa ressemblance avec Dieu.

S’il en était ainsi, le Noël qui se rattache à la conclusion du Jubilé pourrait avoir allumé une espérance sans condition non seulement dans l’Église mais aussi dans le monde. L’Église peut se réjouir d’avoir retrouvé le Christ comme centre ; le monde, en rencontrant notre fragile témoignage, pourrait se sentir encouragé à faire émerger son humanité, à offrir ses dons et à reconnaître sa dignité devant Dieu.

Ce serait le signe le plus éloquent d’une Eglise fidèle à sa vocation : ne pas retenir la lumière pour elle-même, mais la laisser resplendir afin que la vie nouvelle, déjà semée dans le cœur de chaque homme et de chaque femme, puisse enfin germer et porter du fruit.

 

Prions:

O Dieu, qui avec l’aide de l’étoile, as révélé aux nations ton Fils unique, conduis-nous avec bonté, nous aussi, qui t’avons déjà connu par la foi, à contempler la beauté de ta gloire. Par le Christ notre Seigneur.

p. Roberto Pasolini, OFM Cap.

Prédicateur de la Maison pontificale

 

Traduction réalisée par ZENIT

 

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P. Roberto Pasolini

Le P. Roberto Pasolini, O.F.M. Cap. est le prédicateur de la Maison pontificale. Théologien, bibliste et conférencier, le religieux est déjà connu du grand public pour ses catéchèses et ses nombreux podcasts sur internet. Il enseigne actuellement l’exégèse biblique à la Faculté théologique de Milan.

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