Première méditation de l'Avent du père Roberto Pasolini, prédicateur de la Maison pontificale, en salle Paul VI, devant le Pape Léon XIV et des membres de la Curie, le 5 décembre 2025 © Vatican Media

Première méditation de l'Avent du père Roberto Pasolini, prédicateur de la Maison pontificale, en salle Paul VI, devant le Pape Léon XIV et des membres de la Curie, le 5 décembre 2025 © Vatican Media

Prédication de l’Avent : La parousie du Seigneur

Première prédication du P. Roberto Pasolini adressée à la Curie romaine

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Comme tous les ans, les prédications de l’Avent sont proposées en présence du Saint-Père dans la salle Paul VI. Elles ont commencé ce vendredi 5 décembre et se poursuivront les 12 et 19 décembre. Le père Roberto Pasolini, prédicateur de la Maison pontificale, guide ces méditations en invitant la Curie romaine à vivre l’attente du Christ dans un esprit de fraternité et d’édification de l’Église.

Traditionnellement offertes à l’Avent et au Carême, ces méditations constituent un temps privilégié de réflexion spirituelle fondé sur la Parole de Dieu et la tradition de l’Église, en préparation aux grandes solennités. Depuis 2021, elles se tiennent dans la salle Paul VI, après de nombreuses années dans la chapelle Redemptoris Mater.

 Vous trouverez ci-dessous la prédication du 5 décembre dernier : 

1. La Parousie du Seigneur

Une attente sans réserve

Cette année, les méditations de l’Avent nous introduisent dans une période singulière : alors que nous entrons dans la nouvelle année liturgique, nous approchons également de la fin du Jubilé ordinaire qui nous a tous remis en chemin comme des pèlerins de l’Espérance. Le 6 janvier, solennité de l’Épiphanie, le pape Léon fermera la Porte Sainte ouverte par le pape François, signe du passage d’un témoin que chaque baptisé a pu expérimenter cette année, en acceptant la proposition de renouveler sa vie baptismale.

L’Avent est le temps où l’Église ravive l’espérance, en contemplant non seulement la première venue du Seigneur, mais surtout son retour à la fin des temps. Les anciennes absides représentaient le Christ venant, la main droite levée en signe de bénédiction et l’Évangile dans la main gauche : un puissant rappel visuel de la certitude de sa promesse et de la valeur de notre attente.

Ce temps liturgique veut nous rappeler que nous ne sommes pas des voyageurs égarés, mais des pèlerins vers une patrie. L’invocation « Marana-tha » — « Viens, Seigneur » — est le chant confiant qui accompagne nos pas. Cependant, comme le rappelle l’apôtre Pierre, cette espérance ne fait pas de nous des spectateurs passifs : nous sommes appelés à attendre et à hâter ensemble la venue du Seigneur avec une vigilance sereine et active.

2. Prendre conscience de la grâce

Avant de nous faire contempler le mystère de l’Incarnation, la liturgie de l’Avent nous confronte toujours aux discours eschatologiques de Jésus, dans lesquels le Maître lui-même a annoncé sa Parousie, le jour glorieux de sa venue à la fin des temps. En réalité, seul l’évangéliste Matthieu utilise ce terme grec (parousía) qui a une double signification :

« présence » et « venue », semblable à la visite d’un souverain qui se rend présent dans une province éloignée de son royaume.

Matthieu en parle quatre fois, toutes dans le chapitre 24, où il résume les enseignements de Jésus sur les choses futures ou « ultimes » (ta eschata), dans lesquelles nous sont données des indications importantes pour marcher avec confiance et sans angoisse vers la rencontre définitive avec Dieu. Le discours s’ouvre sur l’annonce de la ruine du Temple et se poursuit en décrivant une époque marquée par les guerres, les famines et les bouleversements qui, cependant, ne coïncident pas encore avec la fin. Au milieu de ce scénario difficile, de faux christs et de faux prophètes surgiront, capables de semer la confusion dans l’esprit de beaucoup, tandis que l’iniquité refroidira l’amour. C’est alors que les disciples seront appelés à témoigner, en accueillant avec douceur les tribulations causées par l’Évangile : c’est seulement ainsi que sa parole pourra atteindre toutes les nations. Après une grande tribulation, des signes cosmiques annonceront la venue du Fils de l’homme, qui rassemblera ses élus. Comme la fin de ce jour reste inconnue, la seule attitude possible est de veiller, comme des serviteurs fidèles qui attendent le retour de leur maître sans se laisser surprendre par le sommeil ou la tromperie.

Vers la fin de son discours, Jésus établit une comparaison entre l’attente de sa venue et les jours de Noé, lorsque la terre entière a vécu l’expérience du déluge universel.

Comme furent les jours de Noé, telle sera la venue du Fils de l’homme. En effet, comme dans les jours qui ont précédé le déluge, ils mangeaient et buvaient, ils prenaient femme et prenaient mari, jusqu’au jour où Noé est entré dans l’arche, et ils ne se sont aperçus de rien jusqu’à ce que le déluge vienne et les emporte tous : ainsi sera aussi la venue du Fils de l’homme (Matthieu 24, 37-39).

Le scénario dans lequel le déluge s’est produit était rythmé par des actions ordinaires, similaires à celles que nous accomplissons chaque jour : boire et manger, faire des choix de vie et les mettre en œuvre. Cependant, alors que tout le monde s’adonnait à ces activités normales, un seul homme – Noé – avait consacré son temps à construire un instrument de salut destiné à accueillir sa famille et tous les animaux qui seraient ensuite sauvés des eaux imminentes. Et les autres êtres humains ? Ils n’ont rien remarqué, dit Jésus.

Que signifie cette remarque ? En quoi peut-elle être un avertissement pour nous aussi ? Que faut-il remarquer, sans nous détourner des questions auxquelles nous sommes confrontés chaque jour ?

La réponse peut aller dans plusieurs directions. Nous devons nous rendre compte que le temps où nous sommes appelés à être témoins du Christ est caractérisé par des défis nouveaux et complexes : l’Église est appelée à rester sacrement de salut dans un changement d’époque qui, comme le rappellent les théologiens et les sociologues, a profondément transformé la manière de croire et d’appartenir. La paix reste un mirage dans de nombreuses régions tant que les injustices anciennes et les mémoires blessées ne trouvent pas de guérison, tandis que dans la culture occidentale, le sens de la transcendance s’affaiblit, écrasé par l’idole de l’efficacité, de la richesse et de la technique. L’avènement de l’intelligence artificielle amplifie la tentation d’un humain sans limites et sans transcendance.

Mais prendre conscience de tout cela ne suffit pas à convertir le cœur. Il faut reconnaître quelque chose de plus important et de plus décisif : la direction dans laquelle le Royaume de Dieu continue à évoluer dans l’histoire. C’est ce regard que nous pouvons retrouver en puisant dans la capacité prophétique reçue lors du baptême. Jésus a souvent reproché aux gens de son temps leur incapacité à percevoir l’action de Dieu dans l’histoire : « Hypocrites ! Vous savez juger de l’aspect de la terre et du ciel ; comment ne jugez-vous pas de ce temps-ci ? » (Luc 12, 59).

Que doit remarquer notre génération – comme toute génération – en levant les yeux vers le ciel et en contemplant le mystère de Dieu désormais révélé en Christ ? En réalité, nous connaissons bien la réponse et, pendant les jours de Noël, la liturgie nous la rappelle ponctuellement.

La grâce de Dieu est apparue, apportant le salut à tous les hommes et nous enseignant à renoncer à l’impiété et aux désirs mondains, et à vivre dans ce monde avec sobriété, justice et piété, dans l’attente de la bienheureuse espérance et de la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ (Tite 2, 11-13).

Voici ce dont nous devons prendre de plus en plus conscience : la grâce de Dieu, ce don du salut universel que l’Église célèbre et offre humblement, afin que la vie humaine soit soulagée du poids du péché et libérée de la peur de la mort. Nous, ministres de l’Église, parlons et vivons chaque jour de cette grâce. Cependant, nous devons reconnaître que les gestes de foi auxquels nous sommes habitués, auxquels nous essayons de rester fidèles, n’ont pas pour seul effet de nourrir notre relation avec Dieu. Avec le temps, notre cœur risque de perdre son élan et sa vigueur, jusqu’à perdre l’émerveillement devant la grâce de Dieu que nous sommes appelés à goûter et à témoigner. C’est le risque de la foi : devenir si familier avec Dieu que nous le tenons pour acquis, en oubliant que, depuis l’époque de Noé, il « dans sa magnanimité (makrothymia) a patienté » avec nous et avec tous.

C’est ce dont chaque génération doit prendre conscience, en évaluant attentivement le temps merveilleux et dramatique dans lequel la vie se déroule toujours : le mystère d’un Dieu qui, puisant dans son amour infini, continue de rester devant sa création avec une confiance inébranlable, dans l’attente que des jours meilleurs puissent – et doivent – encore venir.

3. Effacer le mal

Pour retrouver le visage d’un Dieu qui accompagne patiemment sa création blessée, le récit du déluge universel (Genèse 6-9) reste une source inépuisable de lumière et de révélation.

Le Seigneur vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur n’étaient que mal, toujours (Genèse 6,5).

L’histoire s’ouvre sur un Dieu désormais désenchanté : l’être humain, cette créature qui réunissait en elle les traits de la terre et du ciel, n’a pas réussi à faire cohabiter les ingrédients avec lesquels il avait été façonné. Il conserve quelques similitudes extérieures avec son Créateur, mais ses actions ne reflètent plus sa capacité à aimer. Un mot mensonger a trouvé place dans son cœur, et désormais la vie de l’homme ne génère plus que du mal.

C’est une analyse qui, à première vue, semble très nette et peut-être même trop pessimiste. Pourtant, elle est utile, car elle rééquilibre la manière souvent naïve dont nous, les modernes, considérons le mystère du mal. Alors que nous nous berçons d’illusions en pensant pouvoir le surmonter simplement en nous perfectionnant ou en évoluant, nous devrions nous rappeler que notre humanité n’a pas seulement besoin de se réaliser, mais aussi – et surtout – d’être sauvée. Le mal ne doit pas simplement être pardonné : il doit être effacé, afin que la vie puisse enfin s’épanouir dans sa vérité et sa beauté.

Le Seigneur dit : « Je vais effacer de la surface de la terre l’homme que j’ai créé, ainsi que les animaux, les reptiles et les oiseaux du ciel, car je regrette de les avoir faits » (Genèse 6,7).

Dans la décision d’effacer l’homme de la surface de la terre, nous ne devons pas voir le début d’un projet destructeur de la part de Dieu, mais plutôt l’urgence de tout jouer jusqu’au bout, afin de ne pas renoncer au dessein d’amour qui avait donné naissance à la création. Dieu décide de « tout effacer » précisément parce qu’il ne se résigne pas devant l’évidence du mal. D’ailleurs, s’il avait vraiment voulu détruire ce qu’il avait fait et recommencer à zéro, il aurait pu le faire librement, sans même ressentir le besoin de partager ses intentions avec quelqu’un.

En exprimant explicitement son intention d’effacer, Dieu déclare sa tentative de remodeler ce monde issu de l’imagination de son cœur et de l’ingéniosité de ses mains. La même passion audacieuse et obstinée animera le cœur du Seigneur Jésus, lorsqu’il pleurera devant Jérusalem avant sa passion (cf. Luc 19, 41-44), ou lorsqu’il tentera jusqu’au bout d’empêcher Judas de succomber à la tentation mortelle de la trahison : « Il vaudrait mieux pour cet homme qu’il ne soit jamais né ! » (Marc 14, 21).

Dans la logique de la « cancel culture » dans laquelle nous sommes plongés, effacer risque de devenir pour nous le simple geste par lequel nous éliminons tout ce qui ne correspond pas immédiatement à nos désirs ou à notre sensibilité. Cependant, effacer ne signifie pas seulement cela, et ne peut se réduire à la tentative de se débarrasser de ce qui nous semble pénible chez l’autre.

Chaque jour, nous effaçons beaucoup de choses, sans nous sentir coupables et sans faire de mal. Nous effaçons des messages, des fichiers inutiles, des erreurs dans un document, des taches, des traces, des dettes. Bon nombre de ces gestes sont même nécessaires pour faire mûrir nos relations et rendre le monde vivable. Ce n’est pas un hasard si les prophètes utilisent précisément ce verbe non pas pour menacer, mais pour consoler Israël, en lui rappelant la miséricorde infinie de Dieu.

Le Seigneur éliminera (littéralement « effacera ») la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, il fera disparaître de toute la terre l’ignominie de son peuple, car le Seigneur a parlé (Isaïe 25,8).

Moi, j’efface tes fautes par amour pour moi-même, et je ne me souviens plus de tes péchés (Isaïe 43,25).

J’ai dissipé (littéralement effacé) tes iniquités comme un nuage et tes péchés comme une nuée. Reviens à moi, car je t’ai racheté (Isaïe 44,22).

Le verbe effacer exprime bien ce que l’homme, conscient de sa fragilité, demande à Dieu de faire sur la chair blessée de son humanité, lorsqu’il se reconnaît avoir besoin d’être à nouveau guéri et fortifié.

Aie pitié de moi, ô Dieu, dans ton amour ; dans ta grande miséricorde, efface mon iniquité. Détourne ton regard de mes péchés, efface toutes mes fautes (Ps 51,3.11).

Chaque fois que le Seigneur se penche depuis son ciel pour scruter les habitants du monde, nous devrions toujours penser qu’il le fait dans l’espoir de trouver une bonne raison de continuer à soutenir le dessein de sa création. Ainsi le dit un verset du psaume : « Le Seigneur se penche du haut des cieux sur les fils de l’homme pour voir s’il y a un homme sage, un homme qui cherche Dieu » (Psaume 14,2). Et, en effet, un homme se montre capable de lever les yeux vers le haut, même si les circonstances ne semblent pas très favorables : Noé, dont on note un détail intéressant.

Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur (Genèse 6,8).

Bien que la méchanceté sur terre fût grande, nous découvrons que quelqu’un n’avait pas cessé de chercher le visage de Dieu et de s’interroger sur sa volonté. Quelqu’un avait remarqué que l’humanité vivait sous un ciel patient. Noé avait remarqué la grâce de Dieu. Enfin, le Très-Haut trouve une personne à qui confier son projet : tout effacer et recommencer, sans toutefois recréer les conditions fondamentales d’un projet qui reste valable et possible. La tentative est très audacieuse, car il faut procéder à un effacement, sans toutefois céder à la tentation de repartir totalement de zéro. Mais comment effacer une réalité sans l’annuler ni l’altérer ?

L’histoire est bien connue : Dieu demande à Noé de construire une arche et lui indique précisément les dimensions qu’elle doit avoir. Les spécialistes reconnaissent que ces indications renvoient aux proportions du temple de Jérusalem. Ce n’est pas un hasard. Ces récits ont été composés pendant l’exil à Babylone, alors qu’Israël était loin de Jérusalem, sans lieu où rencontrer son Dieu. Ainsi, l’arche devient le symbole de ce temple perdu et du désir de le reconstruire.

Mais le message est encore plus profond et actuel : le texte du déluge nous dit que, pour vraiment effacer le mal de la surface de la terre, il ne suffit pas de changer les structures humaines. Il faut reconstruire le « temple du Seigneur », c’est-à-dire rétablir la juste image de Dieu dans le cœur de l’homme et sur la surface de la terre. Ce n’est que lorsque l’homme revient à vivre devant le vrai visage de Dieu que l’histoire peut vraiment changer.

C’est pourquoi l’arche n’est pas seulement un bateau : elle est l’espoir permanent de chaque génération. Alors que nous cherchons des solutions en partant toujours de la terre, le récit du déluge nous rappelle que la vie ne renaît que lorsque nous reconstruisons le ciel, dans la mesure où nous remettons Dieu au centre. Il n’est donc pas surprenant que Jésus se montre sévère lorsqu’il entre dans le temple et le trouve transformé en marché : sans une image véritable de Dieu, même la religion se dégrade.

Le déluge n’est donc pas une simple destruction, mais un passage de recréation à travers un moment de dé-création. Les eaux se mélangent à nouveau comme au commencement, non pas pour anéantir le monde, mais pour redonner à l’humanité la possibilité de comprendre plus profondément le dessein de vie voulu par Dieu. C’est un changement provisoire des règles du jeu, pour sauver le jeu lui-même que Dieu avait inauguré avec confiance.

Ainsi, tous les êtres qui étaient sur la terre furent détruits : les hommes, les animaux domestiques, les reptiles et les oiseaux du ciel ; ils furent détruits de la terre et il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l’arche. Les eaux déferlèrent sur la terre pendant cent cinquante jours (Genèse 7,23-24).

Tout est submergé et effacé. Cela se produit dans la nature, lorsqu’un cataclysme soudain change à jamais le visage d’un territoire. Cela se produit également dans notre vie, lorsqu’un imprévu, une maladie ou un deuil bouleversent sans préavis le cours de nos journées. Et si les moments de forte déstabilisation, lorsque tous les équilibres sont ébranlés et semblent s’effondrer, faisaient en réalité partie d’un processus de transformation plus vaste ? Après le déluge, le texte biblique ne décrit pas un simple retour à la normale : la lente décrue des eaux est la réponse à un geste précis et décisif, qui devient le véritable centre du récit.

Dieu se souvint de Noé, de tous les animaux sauvages et de tous les animaux domestiques qui étaient avec lui dans l’arche. Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux baissèrent (Genèse 8,1).

Enfin, les présages s’éclaircissent et les soupçons se dissipent : Dieu n’a pas oublié l’humanité, au contraire, il a voulu se souvenir qu’elle conserve la capacité de répondre à sa voix. Ainsi, après avoir tout enseveli sous les eaux, le Seigneur se met maintenant à tout assécher, afin que la vie puisse bientôt recommencer. Le déluge n’était donc pas un projet de mort, mais un renouvellement paradoxal de la vie. Lorsque les eaux se calment enfin et s’abaissent, Noé reçoit l’ordre de sortir de l’arche avec sa femme, ses fils, les femmes de ses fils et tous les animaux.

Après avoir tenté d’« effacer » le monde – sans y parvenir –, le Seigneur semble avoir clarifié ses idées sur ce qu’il peut attendre de l’homme et sur ce qu’il est lui-même prêt à mettre sur la table de l’alliance avec lui.

Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour toutes les générations à venir. Je place mon arc dans les nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Quand j’amasserai les nuages au-dessus de la terre et que l’arc apparaîtra dans les nuages, je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous et tous les êtres vivants, et il n’y aura plus d’eau pour le déluge, pour détruire toute chair. L’arc sera sur les nuages, et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance éternelle entre Dieu et tout être vivant dans toute chair qui est sur la terre (Genèse 9,12-16).

Le signe que Dieu place entre le ciel et la terre, généralement compris comme un « arc-en-ciel », est en réalité l’instrument de guerre utilisé par un archer (en hébreu qeshet). Si cette étymologie enlève un peu de poésie à ce jeu de couleurs qui nous enchante après un orage, elle ajoute cependant des nuances qui nous aident à mieux comprendre ce qui s’est passé pendant le déluge. Pas tant sur la terre, mais au fond du cœur de Dieu.

À la fin de sa tentative d’inonder le monde entier, le Seigneur dépose les armes devant l’homme et prononce une déclaration solennelle de non-violence. Cela peut sembler une métaphore audacieuse, presque inappropriée pour parler de Dieu et de la manière dont sa grâce se manifeste. Et pourtant, après des millénaires d’histoire et d’évolution, l’humanité est encore loin de savoir l’imiter. À quel point sommes-nous loin de savoir déposer les fusils et accrocher au mur les arcs de guerre ? La terre continue d’être déchirée par des conflits atroces et interminables, qui ne laissent aucun répit à tant de personnes faibles et sans défense.

Il vaut donc la peine de se demander : qu’est-ce qui nous rassure vraiment ? Un message d’amour – beau, certes, mais parfois un peu abstrait – ou la décision concrète de ceux qui, bien qu’ayant le pouvoir de nous blesser, choisissent librement de ne pas le faire ? Si nous mettons de côté une idée naïve et romantique des relations, nous devons reconnaître que l’image d’un arc suspendu dans les nuages peut être une manifestation très élevée d’amour, peut-être la plus certaine et la plus rassurante.

Un guerrier qui a apaisé sa colère représente mieux que toute autre idéalisation le type d’allié que nous aimerions avoir à nos côtés : quelqu’un qui, bien qu’il puisse nous faire du mal, choisit de ne pas le faire, car il a compris que ce n’est qu’en nous acceptant tels que nous sommes que notre alliance pourra être durable, véritable et libre.

4. Se consacrer au salut

Le déluge est terminé et beaucoup de choses ont été effacées sur terre, notamment une certaine image de Dieu. Afin de continuer à croire en nous, le Seigneur s’est mis en colère, a fait descendre les eaux de son ciel, a submergé toute la terre, non sans avoir d’abord « sauvé » un reste à partir duquel il pourrait reprendre le fil d’une génération humaine plus authentique et plus féconde.

Puis il a déposé les armes, déclaré la paix et est resté les mains vides devant son œuvre, pour reprendre le droit et la joie de continuer à la façonner. Les seules armes qui resteront dans l’histoire du monde seront celles que l’homme choisira de construire et d’utiliser, chaque fois qu’il se sentira persécuté, discriminé et opprimé.

Dieu a déposé les armes et l’a fait pour toujours, acceptant le risque d’une création certes plus libre, mais aussi plus exposée au mal et à la violence.

Dans ce grand événement du déluge, les premiers chrétiens ont vu une préfiguration du mystère du Christ et de sa croix, le signe définitif de l’alliance entre le ciel et la terre, en contemplant lequel chaque être humain peut retrouver la valeur immense de son existence devant Dieu.

Cette eau, image du baptême, vous sauve maintenant aussi ; elle n’enlève pas la saleté du corps, mais elle est une invocation de salut adressée à Dieu par une bonne conscience, en vertu de la résurrection de Jésus-Christ (1 Pierre 3, 21).

Les eaux du déluge ont pris fin, pour toujours. Pour nous, chrétiens, l’eau est désormais le symbole de l’extraordinaire possibilité d’accueillir en nous la vie du Christ, au nom duquel nous pouvons être de nouvelles créatures par le baptême. Cette nouvelle existence doit cependant être accueillie librement et vécue avec responsabilité, en veillant à notre adhésion personnelle à l’Évangile. C’est pourquoi Jésus, dans son discours eschatologique, après avoir cité les jours de Noé, conclut par une dernière recommandation.

Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra. Comprenez ceci : si le maître de maison savait à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il veillerait et ne laisserait pas cambrioler sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts, car à l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra (Matthieu 24, 42-44).

La question de l’ignorance du jour et de l’heure du retour glorieux du Fils de l’homme a toujours suscité des interrogations dans l’histoire de l’Église. Les premières communautés vivaient dans l’attente fervente d’un retour imminent du Seigneur. Au fil des siècles, l’Église a compris que cet horizon devait être élargi, situé dans un temps plus long et encore indéchiffrable aujourd’hui. Après deux mille ans, nous nous trouvons presque dans la situation inverse : l’attente s’est tellement atténuée qu’elle laisse parfois place à une subtile résignation quant à sa réalisation effective. Si, au début, l’enthousiasme et l’inquiétude abondaient, aujourd’hui, c’est souvent une vigilance fatiguée, tentée par le découragement, qui prévaut.

Un ancien père de l’Église anonyme, commentant l’Évangile de Matthieu, a tenté de réfléchir à la raison pour laquelle nous sommes appelés à vivre sans pouvoir connaître avec précision ni le jour de notre mort, ni celui du retour du Christ.

Pourquoi la date de notre mort nous est-elle cachée ? Il est clair que cela nous est fait afin que nous fassions toujours le bien, puisque nous pouvons nous attendre à mourir à tout moment. La date de la seconde venue du Christ est cachée au monde pour la même raison, c’est-à-dire afin que chaque génération vive dans l’attente du retour du Christ1.

Saint Jean Chrysostome s’exprime de manière similaire :

Si les gens savaient quand ils allaient mourir, ils s’activeraient sans aucun doute pour ce moment. [..] Afin qu’ils ne s’activent pas uniquement pour ce moment, il ne dit pas quel est-il, ni celui de tous, ni celui de chacun, car il veut qu’ils l’attendent toujours, afin qu’ils s’engagent toujours2.

La tradition patristique est unanime : le temps dans lequel nous vivons doit être utilisé avec sagesse, pour accomplir le bien de manière stable – et non occasionnelle – et pour attendre sans hésitation la venue de notre Seigneur Jésus-Christ, en restant fidèles à la grâce de son Évangile. La vigilance à laquelle nous exhorte le temps de l’Avent concerne donc avant tout nous-mêmes, comme le recommande l’apôtre Paul aux anciens d’Éphèse : « Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau, au milieu duquel le Saint-Esprit vous a établis comme gardiens pour être les pasteurs de l’Église de Dieu, qui s’est acquise par le sang de son Fils » (Actes des Apôtres 20, 28).

Ceux qui, dans le corps du Christ, exercent un ministère pour les autres ne devraient jamais oublier l’invitation que l’apôtre adresse à tous les « saints » de Philippes, ainsi qu’aux évêques et aux diacres : « Travaillez à votre salut avec crainte et respect » (Ph 2, 12). À une époque complexe et pleine d’urgences comme la nôtre, nous devons être vigilants face à deux grandes tentations qui peuvent toucher tant l’Église en la personne de ses ministres que chaque baptisé : oublier le besoin d’être sauvé et penser récupérer des consensus en soignant l’apparence extérieure de notre image et en réduisant la radicalité de l’Évangile.

Comme au temps de Noé, la première forme de salut à laquelle nous devons nous consacrer ne consiste pas à accomplir ou à organiser une activité pastorale, mais à revenir à la joie – et aussi à la fatigue – de la suite, sans domestiquer la parole du Christ. Seule cette forme de vigilance fait de nous des sentinelles qui, dans la nuit du monde, gardent humblement la confiance que bientôt se lèvera l’Étoile du Matin, cette étoile qui ne connaît pas de coucher, dont la lumière est capable d’illuminer chaque homme. Un saint moine du siècle dernier, Thomas Merton, a exprimé en quelques mots cet état de vigilance vers lequel l’Avent nous conduit avec force et douceur.

Exilés, au fond de la solitude, vivant comme ceux qui écoutent, sentinelles aux frontières du monde, nous attendons le retour du Christ.

1 ANONYME, Œuvre incomplète sur Matthieu, homélie 51.

2 Jean Chrysostome, Homélies sur l’Évangile de Matthieu 77,2-3.

Prions

Ô Dieu, qui, pour rassembler tous les peuples dans ton royaume, as envoyé ton Fils dans notre chair, donne-nous un esprit vigilant, afin que, marchant sur tes chemins de paix, nous puissions aller à la rencontre du Seigneur lorsqu’il viendra dans sa gloire. Il est Dieu, et il vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit pour les siècles des siècles.

P. Roberto Pasolini, OFM Cap.

Prédicateur de la Maison pontificale

 

Traduction réalisée par ZENIT

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P. Roberto Pasolini

Le P. Roberto Pasolini, O.F.M. Cap. est le prédicateur de la Maison pontificale. Théologien, bibliste et conférencier, le religieux est déjà connu du grand public pour ses catéchèses et ses nombreux podcasts sur internet. Il enseigne actuellement l’exégèse biblique à la Faculté théologique de Milan.

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