Mgr Barthélémy Adoukonou (1942-2025), secrétaire émérite du Conseil pontifical pour la culture (2009-2017), a passionnément consacré son ministère de prêtre et d’évêque, de formateur et de théologien à la rencontre entre Foi et Culture. Dans Théologie africaine au XXIe siècle. Quelques figures, volume 1 (2004), Sidbe Sempore résumait ainsi justement son œuvre : « Le premier en Afrique de l’Ouest, Adoukonou a conçu un style de pensée et un mouvement d’inculturation impliquant activement les diverses composantes de la société et de l’Église ; le premier, il a lancé une école de recherche et d’application autour d’une vision et d’une méthodologie particulières » (p.170).

Mgr Barthelemy Adoukonou lors de l’ordination episcopale le 8 octobre 2011
Pour une Église fière de son héritage missionnaire et culturel, le chercheur-pasteur Adoukonou avait initié en 1970 le Mouvement du « Sillon Noir », composé aussi d’anciens convertis au christianisme et sachants des cultures qu’il désignait par « intellectuels communautaires ». Ce mouvement d’intellectuels universitaires et communautaires, de jeunes et d’anciens, s’est laborieusement consacré à l’étude anthropologique de la culture Fon (Sud-Bénin) pour sa rencontre féconde avec l’Évangile. Il a certes investi divers domaines de la culture (historique et sociopolitique), mais ses fruits sous l’angle liturgique sont plus visibles comme par exemple les funérailles inculturés de Jésus le vendredi saint. Cette initiative fut diversement accueillie. La rencontre entre foi et culture est intime à l’évangélisation, mais selon quelles modalités ?
La culture exprime l’identité et la mentalité d’un peuple. L’Évangile qui n’est pas une culture ne peut vraiment toucher et transformer le cœur de l’homme sans passer par sa culture. Mais le passage par la culture fait-il nécessairement chrétien ? À Athènes (Ac 17, 16-34), Paul évoque les éléments culturels, mais son message n’a pas été accueilli. La Passion, Mort et Résurrection du Christ est une anti-culture, depuis Jérusalem. La même expérience avait été vécue à l’avènement de Jésus-Christ. Les Mages aperçoivent une étoile, qui, selon leur culture, constituait le signe d’un grand événement. Mais l’étoile ne les conduit pas infailliblement au Christ. Ils recourent à la Révélation. Et à partir de celle-ci, ils ont un autre rapport à l’étoile. Du Christ, ils repartent par un autre chemin (Cf. Mt 2, 1-11). L’Évangile est donc toujours nouveau en toute culture.
« À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Deus caritas est, n°1). La culture peut et même doit y aider, mais sans absolutisation, ouverture à l’enfermement ou à l’autoréférentialité. Joseph Ratzinger, maître de thèse de Barthélémy Adoukonou recommandait déjà en 1993 une inculturation en modalité d’interculturalité ; et comme pape, il l’a rappelée dans Africæ munus, n°38.
La précision du statut de la culture pour une évangélisation en profondeur constitue alors une urgente tâche théologique pour toute l’Église. La conversion qu’induit l’accueil du Christ implique aussi une conversion culturelle qui nécessite d’agir plus sur les mentalités que sur les rites. Un grand défi pour l’Église en Afrique qui, malgré sa vitalité, se trouve bien fragilisée par des pesanteurs culturelles. De la culture au Christ ou du Christ à la culture ?
Rodrigue Gbédjinou, prêtre
Théologien – Directeur de l’École d’Initiation Théologique et Pastorale
(Cotonou-Bénin)
