P. Paul Béré, professeur, théologien et exégète à l'Institut biblique pontifical de Rome © Anne van Merris 

P. Paul Béré, professeur, théologien et exégète à l'Institut biblique pontifical de Rome © Anne van Merris 

P. Paul Béré : « L’Église parle, il faut qu’elle apprenne à écouter »

Interview d’un théologien burkinabé expert à la Secrétairerie générale du Synode

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Théologien et exégète originaire du Burkina-Faso, le prêtre jésuite Paul Béré enseigne depuis 2018 à l’Institut biblique pontifical, situé au cœur de la ville de Rome.

Membre depuis 2020 de la Commission biblique pontificale, il occupe d’autres fonctions au sein de la Curie romaine, notamment comme expert à la Secrétairerie générale du Synode des évêques et au Conseil pontifical pour la culture. Auteur de nombreux ouvrages et articles, le P. Béré a reçu en 2019 le prix Ratzinger, qui récompense des personnalités dans les domaines de la théologie et de la culture. Zenit l’a rencontré à Rome.

 

Zenit : Quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivé à Rome, à l’Institut biblique pontifical ?
Institut biblique pontifical à Rome © jesuites.ch

Institut biblique pontifical à Rome © jesuites.ch

Père Paul Béré : J’avais 16 ans lorsqu’un prêtre français missionnaire d’Afrique nous a présenté différents ordres religieux, et je me souviens avoir été touché en entendant parler des Jésuites. À l’âge de 24 ans, je suis entré dans la Compagnie de Jésus et je suis parti me former dans plusieurs pays dont le Cameroun, le Congo démocratique, le Kenya et Jérusalem. Puis je suis venu à Rome pour mes études de spécialisation en Écriture sainte. 

Quand j’ai fini ma thèse en 2007, on m’a envoyé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour enseigner la théologie biblique. Je croyais en avoir complètement fini avec Rome, mais on m’a demandé en octobre 2008 d’être expert pour le Synode sur la Parole de Dieu. Bien plus tard, en 2018, on m’a demandé d’y revenir pour être professeur à l’Institut biblique pontifical, et j’y suis toujours.

Aujourd’hui, j’enseigne l’exégèse de l’Ancien Testament et l’herméneutique biblique. Sur ce deuxième volet de mon enseignement, je me considère un peu comme un disciple de Paul Ricoeur. Je suis également impliqué dans différents services du Vatican, tout en donnant des formations ponctuelles en Afrique auprès de congrégations religieuses ou des diocèses.

Zenit : Quels sont les particularités de l’Institut biblique pontifical ?

Père P. Béré : Il a été fondé en 1909 par le pape saint Pie X pour répondre aux défis de l’approche scientifique de la Bible. Le monde protestant avait développé une étude critique du texte biblique, mais l’Église catholique avait du mal à s’ajuster. Avant cela, le frère dominicain Marie-Joseph Lagrange avait fondé une école biblique à Jérusalem en 1890, qui existe toujours. Il y a aussi une troisième école à Jérusalem tenue par les franciscains, fondée en 1924.

L’Institut biblique à Rome n’est pas seulement destiné à la formation aux 2e et 3e cycles et à la recherche, mais aussi au dialogue avec tous ceux qui vivent de la Bible : les catholiques, les juifs et les protestants. C’est un espace ouvert où l’Église catholique permet une rencontre intellectuelle avec les autres religions. Nous accueillons des clercs, des laïcs, des religieux et des religieuses qui s’orientent ensuite principalement vers la recherche ou l’enseignement. 

Zenit : Quels sont vos sujets principaux de recherche actuellement ?
Synode : "J’ai beaucoup apprécié la confiance à l’Esprit Saint et le grand esprit d’ouverture" © jesuits.global/fr

Synode : « Confiance à l’Esprit Saint et grand esprit d’ouverture » © jesuits.global/fr

Père P. Béré : Je mène depuis plus de 25 ans une recherche sur le thème « l’écoute » (le terme technique est « auralité »). Je pense que la Parole de Dieu a d’abord été destinée aux auditeurs et non aux lecteurs. La transmission du texte biblique s’est faite principalement par l’oral : on s’asseyait dans la synagogue, une seule personne lisait le parchemin et tout le monde écoutait.

La transmission de la Parole s’est donc faite aussi par l’écoute communautaire. Cela signifie que le texte biblique construit naturellement en nous une capacité d’écoute de Dieu, mais aussi d’écoute de l’autre.

Si nous savons écouter le texte biblique, nous apprendrons à nous écouter les uns les autres en société. À cette étape, je me rends compte que tout commence par un silence. Le silence amène l’écoute et l’écoute amène la parole, qui vient vraiment après.

Zenit : Comment avez-vous vécu le dernier Synode sur la synodalité auquel vous avez participé en tant qu’expert ?

Père P. Béré : Cette expérience inédite a été une confirmation de ma quête à la fois intellectuelle et spirituelle. Une expérience positive, avec un désir d’écoute mutuelle très fort. Les groupes reflétaient les différentes composantes de l’Église : des laïcs hommes et femmes, des prêtres, des religieux et des religieuses. Ces personnes ont été choisies localement par les conférences épiscopales, et un modérateur a été désigné pour faciliter l’écoute et la circulation de la parole. Je me souviens d’un évêque disant : « L’Église parle, il faut qu’elle apprenne à écouter ». Cela m’a beaucoup rejoint !

On ne peut pas sortir indemne d’une telle expérience. J’ai beaucoup apprécié la confiance à l’Esprit Saint et le grand esprit d’ouverture. Le pape François nous a envoyés dans nos églises locales pour que le processus de discernement ecclésial se fasse. J’étais très heureux, parce que c’était toute l’Église qui marchait. Il y a eu un mouvement vers l’extérieur et les diocèses ont pu s’exprimer.

Ce synode m’a fortement consolé car, lors des synodes précédents, ce qui avait été vécu à l’intérieur n’avait pas été communiqué à l’extérieur et pas mis en pratique. J’étais un peu en désolation. Je me disais : « Mais à quoi servent toutes ces rencontres si le peuple de Dieu ne sait pas ce qui s’y passe et n’en bénéficie pas ? » Le pape François a réussi à faire dialoguer les différences. On a donc renoué avec une intuition très profonde qui est née au Concile Vatican II, consistant à faire discerner l’ensemble du peuple de Dieu et ouvrir l’Église au monde. 

Zenit : Que voyez-vous pour la suite et la mise en pratique du Document final ?
Remise de prix Ratzinger par le pape François en 2019 © Vatican Media 

Remise de prix Ratzinger par le pape François en 2019 © Vatican Media

Père. P. Béré : Quand le pape a dit, le 26 octobre 2024 : « Je n’ai pas l’intention de publier une exhortation, j’accueille le fruit du discernement du peuple de Dieu », puis « il faut maintenant agir », je me suis dit clairement : « Ça, c’est l’aboutissement ». Le travail de réception du Document Final continue aujourd’hui partout dans le monde. Je reviens d’un séminaire international à Dakar, au Sénégal, dont le but était de promouvoir la réception du Document Final. La fécondité de ce texte se manifestera avec le temps, à la faveur des multiples initiatives pour en disséminer le contenu. 

En 2028, il y aura une assemblée à Rome pour faire remonter les expériences et ce sera l’occasion de créer un nouvel espace de partage entre les Églises des différents pays. Tout l’enjeu sera de voir comment on vit la catholicité dans ce contexte de pluralité, de diversité. Et je crois que la grâce de ce synode pour le monde polarisé d’aujourd’hui, c’est enseigner au monde comment vivre la différence et l’apprécier.

Zenit : Quel est votre regard sur l’évolution de l’Église catholique en Afrique en tant que professeur, exégète et théologien africain ?

Père P. Béré : Il n’y a pas de doute, l’Église en Afrique est en pleine croissance et il y a un engagement très profond au niveau des petites communautés locales ! Quand on participe à des célébrations liturgiques, on sent la vie, on sent la foi. Dans les zones de grands conflits, des chrétiens et chrétiennes vivent le martyre au nom de leur foi et de leur engagement chrétien. Malheureusement, cet engagement-là n’est pas visible. Les gens ordinaires ne se retrouvent pas dans les médias et pourtant, ce sont eux qui font vivre et croître l’Église en Afrique. 

Pour moi, le grand défi en Afrique, c’est l’urgence de la formation. On doit apprendre à travailler ensemble et à partager. On voit que certains évêques, dans le même pays, veulent créer localement leurs universités catholiques ou leurs propres séminaires. Mais cela appauvrit les efforts collectifs, parce que tenir une université est lourd en termes de finances et de ressources humaines. Pourquoi ne pas se mettre ensemble ?!… Je pense que si on conjugue nos efforts pour permettre plus d’intégration, les gens se connaîtront mieux. 

Il y a aussi en Afrique une forte croissance des vocations sacerdotales et religieuses. Par exemple, à Nairobi il y a une université qui enseigne la théologie et la philosophie avec 600 étudiants. Au Nigeria, on compte les vocations sacerdotales par centaines. C’est absolument extraordinaire !

 

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Anne van Merris

Journaliste française, Anne van Merris a été formée à l'Institut européen de journalisme Robert Schuman, à Bruxelles. Elle a été responsable communication au service de l'Église catholique et responsable commerciale dans le privé. Elle est mariée et mère de quatre enfants.

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