Première parution sur CathoBel le 27 novembre 2024
Par Manu Van Lier
Au début du XXe siècle, les mineurs de fond de Zipaquirá, petite bourgade à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale Bogotá, qualifiaient très justement le travail à la mine de « descente aux enfers » ! Il est vrai qu’à l’époque, les profondes galeries menant à la précieuse halite n’étaient pas sans danger, à telle enseigne que ces mineros subterráneos eurent tôt fait, dès 1932 exactement – pour conjurer le sort – d’y construire un sanctuaire baptisé Notre Dame du Rosaire de Guasá, leur sainte patronne. Ces courageux exploitaient avec succès ce qui reste le plus important dépôt de sel gemme au monde, vieux de 200 millions d’années et découvert au Ve siècle av. J.-C. par les Indiens Muiscas. La production devait nettement faiblir dans les années 1950 avant de marquer un arrêt définitif. En 1953, la mine, ses boyaux et ses cavités sont abandonnés au grand dam des mineurs qui, soutenus par les autorités religieuses comme politiques, y entreprennent la construction d’une église. Celle-ci fut inaugurée en août 1954 au terme de travaux qui ont coûté la bagatelle de 285 millions de dollars.
Concours national
En 1992, près de quatre décennies après sa création, cette originale maison du Seigneur souterraine doit fermer ses portes en raison de dangereux problèmes structurels. C’est compter sans la résilience, la foi et la détermination proverbiales des mineurs eux-mêmes, des responsables religieux et de la société des architectes de Colombie. Ensemble, ils décident de faire plus beau, plus grand – une cathédrale – et plus profond encore… d’une septantaine de mètres. Un grand concours national recueille 44 projets. Pendant un lustre, plus d’une centaine de bénévoles vont se mettre à creuser le minerai et sculpter les parois pour réaliser un étonnant complexe qui va devenir la fierté de tout un pays. Un extraordinaire patrimoine religieux, culturel et environnemental. Un des plus beaux exemples mondiaux d’architecture stéréotomique.
L’entreprise est colossale. Il faut creuser avec précaution et évacuer pas moins de 250.000 tonnes de sel. Elle ne se limite pas à la seule cathédrale, mais elle comporte une large galerie d’accès, quatorze salles qui sont autant de stations du chemin de croix et un dôme de 8 mètres de diamètre, percé à 11 mètres du sol, symbolisant le monde et le cosmos, l’union du ciel et de la terre.
Une croix de 17 tonnes
Plus loin, les concepteurs imaginent un narthex, un labyrinthe composé d’une série de parallélépipèdes représentant, tel un acte de repentance, la voie que doivent prendre les non baptisés. Trois imposantes nefs pavent l’accès à la cathédrale proprement dite. La première, symbolisant la naissance du Christ, est en réalité un baptistère long de 73 mètres, large de 10 et haut de 16, qui présente une petite fontaine d’eau cristalline représentant l’eau du Jourdain. La seconde, appelée nef de la vie, propose quatre imposants piliers – un pour chaque évangéliste – représentant les fondements de la foi chrétienne. Cette salle, qui peut accueillir un petit millier de fidèles, contient également une immense croix lourde de 17 tonnes et haute de 16 mètres. La troisième nef évoque, au moyen de sculptures et d’anfractuosités, la mort et la résurrection du Christ.
Jusqu’à 10 000 personnes !
Mais la pièce-maîtresse est bien entendu la cathédrale elle-même, longue de 75 mètres et haute de 25, qui accueille 3.000 fidèles pour l’office dominical. Pour les grandes fêtes religieuses, elle peut accommoder jusqu’à 10.000 personnes. Elle abrite un autel central monumental. Transféré de l’ancienne église, il a nécessité une découpe en trois segments de 5 tonnes chacun et un acheminement d’un soin et d’une lenteur processionnels. Toutes ces réalisations s’agrémentent de jeux de lumière que l’on qualifiera poliment de « locales ». Si elles mettent en valeur la vastitude, le travail et les détails du lieu, leurs couleurs bigarrées manquent de sobriété et restreignent quelque peu la solennité – ceci n’étant que l’avis strictement personnel d’un vulgaire observateur européen…
Complexe
Profitant de l’important magnétisme de leur Catedral de Sal qui reçoit 600.000 visiteurs annuels, les autorités colombiennes en ont profité pour y greffer une multitude d’attractions, fort heureusement de bon goût et dans la lignée de la devise de la municipalité de Zipaquirá, culminant à 2.680 mètres : Calidad de Vida. On y trouve pêle-mêle au sein d’un parc écologique de 32 hectares, une zone de repos, une fontaine, un coin réservé aux artisans locaux, un musée minier, une piste de VTT et l’inévitable cafeteria. Manière de nourrir le corps après l’esprit !
Bernard GEENEN
Un pays apprécié par les papes
Surnommée « le pays du Sacré-Cœur », la Colombie affiche clairement et fièrement son catholicisme. Plus de 90% de la population s’en réclame. Mieux encore, 78% des 60 millions de Colombianos confessent que la religion joue un rôle très important dans leur vie. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles les papes Paul VI et Jean-Paul II s’y sont rendus. Tel fut aussi le cas de François. Le pape argentin est venu en Colombie en 2017, au lendemain de l’accord de paix conclu entre le gouvernement de Bogota et la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).
Introduite en 1508 par les Espagnols lors de leur conquête de la Nouvelle-Grenade, la confession catholique a été religion d’État jusqu’en 1991, année où la Constitution, dans une approche œcuménique, a décrété officiellement « la liberté de culte et l’égalité de toutes les croyances devant la loi ». Historiquement traditionnel, le catholicisme colombien a récemment emprunté un chemin moins conformiste, illustré par « l’ordination » (malgré l’interdiction de la hiérarchie catholique), en 2010, d’Olga Lucia (75 ans), la toute première « femme prêtre » en Amérique latine.
B.G.