Fresque de la Visitation © Sanctuaire du Sacré-Cœur

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Paray-le-Monial : Les grands enjeux du Jubilé

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Première partie

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P. Etienne Kern

Les pèlerinages à Paray commencèrent en 1873, à la même date que le sanctuaire de Lourdes et pour la même raison : l’arrivée du chemin de fer. Voilà donc 150 ans que Paray est un lieu important de pèlerinage en France. Alors que nous nous apprêtons à vivre une célébration historique qui marquera l’ouverture du Jubilé des 350 ans des Apparitions, nous avons comme l’intuition que le sanctuaire entre symboliquement dans une nouvelle étape de son histoire, dont il a paru important d’en rappeler les enjeux essentiels. 

C’est l’objet de mon intervention, en ce jour d’ouverture du Jubilé des 350 ans des apparitions du Sacré-Cœur à Sainte Marguerite-Marie. Voici les deux premiers enjeux majeurs de ce Jubilé : 

I. Sortir la dévotion au Sacré-Cœur des impasses dans lesquelles elle s’est retrouvée enfermé

II. Déployer un lieu vivant, où se vit une expérience intense de la foi aujourd’hui

La semaine prochaine, nous présenterons les trois autres enjeux du Jubilé

III. Redécouvrir l’actualité du thème de la réparation

IV. Approfondir la communion qui unit les différentes réalités ecclésiales attachées Sacré-Cœur

V. Recevoir ce que Dieu veut pour notre sanctuaire

I. Sortir la dévotion au Sacré-Cœur des impasses dans lesquelles elle s’est retrouvée enfermée

Autant le Sacré-Cœur est répandu, autant il est mal connu ! Dans l’histoire, cette dévotion s’est répandue très rapidement, avec une fécondité peut-être inégalée dans l’histoire de l’Église, tout du moins dans l’église latine. Toutefois, avec le recul, on s’aperçoit que le message de Paray a pu souffrir des moyens auquel on a eu recours pour le faire connaître. Certes, ce qui a contribué à véhiculer le message et la dévotion a été très efficace pour sa diffusion – puisque le monde entier connait le Sacré-Cœur. Mais cela est parfois devenu un obstacle pour sa compréhension profonde. Cela s’est fait au détriment de la profondeur et justesse de la dévotion au Cœur de Jésus. Cette large diffusion n’a pas été indemne d’ambiguïtés, de contre-sens, de raccourci, de simplification. Bref, il y a eu un prix à payer. Et il faut peut-être chercher là une part des raisons qui expliquent la désaffection de la dévotion au Sacré-Cœur dans la deuxième partie du XX° siècle, en occident tout du moins. Il s’agit pour nous d’identifier et de comprendre ces réticences pour y répondre. Le Jubilé est une bonne occasion pour cela.

– La dévotion au Sacré-Cœur bénéficia des reproductions à l’infini des statues selon l’art sulpicien qui connut un succès retentissant au XIX° siècle, mais elle finit par paraitre bien poussiéreuse et sanguinolente lorsque les sensibilités évoluèrent au XX° siècle. Or, de belles œuvres d’art touchent les cœurs. C’est pourquoi un appel à projet artistique a été lancé en septembre par le Sanctuaire. Le Jubilé entend être aussi une magnifique occasion de renouveler l’image du Sacré-Cœur, ainsi que les représentations de Sainte Marguerite-Marie Alacoque, dans le domaine de l’art, par la sculpture et la peinture. Cet appel à projet concerne également la création d’une composition musicale destinée à la liturgie. Un concours photo est également organisé afin que tous puissent participer au renouvellement de notre regard sur les des sites emblématiques du Sanctuaire, auprès desquels viennent prier les pèlerins du monde.

– La focalisation unilatérale sur la réparation, elle-même réduite à sa dimension pénitentielle voire victimale a fini par faire du Sacré-Cœur une dévotion doloriste un peu morbide. Bien évidemment la réparation fait partie de la spiritualité parodienne, mais elle n’est pas première et elle ne se réduit à sa dimension pénitentielle. 

– La dévotion du Sacré-Cœur n’a pas été indemne de récupération politique, réduisant le Sacré-Cœur a un emblème ou un symbole brandi comme un étendard au service de certaines causes politiques françaises. Comme disait Péguy, tout commence en mystique et finit en politique ! Certes, pour être authentique, notre dévotion au Cœur de Jésus se doit de rayonner dans notre monde, afin d’établir autour de nous le règne du Christ, ou pour reprendre l’expression du saint pape Jean-Paul II, construire la civilisation de l’amour. Mais sans tomber dans la défense d’une cause politique comme cela fut trop souvent – et parfois encore aujourd’hui, le combat de certains. Ce n’est pas le lieu maintenant d’approfondir cette question, mais nous aurons certainement à le faire. 

– la présentation didactique du message des apparitions en 12 promesses au XIX° siècle n’est pas formellement fausse, même si elle est marquée par son époque. Ce fut certes très efficace … Mais elle finit par induire une dynamique spirituelle très appauvrie : si je fais ce que Jésus me demande, j’obtiendrai ce qu’il me promet. La dérive vers une relation mercantile et intéressée est à peu près inévitable. Ce n’était certes la visée de cette mise en forme, mais combien sommes-nous loin d’un cœur qui se laisse transformé par l’amour brûlant que le Seigneur a pour nous, amour qui appelle une réponse d’amour radicale.

Or, c’est justement cette expérience vivante et transformante que vivent les pèlerins ici et que nous avons à mettre en valeur. 

Sainte Marguerite-Marie © Sanctuaire du Sacré-Cœur

Sainte Marguerite-Marie © Sanctuaire du Sacré-Cœur

II. Un lieu vivant, où se vit une expérience intense de la foi aujourd’hui

La dévotion au Cœur de Jésus n’est pas née à Paray. Mais, historiquement, c’est à partir des apparitions à Sainte Marguerite-Marie qu’elle est devenue incroyablement populaire et s’est répandue dans toute l’Église. En ce sens, Paray est véritablement source de la dévotion. Le monde et l’Église ont besoin de toujours davantage connaître et expérimenter l’amour du Cœur de Jésus. Mieux connaitre ce qui s’est passé à Paray – qui s’y passe encore – est incontournable pour redécouvrir et actualiser la dévotion au Sacré-Cœur. En ce sens, la présence aujourd’hui de pèlerins venus d’Espagne – notamment de Valladolid, où le Sacré-Cœur est apparu au bienheureux jésuite Bernardino de Hoyos au XVIII° siècle – est particulièrement significative.

Ce jubilé est bien plus qu’une manière originale de commémorer un fait historique marquant pour l’histoire de la spiritualité catholique au XVII°. Paray-le-Monial est davantage qu’un jalon historique essentiel de la dévotion au Sacré-Cœur. Nous ne sommes pas ici pour faire de l’archéologie et nous souvenir avec des larmes aux yeux et des trémolos dans la voix des merveilles que Dieu a réalisées ici il y a bien longtemps. C’est un lieu vivant de grâce où des milliers de pèlerins continuent d’expérimenter aujourd’hui la bonté, la consolation et la puissance du Cœur de Jésus, qui relève, transforme et envoie en mission celui qui Le rencontre.

Notre expérience pastorale est qu’il y a ici une puissante grâce du lieu, intimement liée à l’expérience spirituelle de Marguerite-Marie :

1. Le repos

De même que MM a reposé longuement sur le Cœur de Jésus, de même les pèlerins se reposent ici, répondent à l’appel de Jésus : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et je vous procurerai le repos car je suis doux et humble de Dieu. Il y a une grâce de repos en Dieu, de déposer dans son cœur tout ce qui nous agite et nous inquiète : soucis, échecs, blessures, péchés, deuils, etc …

Ainsi, une mère de famille me confiait il y a quelques semaines avoir perdu son fils il y a deux ans puis, il y a un an, à l’époque du premier anniversaire de ce décès, son petit-fils. « Parfois, j’ai l’impression d’éclater, je n’en peux plus. Qui suis-je pour dire cela, mais je suis comme le fils de l’homme qui n’a pas d’endroit où reposer la tête. Mais en venant ici à Paray, j’ai compris qu’il y avait en fait un endroit où je pouvais me reposer : sur le Cœur de Jésus. »

2. La consolation

Ceci renvoie à un autre aspect de la grâce de ce lieu : la consolation. J’ai été très touché lors que le pape s’est adressé en novembre dernier aux recteurs de sanctuaire, lors de leur rencontre internationale au Vatican. 

On va aux Sanctuaires pour être consolé. Que de personnes s’y rendent parce qu’elles portent dans l’esprit et dans le corps un poids, une peine, une préoccupation ! La maladie d’un être cher, la perte d’un membre de la famille, tant de situations de la vie sont souvent cause de solitude et de tristesse, qui sont déposées sur l’autel et attendent une réponse. La consolation n’est pas une idée abstraite, et elle n’est pas faite d’abord de mots, mais d’une proximité compatissante et tendre, qui comprend la douleur et la souffrance. C’est le style de Dieu : proche, compatissant et tendre. Ainsi est le Seigneur. Consoler équivaut à rendre tangible la miséricorde de Dieu ; pour cela le service de la consolation ne peut manquer dans nos Sanctuaires. Dans notre histoire, chacun de nous a des moments durs, laids, où le Seigneur nous a consolés. N’oubliez pas cette expérience. Se rappeler sa propre expérience de consolation nous aidera à consoler les autres. Et cette expérience passe à travers la maternité de Marie, la Consolata par excellence. Que dans nos Sanctuaires surabondent la consolation et la miséricorde !

J’ai reçu ces paroles en plein cœur, comme si à travers le saint Père, le Seigneur venait confirmer l’appel profond du Sanctuaire de Paray a être un lieu de consolation. C’est pourquoi, je voudrais ici adresser un appel à tous les blessés de la vie, aux boiteux, paralytiques et lépreux que notre société ne manque pas d’engendrer. Si vous êtes peu tordus par la vie, pas trop comme il faut, un peu à côté de la plaque, … le Seigneur vous attend tout particulièrement à Paray, vous trouverez auprès du Cœur de Jésus le repos de vos soucis, la consolation de vos deuils et la guérison de vos blessures. 

3. La puissance de l’Esprit Saint qui jaillit du Cœur de Jésus

Ceci amène un troisième aspect de la grâce de Paray : un cœur transformé par le feu de l’Esprit Saint. Marguerite-Marie raconte que le 27 décembre, le Seigneur lui demanda son cœur. Elle le supplia de le prendre. Elle raconte : Il le mit dans le sien adorable, dans lequel il me le fit voir comme un petit atome qui se consumait dans cette ardente fournaise, d’où le retirant comme une flamme ardente en forme de cœur, il me le remit dans le lieu où il l’avait pris. 

De même que Marguerite-Marie a eu son cœur transformé par la puissance du feu du Cœur de Jésus, de même que son cœur s’est enflammé en étant plongé dans le cœur de Jésus, ainsi notre cœur s’enflamme d’amour pour le Seigneur et de compassion pour ceux qui souffrent, pour les blessés de la vie. Le critère d’authenticité de la dévotion véritable au Sacré-Cœur est la transformation de notre cœur, pour entrer dans les sentiments du Cœur de Jésus qui était touché de compassion devant les foules car elles étaient comme des brebis sans berger. 

Sainte Marguerite-Marie © Sanctuaire du Sacré-Cœur

Sainte Marguerite-Marie © Sanctuaire du Sacré-Cœur

4. La miséricorde

Un quatrième aspect de la grâce de Paray est l’expérience de la miséricorde. Marguerite-Marie a découvert les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré-Cœur (1° apparition) et jusqu’à quel excès il l’avait porté d’aimer les hommes (2° apparition) ; combien ce Cœur a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à se consumer pour leur témoigner son amour (3° apparition). De même, ici, nous faisons l’expérience bouleversante que le Seigneur nous aime, notamment à travers les sacrements de la confession et de l’Eucharistie. Est-il trop osé de dire qu’une part du renouveau du sacrement de la Confession et de la redécouverte de l’adoration du Saint Sacrement en France ces 30 dernières années est passé par Paray ?

Aujourd’hui, je vous annonce que les sœurs de la Visitation qui ont mis à disposition l’espace de leur actuel magasin et leurs parloirs pour ouvrir un espace de miséricorde qui s’ouvrira sur le parvis mais aussi sera directement accessible de la chapelle des Apparitions. Le projet est que les pèlerins puissent se confesser bien sûr, mais aussi être écouté, accompagné et bénéficié de la prière des frères. Chères sœurs visitandines, merci pour votre souci constant que les pèlerins soient bien accueillis chez vous et pour votre cadeau généreux. Prions pour que le Seigneur vous accorde de nombreuses vocations !

5. Le feu de la mission

Un dernier aspect de la grâce de Paray est le feu missionnaire. Nulle intimisme ou individualisme dans la véritable dévotion au Cœur de Jésus. Jésus montra son Cœur à Marguerite-Marie et lui dit : Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen et qu’il se manifeste à eux. Ainsi, l’expérience spirituelle se fait elle d’emblée missionnaire : « il faut que ça brûle ! » disait le fondateur de l’Emmanuel, Pierre Goursat. Il n’est pas anodin de citer aujourd’hui Pierre dans la mesure où le réveil et redéploiement du sanctuaire de Paray à partir des années 1970 est largement à son intuition prophétique de venir à Paray pour y vivre le rassemblement national du Renouveau Charismatique puis les sessions d’été de la Communauté de l’Emmanuel. Que notre cœur brûle d’amour pour le Seigneur et, dans le même temps, brûle du feu que cet amour soit connu et répandu dans notre monde marqué par l’indifférence et l’éloignement de Dieu. Les formes d’annonce de l’amour du Cœur de Jésus sont bien différentes selon les appels que les uns et les autres nous recevons de Dieu. Mais, il s’agit dans tous les cas de témoigner avec force et puissance de ce feu brûlant. 

Il n’est pas possible d’évangéliser un monde que l’on n’aime pas. A Paray, en entrant dans les sentiments du Cœur de Jésus, on apprend à aimer les hommes, à aimer le monde comme le Christ a aimé les hommes et le monde. Une dévotion au Sacré-Cœur qui se replierai sur elle-même dans un gémissement plaintif et victimaire face à un monde qui n’est plus chrétien ne serait pas authentique. Je ne peux que faire miens ces mots de René Voillaume, fondateur des petits frères de Jésus, qui conclut son dernier livre testament par ces mots prophétiques, à l’école de ce grand saint du Cœur de Jésus que fut Charles de Foucauld : Peut-être allons-nous entrer dans une époque de l’histoire du genre humain qui sera le temps de la compassion, dans l’impuissance de trouver les solutions aux problèmes posés. Il nous faudra plus que jamais nous offrir en intercession, en communion au sacrifice du Seigneur, en nous plongeant en son Eucharistie pour supplier la miséricorde de notre Sauveur de se répandre sur tous les hommes.

Un aspect de ce feu missionnaire est la piété populaire qui est, pour reprendre l’expression du pape François « le système immunitaire de l’Église ». Autour du Sacré-Cœur s’est déployé une grande piété populaire. L’un des enjeux du Jubilé est que le sanctuaire soit toujours plus accessible à tous et qu’il renoue avec justesse avec cette piété populaire. Il s’agit de lui donner sa digne place mais aussi recevoir d’elle, en étant l’écoute du « peuple », de nouveaux chemins de diffusion de la spiritualité du Sacré-Cœur, sans tomber dans les écueils évoqués ci-dessus. 

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Sanctuaire du Sacré-Cœur

Au sanctuaire du Sacré-Cœur de Paray-le Monial, un jubilé est célébré du 27 décembre 2023 au 27 juin 2025, pour fêter les 350 ans des apparitions de Jésus à sainte Marguerite-Marie. Ce jubilé est une occasion de venir en pèlerinage à la Chapelle des Apparitions au monastère de la Visitation. Cette démarche jubilaire est une invitation à se mettre en marche pour répondre à l’appel de Jésus : venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et je vous donnerai le repos, car je suis doux et humble de Cœur (Mt 11, 28). Passer la Porte jubilaire, c’est entrer dans le Cœur de Jésus pour être renouvelé en profondeur dans notre vie de baptisé et lui rendre amour pour amour. Pour plus d'informations, rendez-vous sur https://sacrecoeur-paray.org/demarche-jubilaire/

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