Après une carrière dans le journalisme, dans les affaires publiques au Département d’État et au sein de sa propre entreprise à but non lucratif, c’est le divorce de son frère qui a incité Peter McFadden à reconsidérer sa conception du mariage et à s’orienter vers la profession de conseiller conjugal. Depuis 20 ans, il exerce auprès de plus de 5 500 couples dans le monde entier. Il accorde une attention particulière aux relations sociales des couples et les aide à développer des habitudes quotidiennes communes qui sauvent leur mariage et renforcent leurs liens. L’IFS l’a récemment interviewé mettre à profit son expérience en matière de communication conjugale, notamment en ce qui concerne l’utilisation des smartphones.
Elizabeth Self : Quelles anecdotes avez-vous recueillies qui illustrent le type de difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux couples mariés ?
Peter McFadden : J’ai récemment rencontré un [jeune] couple marié de 21 et 23 ans. J’ai été très inquiet après les avoir rencontrés. TikTok est une invention relativement récente et ce mari de 21 ans a pratiquement grandi avec. La femme s’est plainte : « Je me lève de la table de la salle à manger pour aller chercher du ketchup, cela ne me prend pas plus de deux minutes et [quand je reviens] il est sur TikTok. » Son mari a répondu : « Mais je m’ennuyais ! »
Si vous ne pouvez pas survivre à une minute ou deux de calme sans être sur TikTok à table, c’est blessant, ce n’est pas une simple distraction.
Dans le cas d’un des couples que je suis en France, ils se sont disputés devant moi pendant 10 minutes chacun, accusant l’autre de regarder d’abord son Blackberry avant de se dire bonjour. Cela aurait fait sensation sur YouTube si j’avais pu enregistrer cette dispute et la poster.
J’ai un patient qui fait partie non pas d’une, mais de trois ligues de football. Sa pauvre petite amie m’a dit : « J’ai dû créer ma propre équipe de football pour me connecter avec lui. »
J’ai également travaillé avec un couple extraordinaire mais, cinq ans plus tard, la femme a eu une aventure amoureuse. Bien sûr, l’homme était désemparé, mais d’une certaine manière, c’était de sa faute parce qu’il était trop investi dans son travail et qu’il ne prenait pas de temps pour elle.
E. Self : Pourriez-vous nous décrire les couples que vous conseillez et le type de conseil que vous leur proposez ?
McFadden : Mes services sont installés au cœur de New York. La plupart de mes couples gagne plus de 150 000 dollars par an, à deux. Je dirais qu’au moins 90 % d’entre eux ont au moins un diplôme universitaire ou un diplôme d’études supérieures, voire plus. Mais 10 % ne sont jamais allés à l’université. Même si 90 % de mes patients ont fait des études supérieures, environ 500 avec lesquels j’ai travaillé ont de faibles revenus.
60 à 70 % de mon travail est aujourd’hui axé sur la préparation au mariage. J’ai eu, par exemple, un couple de Mexicains qui vivait à New York à l’époque où je dispensais mes cours de préparation au mariage, il y a 13 ans. Ils vivent aujourd’hui à Mexico. Ils m’ont appelé via WhatsApp : « Peter, nous avons besoin d’aide. » Après toutes ces années, ils ont pris l’avion de Mexico pour me rejoindre à New York afin de bénéficier d’une consultation. Une grande partie de ma pratique consiste à soutenir les couples que j’ai conseillés dans le passé.
Dans mon programme, nous commençons par une vision concrète du mariage. Il est réellement basé sur la pratique, et mes patients très instruits comprennent bien les données.
Mon programme préféré a été interrompu par le COVID et je n’ai pas été en mesure de le relancer. Je rencontrais un petit groupe de couples pendant six à huit semaines, je faisais un exposé sur un sujet à la fois et j’organisais ensuite une discussion. Je rencontrais l’un des couples après chaque séance pour un entretien individuel.
Je demande aux couples de lire et d’effectuer un petit exercice avec plus de 150 questions à l’avance afin que nous sachions sur quoi nous concentrer pendant la session. « Êtes-vous inquiet de l’ingérence des parents dans votre mariage ? Avez-vous discuté du nombre d’enfants que vous souhaitiez avoir ? Êtes-vous d’accord sur les animaux de compagnie ? Êtes-vous inquiet que votre partenaire parle trop au téléphone ? » La réponse à cette dernière question est très fréquente.
E. Self : Le téléphone est-il un problème pour de nombreux couples ?
McFadden : Je dis à mes patients : croyez-le ou non, ma femme et moi nous sommes mariés avant que les smartphones n’existent. Nous n’avions pas ce risque de dépendance à l’époque. Les gens se retrouvaient et discutaient et il y avait beaucoup plus de contacts.
Avec l’avènement du smartphone, la tentation de s’isoler est beaucoup plus forte. Je crois fermement que les téléphones sont plus un divertissement qu’un outil utile. Mes clients me diront : « J’ai besoin de le regarder pour mon travail », et bien sûr, c’est vrai. Mais – juste pour vous en faire part – j’aimerais utiliser des téléphones basiques pour ne pas avoir de tentations. J’ai deux filles à l’école et l’école utilise une application pour me transmettre leurs notes et si elles sont arrivées en retard en classe. Leurs professeurs m’envoient des courriels. Il y a donc beaucoup de choses que vous devez faire sur votre téléphone. Mais ensuite vous êtes sur votre téléphone et vous restez sur votre téléphone.
L’utilisation de votre téléphone peut freiner les relations sociales, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de comportements regrettables. L’une des questions que je pose le plus souvent aux couples est de savoir à quand remonte leur dernière conversation sérieuse, et la réponse la plus fréquente est : « Nous ne nous en souvenons pas, c’était il y a des années ».
Voilà des personnes intéressantes qui n’ont pas de conversation sérieuse pendant des années. Il n’est pas étonnant que nous soyons vulnérables à des troubles affectifs. L’homme ne peut pas vivre sans amour. Lorsqu’un couple est uni, il n’y a aucune raison d’être jaloux. Selon la terminologie du Dr John Gottman, les sentiments positifs et négatifs se chevauchent. Lorsque la vitalité conjugale est importante dans un mariage et que les frustrations sont relativement faibles, chacun a tendance à interpréter positivement tout ce que fait l’autre. Par exemple, ma femme me considère comme un époux travailleur, plutôt que de m’accuser : « Tu aimes ton travail plus que moi ». Le téléphone n’est pas la seule menace pour la communication, mais il constitue une atteinte croissante, addictive et puissante pour le mariage.
E. Self : Comment les habitudes d’un conjoint affectent-elles son couple et ses enfants ?
McFadden : Selon le Dr Gottman, les couples qui se parlent tous les matins se sentent plus unis et plus constructifs tout au long de la journée. Ils sont également plus enclins à se retrouver spontanément et plus souvent.
Les mauvaises habitudes peuvent entraîner l’autre vers le bas, ce qui arrive trop souvent. J’entends souvent dire : « Plutôt que de rester sur mon portable, je ferais mieux de faire autre chose. »
Personne n’aime qu’on lui dise de poser son téléphone, même s’il sait qu’il devrait le faire, et les enfants sont très critiques. Vous ne pouvez pas attendre de vos enfants qu’ils aient de bonnes habitudes si les vôtres sont mauvaises.
Je ne peux pas demander à mes enfants de lâcher leur téléphone sans qu’ils se plaignent. Mais si les règles sont définies à l’avance, mes enfants seront satisfaits. S’ils ont compris le principe, ils ne se plaindront jamais de ne pas utiliser leur téléphone.
J’ai rencontré un couple du Bronx doté de faibles revenus, avec deux adolescents. Je les ai encouragés à se passer d’outils technologiques un soir par semaine et à dîner avec leurs enfants. Ils pensaient que leurs enfants se plaindraient. Ils ont été surpris de constater que les enfants étaient plus enthousiastes qu’eux à l’idée de passer une soirée sans téléphone. Ils tenaient à ce contact familial. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des couples qui suivent ce conseil et qui l’apprécient !
E. Self : Quelles autres règles et pratiques spécifiques recommandez-vous aux couples d’adopter ?
McFadden : Mes conseils en matière de mariage tiennent sur le dos d’une carte de visite.
Donc, premièrement, il faut avoir de petits rituels quotidiens où l’on n’est pas distrait. L’importance d’une conversation sans distraction est le principe le plus important de la question. La relation affective est la chose la plus importante dans le mariage et, pour y parvenir, vous avez besoin d’une conversation sans distraction. Commencez, passez et terminez chaque journée par une conversation positive.
Voici comment j’ai découvert que j’étais marié à mon téléphone et non à ma femme : je me suis réveillé et j’ai regardé mon téléphone. Nous ne devrions pas regarder notre téléphone dans les 15 minutes qui suivent notre réveil. Si nous le faisons, nous serons moins accaparés par notre téléphone pour le reste de la journée.
Je me souviens qu’au début de notre mariage, ma femme m’a supplié de lui accorder une soirée par semaine sans outils technologiques. Elle m’a également prié de lui accorder quatre week-ends par an – une fois tous les trois mois – sans outils technologiques. A l’époque, nous avons appris à nous retrouver deux soirées par semaine sans technologie.
Un rituel quotidien que mon épouse et moi-même avons adopté comme règle est de se dire bonjour comme il convient. Vous n’avez pas le droit d’entrer dans la maison avec votre téléphone à la main. Le simple fait de veiller à se dire bonjour correctement a fait évoluer de nombreux couples.
La deuxième règle consiste à définir un moment pour se parler. C’est l’une des plaintes les plus fréquentes que j’entends : « Chaque fois que je lui parle, il est au téléphone ». Mais il se trouve que vous avez engagé la conversation alors qu’il était déjà au téléphone. Vous ne pouvez donc pas vous plaindre qu’il soit au téléphone. Je conseille vivement aux couples de fixer un moment pour se parler plutôt que d’aborder le sujet au hasard.
Troisièmement, il convient d’avoir un calendrier commun et d’y inscrire le projet. Si mon épouse et moi-même devons passer une soirée sans téléphone chaque semaine, il faut que ce soit programmé.
L’un des exercices que je propose aux couples consiste à développer une perspective commune. Si ma femme a telle idée et que j’ai une autre idée de la façon d’élever nos enfants, nous en discuterons potentiellement tous les jours. Fixez donc un moment pour en parler. Je n’oublierai jamais la fois où ma femme m’a envoyé un message : « Peter, quelle est notre politique sur TikTok ? »
Par ailleurs, la plus grande invention, après la roue, est le temps d’écran. Depuis mon téléphone, je peux contrôler le temps que mes enfants passent sur leurs applications. Ils ne n’ont pas l’autorisation de se connecter après une certaine heure et ne sont pas autorisés à se réveiller et à regarder leur téléphone. De nombreux parents ignorent totalement l’existence de cet outil. Pour nous, adultes, dormir avec son téléphone est toujours une mauvaise idée. J’invite donc les couples à faire de leur lit un endroit sans téléphone, c’est-à-dire sans téléphone à portée de main. Le lit doit être un espace sacré pour le couple.
Une dernière chose : j’encourage les couples à dresser une liste de choses qui leur apporte de la joie, des souhaits qu’ils attendent de leur vie et qui les éloignent des outils technologiques.
La première soirée où nous nous sommes passés d’outils technologiques, nous ne savions pas quoi faire. Nous sommes restés assis pendant 30 minutes, comme si notre créativité avait été étouffée. Les couples doivent apprendre à se détendre sans télévision ni téléphone.
Il faut non seulement de la discipline, mais aussi un programme !
Traduction de l’original en anglais par ZENIT.