Tour de Pise © Vanefacciolo, Wikicommons

Tour de Pise © Vanefacciolo, Wikicommons

La France, fille aînée de l’Église, 11e partie

Le Grand Schisme d’Occident, 1378-1417 : un pape de trop !

Share this Entry

Je ne veux pas entrer dans des considérations canoniques pour déterminer la régularité de tel ou tel pape. Je m’en tiendrai à des considérations historiques, compte tenu de notre sujet. La France a reconnu Clément VII, mais en tant que grande puissance catholique, elle n’a pas ignoré Urbain VI, et n’a pas pris son parti de la réalité du schisme. Le roi « Très chrétien » savait mieux qu’un autre que l’Église est une. Le roi pour prendre sa décision ne mit en avant que l’irrégularité du conclave de Rome de 1378, qui n’avait pu choisir librement et avait dû procéder à une élection sous la contrainte. La question de la personnalité de l’élu ne fut pas mise en avant quoiqu’elle ait eu son importance. Le premier motif suffisait. Il n’était pas sans valeur canoniquement.

 

I Clément VII à Avignon 1378-1394

 

Il était né au château d’Annecy en 1342, fils d’Amédée III, comte de Genève, ce qui lui permettra de porter ce titre en 1392, à la mort de ses frères. Il était apparenté aux familles de France, de Savoie et de Luxembourg. Mais c’est à l’Église qu’on le destinait : en 1361 il est évêque de Thérouanne en Artois, à l’âge de 19 ans, en 1368 évêque de Cambrai et créé cardinal prêtre en 1371. C’est un homme d’action, qui compte tenu de ses origines possède des qualités politiques et militaires, comme d’ailleurs un certain nombre de cardinaux de son temps. Il est faux de le rendre responsable du massacre des quatre mille habitants de Césène. Je l’ai écrit précédemment, il ne pouvait pas empêcher les représailles militaires des mercenaires des grandes compagnies à qui les Césènois avaient tué quatre cents hommes, et qui les avaient affamés pendant un siège où ils avaient cru perdre la vie ! Il faut lui donner acte que le conclave de Fondi avait ses raisons, qu’il a tout fait pour essayer de s’installer à Rome et neutraliser Urbain VI qui nous allons le voir progressait dans la déraison, et que le retour à Avignon était la seule solution.

Il ne lui échappa pas que le problème le plus urgent à régler était celui des finances, celui-ci étant à l’évidence lié à celui de la reconnaissance par les puissances. Le siège d’Avignon avait pour lui de posséder les archives et du personnel compétent, en fonction depuis 10 à 15 ans. Il a par exemple à ses côtés le grand diplomate qu’est le cardinal Pierre de Cros, qui fut archevêque de Bourges, puis d’Arles en 1374. Il fut élevé au cardinalat en 1383. A lui s’ajoute l’éminent canoniste Gilles Bellemère. Ce dernier était né au Mans en 1341, Urbain V le fit chanoine de la cathédrale en 1364. Il était déjà maître ès arts et licencié en droit civil. En 1367, il est chapelain domestique du cardinal de Beaufort, futur Grégoire XI. Il est de suite dans l’entourage du pape à son élection, devient docteur in utroque et entre au tribunal de la Rote en 1374. Le 3 juillet 1379 après avoir assisté aux violences entourant le conclave et considérant la façon dont agissait le nouveau pape, il quittait Rome pour la France. L’attitude de cet éminent juriste est à mon avis bien intéressante ! Clément VII dès qu’il fut élu à Fondi l’avait appelé pour diriger la chancellerie. Il suivra ensuite constamment Clément VII et sa Curie pour remplir des missions de légat. Il reçut l’évêché d’Avignon, mais pas plus, ses relations semblent s’être tendues avec Clément. Elles furent mauvaises avec son successeur Benoît XIII. Il mourut en 1407 comme évêque d’Avignon. Il laissait une œuvre juridique considérable. (1)

Par ses diplomates, Clément VII va s’assurer de l’adhésion de la France, la Castille , l’Aragon, la Navarre et l’Ecosse. L’Irlande est partagée, comme d’autres régions où les conflits locaux, consécutifs à la guerre franco-anglaise ne sont pas réglés: Guyenne, Flandre et Bretagne, les populations et les autorités  politiques ne sont pas forcément d’accord avec les évêques locaux. Ainsi Pierre d’Anglade, partisan d’Urbain VI comme son suzerain le roi d’Angleterre, aura beaucoup de mal à s’installer dans son archevêché d’Auch. Pour le Saint-Empire, ce fut assez complexe. Charles IV soutint Urbain VI, mais, compte tenu de la structure même du Saint-Empire, qui laissait une certaine indépendance aux différentes entités qui le composaient, il n’y eut pas une opposition globale.

 

 

II Et que devenait Urbain VI siégeant à Rome ?

 

Ce n’est pas le cas pour Rome qui cependant avait pour avantage indéniable la situation historique et géographique. Ce siège avait pour lui l’ensemble de la péninsule, moins Naples, ainsi que l’Angleterre et l’empire, mais avec les difficultés précédemment citées. Les territoires sont plus sont plus éparpillés. Cette dernière raison et aussi le manque de personnel compétent, oblige à doubler le nombre de collecteur de fonds par État, ce qui ne sera jamais le cas pour Avignon ! Urbain VI pour abattre Jeanne de Naples et son projet de succession en faveur de Louis d’Anjou qu’elle avait adopté, va susciter contre elle Charles de Duras, que soutiendra Louis de Hongrie, persuadé que Jeanne avait fait assassiner son mari (son frère). Le Portugal après avoir hésité se rallia à Urbain VI pour ne pas perdre son indépendance vis à vis des royaumes espagnols. Les pays scandinaves, s’alignèrent sur leur voisin Anglais, donc sous l’obédience « urbaniste ». Quant au recours au concile, le parti français n’en voulait guère (sauf quelques maîtres de l’Université), car les Italiens s’y seraient trouvés en majorité et auraient soutenu Urbain.

 

Or pour la France, la cause était entendue, Charles V le redira sur son lit de mort en 1380: il se fiait aux cardinaux et aux prélats, seul le conclave de Fondi était à ses yeux régulier et Clément VII était le pape. Son fils Charles avait 12 ans quand il devint roi. Ses oncles exercèrent la régence et demeurèrent dans la même obédience papale. Le roi ne gouvernera lui-même qu’à partir de 1388 et garda la même politique. Le premier des accès de folie qui malheureusement allèrent marquer son règne ne se manifesteront qu’en 1392 et, à la longue, remettront en cause tout ce qu’avait fait son père pour chasser les Anglais. Mais pour ce début du Grand Schisme, le roi maintenait le cap, il était aimé du peuple et ses proches lui étaient fidèles. Son oncle Louis d’Anjou est donc décidé et encouragé à partir pour Naples. Mais Charles de Duras fut plus rapide, poussé par Louis de Hongrie qui tenait à sa vengeance. Appelé par Urbain VI, il arriva à Rome où il fut accueilli triomphalement, le pape Urbain l’investit du royaume de Naples le 1er juin 1381. Le 8 juin il quitta Rome pour marcher sur Naples, et malgré une ultime résistance du dernier mari de la reine Jeanne, Otto de Brunswick, il entra dans Naples le 16 juin. La reine était demeurée retranchée dans la ville au Castel Nuovo, assiégée, y attendant deux mois du secours. Elle dut finalement se rendre. Louis d’Anjou avait trop tardé et hésité.

 

Ce fut Clément VII qui le poussa à agir, mais il se décida bien trop tard. Le 31 mai 1382, on vit sortir d’Avignon l’armée des coalisés menée par le duc d’Anjou, fait duc de Calabre par Clément VII, le comte de Savoie et le comte de Genève, frère du pape. Au même moment, Urbain VI prêcha la croisade contre les coalisés qu’il excommunia tous ! Bien accueillie en Italie, cette armée aurait pu marcher sur Rome ou Naples, mais elle perdit du temps, et ce fut fatal pour la reine Jeanne qui fut conduite dans un château isolé en pleine nature hors de Naples où elle mourut assassinée. Son assassin, Charles de Duras lui fît célébrer des obsèques solennelles le 31 juillet 1383. Quant à Louis d’Anjou, il mourra en 1384 sans avoir rien tenté de sérieux ! Mais l’entente entre Charles de Duras et Urbain VI ne dura pas. Le 30 octobre 1383, Urbain fut même un moment son prisonnier, et là encore on ne peut y voir la cause que dans l’aggravation de l’état mental du pape de Rome.

En janvier 1385, Urbain fit arrêter à Nocera six cardinaux et l’évêque d’Aquila, soupçonnés de complot contre lui, et les fit jeter en prison et torturer, à l’exception du cardinal d’Easton, pour lequel le roi d’Angleterre était intervenu et qui sera libéré moyennant sa renonciation à la pourpre. Charles de Duras définitivement brouillé avec Urbain mit le siège sept mois devant le château, ce qui n’empêchait pas Urbain de se montrer régulièrement avec une clochette du haut d’une tour pour lancer des excommunications contre l’armée assiégeante. Une armée menée par Raymond de Beauce vint le secourir et Urbain put s’enfuir en emmenant ses prisonniers. Et comme l’évêque d’Aquila ne marchait pas assez vite, il le fit poignarder avec les cinq autres ; les cardinaux seront exécutés à Gènes en décembre 1386. Tout cela ne ramena pas le calme à la Curie et les complots et violences continuèrent. L’impopularité d’Urbain s’accrut considérablement et surtout fut connue de partout.

 

Le paysage politique italien changeait, car le 19 décembre 1385, Barnabé Visconti fut empoisonné dans sa prison sur les ordres de son neveu Jean Galeas Visconti. Ce dernier, nouveau maître de Milan, ne lui pardonnait pas de lui avoir ravi l’essentiel du pouvoir à la mort de son père le 4 août 1378. Louis 1er de Hongrie était mort en 1382, et Charles de Duras, roi de Naples qui se considérait comme son héritier, partit en Hongrie se faire proclamer roi. Marie, la fille de Louis, abdiqua en sa faveur. Il se crut alors effectivement roi, mais invité à une fête par Marie et sa mère, il fut arrêté le 7 février 1386 avec ses amis lesquels furent immédiatement massacrés ; lui-même mourra dans un cachot le 24 février suivant.

 

Au fur et à mesure que le temps passait, on put voir des  ralliements à Avignon. Le duc de Lorraine commença, puis le roi de Chypre, Pierre de Lusignan, le Visconti de Milan, tout simplement parce que seule Rome pouvait l’ennuyer dans ses ambitions italiennes. Le duc Jean de Bretagne se déclara officiellement perplexe sur la question de la régularité des deux papes et du coup toute une partie de l’Europe adopta cette position facile, qui évitait de prendre position.

 

III La position de la France

 

Aussi en 1388, la prise personnelle du pouvoir en France par Charles VI, qui s’affranchissait de la tutelle de ses oncles, suscita de nouveaux espoirs. Après une tournée triomphale en Languedoc, le jeune roi alla voir le pape à Avignon le 21 octobre 1389. Louis Il d’Anjou (un Capétien-Valois), comte de Provence, fit allégeance pour la couronne de Sicile au pape Clément qui le faisait aussi roi de Naples. Le pape procéda aux onctions, puis Charles VI posa lui même la couronne sur la tête de son cousin. Et l’idée s’imposa alors qu’il appartenait au roi de France de rétablir l’unité de l’Église par tous les moyens en sa possession. Et cela est capital pour notre propos. De plus, Valentina Visconti, fille du duc de Milan, épousait en cette même année 1389 Louis duc d’Orléans, frère de Charles VI, roi de France. On croyait aussi à juste titre qu’il serait facile à la coalition française de déloger l’impopulaire Urbain VI et de le remplacer par Clément VII, mais ce deuxième point n’était pas aussi sûr, car c’était compter sans le sentiment anti-français et la Providence…!

Le 15 octobre 1389, Urbain VI mourrait. Le cardinal Pietro Tomacelli, créé cardinal en 1381 par son prédécesseur fut élu le 2 novembre 1389, et consacré le 9 novembre à Rome. Le schisme continuait donc, d’autant plus qu’à défaut d’être un grand théologien, le nouvel élu se montra fort habile politique et courtois avec ses cardinaux. Dans continuité de la logique politique de son prédécesseur, il fit couronner roi de Naples Ladislas le 29 mai 1390, fils de Charles de Duras, et ce en réponse au couronnement de son concurrent angevin à Avignon.

Le changement de pontife à Rome et ses premiers résultats n’échappèrent pas aux Anglais. Pour plusieurs raisons, autant financières (pour le clergé) que politiques, il apparut à Richard Il qu’il valait la peine de soutenir le pape de Rome, et du même coup d’empêcher le roi de France de pénétrer en Italie, car les conditions lui étaient favorables (son frère Louis ayant épousé la fille du duc de Milan). D’où la menace d’un débarquement anglais, si les Français pénétraient en Italie, et ce serait la reprise de la guerre. Charles VI eut la sagesse de prendre la menace au sérieux. L’empereur Wenceslas s’était vu de plus accorder la décime pour guerroyer en Italie contre les partisans de Clément VII. Ce dernier comprit lui aussi la situation et calma les ardeurs de Louis d’Orléans. Le royaume d’Adeira en Italie du Nord qui serait composé de trois provinces à conquérir lui était toujours promis. Il fallait être patient (2).

 

IV Un pape en moins : les conséquences de la mort de Clément VII

 

Cette situation s’était déjà produite le 15 octobre 1389 à la mort d’Urbain VI. Nous avons vu avec quelle hâte on se précipita pour lui donner un successeur. Mais Boniface IX avait immédiatement envoyé deux ambassadeurs à Paris où ils furent poliment reçus sans recevoir le moindre engagement. En revanche, du côté politique, l’avenir semblait prometteur. L’économie de l’Angleterre comme celle des Flandres souffraient de la guerre. Il me parait aussi important de rappeler que le comté de Flandre depuis 1384 appartenait à Philippe Il, duc de Bourgogne dit le Hardi à cause de son comportement courageux à la bataille de Poitiers au côté de son père Jean Il le Bon. C’était donc un Valois. Grâce à son frère Charles V il avait pu épouser Marie, fille du comte de Flandre. En 1384, à la mort du comte, il hérita de la Flandre et de l’Artois. Économiquement, il avait intérêt à la paix avec l’Angleterre, mais cette dernière, avec les Flamands, reconnaissait Urbain VI, et le nouveau comte, Clément VII.

Par « chance » pour lui, les clergés anglais et flamands trouvaient insupportable la fiscalité d’Urbain VI. Le 27 octobre 1396, Richard Il et Charles VI signèrent une trêve de trente ans, on avait commencé les négociations en 1392, car il y avait lassitude de la guerre des deux côtés. Au moment où Clément VII meurt à son tour à Avignon le 16 septembre 1394, on sait que la France et l’Angleterre s’acheminent vers la paix. Ainsi en 1395, Charles VI et Richard Il formeront une armée de croisés pour soutenir le roi Sigismond de Luxembourg contre les Turcs, mais une nouvelle crise de folie empêche Charles VI de partir et c’est son oncle Philippe de Bourgogne qui va le remplacer.

D’ailleurs c’est lui qui tient le rôle principal dans « le gouvernement des oncles », depuis que Louis d’Orléans est occupé en Italie. Philippe confiera le commandement de cette armée à son fils qui sera appelé plus tard « Jean sans peur » et qui lui succédera. Malgré la défaite du 25 septembre 1396 et la capture du prince Jean, qui sera racheté par son père, la maison de Bourgogne en tire un honneur supplémentaire. Le tout dans la loyauté vis-à-vis de la France et de l’Angleterre, toujours en trêve. Tout cela explique aussi l’importance et l’influence des Bourguignons dans le gouvernement de la France et son attitude conciliatrice dans le schisme, tout comme son désir d’en finir avec lui.

Mais revenons à la mort de Clément VII. C’est seulement le 22 de ce mois que le conseil royal apprendra la nouvelle. Simon de Cramaud, patriarche d’Alexandrie (in partibus) était un grand juriste écouté des princes, administrateur du diocèse de Carcassonne, qui deviendra archevêque de Reims. Il demanda l’envoi immédiat d’un courrier aux cardinaux d’Avignon pour surseoir à toute élection. Ce qui fut fait, il y eut même deux courriers. Effectivement, une occasion réelle se présentait de supprimer le schisme, et il faut remarquer que le pouvoir français la saisit immédiatement, bien qu’il s’agisse en l’occurrence de se rallier au pape de Rome.

Certes, la France n’y gagnait pas sur tous les tableaux, mais spirituellement cela honorait le trône de France et pouvait contribuer à une paix franco-anglaise solide ! L’université approuvait cette attitude. Les cardinaux romains envoyèrent même un ambassadeur à Avignon, Pierre Ameil, pour plaider cette cause plus que raisonnable. Mais c’était ignorer qu’une séparation qui dure élève des murs de toutes sortes, dont celui de la susceptibilité qui n’est pas le moindre comme le rôle qu’allait jouer cet homme hors du commun, le cardinal Pedro de Luna qui fut le principal soutien de Clément VII en différents moments et endroits.

Le conclave s’ouvrit donc quand même le 26 septembre, non sans déclarer cependant qu’il ferait tout pour rétablir l’unité… mais c’était bien vague. Le 28 septembre, Pedro de Luna était élu à l’unanimité, ce fut alors moins vague, en ce sens qu’on fut bien persuadé que la conciliation ne serait pas sa priorité, qu’il avait choisi le nom de Benoît XIII et qu’il ne l’abandonnerait pas de sitôt ! Il dépassa les prévisions, comme nous le verrons, en battant tous les records de l’opiniâtreté. La cour française manifesta une « joie de circonstances », mais quand le roi demanda copie de l’engagement du Sacré-Collège concernant la recherche prioritaire de l’unité, il n’obtint rien.

Pedro de Luna avait soixante-cinq ans à son élection. Il était connu et reconnu pour son habileté diplomatique, sa fidélité de toujours à la papauté d’Avignon et son opiniâtreté à défendre sa cause. Se sachant moyennement compétent en théologie, il s’en remit pour cela à Vicente Ferrer (3). Mais le problème matériel que posait le schisme, la question des revenus fiscaux, n’est pas résolu. Bien au contraire, il s’est aggravé, tout d’abord parce que la même source de revenus devait financer deux cours pontificales au lieu d’une. Ensuite, chacune devait dépenser plus d’argent que d’habitude pour combattre l’autre ! Bref, le schisme ne coutait pas seulement sur le plan religieux, mais aussi sur le plan financier. Les deux papes béniront quand même la croisade contre les Turcs, chacun de leur côté ! Mais nous l’avons vu, la défaite sera cependant cuisante et s’avérera grave pour l’avenir de la chrétienté, l’armée byzantine ne se montra pas !

 

Le réalisme des politiques

 

Au début de 1392, le légat de Clément VII s’était entendu dire par le duc Jean de Lancastre que ni le pape d’Avignon, ni celui de Rome n’étaient de vrais papes, et qu’ils devaient démissionner pour qu’on puisse en élire un autre. Et que de toutes façons, quand la paix franco-anglaise serait consolidée, il n’y aurait qu’un seul pape. L’idée de cession apparut donc à ce moment. Le 2 février 1395 se réunit à Paris une assemblée présidée par Simon de Cramaud, composée de princes, d’ecclésiastiques et de maîtres. On pensait encore qu’il revenait à la France d’en finir avec le schisme, et c’était la même démarche que celle qui avait poussé Charles VI en 1389 à aller en Italie « déloger » Boniface IX. On voulait maintenant s’attaquer à Benoît XIII, mais le principe demeurait le même. On vota, par 87 voix sur 99 : L’assemblée recommandait la cession, Cramaud triomphait (4). Il ne fut donc pas étonnant de voir arriver le 22 mai 1395, les « oncles » à Avignon (les ducs de Berry, Bourgogne et Orléans). Gilles Deschamps parla au nom de tous, il n’avait jamais caché son désir de voir les deux papes démissionner. Aussi demanda-t-il directement le fameux engagement préalable qu’avait pris Pedro de Luna avant d’être élu et qu’il avait toujours refusé de produire. Mais cette fois-ci, il donna le document avec cette réserve « l’engagement d’un cardinal ne contraignait nullement un pape. »

Furieux (et le mot est faible, sauf pour Louis d’Orléans plus modéré), les princes se retirèrent à Villeneuve et convoquèrent les cardinaux un par un (5).  Les cardinaux sauf deux, acceptèrent le 1er juin de demander l’abdication du pape. Celui-ci, qui avait su toujours convaincre ses interlocuteurs, déclara vouloir bien réfléchir, mais il demanda auparavant une entrevue avec Boniface. Le fait que plusieurs cardinaux se soient montrés favorables à la cession (démission d’un ou des deux papes) et la soustraction d’obédience (les différents pays ne reconnaissant plus un ou deux papes et ne payent plus !) semblait avoir porté. Et pourtant, seul le nouveau roi d’Aragon avait pris parti pour Benoît !

Simon Cramaud ne fut pas trompé par l’attitude ambiguë de Benoît XIII, et sut convaincre Paris de passer à l’offensive. Il présida à Paris l’assemblée du 29 mai 1398 qui vota la soustraction d’obédience au pape Benoît XIII par 247 voix sur 300. Dix-neuf cardinaux firent de même (6). Mais le conseiller du roi Gilles Deschamps laissa clairement entendre qu’il ne croyait qu’à une assemblée composée des représentants des deux obédiences pour revenir à l’unité, c’est-à-dire un concile.

V Un important changement sur le trône d’Angleterre

 

Intervint alors un événement lourd de conséquences, en septembre 1399, Henri de Lancastre renversait Richard Il et reprenait une politique anti-française, réclamant les anciennes possessions des Plantagenets et même la couronne de France. À un roi d’Angleterre qui faisait tout pour s’arranger avec la France, y compris dans l’affaire du schisme, succédait Henri IV de Lancastre, prêt à tout pour reprendre des hostilités.

Pour l’empire, ce fut la même situation. L’empereur Wenceslas,  qui s’était pratiquement engagé avec Charles VI à Reims en mars 1398, fut déposé par la Diète en 1400.

Cela dit, les Français n’avaient pas attendu. En septembre 1398, une armée envoyée par le roi, très encouragé par le duc de Bourgogne, marchait sur Avignon ; le pape s’y barricada. Elle ravagea tout de même la campagne et mena un siège très dur pour Benoît et ses fidèles. Louis d’Orléans qui était partisan de méthodes plus diplomatiques vint lui-même assurer Benoît de sa protection, mais avec Gilles Deschamps qui voulait son départ ! Une fois de plus, Benoît XIII rusa et fit sa soumission. Boniface n’était pas en meilleure posture, réfugié au château Saint-Ange. Aussi, dès que Benoît obtint le ralliement de Louis II d’Anjou, il avait la Provence comme terre de refuge et se retira dans le comtat venaissin, ce qui lui permit, plus obstiné que jamais, de « jouer les prolongations » : Il avait décidé en grand secret dans la nuit du 11 mars 1403 de quitter Avignon, avec l’aide d’un envoyé du duc d’Orléans et du roi d’Aragon. Mais là encore les événements politiques allaient exercer leur pression. Le 27 avril 1404, le duc de Bourgogne mourut, son fils Jean sans peur lui succédait en poursuivant plus fermement la politique de son père. La politique française allait être déséquilibrée, tant vis-à-vis de l’Angleterre que du schisme. Car Boniface IX n’allait pas tarder à le suivre dans la mort, et le 17 octobre 1404, le conclave élisait le pape Innocent VII, évêque puis cardinal depuis quinze ans ; il connaissait bien la situation, c’était un homme droit, bien reconnu comme tel, il avait soixante-dix ans. Se sentant en position de force, le nouveau pape romain, tout en se déclarant prêt à tout faire pour mettre fin au schisme, y posa la condition de la reconnaissance par toute la chrétienté du roi Ladislas de Duras.

Cette faute politique empêcha toute discussion, et Benoît XIII profita de cette « impasse » ainsi que de son refuge dans le comtat, hors d’Avignon, pour refuser lui-aussi tout dialogue ! Puis il y eut revirement, comme toujours avec Benoît XIII, qui évoqua l’idée d’une rencontre avec son concurrent italien. Il voulait en fait avoir le temps de rassembler une armée… pour conquérir de force une partie de l’Italie et contraindre le pape romain à l’abdication. Heureusement cela n’aboutit pas. Et Innocent mourut après deux ans de règne. Grégoire XII fut élu le 30 novembre 1406. Il avait quatre-vingt ans, ce qui était extrêmement âgé pour l’époque. Il commença par déclarer nettement qu’il abdiquerait dès que Benoît XIII le ferait, avec pour condition le ralliement de tous les cardinaux d’Avignon, ce qui sembla d’emblée bien difficile, mais cependant honnête ! Benoît tergiversa encore, et fit mine de vouloir rencontrer Grégoire en Italie. Mais il n’inspirait plus confiance. Et en ce qui concerne les décisions pour les préparatifs de la rencontre, Grégoire changeait d’avis tous les deux jours. On se rendit compte alors de sa sénilité.

 

VI l’offensive française

Un concile « gallican » fut convoqué en novembre 1406 à Paris, présidé par Louis, le dauphin d’alors, en présence de ses « grands oncles ». L’hostilité à la papauté en général fut dure et donna lieu à des exploits oratoires, y compris dans la longueur. Une phrase de Jean Jouvenel prononcée le 20 décembre résume l’état d’esprit : « L’Église a été jusqu’à présent mal gouvernée. Nous sommes ici pour y remédier. » (7) Le 4 janvier 1407, la France coupait tous les revenus fiscaux de Benoît XIII, ne lui reconnaissant que l’autorité spirituelle. Benoît répondit par l’interdit et l’excommunication pour tous ceux qui approuveraient cette « soustraction » y compris le roi. Mais les textes étaient tenus secrets. Le roi et son oncle d’Orléans voulurent éviter l’épreuve de force, ce qui était sage ; hors ses crises périodiques et limitées de démence, Charles avait un comportement extrêmement logique, ce pourquoi il fut toujours aimé de son peuple.

Il donna plus d’importance à son oncle d’Orléans, aux dépens des Bourguignons, et cela aboutit pour le plus grand malheur de la France à l’assassinat de Louis d’Orléans, par des hommes de Jean sans peur, le 23 novembre 1407. Le roi Charles VI, fort sagement, ne se pressa pas de juger le et les coupables, ce qui ne signifiait pas que la chose lui importait peu, bien au contraire. L’urgence à résoudre demeurait le schisme (le risque de guerre civile et peut-être plus) et il s’occupa de resserrer l’étau autour de Benoît XIII, ce qui déjà était une façon de commencer à condamner l’acte de Jean sans peur.

Le concile se préparait donc à Savone, Charles VI avait fait ce qu’il fallait pour que Benoît s’y rende, et il le fit. Mais Grégoire XII fut absent. La raison était le manque d’argent (et la vieillesse) pour venir avec la délégation qui convenait, car outre les difficultés propres à son séjour en Italie, il y avait une grave trahison qu’il ignorait totalement, celle de son légat en Romagne et à Bologne, le cardinal Baldassare Cossa, qui rétablissait les finances pontificales à son profit personnel. Benoît XIII, lui, consentit à changer de lieu et à Pâques 1408, on s’attendait même à une rencontre à Pise. Mais Grégoire, décidément trop âgé, s’entêtait lui aussi et ne voulait rien négocier. Il ne vint pas, créa de nouveaux cardinaux et montra donc son hostilité à n’importe quel genre de « concile », partagée d’ailleurs par Benoît qui ne laissa rien percevoir de sa pensée.

À Paris le duc de Bourgogne dirigeait tout et fit même faire l’apologie du tyrannicide par le maître Jean Petit le 8 mars 1408 en l’hôtel Saint-Paul devant une grande assemblée (8). Les choses ne pouvaient alors que se précipiter dans la politique du pire. En avril 1408, on fit parvenir au pape Benoît l’ultimatum du 12 janvier et ce dernier publia la bulle de 1407 excommuniant le roi Charles VI et jetant l’interdit sur le royaume. Benoît continua alors à chercher des appuis et en trouva, en ralliant quelques princes, et en élevant à la pourpre l’archevêque de Rouen, Jean d’Armagnac, frère du comte Bernard, et cette promotion le fit rentrer dans la politique du royaume de France, en intéressant les Armagnacs à sa cause.

Le 15 novembre 1408, Benoît XIII ouvrit son concile à Perpignan, qui n’apporta rien dans la solution du schisme, ce qui n’empêcha pas Grégoire d’ouvrir le sien à Cividale, avec moins de participants et sans plus de résultats que son concurrent sur le sujet qui comptait. Aussi les deux papes sortirent-ils affaiblis de ces affaires. Henri IV d’Angleterre, et le roi Wenceslas de Bohème abandonnèrent Grégoire.

 

 

VII Le concile de Pise et ses conséquences

 

L’ancien archevêque de Milan, Pierre Philargès, et le cardinal Cossa le préparaient depuis un moment, nous l’avons vu, se doutant qu’il serait inévitable. Il s’ouvrit le 20 mars 1409. Il y avait certes les huit cardinaux romains et les sept avignonnais, mais en plus six cents  prélats et maîtres, tous les souverains, y compris l’empereur, étaient représentés (sauf celui de Naples, Ladislas). (9) Les deux papes avaient été invités, mais avaient refusé. On conclut sans trop de difficultés que la seule solution au schisme était la double déposition (qui sera votée le 5 juin), pour laquelle l’ancien archevêque de Milan plaida avec succès, si bien qu’il fut élu à l’unanimité le 20 juin 1409, et prit le nom d’Alexandre V, il était en plus âgé, 69 ans ! Et l’on convint, en se séparant 17 août, de se retrouver tous les trois ans (on s’acheminait ainsi de plus en plus vers le conciliarisme).

Alexandre V, fort du concile de Pise, put s’établir à Rome un moment, mais connaissant les lieux, il préféra résider à Bologne où son compère Cossa régnait en maître, ne manquant pas d’argent. Ce n’était pas le cas des deux autres papes qui s’étaient maintenus et qui allaient subir les problèmes financiers et le manque de personnel. Alexandre commit une seule erreur, compte tenu des circonstances : rétablir les ordres mendiants dans leur liberté de célébrer pénitence et mariages.

Mais devant l’opposition du clergé séculier et des maîtres, il céda juste avant de mourir le 4 mai1410, à Bologne, c’était un peu tard, à un moment où le temps était très précieux. Le 24, Cossa était élu à Bologne, ordonné prêtre immédiatement (car seulement cardinal-diacre) et sacré évêque le lendemain. Il prit le nom de Jean XXIII. La France le reconnut immédiatement. Cela dit, la chrétienté avait toujours trois papes, et ce dernier n’avait que quarante et un ans. Fin diplomate, il promit de suite un concile pour réformer l’Église, ce qui réjouit tout le monde ; il créa beaucoup de cardinaux, ce qui fit des heureux (et aussi un Sacré-Collège pléthorique), et fit des concessions fiscales, ce qui n’est jamais pour déplaire. Mais Ladislas, roi de Naples, ne reconnaissait toujours pas Jean XXIII. Ce dernier manœuvra habilement mais dangereusement, en usant de la décime sur plusieurs royaumes pour financer l’armée de Louis Il d’Anjou qui écrasa les troupes de Ladislas le 19 mai 1411. Et le roi de Naples reconnut Jean XXIII ! Or, ce fut au prix de la décime, des impôts donc, ce qui paralysa le concile de Rome de 1412, peu fréquenté d’ailleurs, au point qu’il suspendit ses travaux. De plus, Ladislas n’avait pas du tout apprécié l’élection, avec l’appui de Jean XXIII, du roi de Hongrie, Sigismond comme roi des romains le 21 juillet 1411. Aussi ne se gêna-t-il pas pour mettre Rome à sac en juin 1413.

Le pape du lieu put se réfugier à Florence. Cette rupture brutale avec Naples reposa le problème financier au pape de Rome. Sigismond sentit alors le moment venu de reprendre le concile interrompu et proposa la ville de Constance ; il signa la convocation le 30 octobre 1413. Son allié Jean XXIII accepta immédiatement, d’autant plus que Sigismond lui avait demandé de le couronner empereur ! Donc… Les deux autres papes invités, déclinèrent l’invitation. Mais le 28 octobre 1414, Jean XXIII arrivait à Constance. Le concile s’ouvrît le 16 novembre, mais les différents participants n’arrivèrent que fort lentement, la méfiance régnait toujours : Le roi des Romains, Sigismond, la veille de Noël, Gerson et ses collègues français, le 21 février 1415.

Tout était en place pour la fin du schisme, malgré quelques problèmes à régler, loin d’être insurmontables face à la grave question qui réunissait ce qui était devenu une importante et incontournable assemblée, vu le nombre et la qualité des participants et surtout l’aggravation de la crise : trois papes en même temps !

 

1) Henri Gilles, Mélanges de l’école française de Rome, 1955, No. 67, pp. 279-317

2) Jean Favier, Les papes d’Avignon, Éd. Fayard, p. 610

3) Jean Favier, op. cité, p. 615

4) Jean Favier, op. cité, p. 665

5) Jean Favier, op. cité, p. 666

6) Jean Favier, op. cité, p. 673

7) Jean Favier, op. cité, p. 694

8) Jean Favier, op. cité, p. 699

9) Jean Favier, op. cité, p. 707

 

Lisez aussi :

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

France, Fille aînée de l’Église, 2e partie

France, Fille aînée de l’Église, 3e partie

France, Fille aînée de l’Église, 4e partie

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

La France, Fille aînée de l’Église, 5e partie (2)

La France, fille aînée de l’Eglise, 6e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 7e partie

La France, fille aînée de l’Église, 8e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 9e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 10e partie

Share this Entry

P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel