Le pape François invite les pasteurs et les fidèles laïcs à travailler « ensemble » : « Pas des individus isolés, mais un peuple qui évangélise », demande-t-il.
Le pape s’est adressé, le samedi 18 février 2023, aux participants à la Conférence internationale pour les évêques et les référents des commissions épiscopales pour les laïcs, organisée au Vatican par le dicastère pour les Laïcs, la famille et la vie (16-18 février) sur le thème : « Pasteurs et fidèles laïcs appelés à marcher ensemble ». 200 participants – évêques, prêtres et laïcs – sont venus de 72 conférences épiscopales pour participer au congrès.
Dans son discours, le pape souligne qu’ « il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que l’Église vive comme un corps » et pour que le peuple de Dieu soit « uni dans la mission ». « Partager la mission », note-t-il, « rapproche les pasteurs et les laïcs, crée la communion d’intentions, manifeste la complémentarité des divers charismes et suscite donc en tous le désir de marcher ensemble ».
Le pape évoque « une image de l’Apocalypse » quand Jésus dit : « je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un … ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui » (Ap 3, 20). « Mais aujourd’hui, explique le pape, le drame de l’Église est que Jésus continue à frapper à la porte, mais de l’intérieur, pour que nous le laissions sortir ! Très souvent, on finit par être une Église « prisonnière », qui ne laisse pas le Seigneur sortir, qui le tient comme « chose propre », alors que le Seigneur est venu pour la mission et nous veut missionnaires. »
Le pape souhaite « que nous ayons tous dans le cœur et dans l’esprit cette belle vision de l’Église : une Église tendue vers la mission et où s’unissent les forces et où l’on marche ensemble pour évangéliser ; une Église où ce qui nous lie est notre identité chrétienne de baptisés, notre appartenance à Jésus ; une Église où une véritable fraternité est vécue entre laïcs et pasteurs, travaillant côte à côte chaque jour, dans tous les domaines de la pastorale, parce que tous sont baptisés ».
Voici le discours du pape François traduit en français par le Saint-Siège.
Discours du pape François
Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue !
Je remercie le Card. Farrell et je vous salue tous, responsables des Commissions épiscopales pour le laïcat, avec les dirigeants d’associations et de mouvements ecclésiaux, les officiels du Dicastère et toutes les personnes présentes.
Vous êtes venus de vos pays pour réfléchir sur la coresponsabilité – coresponsabilité – des pasteurs et des fidèles laïcs dans l’Église. Le titre du Congrès parle d’un “appel” à “marcher ensemble”, en plaçant le thème dans le contexte plus grand de la synodalité. En effet, la route que Dieu indique à l’Église est précisément celle de vivre plus intensément et plus concrètement la communion et la marche ensemble. Il l’invite à dépasser les manières d’agir en autonomie ou les voies parallèles qui ne se rencontrent jamais : le clergé séparé des laïcs, les consacrés séparés du clergé et des fidèles, la foi intellectuelle de certaines élites séparée de la foi populaire, la Curie romaine séparée des Églises particulières, les évêques séparés des prêtres, les jeunes séparés des personnes âgées, les conjoints et les familles peu impliqués dans la vie des communautés, les mouvements charismatiques séparés des paroisses, etc. C’est la tentation la plus grave en ce moment. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que l’Église vive comme un corps, comme un vrai Peuple, uni par l’unique foi dans le Christ Sauveur, animé par le même Esprit sanctificateur et orienté vers la même mission d’annoncer l’amour miséricordieux de Dieu le Père.
Ce dernier aspect est décisif : un Peuple uni dans la mission. Et telle est l’intuition que nous devons toujours garder : l’Église est le saint peuple fidèle de Dieu, selon ce qu’affirme Lumen gentium aux nn. 8 et 12; pas de populisme ni d’élitisme, c’est le saint Peuple fidèle de Dieu. Cela ne s’apprend pas théoriquement, on le comprend en le vivant. Ensuite on l’explique, comme on peut, mais si on ne le vit pas on ne saura pas l’expliquer. Un Peuple uni dans la mission. La synodalité trouve sa source et son but ultime dans la mission : elle naît de la mission et est orientée vers la mission. Pensons aux débuts, quand Jésus envoie les Apôtres et qu’ils reviennent tous joyeux, car les démons « fuyaient d’eux » : c’était la mission qui avait apporté ce sens d’ecclésialité. Partager la mission, en effet, rapproche les pasteurs et les laïcs, crée la communion d’intentions, manifeste la complémentarité des divers charismes et suscite donc en tous le désir de marcher ensemble. Nous le voyons en Jésus lui-même, qui s’est entouré, dès le début, d’un groupe de disciples, hommes et femmes, et a vécu avec eux son ministère public. Mais jamais seul. Et quand il a envoyé les Douze annoncer le Royaume de Dieu, il les a envoyés “deux par deux”. Nous voyons la même chose chez saint Paul qui a toujours évangélisé avec des collaborateurs, même des laïcs et des couples d’époux. Pas seul. Et il en a été ainsi dans les moments de grand renouveau et d’élan missionnaire dans l’histoire de l’Église : pasteurs et fidèles laïcs ensemble. Pas des individus isolés, mais un Peuple qui évangélise, le saint Peuple fidèle de Dieu.
Je sais que vous avez aussi parlé de la formation des laïcs, indispensable pour vivre la coresponsabilité. Sur ce point également, je voudrais souligner que la formation doit être orientée vers la mission, non seulement vers les théories, sinon on tombe dans les idéologies. Et c’est terrible, c’est une peste : l’idéologie dans l’Église est une peste. Pour éviter cela, la formation doit être orientée vers la mission. Elle ne doit pas être académique, limitée à des idées théoriques, mais aussi pratique. Elle naît de l’écoute du Kérygme, elle se nourrit de la Parole de Dieu et des Sacrements, elle fait grandir dans le discernement, personnel et communautaire, elle implique immédiatement dans l’apostolat et dans diverses formes de témoignage, parfois simples, qui conduisent à se faire proches des autres. L’apostolat des laïcs est avant tout un témoignage ! Témoignage de sa propre expérience, de sa propre histoire, témoignage de la prière, témoignage du service à ceux qui sont dans le besoin, témoignage de la proximité aux pauvres, proximité aux personnes seules, témoignage de l’accueil, surtout de la part des familles. Et ainsi, on se forme à la mission : en allant vers les autres. C’est une formation “sur le terrain”, et en même temps une voie efficace de croissance spirituelle.
Dès le début, j’ai dit que “je rêve d’une Église missionnaire” (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 27 ; 32). “Je rêve d’une Église missionnaire”. Et une image de l’Apocalypse me vient à l’esprit quand Jésus dit : « je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un […] ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui » (Ap 3, 20). Mais aujourd’hui, le drame de l’Église est que Jésus continue à frapper à la porte, mais de l’intérieur, pour que nous le laissions sortir ! Très souvent, on finit par être une Église « prisonnière », qui ne laisse pas le Seigneur sortir, qui le tient comme « chose propre », alors que le Seigneur est venu pour la mission et nous veut missionnaires.
Cet horizon nous donne la juste clé de lecture pour le thème de la coresponsabilité des laïcs dans l’Église. En effet, l’exigence de valoriser les laïcs ne dépend pas de quelque nouveauté théologique, ni même d’exigences fonctionnelles à cause de la diminution des prêtres ; elle ne naît pas non plus de revendications catégorielles, pour accorder une “revanche” à ceux qui ont été mis de côté dans le passé. Elle repose plutôt sur une vision correcte de l’Église : l’Église comme Peuple de Dieu, dont les laïcs font partie à part entière avec les ministres ordonnés. Les ministres ordonnés ne sont donc pas les maîtres, ils sont les serviteurs : les pasteurs, pas les maîtres.
Il s’agit de récupérer une “ecclésiologie intégrale”, comme elle l’était dans les premiers siècles, dans laquelle tout est unifié par l’appartenance au Christ et par la communion surnaturelle avec Lui et avec les frères, dépassant une vision sociologique qui distingue des classes et des rangs sociaux et qui repose au fond sur le “pouvoir” assigné à chaque catégorie. L’accent doit être mis sur l’unité et non sur la séparation, sur la distinction. Le laïc, plus que comme “non clerc” ou “non religieux”, doit être considéré comme un baptisé, comme un membre du Peuple saint de Dieu, qui est le sacrement qui ouvre toutes les portes. Dans le Nouveau Testament, on ne trouve pas le mot “laïc”, mais on parle de “croyants”, de “disciples”, de “frères”, des “saints”, termes appliqués à tous : fidèles laïcs et ministres ordonnés, le Peuple de Dieu en marche.
Dans cet unique Peuple de Dieu, qui est l’Église, l’élément fondamental est l’appartenance au Christ. Dans les récits émouvants des Actes des martyrs des premiers siècles, nous trouvons souvent une simple profession de foi : “Je suis chrétien”, disaient-ils, “et c’est pourquoi je ne peux pas sacrifier aux idoles”. Polycarpe, évêque de Smyrne, le dit, par exemple ;[1] Justin et ses autres compagnons, laïcs, le disent.[2] Ces martyrs ne disent pas “je suis évêque” ou “je suis laïc” – « je suis de l’Action Catholique, je suis de cette Congrégation mariale, je suis des Focolari ». Non, ils disent seulement “je suis chrétien”. Aujourd’hui encore, dans un monde qui se sécularise de plus en plus, ce qui nous distingue vraiment comme Peuple de Dieu, c’est la foi dans le Christ, et non l’état de vie considéré en soi. Nous sommes baptisés, chrétiens, disciples de Jésus. Tout le reste est secondaire. « Mais, mon Père, même un prêtre ? » – « Oui, c’est secondaire » – « Même un évêque ? » – « Oui, c’est secondaire » – « Même un cardinal ? » – « C’est secondaire ».
Notre appartenance commune au Christ nous rend tous frères. Le Concile Vatican II affirme : « Par la bienveillance de Dieu, les laïcs ont pour frère le Christ, […] ainsi ils ont aussi pour frères ceux qui, appliqués au sacré ministère, font près de la famille de Dieu office de pasteurs » (Const. Lumen gentium, n. 32). Frères avec le Christ et frères avec les prêtres, frères avec tous.
Et dans cette vision unitaire de l’Église, où nous sommes avant tout chrétiens baptisés, les laïcs vivent dans le monde et en même temps font partie du Peuple fidèle de Dieu. Le Document de Puebla a utilisé une expression heureuse pour exprimer cela : les laïcs sont des hommes et des femmes « d’Église au cœur du monde » et des hommes et des femmes « du monde au cœur de l’Église ».[3] Il est vrai que les laïcs sont appelés à vivre principalement leur mission dans les réalités séculières où ils sont immergés chaque jour, mais cela n’exclut pas qu’ils aient aussi les capacités, les charismes et les compétences pour contribuer à la vie de l’Église : dans l’animation liturgique, dans la catéchèse, dans la formation, dans les structures de gouvernement, dans l’administration des biens, dans la programmation et la mise en œuvre des programmes pastoraux, etc. C’est pourquoi les pasteurs doivent être formés, dès le temps du séminaire, à une collaboration quotidienne et ordinaire avec les laïcs, de sorte que le fait de vivre la communion devienne pour eux une manière naturelle d’agir, et non un fait extraordinaire et occasionnel. Une des pires choses qui arrive chez un pasteur est d’oublier le Peuple dont il est issu, le manque de mémoire. On peut lui adresser cette parole de la Bible si répétée : « Souviens-toi »; « souviens-toi d’où tu as été tiré, du troupeau dont tu as été tiré pour le servir, souviens-toi de tes racines » (cf 2 Tm 1).
Cette coresponsabilité vécue entre laïcs et pasteurs permettra de dépasser les dichotomies, les peurs et les méfiances réciproques. Il est temps que pasteurs et laïcs marchent ensemble, dans tous les domaines de la vie de l’Église, dans toutes les parties du monde ! Les fidèles laïcs ne sont pas des “hôtes” dans l’Église, ils sont chez eux, c’est pourquoi ils sont appelés à prendre soin de leur maison. Les laïcs, et surtout les femmes, doivent être davantage valorisés dans leurs compétences et dans leurs dons humains et spirituels pour la vie des paroisses et des diocèses. Ils peuvent porter, par leur langage “quotidien”, l’annonce de l’Évangile, en s’engageant dans diverses formes de prédication. Ils peuvent collaborer avec les prêtres pour former les enfants et les jeunes, pour aider les fiancés dans la préparation au mariage et pour accompagner les époux dans la vie conjugale et familiale. Ils doivent toujours être consultés lors de la préparation de nouvelles initiatives pastorales à tous les niveaux, local, national et universel. Il faut leur donner une voix dans les conseils pastoraux des Églises particulières. Ils doivent être présents dans les bureaux des diocèses. Ils peuvent aider dans l’accompagnement spirituel d’autres laïcs et apporter également leur contribution dans la formation des séminaristes et des religieux. J’ai entendu une fois une question : « Mon Père, un laïc peut-il être directeur spirituel ? C’est un charisme laïc ! Il peut être prêtre, mais le charisme n’est pas presbytéral ; l’accompagnement spirituel, si le Seigneur vous donne la capacité spirituelle de le faire, est un charisme laïc. Et, avec les pasteurs, ils doivent apporter le témoignage chrétien dans les milieux séculiers : le monde du travail, de la culture, de la politique, de l’art, de la communication sociale.
Nous pourrions dire : laïcs et pasteurs ensemble dans l’Église, laïcs et pasteurs ensemble dans le monde.
Il me vient à l’esprit les dernières pages du livre du Cardinal de Lubac, Méditation sur l’Église, où, pour dire quelle est la pire chose qui puisse arriver à l’Église, il dit que la mondanité spirituelle, qui se traduit par le cléricalisme, « elle serait infiniment plus désastreuse que toute mondanité simplement morale ». Si vous avez le temps, lisez ces trois ou quatre dernières pages de la Méditation sur l’Église de Lubac. Il laisse entendre, en citant même des auteurs, que le cléricalisme est la pire chose qui puisse arriver à l’Église, pire encore qu’à l’époque des papes concubins. Le cléricalisme doit être « chassé ». Un prêtre ou un évêque qui tombe dans cette attitude fait beaucoup de mal à l’Église. Mais c’est une maladie qui infecte : pire encore qu’un prêtre ou un évêque tombé dans le cléricalisme, ce sont les laïcs cléricalisés : s’il vous plaît, ils sont une peste dans l’Église. Que le laïc soit laïc.
Très chers amis, avec ces quelques brefs rappels, j’ai voulu indiquer un idéal, une inspiration qui peut nous aider sur le chemin. Je voudrais que nous ayons tous dans le cœur et dans l’esprit cette belle vision de l’Église : une Église tendue vers la mission et où s’unissent les forces et où l’on marche ensemble pour évangéliser ; une Église où ce qui nous lie est notre identité chrétienne de baptisés, notre appartenance à Jésus ; une Église où une véritable fraternité est vécue entre laïcs et pasteurs, travaillant côte à côte chaque jour, dans tous les domaines de la pastorale, parce que tous sont baptisés.
Je vous exhorte à vous faire promoteurs dans vos Églises de ce que vous avez reçu ces jours-ci, pour continuer ensemble le renouveau de l’Église et sa conversion missionnaire. Je vous bénis tous de tout cœur, ainsi que vos proches, et je vous demande de prier pour moi. Merci.
______________________
[1] Cf. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, IV, 15, pp. 1-43. [2] Cf. Actes du martyre de Justin et de ses compagnons, chap. 1-5 ; PG 6, pp. 1366-1371. [3] IIIe Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain, Document final, Puebla 1979, n. 786.