« Repartir de la valeur du travail, en tant que lieu de rencontre entre la vocation personnelle et la dimension sociale », telle est la proposition du pape François aux représentants de l’un des grands syndicats italiens venus le rencontrer au début de cette semaine.
Le pape François a reçu en audience les dirigeants et délégués de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), lundi 19 décembre 2022, dans la Salle Paul VI du Vatican. Il les a encouragés dans leur engagement, soulignant que l’une des tâches du syndicat consiste à « éduquer au sens du travail », en encourageant la fraternité.
Le pape a affirmé que le travail « permet à la personne de se réaliser, de vivre la fraternité, de cultiver l’amitié sociale et d’améliorer le monde ». Dans une « communauté de destin », a-t-il ajouté, « chacun se reconnaît dans la relation avec les autres et pour les autres ».
François a partagé certaines préoccupations, notamment la « sécurité des travailleurs » et « l’exploitation des personnes ». Il a exhorté le syndicat à « être la voix de ceux qui sont sans voix », en particulier les jeunes, et à protéger « la dignité des personnes ». Il est nécessaire, a-t-il déclaré, d’ « humaniser le travail » et d’y susciter « des alliances au lieu d’oppositions stériles ».
Discours du pape François
Je vous souhaite la bienvenue et je remercie le secrétaire général pour ses paroles. Cette rencontre avec vous, qui formez une des organisations syndicales historiques italiennes, m’invite à exprimer une fois encore ma proximité au monde du travail, en particulier aux personnes et aux familles qui peinent davantage.
Il n’y a pas de syndicat sans travailleurs et il n’y a pas de travailleurs libres sans syndicat. Nous vivons à une époque qui, malgré les progrès technologiques – et parfois justement à cause de ce système pervers qui se définit comme une technocratie (cf. Laudato si’, 106-114) – a en partie déçu les attentes de justice dans le monde du travail. Et cela demande avant tout de repartir de la valeur du travail, en tant que lieu de rencontre entre la vocation personnelle et la dimension sociale. Travailler permet à la personne de se réaliser, de vivre la fraternité, de cultiver l’amitié sociale et d’améliorer le monde. Les encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti peuvent aider à entreprendre des parcours de formation qui offrent des motifs d’engagement dans le temps que nous vivons.
Le travail construit la société. C’est une expérience primordiale de citoyenneté, où trouve forme une communauté de destin, fruit de l’engagement et des talents de chacun ; une telle communauté est bien davantage que la somme des différentes compétences professionnelles, parce que chacun se reconnaît dans la relation avec les autres et pour les autres. Et ainsi, dans la trame ordinaire des connexions entre les personnes et les projets économiques et politiques, on donne vie jour après jour au tissu de la « démocratie ». Un tissu qui ne se fabrique pas autour d’une table dans un palais, mais avec un zèle créatif dans les usines et les ateliers, dans les exploitations agricoles, les entreprises commerciales ou artisanales, sur les chantiers, dans les administrations publiques, dans les écoles, les bureaux etc. Il part du bas, de la réalité.
Chers amis, si j’évoque cette vision, c’est parce que l’une des tâches du syndicat est d’éduquer au sens du travail, en encourageant la fraternité parmi les travailleurs. Cette préoccupation de la formation ne peut être absente. Elle est le sel d’une économie saine, capable de rendre le monde meilleur. En effet, « les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques, et les dysfonctionnements économiques comportent toujours également des coûts humains. Renoncer à investir dans les personnes pour obtenir un meilleur profit immédiat est un très mauvais calcul pour la société » (Enc. Laudato si’, 128).
A côté de la formation, il est toujours nécessaire de signaler les injustices dans le travail. La culture du déchet s’est insinuée dans les plis des relations économiques et a même envahi le monde du travail. On le voit, par exemple, là où la dignité humaine est piétinée par les discriminations de genre : pourquoi une femme doit-elle gagner moins qu’un homme ? Pourquoi renvoie-t-on une femme dès qu’on voit qu’elle commence à « grossir », afin de pas payer la maternité ? On le voit dans la précarité des jeunes : pourquoi retarder leurs choix de vie en raison d’une précarité chronique ? Ou encore dans la culture du licenciement. Et pourquoi les travaux les plus pénibles sont-ils encore si peu protégés ? Trop de personnes souffrent du manque de travail ou d’un travail qui n’est pas digne : leur visage mérite qu’on les écoute, il mérite l’engagement syndical.
Je voudrais partager avec vous tout particulièrement certaines préoccupations. En premier lieu, la sécurité des travailleurs. Votre secrétaire général en a parlé. Il y a encore trop de morts – je le vois dans les journaux : tous les jours il y a quelqu’un –, trop de personnes mutilées ou blessées sur les lieux de travail ! Chaque mort au travail est un échec pour la société tout entière. Plutôt que de les compter à la fin de l’année, nous devrions nous souvenir de leurs noms, parce que ce sont des personnes et non des numéros. Ne permettons pas que l’on mette sur le même plan le profit et la personne ! L’idolâtrie de l’argent tend à piétiner tout et tout le monde, elle oublie les différences. Il s’agit de se former à avoir à cœur la vie du personnel et de s’éduquer soi-même à prendre au sérieux les règles de sécurité : seule une alliance sage peut prévenir ces « accidents » qui sont des tragédies pour les familles et pour les communautés.
Une seconde préoccupation est l’exploitation des personnes, comme si elles étaient de machines à rendement. Il y a des formes violentes, comme le recrutement illégal et l’esclavage des ouvriers dans l’agriculture ou sur les chantiers de construction et dans d’autres lieux de travail, l’obligation de faire des tours de travail éreintants, la revue à la baisse des contrats, le mépris de la maternité, le conflit entre travail et famille. Que de contradictions et que de guerres se jouent entre les pauvres autour du travail ! Ces dernières années ont vu augmenter ceux que l’on appelle les « travailleurs pauvres » : des personnes qui, bien qu’ayant un travail, ne parviennent pas à faire vivre leur famille et à donner de l’espoir pour l’avenir. Le syndicat – écoutez bien cela – est appelé à être la voix de ceux qui n’ont pas de voix. Vous devez faire du bruit pour donner une voix à ceux qui n’ont pas de voix. Je vous recommande en particulier l’attention envers les jeunes, souvent obligés d’accepter des contrats précaires, inadéquats et qui réduisent en esclavage. Je vous remercie pour toutes les initiatives qui favorisent des politiques du travail actives et qui protègent la dignité des personnes.
En outre, pendant ces années de pandémie, le nombre des personnes qui démissionnent de leur travail a augmenté. Jeunes et moins jeunes sont insatisfaits de leur profession, du climat qui règne dans le monde du travail ou des formes de contrats ; ils préfèrent donner leur démission. Ils se lancent à la recherche d’autres opportunités. Ce phénomène ne manifeste pas un désengagement, mais la nécessité d’humaniser le travail. Dans ce cas également, le syndicat peut agir dans la prévention, en recherchant la qualité du travail et en accompagnant les personnes vers un reclassement professionnel convenant mieux au talent de chacun.
Chers amis, je vous invite à être des « sentinelles » du monde du travail, générant des alliances au lieu d’oppositions stériles. Les gens ont soif de paix, surtout en cette période historique et la contribution de tous est fondamentale. Eduquer à la paix, y compris sur les lieux de travail souvent marqués par des conflits, peut devenir un signe d’espérance pour tous. Notamment pour les générations futures.
Merci pour ce que vous faites et ce que vous ferez pour les pauvres, les migrants, les personnes fragiles et porteuses de handicap, les chômeurs. Ne négligez pas de prendre également soin de ceux qui ne sont pas inscrits au syndicat parce qu’ils ont perdu confiance, et de faire place à la responsabilité des jeunes.
Je vous confie à la protection de saint Joseph, qui a connu la beauté et la fatigue de bien faire son métier, ainsi que la satisfaction de gagner son pain pour sa famille. Regardons-le et regardons sa capacité à éduquer par le travail. Je vous souhaite à tous, ainsi qu’à vos proches, un Noël serein. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde. Et si vous le pouvez, priez pour moi. Merci !
© Traduction de Zenit