Jheronimus Bosch, Le Christ portant sa croix (1515) , Wikimedia Commons

Jheronimus Bosch, Le Christ portant sa croix (1515) - les débats et discours à côté du drame en cours. WikiCommons © Rob van Hegelsom

L’art de la communication : un sujet de nouvelle évangélisation (3), par le p. Viot

Sur la « vocation des médias catholiques »

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Si les médias catholiques ont pour vocation d’informer chrétiennement les lecteurs, quel outil pédagogique ont-ils à leur disposition ? La pastorale de l’Église est appelée à redonner un sens évangélique à l’annonce des nouvelles.

La technique des apparences ou la vérité ?

Avant d’être prêtre, j’étais pasteur luthérien, et ai pu participer, dans la discrétion, à des campagnes électorales, y compris présidentielles, quatre en tout ! J’ai été frappé par le temps passé par les spécialistes en communication à discuter sur les plateaux avant les grands débats face-à-face qui précédaient le deuxième tour des présidentielles ! Absolument tous les domaines du « spectacle » étaient abordés. Rien n’était laissé au hasard. Des mots mêmes étaient suggérés. Ayant des amis dans les deux camps, j’ai eu la possibilité,  après la « lutte » bien sûr, d’avoir des échanges. Un exemple, en 1988, quand François Mitterrand s’adressait à Jacques Chirac, en l’appelant toujours « Monsieur le Premier Ministre » au plus grand agacement de celui-ci, c’était l’application d’un plan bien précis, destiné à rappeler, à ceux qui écoutaient et voyaient, que Jacques Chirac était le responsable de la politique de la France et des moments contestables qu’elle venait de connaître. Pour ne prendre que deux exemples qui tinrent leur place dans le bras de fer télévisé, l’affaire Wahid Gordji soupçonné d’être l’auteur de l’attentat de la rue de Rennes (7 morts), et réussissant à s’enfuir de l’ambassade d’Iran cernée pourtant par la police, l’affaire de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie, 4 gendarmes tués, et 19 morts parmi les preneurs d’otages… À chaque fois que François Mitterrand prononçait « Monsieur le Premier Ministre », ces deux affaires réapparaissaient automatiquement dans les mémoires des téléspectateurs, elles furent explicitement exposées, mais François Mitterrand maîtrisait mieux son visage que Jacques Chirac, qui apprendra par la suite !

Il faut avoir recours à des professionnels, de grands comédiens par exemple. De Gaulle s’y plia bien, et c’est pourquoi il sut parfaitement maîtriser la télévision, ce qui n’était pas le cas de Mitterrand à la même époque. Le visage est tellement important qu’il est sujet de discussion pour les rencontres face-à-face. Verra-t-on le visage de l’adversaire pendant que son concurrent parle ? C’est toujours l’objet de discussions, et à juste titre, car cela dépend toujours des personnes en cause !

Nous en avons eu récemment des démonstrations lors de la période des masques. Combien de fois avons-nous auparavant entendu des personnes qui s’affrontaient s’accuser d’avancer masquées, ou de cacher leurs intentions. Eh bien, on put voir à la télévision ceux qui étaient « au parfum » ! Ils prenaient bien soin d’ôter leur masque pour parler. Ceux qui le gardaient étaient automatiquement en état d’infériorité.

Le Babel de l’inculture

Ce trop d’importance donné à l’image s’explique, parce que nous avons affaire à une génération de personnes qui ne lisent plus ! Et ce grave inconvénient touche aussi les communicants religieux, tant dans la presse profane que catholique. À titre d’exemple quand nous lisions jadis Henri Tincq dans Le Monde, ou Jean Bourdarias dans Le Figaro, sur un texte pontifical, une assemblée d’évêques, un synode protestant, nous savions ce qui était réellement écrit, parce que intelligemment résumé, nous avions un exact reflet des discussions, et bien sûr l’avis des journalistes qui écrivaient. Ils ne brouillaient pas l’information bien au contraire, ils nous stimulaient à l’approfondir. Car ces hommes n’étaient ni « inodores » ni sans « saveurs », ils avaient une personnalité que chacun connaissait, des opinions réfléchies qui ne plaisaient pas forcément à tout le monde, et surtout ils étaient cultivés. On ne pouvait pas les prendre en défaut de méconnaissance de la doctrine catholique. Même nos journaux spécialisés leur étaient inférieurs.

Aujourd’hui nous sommes à égalité dans la médiocrité et l’inculture ! A quelques exceptions près ! J’ai encore pour peu de temps sans doute un ministère public dans l’Église, et celui-ci ne comporte pas, Dieu merci, la notation des médias. Mais je dois traiter un sujet, et j’aurais manqué à mon devoir si je n’avais pas écrit les lignes qui précèdent, elles constituent un témoignage personnel que je devais à mes frères en Jésus Christ, même si la fraternité est aujourd’hui bien malade !

Cela dit, même si l’Église vit avec une fraternité atrophiée, elle vit toujours. Il n’est donc pas question de se taire et de baisser les bras. Si nous voulons que dans les médias profanes, les journalistes informent mieux sur le catholicisme, commençons par y veiller nous mêmes dans notre propre presse.

Et quand je dis notre presse, je voudrais bien me faire comprendre. Je suis pour la liberté totale de la presse, y compris catholique, et je n’ai pas en vue la demande de « nihil obstat » ou « d’imprimatur » pour notre presse spécialisée. Je souhaite simplement l’honnêteté. Le responsable d’un journal catholique qui sait avoir une clientèle, disons « captive » parce qu’au nom d’une longue habitude, abonnée par sa paroisse, son diocèse, tel ou tel mouvement, ne peut pas écrire n’importe quoi, en particulier sur des sujets concernés par l’infaillibilité du Magistère de l’Église, à savoir la foi et les mœurs.

Qu’une journaliste catholique ait des opinions personnelles sur l’avortement et les limites qu’il faut fixer à son autorisation, cela ne me choque pas qu’elle l’exprime, mais, par honnêteté, il devrait être obligatoire pour elle, d’expliquer la doctrine catholique. Le plus souvent ce n’est pas le cas, et si d’aventure elle est rappelée, elle l’est mal, caricaturée  tant dans ses intentions que ses motivations ! Selon que la presse soit nationale ou régionale, l’Église doit exercer plus de vigilance. Elle peut être d’autant plus exigeante qu’Elle dispose elle-même de moyens d’informations, par Internet notamment, et qu’il lui est très facile de se désabonner, elle et ses membres de certains journaux. Je pense de plus que cela ferait du bien à ses finances car beaucoup plus de catholiques qu’on ne le croit en ont assez de payer pour lire des inexactitudes concernant la foi, dont plusieurs relèvent de la provocation quand ce n’est pas de l’hérésie !

Le positionnement de l’Église dans le dialogue médiatique

Lorsque une disposition pontificale ou la manière de parler du pape semble irrecevable et suscite des critiques, n’y aurait-il pas lieu pour un média catholique de s’aligner sur les usages de la presse britannique concernant ce qui se faisait pour la Reine ? La hiérarchie de l’Église est sacrée et se porte garante de l’orthodoxie de la doctrine et de l’unité. Au moment où nous nous trouvons au bord d’un schisme avec l’Église allemande, il me parait peu catholique de mal parler du Successeur de Pierre.

Cette évocation me permet de revenir à mon rappel de l’expérience personnelle de Jean Paul II avant son élection au siège de Pierre. Il a fait l’expérience irremplaçable de l’action des médias dans un régime totalitaire. Mais il n’y a pas que le totalitarisme qui nuit à la liberté de la presse. Et quand Jean Paul II écrit ce que nous méditons, le communisme ne nous menace plus. Néanmoins il demande l’aide de l’Esprit Saint. Je cite « Dans ce domaine aussi, les croyants du Christ savent qu’ils peuvent compter sur la force de l’Esprit Saint. Une aide encore plus nécessaire si l’on considère à quel point peuvent être amplifiées les difficultés intrinsèques de la communication causées par les idéologies, l’appât du gain et du pouvoir, la rivalité et les conflits entre différents individus ou groupes, ou encore de la fragilité humaine ou des maux sociaux. Les technologies modernes augmentent d’une manière impressionnante la vitesse, la quantité et la portée de la communication, mais elles ne favorisent pas ce fragile échange d’esprit à esprit, de cœur à cœur qui doit caractériser toute communication au service de la solidarité et de l’amour. » (Lettre apostolique Le progrès rapide, 2005, nº13)

Commençons par la fin de ce propos, capital, pour la vie en Église qui exige amour, fraternité, sincérité, recherche de ce qui unit et non de ce qui divise. Cette augmentation de la vitesse et de la quantité de communication ne facilite pas la vie fraternelle. Celui qui est mécontent de l’autre peut lui écrire immédiatement, longuement, déversant tout ce qu’il a sur le cœur et l’envoyer tout de suite, et l’autre répondre de même ! Je me souviens du temps où il fallait écrire à la main ou à la machine ! Combien de fois ai-je écrit des lettres le soir pour ne les envoyer que le lendemain, après les avoir relues ? Mais combien en ai-je corrigées et mises carrément au panier ? Avec l’informatique et les réseaux, cela part tout de suite et génère des conflits. Mais le plus important dans cette réflexion de notre saint pape porte incontestablement sur les luttes de pouvoir, l’influence des idéologies et de l’argent qui faussent la communication. Ce qui va décider de la publication d’un article, d’un reportage, ne sera pas l’intérêt de cette information pour le bien commun, mais sa possibilité ou non de la rattacher à une actualité suscitant un maximum d’intérêt (audimat et désir d’achat) pour l’idéologie qu’on veut promouvoir ! Le catholicisme à scandales se vend mieux que le catholicisme sans histoires, nous en faisons depuis un moment la triste expérience en France. Mais je suppose que nous ne sommes pas le seul pays d’Europe à vivre cette épreuve. Le souci du bien de l’Église, qu’on ne peut ni ne doit jamais opposer à la manifestation de la vérité semble bien absent de l’esprit des responsables des médias, y compris des médias catholiques. L’Église catholique subissant les divisions que l’on connaît, avec ce qu’il faut bien appeler des factions en subit les contre coups dans sa propre presse religieuse selon les orientations de tel ou tel média. Le dialogue devrait être alors favorisé. Pas du tout. C’est le triomphe de la pensée unique, avec quelquefois des « alliances objectives » assez inattendues avec d’autres médias proches politiquement.

Ainsi,  quand la CEF a eu le courage de demander à Jean-Marc Sauvé de constituer une commission indépendante pour enquêter sur les abus sexuels dans l’Église, il me semble que les journalistes, du moins catholiques auraient pu faire remarquer que certains membres étaient en opposition ouverte sur d’importantes questions avec l’Église catholique, en citant leurs propos publics et leurs ouvrages. Quant à la collaboration des laïcs avec l’Église, elle aurait pu mieux fonctionner, car à la lecture du rapport on se demande assez souvent si ceux qui écrivent savent tout simplement comment fonctionne une paroisse aujourd’hui !

C’est pourquoi je salue l’initiative de Philippe Maxence directeur du journal « L’Homme Nouveau », d’avoir accédé à la demande de monsieur Sauvé de venir débattre au « Club des hommes en noir ». L’ennui c’est que monsieur Sauvé a monopolisé la parole (75% du temps) ne laissant que peu de temps à madame Smits et à moi-même (25% du temps). Et on ne peut pas couper la parole à un ancien vice-président du Conseil d’État !

Je crois en tout cas qu’il serait dans la vocation des médias catholiques de favoriser des débats entre des courants opposés dans l’Église, afin de favoriser l’unité. Mais, je le dis comme je le pense, l’unité n’est pas leur souci premier.

Conversion et apprentissage du dialogue

Ne serait-ce pas pourtant le moyen d’actualiser cette comparaison de Jean Paul II, dans la deuxième partie du numéro 13 de sa lettre « Le Verbe éternel fait chair, Lui, en se communiquant, manifeste toujours son respect envers ceux qui l’écoutent, enseigne la compréhension de leur situation et de leurs besoins, amène à la compassion pour leur souffrance. » Si déjà on s’efforçait d’amener à la compréhension, ce serait énorme et capital en ces temps-ci. Je ne parle même pas de compassion, ce serait ridicule, tant il est évident que certains malheurs qui accablent l’Église, font jubiler ceux qui les rapportent pour démontrer la justification des changements qu’ils préconisent et qu’ils savent parfaitement impossibles sur le plan doctrinal.

Et Jean Paul II de poursuivre toujours en continuant sa comparaison avec Jésus « Il est résolument déterminé pour leur dire ce qu’ils ont besoin d’entendre, sans l’imposer, sans compromis, tromperie ou manipulation. Jésus enseigne que la communication est un acte moral. » (ibid.)

C’est bien de cela que tous les acteurs de la communication, qu’ils soient prêtres ou laïcs, devraient se souvenir : pas de tromperie, pas de manipulation, ils doivent poser un acte moral, la vérité doit passer avant l’idéologie. Nous en sommes très loin. La rage théologique s’est emparée des esprits qui dirigent notre presse spécialisée, et la paresse aidant, elle peut fournir des « papiers » tout faits à d’autres, et on s’arrange entre amis !

Je dois quand même dire que rage théologique n’est plus exacte comme expression. Rage idéologique conviendrait mieux ! Ce pourquoi il est juste de dire que la solution ne sera pas non plus théologique mais biologique. Je sais de quoi je parle, ces gens ont mon âge ! L’avenir de la communication catholique n’est pas dans le renforcement des oppositions et des durcissements théologiques qui s’ignorent.

Si l’on suit le texte Inter mirifica de Vatican II, et sa « mise à jour » par Jean Paul II en 2005, les médias catholiques sont appelés à se convertir et à suivre l’exemple du Christ proposé par Saint Jean Paul II : appeler chaque catholique à s’exprimer et permettre des échanges fraternels qui seront forcément critiques, mais sans caricature ! Ce qui compte, c’est d’être vrai. J’aime par exemple la revue Golias parce qu’elle ne ment pas et affiche clairement sa couleur. Elle veut un changement du catholicisme et a le grand mérite de le dire clairement, sans vouloir plaire à tout le monde. Les textes font preuve d’une connaissance de la théologie, que l’on doit à son rédacteur en chef qui l’a étudiée. Je ne suis pas d’accord avec ses conclusions, mais il expose sincèrement et intelligemment sa position, je n’aurais pas le sentiment de perdre mon temps si une discussion s’engageait entre nous, parce que l’opposition de base serait clairement définie. Un dialogue avec lui ne pourrait qu’être utile pour toute l’Église.

Mais il existe aussi d’autres lieux d’information qui devraient être plus ouverts et imiter cette image du Christ que nous propose Jean Paul II. Malheureusement ils sont fermés, et demeurent soumis à la pensée unique. Volontairement, je ne citerai aucun exemple précis, j’en ai trop à ma disposition, et voudrais que cet écrit serve à une conversion positive, dont bien évidemment je ne m’exclus pas. La situation est trop grave pour se lancer dans des polémiques qui ne serviraient plus à rien ! L’Église est entrée en une phase de grandes tribulations. Certains s’en réjouissent ! Pas moi, ce qui ne veut pas dire que je me désespère. Je sais ce que nous allons perdre, et n’ai aucune certitude sur la structure qui naîtra ! Je suis seulement sûr de la présence de Jésus-Christ et de son règne par la puissance de l’Esprit Saint, tant que la communion ecclésiale sera fondée sur l’autorité du successeur de Pierre : Tant qu’il sera à sa tête, avec juridiction immédiate sur elle, l’Église subsistera dans la fidélité au Christ, et c’est au maintien de cette réalité vitale que toute l’information catholique doit dès maintenant se mobiliser.

Père Michel Viot

 

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Rédaction

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