Photo Kair Mörk, DP Creative Commons Attribution 3.0 de

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Journalisme et vérité : Des faits et leur interprétation

2e partie

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Les évolutions dans la manière médiatique de traiter notre actualité reflètent-il les préconisations du décret Inter Mirifica du concile Vatican II ? En guidant la lecture de ce texte conciliaire, le père Michel Viot nous décrit l’idéal du journalisme catholique.
2e partie de l‘article publié le 28 novembre 2022

 

L’opinion fondée sur la vérité

Une information fausse, ou encore tout en étant exacte, rapportée d’une manière exagérée ou carrément mauvaise sur le plan moral, est en effet toujours difficile à réparer, ceux qui l’auront lue ou entendue ne seront pas forcément les mêmes qui entendront ou liront la rectification. De plus il existe une majorité d’esprits soupçonneux, considérant comme une vérité tombée du ciel le fait « qu’il n’y a pas de fumée sans feu », donc si l’information relève plus de la propagande que du souci de faire connaître la vérité, le mal sera fait. 

Le point 14 du décret conciliaire Inter Mirifica n’emploie pas la langue de buis : « On commencera par soutenir la presse honnête. » Et ce devoir est placé avant l’exhortation à « développer une presse authentiquement catholique ». Ainsi en 1963, le décret annonçait l’importance qu’allait prendre la presse profane et prévenait le déclin de la presse religieuse. Et nous pouvons vérifier aujourd’hui que,  grâce à la puissance conjuguée des médias laïcs et de ceux qui sont faussement catholiques, il est bien difficile d’informer avec vérité sur la vie de l’Église, sans parler des réseaux sociaux où l’Église dans sa hiérarchie est frappée, sans répondre dans la majorité des cas, sous prétexte qu’une réplique donnerait de l’importance à ce qui n’en vaut pas la peine. Je ne suis pas sûr que ce raisonnement soit juste quand il est érigé en système. 

Mais je veux en revenir à l’essentiel du passage de ce décret : la nécessité d’une presse catholique « dans l’intention de former, d’affermir et de promouvoir des opinions publiques conformes au droit naturel ainsi qu’à la doctrine et à la discipline catholiques, de diffuser et expliquer loyalement les nouvelles sur la vie de l’Église. Les fidèles doivent être avertis de la nécessité de lire et de diffuser la presse catholique pour se former un jugement chrétien sur tous les événements. » (ibid.) Tout est dit, je n’ai rien à ajouter, sinon d’inviter au constat. 

Oh bien sûr ce n’est pas le vide, mais à chaque fois nous tombons sur de la polémique. On ne se donne pas la peine par exemple d’expliquer un texte pour ce qu’il est, ce pour quoi il est écrit ! Non ! On en rend compte en s’en servant, soit pour le démolir avec des objections qui n’ont rien de catholiques mais qu’on fait passer pour telles, parce qu’elles ont été « baptisées » ainsi par certains en toute impunité depuis longtemps, ou plus perfidement, pour lui donner une portée qui n’est pas la sienne, en passant par exemple plus de temps à interpréter ses silences que ses affirmations. 

Moralité, on ne sait plus ce qui est catholique et ce qui ne l’est pas ! 

Sens de vérité dans l’art cinématographique et sa critique

La déclaration sur les films « La production et la programmation de films qui concourent à une détente moralement saine de l’esprit … sont à favoriser et à renforcer par tous moyens efficaces » (IM 14), me rappelle la sortie du film de Pasolini « Théorème » en 1969 (6 ans après la promulgation du décret) qui reçut le Grand prix annuel de l’Office catholique du cinéma. Avec l’approbation de la bourgeoisie catholique de notre pays, dite avancée, qui aujourd’hui veut faire la révolution dans l’Église à cause des abus commis par certains prêtres, lesquels se sont quelquefois servis du principe du « choc » de « la rencontre avec le Christ » à la mode pasolinienne ! Qui s’en souvient aujourd’hui ? Pourtant c’était admirablement bien joué, une mise en scène parfaite, car je ne vais pas nier le talent de Pasolini ! Mais que nous racontait ce film ? L’arrivée d’un beau jeune homme dans une famille très bourgeoise et qui devenait successivement l’amant de la bonne, du fils, de la mère, de la fille et du père chef de famille. Et il disparaissait laissant « les personnes  rencontrées » transformées !  Certains critiques catholiques y verront une sorte de parabole moderne exprimant ce que pouvait être le bouleversement produit par une rencontre avec Jésus ! Je pense n’avoir pas besoin d’en dire plus !

Le décret évoque ensuite l’opinion publique ! Eh bien je puis attester qu’après cette prouesse de Pasolini encensée par la critique catholique de ce temps portant sur l’art, cette opinion publique s’éloigna encore plus de l’Église. Ce furent dix années de plomb, la timide reprise ne se faisant qu’à partir de 1980, deux ans après l’élection de Jean Paul II. 

Il y eut heureusement des producteurs qui surent transmettre, comme le souhaite le décret, à commencer par ce même Pasolini avec son film L’Évangile selon Saint Matthieu en 1963, le texte est uniquement celui de l’évangile, un véritable tour de force ! Et puis le grand spectacle de Robert Hossein sur Jésus « Un homme nommé Jésus » 1983, et la Passion du Christ de Mel Gibson de 2004. Mais on ne sut pas tirer parti de ces succès dans l’Église, Hossein n’appartenant pas à la caste intellectuelle aux commandes de l’intelligentsia catholique française, et Gibson étant, oh horreur, qualifié d’intégriste ! On pourrait alors repasser au moins l’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini, quoiqu’on pense de l’homme, il avait un grand talent, et là, pour ce film, il l’a mis au service du Christ. Mais justement, c’est peut-être cela qui gêne !

Je me dois aussi d’évoquer un autre film, qui plus que tous les autres concerne l’importance et la portée des moyens de communication modernes quant à l’évangélisation ! Avant d’être porté au cinéma sortait en Grèce en 1954 le roman de Nikos Kazantzakis « La dernière tentation ». Immédiatement le Vatican mit le livre à l’index, et l’Église orthodoxe l’accusa de blasphème, délit puni en Grèce et s’interrogea sur l’excommunication de l’auteur, en vain. Pour être bref, je dirai que Jésus nous est présenté comme plein de doutes sur sa mission, charpentier, il fabrique des croix pour les romains, il est amoureux de Marie Madeleine, mais sa rencontre avec Jean Baptiste le décide à suivre l’appel messianique, les tentations du désert le confirment, Marie Madeleine désespérée se livre à la prostitution. Jésus persuade Judas de le « trahir » pour que s’accomplissent les Écritures. Mais, crucifié il descend de la croix pour aller vivre avec Marie Madeleine et lui faire des enfants. Mais après la visite des apôtres désemparés, et de Judas, mécontent du rôle qu’on lui a fait jouer, il rencontre Paul prêchant la vérité évangélique que nous connaissons. Et voici, entre autre ce que lui dit Paul « Moi, à force d’entêtement, de passion et de foi, je forge la vérité. Je ne m’efforce pas de la trouver, je la fabrique… je deviendrai ton apôtre, que tu le veuilles ou non. Je fabriquerai toi, ta vie, ton enseignement, ta crucifixion et ta résurrection comme je l’entendrai ». Alors Jésus retourne sur la croix pour y mourir, juste après avoir dit «  tout est accompli ».

Et le livre est porté au cinéma par un très grand metteur en scène Martin Scorsese en 1988. Je n’ai souvenir que de réactions violentes de catholiques, classés intégristes dans un cinéma du quartier latin, utilisant des cocktails Molotov, faisant une dizaine de blessés. Ce n’était bien évidemment pas la réponse qu’il fallait donner à ce film, à défaut d’avoir critiqué le roman. Là, en effet l’erreur était répandue à une plus grande échelle, et je devrais même dire l’hérésie. Car l’auteur en fait n’inventait rien, il combinait des thèmes gnostiques des premiers siècles chrétiens à des hypothèses d’auteurs violemment anti chrétiens sur les origines du christianisme. Thèses reprises au 19esiècle sous des formes différentes, et délayées au 20e, accroissant la déchristianisation.

En termes d’audimat, et en calculs de puissance de persuasion que pèsent les rares homélies qui protestèrent à l’époque, les quelques articles de journaux qui osèrent affronter les chrétiens, dits de progrès, extasiés par ce film, face aux 164 minutes de projection d’un film techniquement parfait ? Et ce, d’autant plus que son message vient ressusciter des hérésies anciennes ou leur redonner de la force, là où elles n’étaient pas mortes ! Je crois inutile d’en dire plus sur ce point ! Et j’insiste, la réponse appropriée n’était pas la censure !

Le rappel par saint Jean-Paul II – une voix dans le désert ?

Les demandes qui concluent le décret concernent l’organisation nationale et internationale de la communication. On y a heureusement répondu ou non, selon la capacité des hommes qui en avaient la charge. Une telle instabilité n’est pas vivable pour l’Église. Notre religion étant fondée sur l’incarnation du Verbe de Dieu, l’art de communiquer est devenu capital. D’où la promulgation de la lettre apostolique de saint Jean Paul II le 24 janvier 2005, intitulée « Le progrès rapide », qui veut être un prolongement de ce décret. Le pape prenait acte de l’accélération rapide de la puissance médiatique, de leur capacité « d’unifier l’humanité en en faisant – comme on dit – un village global. Les moyens de communication sociale ont atteint une telle importance qu’ils sont pour de nombreuses personnes des instruments principaux pour guider et inspirer les comportements des individus, des familles et des sociétés ». 

C’est si vrai qu’en France, et sans doute ailleurs, ils font les choix sociétaux, les épidémies et les guerres. Et comme les grands médias et instituts de sondages se retrouvent aujourd’hui dans quelques mains, on comprend qu’on puisse se poser des questions sur la signification de ces consultations populaires. 

En réalité, il me semble qu’aujourd’hui, sans même prendre la peine de se camoufler un peu, par décence, les grands médias montrent sans masque leur vrai visage. Ils ne visent plus à informer pour que l’on se fasse une opinion, ils prétendent faire eux-mêmes l’opinion, vous imposer votre président de la République, votre député, votre marque d’automobile ou de lessive. Tout cela en vue du profit. L’augmentation de l’audimat ou du tirage qui fait monter les prix de la publicité, ou de victoires électorales permettant des renvois « d’ascenseur »…

Et pourtant Jean Paul II écrit que « dans une vision organique et correcte du développement de l’être humain, les médias peuvent et doivent promouvoir la justice et la solidarité, rapportant les événements de manière précise et véridique, analysant attentivement les situations et les problèmes, et donnant voix aux diverses opinions ». Quand on connaît le parcours de ce pape, et qu’on a été un témoin attentif de tout son pontificat, on ne peut pas penser une seconde qu’il se faisait la moindre illusion sur les médias qu’il savait si bien utiliser. C’est donc une exigence de conversion de leur part qu’il exprime, et il compte pour cela sur une implication plus grande des catholiques en leur sein. Je ne vois pas en effet comment ce qui meut l’histoire du salut pourrait atteindre les médias sans que des chrétiens participent en plus grand nombre à leur travail. Une phrase de la lettre citée me paraît résumer son argumentation pour faire comprendre aux chrétiens leurs devoirs : « La communication entre Dieu et l’humanité a donc atteint sa perfection dans le Verbe fait chair. L’acte d’amour à travers lequel Dieu se révèle, uni à la réponse de foi de l’humanité, génère un dialogue fécond. Pour cela, en faisant nôtre, d’une certaine manière, la demande des disciples ‘apprends-nous à prier’ (Luc 11, 1), nous pouvons demander au Seigneur de nous aider à comprendre comment communiquer avec Dieu et avec les hommes à travers les merveilleux instruments de la communication sociale ».

Communiquer ne constitue donc pas une option pour le témoignage chrétien, mais une obligation découlant des fondements mêmes de notre foi. Remplir ce devoir aujourd’hui en 2022, exige beaucoup plus d’efforts qu’en 1963 ou en 2005. L’enthousiasme du saint pape polonais pour la force que les médias peuvent donner à l’Église ne l’aveugle pas quant aux difficultés. Certes il écrit au paragraphe 7 « Dans les moyens de communication l’Église trouve un soutien précieux pour diffuser l’Évangile et les valeurs religieuses pour promouvoir le dialogue et la coopération œcuménique et inter religieuse, ainsi que pour défendre ces solides principes qui sont indispensables pour construire une société qui respecte la dignité de la personne humaine et qui soit attentive au bien commun »…, mais quelques lignes plus loin il ajoute « Cette mission n’est pas facile dans une époque où l’on trouve chez de nombreuses personnes la conviction que le temps des certitudes est irrémédiablement passé : l’homme doit apprendre à vivre dans un horizon de totale absence de sens, avec le sentiment du provisoire ou de l’éphémère. Dans ce contexte, les instruments de communication peuvent être employés pour proclamer l’Evangile ou pour le réduire au silence dans le cœur des hommes ». Et malheureusement la philosophie de l’absurde a pénétré le discours chrétien, au nom de l’humilité, par exemple, il ne faut plus avoir de certitudes ! En conséquence, les grands progrès médiatiques n’ont pas beaucoup servi la cause de l’Évangile ces derniers temps. 

Les catholiques en France, nous avons été incapables d’organiser des actions médiatiques communes à l’encontre le mariage pour tous, alors que plus d’un million d’entre nous était descendu dans la rue ! De fait, jusqu’à présent, ce sont toujours les politiques qui ont profité des grands progrès médiatiques. 

P. Michel Viot

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Rédaction

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