Messe Saint Jean XXIII, 12 octobre 2022 © Vatican Media

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L’Eglise « existe pour aimer », 60 ans après Vatican II

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Homélie en mémoire du pape Jean XXIII

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« L’Église n’a pas célébré le Concile pour s’admirer, mais pour se donner », elle « existe pour aimer », a affirmé le pape François mardi 11 octobre 2022, jour du 60ème anniversaire du début du Concile œcuménique Vatican II

Le pape François a prononcé l’homélie de la messe en mémoire du pape saint Jean XXIII, dans la Basilique Saint-Pierre de Rome, mardi 11 octobre 2022, jour anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II. Il a commenté les paroles du Christ à Pierre, dans l’évangile de Jean : « M’aimes-tu ? Sois le berger de mes brebis ».

Citant la Constitution conciliaire Lumen gentium, François a rappelé que le peuple de Dieu est « signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » : « toi, Peuple saint de Dieu, tu es un peuple pastoral », a-t-il dit en interpellant l’Eglise ; « tu n’existes pas pour te paître toi-même, pour grimper les échelons, mais pour faire paître les autres, tous les autres, avec amour ».

Contre les tentations de la mondanité et de la critique, le pape invite à « regarder l’Eglise avec les yeux aimants de Dieu » et à « se centrer sur Jésus » : « une Église amoureuse de Jésus n’a pas le temps pour les affrontements, les poisons et les polémiques. « Seigneur, a-t-il prié, rappelle-nous qu’être Église, c’est être témoin de la beauté de ton amour, c’est vivre en réponse à ta question : m’aimes-tu ? »

 

Voici la traduction de l’homélie du pape François :

« M’aimes-tu ? » C’est la première phrase que Jésus adresse à Pierre dans l’Évangile que nous avons entendu (Jn 21, 15). La dernière est : « Sois le berger de mes brebis » (v. 17). À l’occasion de l’anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, nous entendons ces paroles du Seigneur qui nous sont également adressées, à nous en tant qu’Église : M’aimes-tu ? Sois le berger de mes brebis.

Tout d’abord : m’aimes-tu ? C’est une question, parce que le style de Jésus n’est pas tant de donner des réponses, mais de poser des questions, des questions qui provoquent la vie. Et le Seigneur, qui « s’adresse aux hommes en son surabondant amour comme à des amis » (Dei Verbum, n. 2), demande à nouveau, demande toujours à l’Église, son épouse : « M’aimes-tu ? ». Le Concile Vatican II a été une grande réponse à cette question : c’est pour raviver son amour que l’Église, pour la première fois dans l’histoire, a consacré un concile pour qu’elle s’interroge sur elle-même, pour qu’elle réfléchisse sur sa propre nature et sa mission. Et elle s’est redécouverte comme un mystère de grâce engendré par l’amour : elle s’est redécouverte comme Peuple de Dieu, Corps du Christ, temple vivant de l’Esprit Saint !

C’est le premier regard à porter sur l’Église, le regard d’en haut. Oui, l’Église doit d’abord être regardée d’en haut, avec les yeux aimants de Dieu. Demandons-nous si, dans l’Église, nous partons de Dieu, de son regard d’amour sur nous. Il y a toujours la tentation de partir de soi plutôt que de Dieu, de faire passer nos agendas avant l’Évangile, de nous laisser emporter par le vent de la mondanité pour suivre les modes du temps, ou de refuser le temps que la Providence nous donne pour faire demi-tour. Mais prenons garde, tant le progressisme qui s’adapte au monde que le traditionalisme – ou “régression” – qui regrette un monde passé ne sont pas des preuves d’amour, mais d’infidélité. Ce sont des égoïsmes pélagiens, qui font passer les goûts et les projets personnels avant l’amour qui plaît à Dieu, l’amour simple, humble et fidèle que Jésus a demandé à Pierre.

Est-ce que tu m’aimes ? Redécouvrons le Concile pour redonner la primauté à Dieu, à l’essentiel : à une Église folle d’amour pour son Seigneur et pour tous les hommes, aimés par Lui ; à une Église riche en Jésus et pauvre en moyens ; à une Église libre et libératrice. Le Concile montre à l’Église cette voie : il la fait revenir, comme Pierre dans l’Évangile, en Galilée, aux sources du premier amour, pour redécouvrir dans ses pauvretés la sainteté de Dieu (cf. Lumen gentium, n. 8c ; ch. 5). Nous aussi, chacun de nous a sa Galilée, la Galilée du premier amour, et certainement chacun de nous aujourd’hui aussi est invité à retourner à sa Galilée pour entendre la voix du Seigneur : “Suis-moi”. C’est là, pour retrouver dans le regard du Seigneur crucifié et ressuscité sa joie perdue, pour se concentrer sur Jésus. Retrouver la joie : une Église qui a perdu la joie a perdu l’amour. Vers la fin de ses jours, le Pape Jean écrivait : « Ma vie, qui touche à sa fin, ne peut être mieux résolue qu’en me concentrant entièrement sur Jésus, fils de Marie… une grande et continuelle intimité avec Jésus, contemplé en image : enfant, crucifié, adoré dans le Sacrement » (Journal de l’âme, p. 977-978). Voilà notre haut regard, voilà notre source toujours vivante : Jésus, la Galilée de l’amour, Jésus qui nous appelle, Jésus qui nous demande : “Est-ce que tu m’aimes?”.

Frères, sœurs, revenons aux pures sources d’amour du Concile. Retrouvons la passion du Concile et renouvelons notre passion pour le Concile ! Immergés dans le mystère de l’Église mère et épouse, disons-nous aussi avec saint Jean XXIII : Gaudet Mater Ecclesia ! (Discours d’ouverture du Concile, 11 octobre 1962). Que l’Église soit habitée par la joie. Si elle ne se réjouit pas, elle se dément elle-même, car elle oublie l’amour qui l’a créée. Et pourtant, combien d’entre nous ne parviennent pas à vivre la foi avec joie, sans murmurer et sans critiquer ? Une Église amoureuse de Jésus n’a pas le temps pour les affrontements, les poisons et les polémiques. Que Dieu nous délivre d’être critiques et intolérants, amers et en colère. Ce n’est pas seulement une question de style, mais d’amour, car celui qui aime, comme l’enseigne l’Apôtre Paul, fait tout sans murmurer (cf. Ph 2, 14). Seigneur, enseigne nous ton regard d’en haut, à voir l’Église comme Tu la vois. Et lorsque nous sommes critiques et mécontents, rappelle-nous qu’être Église, c’est être témoin de la beauté de ton amour, c’est vivre en réponse à ta question : m’aimes-tu ? Ce n’est pas comme si nous allions à une veillée funèbre.

M’aimes-tu ? Sois le berger de mes brebis. Le deuxième mot : Sois le berger. Jésus exprime par ce verbe l’amour qu’il désire de Pierre. Pensons justement à Pierre : il était pêcheur de poissons et Jésus l’a transformé en pêcheur d’hommes (cf. Lc5, 10). Il lui assigne maintenant un nouveau métier, celui de berger, qu’il n’avait jamais exercé. Et c’est un revirement, car alors que le pêcheur prend pour lui, attire à lui, le berger prend soin des autres, fait paître les autres. De plus, le berger vit avec le troupeau, nourrit les brebis, s’attache à elles. Il n’est pas au-dessus, comme le pêcheur, mais au milieu. Le berger est devant le peuple pour tracer le chemin, au milieu du peuple comme l’un d’eux, et derrière le peuple pour être proche de ceux qui vont en retard. Le berger n’est pas au-dessus, comme le pêcheur, mais au milieu. Voici le deuxième regard que nous enseigne le Concile, le regard à partir du milieu : être dans le monde avec les autres sans jamais se sentir au-dessus des autres, comme des serviteurs du plus grand Royaume de Dieu (cf. Lumen gentium, n. 5) ; porter la bonne annonce de l’Évangile dans la vie et dans les langues des hommes (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 36), en partageant leurs joies et leurs espérances (cf. Gaudium et spes, n. 1). Être au milieu du peuple, pas au-dessus du peuple : c’est le péché horrible du cléricalisme qui tue les brebis, qui ne les guide pas, qui ne les fait pas grandir, qui tue. Combien le Concile est actuel : il nous aide à rejeter la tentation de nous enfermer dans les enclos de notre confort et de nos convictions, pour imiter le style de Dieu que le prophète Ezéchiel nous décrit aujourd’hui : aller à la recherche de la brebis perdue et la ramener au bercail, panser la blessée et guérir la malade (cf. Ez 34, 16).

Sois le berger : l’Église n’a pas célébré le Concile pour s’admirer, mais pour se donner. Car notre sainte Mère hiérarchique, surgie du cœur de la Trinité, existe pour aimer. Elle est un peuple sacerdotal (cf. Lumen gentium, n. 10ss) : elle ne doit pas se démarquer du monde, mais servir le monde. Ne l’oublions pas : le Peuple de Dieu naît extraverti et il se rajeunit en se dépensant, car il est sacrement d’amour, « signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, n. 1). Frères et sœurs, revenons au Concile qui a redécouvert le fleuve vivant de la Tradition sans stagner dans les traditions ; qui a retrouvé la source de l’amour non pas pour rester en amont, mais pour que l’Église descende en aval et soit un canal de miséricorde pour tous. Revenons au Concile pour sortir de nous-mêmes et surmonter la tentation de l’autoréférentialité qui est une manière d’être mondain. Sois le berger, répète le Seigneur à son Église ; et en faisant paître, elle surmonte la nostalgie du passé, le regret de l’importance, l’attachement au pouvoir, parce que toi, Peuple saint de Dieu, tu es un peuple pastoral : tu n’existes pas pour te paître toi-même, pour escalader, mais pour paître les autres, tous les autres, avec amour. Et, s’il est juste d’avoir une attention particulière, que ce soit pour les préférés de Dieu c’est-à-dire les pauvres, les rejetés (cf. Lumen gentium, n. 8c ; Gaudium et spes, n. 1) ; pour être, comme l’a dit le Pape Jean, « l’Église de tous, et particulièrement l’Église des pauvres » (Message radiodiffusé aux fidèles du monde entier à un mois du Concile Œcuménique Vatican II, 11 septembre 1962).

M’aimes-tu ? Sois le berger – conclut le Seigneur – de mes brebis. Il ne parle pas de quelques-unes seulement, mais de toutes, parce qu’il les aime toutes, il les appelle affectueusement « miennes ». Le bon Pasteur voit et veut que son troupeau soit uni, sous la conduite des bergers qu’il lui a donnés. Il veut – le troisième regard – le regard d’ensemble : tous, tous ensemble. Le Concile nous rappelle que l’Église, à l’image de la Trinité, est communion (cf. Lumen gentium, n. 4.13). Le diable, au contraire, veut semer l’ivraie de la division. Ne cédons pas à ses flatteries, ne cédons pas à la tentation de la polarisation. Combien de fois, après le Concile, les chrétiens se sont-ils efforcés de choisir un camp dans l’Église, sans se rendre compte qu’ils déchiraient le cœur de leur Mère ! Combien de fois a-t-on préféré être « supporter de son propre groupe » plutôt que serviteurs de tous, progressistes et conservateurs plutôt que frères et sœurs, « de droite » ou « de gauche » plutôt que de Jésus ; s’ériger en « gardiens de la vérité » ou « solistes de la nouveauté », plutôt que de se reconnaître comme enfants humbles et reconnaissants de la Sainte Mère l’Église. Tous, nous sommes tous fils de Dieu, tous frères dans l’Église, tous Église, tous. Le Seigneur ne nous veut pas ainsi : nous sommes ses brebis, son troupeau, et nous le sommes seulement ensemble, unis. Dépassons les polarisations et gardons la communion, devenons de plus en plus « un », comme Jésus l’a imploré avant de donner sa vie pour nous (cf. Jn17, 21). Que Marie, Mère de l’Église, nous aide en cela. Qu’elle fasse croître en nous le désir de l’unité, le désir de nous engager pour la pleine communion entre tous ceux qui croient au Christ. Laissons de côté les “ismes” : le peuple de Dieu n’aime pas cette polarisation. Le peuple de Dieu est le saint peuple fidèle de Dieu : telle est l’Église. Il est beau qu’aujourd’hui, comme pendant le Concile, soient avec nous des représentants d’autres communautés chrétiennes. Merci ! Merci d’être venus, merci de cette présence !

Nous te rendons grâce, Seigneur, pour le don du Concile. Toi qui nous aimes, délivre-nous de la présomption de l’autosuffisance et de l’esprit de critique mondaine. Libère-nous de l’auto-exclusion de l’unité. Toi qui nous pais avec tendresse, fais-nous sortir des enclos de l’autoréférentialité. Toi qui veux que nous soyons un troupeau uni, délivre-nous de l’artifice diabolique des polarisations, des “ismes”. Et nous, ton Église, avec Pierre et comme Pierre, nous te disons : Seigneur, tu sais tout, tu sais que nous t’aimons (cf. Jn 21, 17).

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Hélène Ginabat

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