Église du Sacré-Cœur des Premières Nations, Edmonton (Canada)
Lundi 25 juillet 2022
Chers frères et sœurs, bonsoir !
Je suis heureux d’être parmi vous et de revoir un bon nombre des divers représentants autochtones qui sont venus me voir à Rome il y a quelques mois. Cette visite m’a beaucoup marqué : aujourd’hui, je suis dans votre maison, en ami et pèlerin, je suis sur votre terre, au moment où vous vous retrouvez pour louer Dieu comme frères et sœurs. À Rome, après vous avoir écoutés, je vous disais qu’un « processus de réhabilitation efficace nécessite des actions concrètes » (Discours aux délégations des peuples autochtones du Canada, 1er avril 2022). Je suis heureux de voir que dans cette paroisse, que fréquentent ensemble des personnes des différentes communautés des First Nations, des Métis et des Inuits, mélangés avec les personnes non-autochtones des quartiers locaux et avec divers frères et sœurs immigrés, ce processus a déjà commencé. C’est une maison pour tous, ouverte et inclusive, comme doit l’être l’Église, famille des enfants de Dieu où l’hospitalité et l’accueil, valeurs typiques de la culture autochtone, sont essentiels : où chacun doit se sentir bienvenu, indépendamment des événements du passé et des circonstances de chaque vie. Je voudrais aussi vous dire merci pour la proximité concrète avec tant de pauvres – je suis très touché – qu’ils sont aussi nombreux dans ce pays riche, par votre charité : c’est cela que Jésus désire, lui qui nous a dit et qui nous répète sans cesse dans l’Évangile : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). C’est Jésus qui est là présent.
Et en même temps, nous ne devons pas oublier que dans l’Église aussi, la zizanie se mêle au bon grain. Même dans l’Église. C’est précisément à cause de cette zizanie que j’ai voulu entreprendre ce pèlerinage pénitentiel, et je l’ai commencé ce matin en faisant mémoire du mal subi par les peuples autochtones de la part de plusieurs chrétiens et en demandant pardon avec douleur. Cela me fait de la peine de penser que des catholiques aient contribué aux politiques d’assimilation e d’affranchissement qui véhiculaient un sens d’infériorité, spoliant les communautés et les personnes de leurs identités culturelles et spirituelles, arrachant leurs racines et alimentant des attitudes préjudiciables et discriminatoires, et que tout cela ait été aussi fait au nom d’une éducation supposée chrétienne. L’éducation doit commencer par le respect et la promotion des talents qui existent déjà dans les personnes. Elle n’est pas et ne pourra jamais être quelque chose de préfabriqué à imposer, parce qu’éduquer est l’aventure d’exploration et de découverte en commun du mystère de la vie. Grâce à Dieu, dans des paroisses comme celle-ci, par la rencontre, s’édifient jour après jour les bases pour la guérison et la réconciliation. Guérison, réconciliation. Je voudrais dire quelque chose qui n’est pas écrit ici. Je veux remercier de façon spéciale les évêques pour le travail qu’ils ont accompli pour que je puisse venir ici, et pour que vous ayez pu venir là [à Rome]. Une Conférence épiscopale unie fait de grands gestes, elle porte beaucoup de fruits. Merci beaucoup à la Conférence épiscopale !
Réconciliation : c’est sur ce mot que je voudrais partager ce soir quelques réflexions. Que nous suggère Jésus quand il parle de réconciliation ? ou quand il nous inspire la réconciliation ? que signifie pour nous aujourd’hui la réconciliation ? Chers amis, la réconciliation opérée par le Christ n’a pas été un accord de paix extérieur, une sorte de compromis pour contenter les parties. Cela n’a pas été non plus une paix tombée du ciel, arrivée par une imposition d’en-haut ou par absorption de l’autre. L’apôtre Paul explique que Jésus réconcilie en mettant ensemble, faisant de deux réalités distantes une réalité unique, une seule chose, un seul peuple. Et comment fait-il ? Par la croix (cf. Ep 2, 14). C’est Jésus qui nous réconcilie entre nous sur la croix, sur cet arbre de vie, comme aimaient à le dire les premiers chrétiens. La croix, arbre de vie.
Vous, chers frères et sœurs autochtones, vous avez beaucoup à nous apprendre sur la signification vitale de l’arbre qui, uni à la terre par les racines, donne de l’oxygène par les feuilles et nous nourrit de ses fruits. Et il est beau de voir la symbolique de l’arbre représenté dans la physionomie de cette église, où un tronc unit le sol et l’autel sur lequel Jésus nous réconcilie dans l’Eucharistie, « acte d’amour cosmique » qui « unit le ciel et la terre, embrasse […] toute la création » (Lett. enc. Laudato si’ n. 236). Ce symbolisme liturgique me rappelle des paroles magnifiques prononcées par Jean-Paul II dans ce pays : « Le Christ anime le cœur même de chaque culture, c’est pour cela que non seulement le christianisme concerne toutes les populations indiennes, mais le Christ, dans les membres de son corps, est lui-même indien » (Liturgie de la Parole avec les Indiens du Canada, 15 septembre 1984). Et c’est Lui qui sur la croix réconcilie, remet ensemble ce qui semblait impensable et impardonnable, et embrasse tous et tout. Tous et tout : les peuples autochtones attribuent une importante signification cosmique aux points cardinaux qui sont compris non seulement comme des points de référence géographique mais aussi comme des dimensions qui embrassent la réalité entière et indiquent la voie pour la guérir, représentée par la « roue de la médecine ». Ce temple fait sien cette symbolique des points cardinaux et leur attribue une signification christologique. Jésus, par les extrémités de sa croix, embrasse les points cardinaux et réunit les peuples les plus éloignés, Jésus guérit et pacifie tout (cf. Ep 2, 14). Là, il accomplit le dessein de Dieu : « tout réconcilier » (cf. Col 1, 20).
Frères, sœurs, que signifie cela pour celui qui porte au plus intime ces blessures si douloureuses ? J’imagine la réticence, chez celui qui a souffert terriblement à cause des hommes et des femmes qui devaient donner un témoignage de vie chrétienne, devant une quelconque perspective de réconciliation. Personne ne peut effacer la dignité violée, le mal subi, la confiance trahie. Et même notre honte à nous, croyants, ne doit jamais s’effacer. Mais il faut repartir et Jésus ne nous propose pas des paroles et des bonnes intentions, mais il nous propose la croix, cet amour scandaleux qui se laisse clouer les pieds et les poignets et transpercer d’épines la tête. C’est bien la direction à suivre : regarder ensemble le Christ, l’amour trahi et crucifié pour nous ; regarder Jésus, crucifié dans de nombreux élèves des écoles résidentielles. Si nous voulons nous réconcilier entre nous et en nous-mêmes, nous réconcilier avec le passé, avec les torts subis et avec la mémoire blessée, avec des évènements traumatisants qu’aucune consolation humaine ne peut guérir, si nous voulons nous réconcilier vraiment, notre regard doit s’élever vers Jésus crucifié, la paix doit être puisée sur son autel. Parce que c’est sur l’arbre de la croix que la douleur se transforme en amour, la mort en vie, la déception en espérance, l’abandon en communion, la distance en unité. La réconciliation n’est pas tant notre œuvre, elle est un cadeau, c’est un don qui jaillit du Crucifié, que la paix qui vient du cœur de Jésus, qu’une grâce qui doit être demandée. La réconciliation est une grâce qu’il faut demander.
Je voudrais maintenant parler d’un autre aspect de la réconciliation. L’apôtre Paul explique que Jésus, par la croix, nous a réconciliés en un seul corps (cf. Ep 2, 14). De quel corps parle-t-il ? Il parle de l’Église : l’Église est ce corps vivant de réconciliation. Mais, si nous pensons à la douleur indélébile vécue dans ces endroits par tant de personnes au sein des institutions ecclésiales, nous n’éprouvons que colère, nous n’éprouvons que honte. Cela s’est produit lorsque les croyants se sont laissés prendre par la mondanité et, au lieu de promouvoir la réconciliation, ils ont imposé leur modèle culturel. Cette attitude, frères et sœurs, est difficile à éliminer, y compris du point de vue religieux. De fait, il semblerait plus facile d’inculquer Dieu dans les personnes, plutôt que de permettre aux personnes de se rapprocher de Dieu – une contradiction. Mais cela ne fonctionne jamais, parce que le Seigneur n’agit pas ainsi : il ne contraint pas, n’étouffe pas et n’opprime pas ; par contre, il aime toujours, libère et laisse libre. Il ne soutient pas de son Esprit celui qui assujettit les autres, qui confond l’Évangile de la réconciliation avec du prosélytisme. Parce que l’on ne peut annoncer Dieu d’une manière contraire à Dieu. Et pourtant, combien de fois cela s’est-il produit dans l’histoire ! Alors que Dieu se propose simplement et humblement, nous avons toujours la tentation de l’imposer et de nous imposer en son nom. C’est la tentation mondaine de le faire descendre de la croix pour le manifester par la puissance et l’apparence. Mais Jésus réconcilie sur la croix, et non pas en descendant de la croix. En bas, autour de la croix, il y avait ceux qui pensaient à eux-mêmes et tentaient le Christ en lui enjoignant de se sauver lui-même (cf. Lc 23, 35-36), sans penser aux autres. Frères et sœurs, au nom de Jésus, il ne faut plus agir ainsi dans l’Église. Que Jésus soit annoncé comme il le désire, dans la liberté et la charité, et que chaque personne crucifiée que nous rencontrons ne soit plus pour nous un cas à régler, mais un frère ou une sœur à aimer, chair du Christ à aimer. Que l’Église, Corps du Christ, soit un corps vivant de réconciliation !
Le même mot réconciliation est pratiquement synonyme d’Église. Le terme signifie, en effet, « faire de nouveau un concile » : réconciliation, faire un nouveau concile. L’Église est la maison où l’on se réconcilie, où l’on se réunit pour repartir et grandir ensemble. Elle est le lieu où nous arrêtons de nous penser comme individus pour nous reconnaître comme des frères qui se regardent dans les yeux, accueillant les histoires et la culture de l’autre, en laissant la mystique de l’ensemble, si agréable à l’Esprit Saint, favoriser la guérison de la mémoire blessée. C’est cela le chemin : ne pas décider pour les autres, ne pas ranger tout le monde dans des schémas prédéterminés, mais se mettre devant le Crucifié et devant le frère pour apprendre à marcher ensemble. C’est cela l’Église, c’est ce qu’elle devrait être : le lieu où la réalité est toujours supérieure à l’idée. C’est cela l’Église et c’est ce qu’elle devrait être : non pas un ensemble d’idées et de préceptes à inculquer aux gens ; l’Église est une maison accueillante pour tous ! C’est cela l’Église et c’est ce qu’elle devrait être : un temple avec les portes toujours ouvertes, comme nous l’avons entendu de ces deux frères, que cette paroisse est ainsi : un temple avec des portes toujours ouvertes, où nous tous, temples vivants de l’Esprit, nous rencontrons, nous servons et nous nous réconcilions. Chers frères et sœurs, les gestes et les visites peuvent être importants, mais la plupart des paroles et des activités de réconciliation ont lieu au niveau local, dans des communautés comme celle-ci, où les personnes et les familles cheminent côte-à-côte, jour après jour. Prier ensemble, aider ensemble, partager des histoires de vie, des joies et des luttes communes, tout cela ouvre la porte à l’œuvre réconciliatrice de Dieu.
Voici une image conclusive qui peut nous aider. Dans ce temple, sur l’autel et le tabernacle, nous voyons les quatre poteaux d’une tente indienne typique, que l’on appelle tepee. La tente a une grande signification biblique. quand Israël marchait dans le désert, Dieu demeurait dans une tente qui était montée chaque fois que le peuple s’arrêtait : c’était la Tente de la Rencontre. Elle nous rappelle que Dieu chemine avec nous et aime nous rencontrer ensemble, en assemblée, en communauté. Et lorsqu’il se fait homme, l’Évangile dit, littéralement, qu’il « a posé sa tente au milieu de nous » (cf. Jn 1, 14). Dieu est le Dieu de la proximité, en Jésus il nous enseigne la langue de la compassion et de la tendresse. Cela doit être présent à notre esprit chaque fois que nous venons à l’église, où Il est présent dans le tabernacle, mot qui signifie d’ailleurs tente. Dieu a donc planté sa tente au milieu de nous et nous accompagne dans nos déserts : il n’habite pas dans des palais célestes, mais dans notre Église, qui désire être une maison de réconciliation.
Jésus, crucifié ressuscité, toi qui habites dans ce peuple, qui est tien, Seigneur, toi qui désires resplendir à travers nos communautés et nos cultures, Jésus, prends-nous par la main et, même dans les déserts de l’histoire, guide nos pas sur le chemin de la réconciliation. Amen.
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