Agnès Desmazières © AD

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Synodalité et sensus fidei, par Agnès Desmazières

L’Esprit à l’oeuvre dans l’Eglise

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« Contempler comment l’Esprit est à l’œuvre non seulement en chacun de nous, mais dans l’Eglise tout entière » et cela « dans la foi », au cœur des difficultés qu’elle traverse : telle est l’invitation d’Agnès Desmazières aux lecteurs de Zenit dans cet entretien ».

 Agnès Desmazières, docteur en théologie et histoire, est maître de conférences au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.

Cet article fait suite à celui du 30 mai dernier, intitulé : « Dix principes pour une synodalité authentique ».

 

Synodalité et sensus fidei :

Ecouter l’Esprit à l’œuvre dans l’Eglise

Au lendemain de la fête de la Pentecôte, nous sommes invités à contempler comment l’Esprit est à l’œuvre non seulement en chacun de nous, mais dans l’Eglise tout entière. Dans les difficultés que traverse actuellement l’Eglise de France, il est important de se le rappeler. Dans la foi. Car nous n’en avons pas forcément l’évidence. La réalité de la situation peut nous sembler porter à penser le contraire : Dieu aurait-il abandonné la fille aînée de l’Eglise ? N’est-ce pas plutôt elle – ou, tout au moins, certains de ses membres – qui aurait manqué de fidélité à sa vocation, qui, selon les mots de l’Apocalypse, aurait « abandonné » son « premier amour » (Ap 2, 4) ? Entendons l’appel : « Convertis-toi, reviens à tes premières actions » (Ap 2, 5).

La synodalité se comprend dans une dynamique de conversion. Nous nous renouvelons en revenant à notre « premier amour », en nous remémorant : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24, 32). Nous nous renouvelons en revenant à cet appel adressé par Jésus aux apôtres : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). La démarche synodale que nous vivons aujourd’hui vise ainsi à discerner ensemble comment l’Eglise est appelée à incarner dans le monde actuel la demande de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne nouvelle ! ».

Une écoute du peuple tout entier

La doctrine du sensus fidei, heureusement approfondie par le concile Vatican II, met en lumière comment l’Esprit-Saint parle au peuple de Dieu dans son ensemble de telle manière que « la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi » (Lumen gentium n. 12). Le pape François identifie le sensus fidei au « flair » du troupeau, qui discerne intuitivement le chemin à prendre.

L’on dit qu’il y a une infaillibilité « in credendo » du peuple tout entier, pasteurs et fidèle laïcs ensemble. Elle naît de la participation de tous les fidèles à la fonction prophétique du Christ en vertu du baptême. Elle est solidaire de l’infaillibilité « in docendo » du magistère ecclésial. L’une et l’autre infaillibilité ont la même source : l’Esprit à l’œuvre dans son Eglise et qui lui parle pour qu’elle soit fidèle à sa mission. Un des enjeux du Synode auquel nous nous préparons est de vivre cette réciprocité : peuple et pasteurs s’écoutant mutuellement. Les pasteurs étant invités à se rappeler qu’ils font eux-mêmes partie du peuple en raison de leur baptême.

Le concile insiste sur cette dimension collective du sensus fidei, qui s’étend à l’Eglise tout entière. Il parle ainsi de « collectivité des fidèles », de « peuple entier » ou « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » (Ibid.). En effet, comme le rappelle un récent document de la Commission théologique internationale (CTI) sur « Le sens de la foi dans la vie de l’Eglise » (2014), l’on distingue classiquement le sensus fidei fidelis, sens de la foi donné à chaque baptisé personnellement, du sensus fidei fidelium qui seul concerne la communauté des croyants et qui seul est infaillible (n. 3). Cette distinction est importante car l’écoute synodale est écoute de tout le peuple dans sa diversité, en recherche d’un consensus, où cette diversité est vécue dans l’unité de la foi.

Ce consensus se réalise dans une convergence : « Le sensus fidei  […] se reflète dans le fait que les baptisés convergent dans une adhésion vitale à une doctrine de foi ou à un élément de la praxis chrétienne. Cette convergence (consensus) joue un rôle vital dans l’Église : le consensus fidelium est un critère sûr pour déterminer si une doctrine ou une pratique particulière appartient à la foi apostolique » (Ibid).

Nul groupe ne peut donc se prévaloir d’avoir « La vérité » ou d’être plus représentatif que d’autre. Aucune autorité ne peut donner des brevets de « synodalité ». L’Eglise de France a donc à se confronter avec résolution à ses divisions fracturantes, sans peur, mais avec la décision de les affronter tous ensemble dans un dialogue qui peut prendre du temps et implique un refus de l’emporter sur l’autre, un abandon des tentations de manipulation et une humilité partagée – fidèles et pasteurs.

Une écoute du peuple saint et fidèle

Le pape François aime à parler s’agissant de l’Eglise du « peuple saint et fidèle de Dieu ». La synodalité est chemin de sainteté. Le sensus fidei est ainsi fondamentalement écoute de l’Esprit, encore faut-il y être disposé, ouvert. Dans cette perspective, si le sensus fidei fidelium peut seul être considéré comme infaillible, il est toutefois à comprendre en relation avec le sensus fidei fidelis, ce sens de la foi que chaque fidèle a personnellement du fait du baptême et qu’il est appelé à faire croître dans la prière, les sacrements, le don de soi, selon sa vocation propre (Ibid., n. 66).

Comme l’exprime de manière remarquable le document de la CTI, « le sensus fidei fidelis se développe en proportion du développement de la vertu de foi. Plus la vertu de foi s’enracine dans le cœur et dans l’esprit des croyants et informe leur vie quotidienne, plus le sensus fidei fidelis se développe et se fortifie en eux. Or, puisque la foi, comprise comme une forme de connaissance, est fondée sur l’amour, la charité est requise pour l’animer et pour l’informer, afin d’en faire une foi vivante et vécue (fides formata). L’intensification de la foi chez le croyant dépend donc particulièrement de la croissance en lui de la charité, et le sensus fidei fidelis est pour cette raison proportionnel à la sainteté de sa vie » (n. 57).

Le document de la CTI distingue ainsi des « dispositions nécessaires pour une authentique participation au sensus fidei » : d’abord « la participation à la vie de l’Eglise », ensuite « l’écoute de la Parole de Dieu », « l’ouverture à la raison », « l’adhésion au magistère », « La sainteté – l’humilité, la liberté, la joie » et « la recherche de l’édification de l’Eglise » (nn. 88-105). Il y a là des critères de discernement dans l’écoute du peuple de Dieu, qui est réalisée dans la préparation du Synode sur la synodalité. Les voix de ceux et celles qui participent effectivement à la vie de l’Eglise, dans l’écoute de la Parole et une adhésion raisonnée au magistère, en vue de la croissance de leur sainteté et de celle de l’Eglise, ne sauraient être négligées au profit de celles de « marges » incertaines qui feraient plus « tendance ». La participation à la vie de l’Eglise, typiquement à la messe dominicale où se vit et est professée l’unité de la foi, apparaît comme un « fondamental ».

Une écoute du peuple souffrant

Dans cette perspective, il apparaît spécialement important d’écouter le « petit reste » fidèle. L’on entend beaucoup parler, dans le contexte du Synode, d’écoute de la « minorité ». Il s’agit bien de s’entendre sur ce que signifie cette « minorité » au risque d’un oubli de la dimension proprement spirituelle du processus synodal. Comme l’indique bien le document de la CTI, « dans l’histoire du peuple de Dieu, ce fut souvent non pas la majorité, mais bien plutôt une minorité qui a vraiment vécu la foi et qui lui a rendu témoignage » (n. 118). Il s’agit d’une minorité qui souffre pour sa fidélité à la foi, à l’Eglise.

Dans le contexte de scandales à répétition que traverse l’Eglise de France, l’enjeu est donc d’écouter ce petit reste fidèle qui souffre, qui se sent abandonnée et a honte des inconséquences de certains de ceux qui sont censés la guider et qui parfois subit, du sein même de l’Eglise, des persécutions par fidélité à sa foi. Le document de la CTI le rappelle : « L’expérience de l’Église montre que parfois la vérité de la foi a été conservée non pas par les efforts des théologiens ni par l’enseignement de la majorité des évêques, mais dans les cœurs des croyants » (n. 119).

L’urgence est donc à écouter « les cœurs des croyants », de ceux qui croient courageusement, en dépit des adversités et dans l’unité de la foi. Il n’y pas à craindre d’écouter leur souffrance, leur détresse : elle est le signe de la foi, d’une foi enracinée dans l’espérance. L’Eglise de demain ne pourra être bâtie que sur la foi de ces croyants d’aujourd’hui, de ceux – minorité humble et souvent silencieuse – qui continuent à fréquenter nos paroisses.

Agnès Desmazières

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Agnès Desmazières

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