Irina, infirmière à Rome (Ukraine) et Albina, élève infirmière (Russie) portent la croix ensemble au Colisée Vendredi Saint, 15 avril 2022 © Vatican Media

Irina, infirmière à Rome (Ukraine) et Albina, élève infirmière (Russie) portent la croix ensemble au Colisée Vendredi Saint, 15 avril 2022 © Vatican Media

Chemin de croix du Colisée: polémique et « noblesse d’une amitié »

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Les familles et la guerre en Ukraine au pied de la croix

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« Garde allumée dans nos familles la lampe de l’Évangile (…). Convertis nos cœurs rebelles à ton cœur, pour que nous apprenions à suivre des projets de paix »: la prière du pape François au Colisée, ce Vendredi Saint, 15 avril 2022, à 21h15, a eu ces deux principaux thèmes de la famille et de la paix, en présence de quelque 10 000 personnes.

Mais au centre des toutes les attentions, c’était la 13e station: celle de la méditation de la mort du Christ, préparée par une infirmière ukrainienne et une élève infirmière russe. Polémique. Le Vatican choisit une méditation en silence. Les douleurs des familles et l’abomination de la guerre en Ukraine étaient au pied de la croix, au Colisée, et la « noblesse d’une amitié ».

Irina (Ukraine) et Albina (Russie), Chemin de croix du Colisée, 15 avril 2022 © © capture de Zenit /AB / VM

Irina (Ukraine) et Albina (Russie), Chemin de croix du Colisée, 15 avril 2022 © © capture de Zenit /AB / VM

L’infirmière et l’élève infirmière

Les méditations en effet avaient été préparées par ceux qui ont successivement porté la croix lors des 14 « stations » qui jalonnent le récit de la Passion du Christ:  un couple de jeunes mariés, une famille en mission, des époux âgés sans enfants, une famille nombreuse, une famille avec un enfant handicapé, une autre qui gère une maison de famille, une famille avec un parent malade, un couple de grands-parents, une famille adoptive, une veuve avec des enfants, une famille avec un enfant consacré (et pas du tout d’accord au départ, mais pas du tout!), une famille qui a perdu une fille, une infirmière ukrainienne, Irina, et une élève infirmière russe, Albina, en soins palliatifs, dans le même hôpital romain, et une famille de réfugiés de RDC, catholiques, Raoul et Irène Bwalwele et leurs enfants.

Le programme annonçait à la 13e station non pas « une infirmière ukrainienne et une élève infirmière russe d’un hôpital romain » mais « une famille ukrainienne et une famille russe », au point que des media ukrainiens ont refusé de diffuser le Chemin de croix qui était pourtant transmis en mondovision. « Trop prématuré », estimait le gouvernement ukrainien.

L’archevêque majeur gréco-catholique de Kiev, Mgr Sviatoslav Shevchuk, n’a pas non plus approuvé le choix du pape, qui est son ami depuis ses années à Buenos Aires: « Une idée inopportune et ambiguë, qui ne tient pas en compte le contexte de l’agression militaire de la Russie ».

Pour sa part, le nouvel ambassadeur d’Ukraine près le Saint-Siège, Andrii Yurash, a déclaré partager la préoccupation de l’archevêque et qu’il s’employait à « essayer d’expliquer » au Vatican « les difficultés de sa réalisation et les conséquences possibles ».

Nous avions rapporté les propos de la jeune russe, Albina, qui fait partie de ces Russes qui réprouvent la guerre et les atrocités commises en Ukraine, et qui, dans la diaspora, font entendre leur voix dissidente, disant leur amour de l’Ukraine: « Je suis russe et j’aime l’Ukraine« , disait-elle avec force et courage au micro de Radio Vatican.

Devant l’incompréhension, le Vatican a choisi de faire méditer la 13e station sans paroles, en silence. Les deux jeunes femmes sont porté la croix en la tenant à quatre mains, ensemble.

« Seigneur, où es-tu ? Parle! »

Voici la méditation qu’elles avaient prévue: « La mort tout autour. La vie qui semble perdre sa valeur. Tout change en quelques secondes. L’existence, les journées, l’insouciance de la neige d’hiver, aller chercher les enfants à l’école, le travail, les étreintes, les amitiés… tout. Tout perd soudainement de sa valeur. « Où es-tu, Seigneur ? Où te caches -tu? Nous voulons retrouver notre vie d’avant. Pourquoi tout cela ? Quelle faute avons-nous commise ? Pourquoi nous as-tu abandonnés ? Pourquoi as-tu abandonné nos peuples ? Pourquoi as-tu brisé nos familles de cette manière ? Pourquoi n’avons-nous plus la volonté de rêver et de vivre ? Pourquoi nos terres sont-elles devenues aussi ténébreuses que le Golgotha ? » Les larmes ont cessé. La colère a fait place à la résignation. Nous savons que tu nous aimes, Seigneur, mais nous ne ressentons pas cet amour, et cela nous rend fous. Nous nous réveillons le matin et, pendant quelques secondes, nous sommes heureux, mais nous nous rappelons tout de suite combien il sera difficile de nous réconcilier. Seigneur, où es-tu ? Parle dans le silence de la mort et de la division et apprends-nous à faire la paix, à être frères et sœurs, à reconstruire ce que les bombes auraient voulu détruire. »

Et voici ce qui a été lu, en italien, à la place, tandis que le pape François cachait son visage dans sa main pour prier: « Face à la mort, le silence est plus éloquent que les paroles. Restons donc à prier en silence : que chacun dans son coeur prie pour la paix dans le monde. »

XIIIe station, Chemin de croix du Colisée, 15 avril 2022 © capture de Zenit /AB / VM

XIIIe station, Chemin de croix du Colisée, 15 avril 2022 © capture de Zenit / AB / VM

La noblesse d’une amitié, face au sacrilège

Le p. Antonio Spadaro SJ, directeur de La Civiltà cattolica commente ainsi la photo d’Irina et d’Albina portant ensemble la croix: elles portent « le courage de la noblesse de leur amitié, face au sacrilège de la guerre ».

Au terme du Chemin de Croix, le pape a fait une prière et a donné la bénédiction finale. Avant de repartir au Vatican il a salué les familles du Chemin de croix et des représentants des autorités civiles et religieuses, dont le maire de Rome, M. Roberto Gualtieri.

Le pape est ensuite reparti au Vatican en voiture fermée: une Fiat 500L de couleur sombre.

Voici la traduction officielle en français de la prière prononcée par le pape François en italien au terme du Chemin de croix.

AB

 

Irina, infirmière à Rome (Ukraine) et Albina, élève infirmière (Russie) portent la croix ensemble au Colisée Vendredi Saint, 15 avril 2022 © Vatican Media

Irina, infirmière à Rome (Ukraine) et Albina, élève infirmière (Russie) portent la croix ensemble au Colisée Vendredi Saint, 15 avril 2022 © Vatican Media

 

Prière du pape François

Père miséricordieux,
Toi qui fais lever le soleil sur les bons et les méchants,
n’abandonne pas le travail de tes mains,
pour lequel tu n’as pas hésité
à livrer ton Fils unique,
né de la Vierge,
crucifié sous Ponce Pilate,
mort et enseveli au cœur de la terre,
ressuscité des morts le troisième jour,
apparu à Marie Madeleine,
à Pierre, aux autres Apôtres et aux disciples,
toujours vivant dans la sainte Église,
son Corps vivant dans le monde.

Garde allumée dans nos familles
la lampe de l’Évangile.
Qu’elle illumine les joies et les peines,
les efforts et les espérances :
que chaque foyer reflète le visage de l’Église,
dont la loi suprême est l’amour.
Par l’effusion de ton Esprit
aide-nous à nous dépouiller du vieil homme
corrompu par des passions trompeuses,
et à nous revêtir de l’homme nouveau
créé dans la justice et la sainteté.

Tiens-nous par la main comme un Père,
pour que nous ne nous éloignions pas de Toi.
Convertis nos cœurs rebelles à ton cœur,
pour que nous apprenions à suivre des projets de paix.
Conduis les adversaires à se serrer la main,
afin qu’ils puissent goûter le pardon mutuel.
Désarme la main levée du frère contre le frère,
pour que là où il y a de la haine, fleurisse la concorde.

Fais que nous ne nous comportions pas en ennemis de la croix du Christ,
afin de participer à la gloire de sa résurrection.
Lui qui vit et règne avec toi,
dans l’unité du Saint-Esprit,
pour les siècles des siècles.
R/. Amen.

© Librairie éditrice du Vatican

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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