Le pape François a écouté attentivement le témoignage de Daniel Jude Oukeguale, qui lui a raconté son inimaginable et douloureuse Odyssée, son impensable persévérance, sa vocation à l’art, au coeur de la détresse, depuis son Nigeria natal jusqu’à Malte, lors de la visite du pape au « Centre Jean XXIII Peace Lab » (ou Hal Far ») de Malte, ce dimanche après-midi, 3 avril 2022. Un témoignage qui a ensuite jeté le jeune homme dans les bras du pape François.
Rencontre – tellement improbable ! – de deux voyages, l’un anonyme, qui semblait ne pas finir, l’autre, sous les objectifs du monde, et si bref.
Voici notre traduction, rapide, de travail, de ce premier témoignage, d’après l’italien. Il a été suivi par le témoignage de Siriman Cooulibaly.
AB
Témoignage de Daniel Jude Oukeguale
Cher Pape François, je suis Daniel et je viens du Nigeria.
J’ai quitté ma ville natale il y a 5 ans. Après 13 jours de voyage, nous sommes arrivés dans le désert.
Pendant la traversée, nous avons croisé les cadavres de personnes et d’animaux, des voitures incendiées et de nombreux réservoirs d’eau vides. Après 8 jours traumatisants dans le désert, nous sommes arrivés en Libye.
Ceux qui devaient encore payer les trafiquants pour la traversée ont été enfermés et torturés jusqu’à ce qu’ils aient payé leur dû. Certains ont perdu la vie, d’autres ont perdu la tête. J’ai eu la chance de ne pas être parmi eux. A cette époque, il y avait une guérilla en Libye ; nous ne faisions guère attention aux balles perdues, tout comme c’était devenu une habitude de vivre avec la violence qui nous entourait. Pour nous déplacer d’un endroit à l’autre, nous étions entassés dans des véhicules comme des sardines pour échapper à la police.
Nous risquions d’être volés tout le temps. J’ai payé deux fois les passeurs qui m’ont promis de me mettre sur un bateau pour l’Europe. Cependant, les voyages ont été annulés et nous n’avons pas récupéré l’argent. Les conditions de vie étaient terribles. J’ai réussi à trouver du travail en Libye comme plâtrier pour payer une autre traversée. Au final je suis monté sur un canot de 2m sur 10m sur lequel il y avait plus de 100 personnes.
Nous avons navigué pendant plus de 17 heures avant qu’un navire italien ne nous sauve. J’étais excité et plein de joie. Le peuple s’était agenouillé pour rendre grâce à Dieu, pour découvrir, peu de temps après, que le navire retournait en Libye. Nous avons été remis aux garde-côtes libyens et enfermés au centre de détention d’Ain Zara. Le pire endroit même pour passer une seule journée.
Après un mois, j’ai commencé à travailler comme plâtrier avec un policier. Il nous a donné de la nourriture et un abri. Il a été très gentil et nous a libérés à condition que nous travaillions pour son frère, que nous avons ensuite fui car il refusait de nous payer.
Neuf mois plus tard, j’étais de retour sur un bateau. La première nuit, nous avons rencontré de hautes vagues. Quatre sont tombés à la mer, malheureusement, nous n’avons réussi à en sauver que deux. Nous étions tous morts de peur ! J’ai presque perdu espoir et à ce moment-là je me suis endormi en espérant mourir.
Je me suis réveillé le lendemain et mon humeur avait changé. Les personnes à côté de moi souriaient et un nouvel espoir nous animait. Nous avons continué à naviguer jusqu’à ce que nous rencontrions des pêcheurs tunisiens qui nous ont donné du pain, du lait et de l’eau et qui ont appelé de l’aide.
Finalement, un navire est arrivé, mais nous avons découvert qu’il s’agissait des garde-côtes tunisiens. Mieux que de passer une autre nuit en Méditerranée.
Le navire a accosté au port et nous avons été emmenés à Zarzis, en Tunisie. Les ONG nous ont donné de la nourriture, des vêtements et un abri.
Je me souviens d’avoir écrit: « N’abandonne pas » avec du dentifrice sur le mur de ma chambre, à côté de mon lit. Un membre du personnel me disait de le nettoyer, mais j’ai refusé, jusqu’au jour où il m’a apporté un chiffon et m’a dit qu’il ne partirait pas tant que je ne l’aurais pas nettoyé. Alors je l’ai fait.
Le lendemain, il est revenu et il a trouvé un tableau que j’avais fait sur le mur. Plus tard, j’ai pris avec moi des stylos et du papier. J’ai commencé à dessiner et je suis tombé amoureux de l’art. J’ai aussi travaillé quelque temps avec un artiste local avant de retourner en Libye avec deux autres compagnons. Bien que la Libye soit affreuse, c’est à partir de là qu’il est plus facile de traverser la mer.
Je suis retourné travailler jusqu’à ce que j’aie gagné assez d’argent pour payer une autre traversée. C’était une énième tentative et j’y plaçais beaucoup d’espoirs. Cette fois, après 3 jours de mer, j’arrivais à Malte, c’était la sixième fois que je payais des passeurs.
Lorsque les garde-côtes maltais nous ont secourus, je n’arrivais presque pas à y croire. Je me souviens des larmes de joie et des sourires, nous étions enfin en sécurité et mon rêve était devenu réalité.
Malheureusement, cependant, la joie n’a pas duré longtemps car nous avons été enfermés dans un centre de détention pendant environ 6 mois. J’avais perdu la tête et chaque nuit je demandais à Dieu « pourquoi ?! »
Parfois, j’ai pleuré ! Parfois, j’aurais aimé être mort. Je me demandais si le voyage entrepris était une erreur. Pourquoi des hommes comme nous devraient-ils nous considérer comme des ennemis, des criminels et non des frères ?
Au bout de ce laps de temps, on nous a emmenés au centre Hal Far, juste là derrière vous, j’ai mis du temps à m’adapter, la détention m’a aussi privé de l’envie de rêver. Mais en quelques semaines, l’ambiance a changé, j’ai commencé à affronter le quotidien avec un nouvel espoir et je peux dire que maintenant ma vie s’est beaucoup améliorée grâce au soutien des personnes qui m’ont aidé.
Mais mes pensées vont vers mes frères et sœurs toujours enfermés et je me demande quand eux aussi obtiendront la liberté.
Merci Saint-Père de m’avoir écouté. Malheureusement, encore aujourd’hui, de nombreuses personnes fuyant la guerre et la faim ont une histoire semblable à la mienne.
© Traduction de Zenit, Anita Bourdin