Avec « une fidélité, non soumise mais “debout“, à l’Eglise et à ses pasteurs », la future bienheureuse Armida Barelli a « contribué de manière déterminante à la promotion des jeunes femmes chrétiennes dans la première moitié du vingtième siècle », écrit le pape François.
Un mois avant la béatification d’Armida Barelli, l’une des grandes figures féminines de l’Eglise et de la société italienne du vingtième siècle, un livre sur sa vie, préfacé par le pape François et rédigé par le vice-postulateur de la cause, Ernesto Preziosi, sort aujourd’hui en librairie en italien, sous le titre « La zingara del buon Dio » (La gitane du bon Dieu).
Née à Milan en 1882, Armida Barelli est la fondatrice de la Jeunesse féminine de l’Action catholique et co-fondatrice de l’Université catholique de Milan. Elle bénéficia de la confiance et du soutien de trois papes.
Parmi les milliers de jeunes femmes qu’elle encouragea à « s’impliquer en tant que femmes, citoyennes et chrétiennes », le pape François mentionne sa grand-mère, « qu’Armida connut en juin 1924 lorsqu’en visite à Asti, elle intervint au Congrès de l’Union féminine, dont Grand-mère Rosa était la dirigeante diocésaine ».
Son « expérience de foi et d’engagement ecclésial » et sa « découverte de la façon dont ce vécu laïque, au sein du peuple de Dieu, était la voie pour vivre la sainteté » anticipent « la vision de l’appel universel à la sainteté indiqué par le Concile Vatican II », souligne le pape dans la préface.
La béatification d’Armida Barelli aura lieu dans la cathédrale de Milan le 30 avril prochain.
Voici notre traduction de la préface du pape François au livre « La zingara del buon Dio ».
HG
Préface du pape François
Armida Barelli a été une femme que l’on peut considérer comme l’une des principaux protagonistes de ce chemin providentiel qu’est l’histoire de l’Action catholique (AC).
« L’Eglise – ai-je dit en m’adressant au Forum international de l’AC et en rappelant la figure d’un « rêveur profond » comme le cardinal Pironio – peut témoigner que l’Action Catholique a ouvert de nouvelles perspectives en ce qui concerne la responsabilité des laïcs dans l’évangélisation. De nombreuses personnes évangélisées et formées par l’Action Catholique ont apporté la vérité, la profondeur et l’Evangile dans les milieux civils, souvent interdits à la foi. Les saints et les bienheureux laïcs de l’Action Catholique sont une richesse pour l’Eglise. Ceux qui ont été “les saints de la porte à côté“ de nombreuses communautés » (9 novembre 2021).
Armida Barelli, comme cela apparaît clairement dans cet ouvrage d’Ernesto Preziosi, a vécu sa vocation, pas à pas, en s’acheminant sur la route qui l’a conduite à animer un grand mouvement de femmes, les entraînant à vivre pleinement leur vocation et à se sentir membres vivants de l’Eglise, pour annoncer l’Evangile. L’action d’Armida s’est déployée pendant plus de quarante ans dans l’organisation du mouvement catholique féminin. Fondatrice de fait de la Jeunesse féminine de l’Action Catholique, son engagement s’est révélé déterminant y compris pour la naissance d’autres œuvres : avant tout la naissance et le développement de l’Université catholique, puis l’Institut séculier des Missionnaires de la Royauté du Christ et enfin l’œuvre de la Royauté, destinée à la formation liturgique populaire.
En tant que co-fondatrice, elle impliqua les diocèses dans le soutien de l’Université des catholiques italiens, tissant un réseau populaire d’amitié autour de l’Université, une œuvre originale qui contribua à ce que l’élaboration du savoir ne court pas le risque de l’abstraction mais se mesure « constamment à la réalité, ayant toujours à cœur la vérité, le bien commun et la charité ». (Pape François, Préface du volume III de la Storia dell’Università Cattolica del Sacro Cuore. Magistère. Vep, Milan 2021).
Sa vie existentielle, ecclésiale et associative, particulièrement intense, présente des aspects par certains côtés uniques : un choix de foi radical, vécu dans la modernité du vingtième siècle ainsi qu’un rapport profond avec l’Eglise, fait de co-responsabilité et d’obéissance. Il convient de rappeler en particulier ses relations avec les trois pontifes qui se sont succédé pendant la période de sa responsabilité : Benoît XV qui lui confie son premier mandat, Pie XI, qui soutient personnellement ses efforts d’organisation pendant de longues années et Pie XII, qui lui confirme sa confiance pendant les années dramatiques de la guerre et de la reconstruction.
Dans son expérience de l’apostolat, la figure de saint François, qui l’amène à vivre sa vie et son engagement comme une réponse radicale à sa vocation, a une place centrale cruciale ; à cela s’ajoute une dévotion renouvelée au Sacré Cœur, « dans lequel l’amour de Dieu est venu à la rencontre de toute l’humanité » et qui nourrit la confiance en Dieu dans toutes les situations et les épreuves de l’existence.
Par son œuvre, elle a contribué de manière déterminante à la promotion des jeunes femmes chrétiennes dans la première moitié du vingtième siècle, au processus d’intégration entre le nord et le sud, étendant son action au domaine international. Ce travail a su allier la confiance en Dieu et une efficacité concrète dans l’organisation, une fidélité non soumise mais « debout » à l’Eglise et à ses pasteurs, fruit de sa conscience de la contribution des femmes laïques dans l’Eglise et de sa conviction déterminée quant au rôle décisif des associations organisées, structurées sur le plan national et au niveau local.
Dans son parcours vocationnel original – qui la conduisit dès sa jeunesse à faire le choix adulte d’une vie laïque, consacrée à l’apostolat – plusieurs prêtres et religieux, dont le père jésuite Mattiussi, jouèrent un rôle important. La figure du p. Agostino Gemelli, avec qui Armida développa jusqu’à sa mort une relation ininterrompue de communion spirituelle et de collaboration active, fut déterminante
Le pape Benoît XV lui dit : « Votre mission est l’Italie » et elle, consciente de ses limites, se met en chemin pour fonder la Jeunesse féminine dans les diocèses italiens, parcourant plusieurs fois le pays à une époque où les transports étaient rares et où il n’était pas facile pour une jeune femme de voyager seule avec des horaires impossibles, souvent de nuit, au point qu’elle se sentait comme « une gitane du bon Dieu ». Elle rencontre des prêtres et des évêques, des religieux et surtout des milliers de jeunes femmes, les invitant à s’impliquer en tant que femmes, citoyennes et chrétiennes. Parmi celles-ci, je mentionne volontiers ma grand-mère Rosa, qu’Armida connut en juin 1924 lorsque, en visite à Asti, elle intervint au Congrès de l’Union féminine, dont Grand-mère Rosa était la dirigeante diocésaine.
Elle partagea l’expérience des disciples qui « “s’en allèrent“ promptement « et “proclamèrent partout l’Evangile“ », conscients que leur mission était soutenue par la présence de Dieu parce que, comme le dit l’apôtre, « notre capacité vient de Dieu » (2 Cor 3, 5). En effet, souvenons-nous que l’histoire « est guidée par l’amour du Seigneur et nous en sommes les co-protagonistes » (Pape François, Aux membres du Conseil national de l’Action catholique italienne, 30 avril 2021). Sa vie est faite d’écoute et d’accueil de l’Evangile, devenant témoin d’ « un lien entre ce que l’on écoute et ce que l’on vit », synthèse « entre la Parole et la vie » qui « fait de la foi une expérience incarnée » (ibid.) à travers des parcours de formation sans jamais céder à la boulimie de l’activisme. En effet, « les programmes, les organigrammes servent, mais comme point de départ, comme inspiration ; ce qui fait avancer le Royaume de Dieu, c’est la docilité à l’Esprit, c’est l’Esprit, notre docilité et la présence du Seigneur. La liberté de l’Evangile » (Ibid.).
Cette femme a fait de la laïcité « un antidote à l’autoréférence », permettant de marcher ensemble pour rencontrer les personnes dans la situation particulière qu’elles vivent. Dans l’expérience d’Armida Barelli, il y a une grande ouverture au monde et aux liens internationaux entre associations de jeunes femmes qui, précisément sous le pontificat de Pie XI, se développaient dans de nombreux pays. Son ouverture s’exprima également par sa passion missionnaire, qui se concrétisa dans son soutien et celui de toute la Jeunesse féminine à une mission en Chine, en aidant à la fondation d’un institut religieux constitué uniquement de sœurs chinoises, dédié à Benoît XV, le pape qui avait apporté une approche novatrice de l’esprit missionnaire, par sa lettre apostolique Maximum Illud (1919).
Son expérience personnelle marque un passage décisif dans la vision des laïcs : non plus une situation de minorité, mais la découverte de la façon dont ce vécu laïque, au sein du peuple de Dieu, était la voie pour vivre la sainteté. En ce sens, l’expérience de foi et d’engagement ecclésial de Barelli et le projet de formation qu’elle a encouragé à l’Action Catholique, anticipent la vision de l’appel universel à la sainteté indiqué par le Concile Vatican II. En se dévouant à la formation, elle a motivé des milliers de femmes à se donner dans une mission exigeante avec les nouvelles générations, pressentant cette nécessité, aujourd’hui sous les yeux de tous, que j’ai appelée Pacte éducatif mondial.
Au-delà de la dimension biographique que l’auteur a construite en donnant souvent la parole à la protagoniste, ce livre présente une recherche approfondie sur le monde associatif et universitaire vécu par Armida Barelli elle-même. Dans les années qui ont suivi la première guerre, marquées par les tensions sociales et politiques puis par l’avènement de la dictature fasciste avec ses dérives nationalistes et racistes, Armida Barelli s’engage à fond pour former une mentalité religieuse parmi les jeunes femmes, afin de les rendre capables de s’insérer activement dans la société et de se mesurer aux nouveautés de l’époque avec une autonomie de jugement et de comportement. A travers les œuvres dans lesquelles elle s’est engagée, qu’elle a vécue en étroite connexion entre elles, elle favorise la croissance d’une culture « du peuple », contribuant de façon déterminante à l’enracinement spirituel de nombreuses jeunes femmes et à leur émancipation. C’est sur cette base qu’après la guerre mondiale, elle fonde la participation consciente des femmes à la vie sociale et politique, contribuant grandement à la construction de la démocratie en Italie.
L’Eglise la donne maintenant comme modèle de femme qui, dans son humanité, avec son intelligence et les dons que le Seigneur lui a faits, a su témoigner de l’amour de Dieu. Un amour qui devient une passion pour les hommes et les femmes de notre temps afin qu’ils puissent faire et faire faire l’expérience de l’Eglise en tant que communauté accueillante, engagée et joyeuse.
(Sainte-Marthe, 19 janvier 2022)
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat