Mgr Alejandro Arellano Cedillo, doyen du tribunal de la Rote romaine © Vatican Media

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Tribunal de la Rote romaine : le pape souligne le rôle « pastoral » du juge (traduction 2/2)

Inauguration de l’année judiciaire

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« L’administration de la justice dans l’Eglise est une manifestation du soin des âmes, qui requiert une sollicitude pastorale afin d’être serviteurs de la vérité qui sauve et de la miséricorde ». C’est ce qu’a affirmé le pape François dans la deuxième partie de son discours aux représentants de la Rote romaine, reçus en audience jeudi 27 janvier 2022.

Le pape François a reçu en audience les prélats auditeurs, les ‘officials’, les avocats et les collaborateurs de la Rote, dans la Salle Clémentine du Palais apostolique du Vatican, à l’occasion de l’inauguration solennelle de l’année judiciaire. Il a centré son discours sur « la synodalité dans les procès en nullité matrimoniale » et sur la dimension pastorale de l’action judiciaire.

Pour le pape, les juges doivent exercer leur « paternité pastorale » en sachant « combiner un juste professionnalisme avec la proximité » et leur « devoir de justice » avec « la charité pastorale ». Appelés à un « exercice constant d’écoute » et à être ouverts aux arguments des autres, dans « un esprit de charité et de compréhension », ils « doivent être les auditeurs par excellence ».

Le pape François a également mis en garde contre, d’une part « les réponses standard aux problèmes concrets des personnes individuelles » et d’autre part « l’impasse du légalisme » : le légalisme « n’est pas catholique », a-t-il asséné ; il dénote une « vision autoréférentielle de la loi ». Or « la loi et le jugement sont toujours au service de la vérité, de la justice et de la vertu évangélique de la charité ».

Le pape a conclu en invitant les juges à « prier, le double ou trois fois plus », afin de « connaître le cœur de Dieu ». « Nous le connaissons dans la prière », a-t-il insisté.

Voici notre traduction de la 2ème partie du discours du pape François, prononcé en italien.

La 1ère partie se trouve ici.

HG

Discours du pape François (IIème partie)

« Avancer ensemble » dans le jugement s’applique aux parties et à leurs patrons, aux témoins appelés à déclarer conformément à la vérité, aux experts qui doivent mettre leur science au service du procès, et aux juges d’une manière particulière. En effet, l’administration de la justice dans l’Eglise est une manifestation du soin des âmes, qui requiert une sollicitude pastorale afin d’être serviteurs de la vérité qui sauve et de la miséricorde. Ce ministerium veritatis revêt une importance particulière chez les évêques lorsqu’ils jugent eux-mêmes, surtout dans les procès plus brefs, ainsi que lorsqu’ils exercent leur responsabilité vis-à-vis de leurs propres tribunaux, montrant ainsi leur sollicitude paternelle à l’égard des fidèles. Et je reviens sur quelque chose que j’ai toujours dit dès le début : le juge originaire est l’évêque. Le doyen m’a salué avec ces mots : « le pape, juge universel de toutes… ». Mais c’est parce que je suis l’évêque de Rome et que Rome préside à tout, non pas parce que j’ai un autre titre. Je vous en remercie. Si le pape a ce pouvoir, c’est parce qu’il est l’évêque du diocèse dont le Seigneur a voulu que l’évêque soit le pape. Le véritable et premier [juge] est l’évêque, et non le vicaire judiciaire, l’évêque.

La synodalité dans les procès implique un exercice constant d’écoute. Dans ce domaine aussi, il faut apprendre à écouter, ce qui n’est pas simplement entendre. Il faut comprendre la vision et les raisons de l’autre, presque s’identifier à l’autre. Comme dans d’autres domaines de la pastorale, dans l’activité judiciaire aussi il faut favoriser la culture de l’écoute, préalable de la culture de la rencontre. C’est pourquoi les réponses standard aux problèmes concrets des personnes individuelles sont néfastes. Chaque personne, avec son expérience souvent marquée par la souffrance, représente pour le juge ecclésiastique la « périphérie existentielle » concrète à partir de laquelle doit se réaliser toute action pastorale judiciaire.

Le procès requiert également une écoute vigilante de ce qui est discuté et démontré par les parties. L’instruction, destinée à établir les faits, revêt une importance particulière et exige de ceux qui la mènent qu’ils sachent combiner un juste professionnalisme avec la proximité et l’écoute. Et cela demande-t-il du temps ? Oui, cela demande du temps. Cela demande-t-il de la patience ? Oui, cela demande de la patience. Cela demande-t-il une paternité pastorale ? Oui, cela demande une paternité pastorale. Les juges doivent être les auditeurs par excellence de tout ce qui a émergé dans le procès pour et contre la déclaration de nullité. Ils y sont tenus en vertu d’un devoir de justice, animé et soutenu par la charité pastorale. En effet, « la miséricorde est la plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu » (Amoris laetitia, 311). En outre, comme c’est la norme, il y a un jury ; chaque juge doit s’ouvrir aux raisons présentées par les autres membres pour parvenir à un jugement pondéré. En ce sens, dans votre action en tant que ministres du tribunal, un cœur pastoral, un esprit de charité et de compréhension envers les personnes qui souffrent de l’échec de leur vie conjugale ne doivent jamais vous faire défaut. Afin de développer ce style, il convient d’éviter l’impasse du légalisme – qui est une sorte de pélagianisme légal ; ce n’est pas catholique, le légalisme n’est pas catholique – c’est-à-dire d’une vision autoréférentielle de la loi. La loi et le jugement sont toujours au service de la vérité, de la justice et de la vertu évangélique de la charité.

Un autre aspect de la synodalité des procès est le discernement. Parce que le synode ne consiste pas seulement à demander des avis, ce n’est pas une enquête où tout ce qui est dit a la même valeur. Non. Ce que l’un dit entre dans le discernement. Il faut la capacité de discerner. Et le discernement n’est pas facile. Il s’agit d’un discernement fondé sur un chemin fait ensemble et sur l’écoute, et qui permet de lire la situation matrimoniale concrète à la lumière de la Parole de Dieu et du magistère de l’Eglise. La décision des juges se présente ainsi comme une plongée dans la réalité d’une histoire vitale, pour découvrir en elle l’existence ou non de cet événement irrévocable qu’est le consentement valide sur lequel se fonde le mariage. C’est seulement ainsi que peuvent s’appliquer avec fruit les lois relatives aux formes individuelles de nullité de mariage, en tant qu’expressions de la doctrine et de la discipline de l’Eglise sur le mariage. La prudence du droit agit ici, dans son sens classique de recta ragio agibilium, c’est-à-dire vertu qui juge selon la raison, à savoir avec rectitude dans le domaine pratique. On en revient à cet exemple : « Que voulez-vous ? Est-ce que je le condamne ou est-ce que je le libère ? ».

L’aboutissement de ce chemin est le jugement, fruit d’un discernement attentif qui conduit à une parole de vérité faisant autorité sur le vécu personnel, mettant par conséquent en lumière les voies qui peuvent s’ouvrir à partir de là. Le jugement doit donc être compréhensible pour les personnes concernées : c’est seulement ainsi qu’il deviendra un moment d’une importance particulière sur leur chemin humain et chrétien.

Chers prélats auditeurs, ces considérations que je tenais à porter à votre attention, montrent combien la dimension de synodalité permet de mettre en évidence les caractéristiques essentielles du procès. Je vous encourage donc à poursuivre avec une fidélité et un zèle renouvelés votre ministère ecclésial au service de la justice, inséparable de la vérité et, en définitive, du salus animarum [salut des âmes, ndr]. Un travail qui manifeste le visage miséricordieux de l’Eglise, visage maternel qui se penche sur chaque fidèle afin de l’aider à faire la vérité sur lui-même, en le relevant de ses échecs et de ses difficultés et en l’invitant à vivre en plénitude la beauté de l’Evangile.

A chacun de vous, je renouvelle mon estime et ma gratitude. Je demande à l’Esprit Saint de toujours accompagner votre activité et je vous bénis de tout cœur. Et n’oubliez pas de prier. Que la prière vous accompagne toujours. « Je suis occupé, j’ai beaucoup à faire… ». La première chose que tu dois faire, c’est de prier. Prier pour que le Seigneur soit à tes côtés. Et également pour connaître le cœur du Seigneur : nous le connaissons dans la prière. Et les juges prient, et ils doivent prier, le double ou trois fois plus. S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier aussi pour moi, vous comprenez. Merci.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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